Intervention de Alain Juppé

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 14 juin 2011 : 1ère réunion
Situation au moyen-orient — Audition de M. Alain Juppé ministre d'etat ministre des affaires étrangères et européenne

Alain Juppé, ministre d'Etat :

Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez raison : la situation humanitaire en Libye est très difficile. M. Jibril, plaidant à Abu Dhabi pour une mise en oeuvre rapide des aides financières, a parlé de famine, de « starvation ». La France s'apprête à débloquer 290 millions d'euros ; j'ai reconnu que le CNT était investi de l'autorité gouvernementale qui lui permet de récupérer ces fonds, mais la banque française qui les détient réclame d'autres garanties. Mon ministère y travaille, en collaboration avec Bercy. Les pays du Golfe font aussi des efforts, comme les Européens qui essaient de dégeler d'autres fonds, mais les juristes britanniques sont pointilleux... L'Union européenne apporte une aide humanitaire massive. M. Jibril évalue les besoins à 4 ou 5 milliards de dollars. Outre Benghazi et les autres villes cernées par les combats, la situation est préoccupante à la frontière tunisienne où les réfugiés affluent.

Monsieur Berthou, nous sommes disposés à reconnaître le Hezbollah libanais comme un parti de gouvernement ayant renoncé à la violence, s'il évolue en ce sens. C'est dans le même esprit que nous avons salué la réconciliation entre le Fatah et le Hamas. Mais nous jugerons sur pièces : nous exigeons du Hezbollah qu'il respecte les engagements internationaux du Liban, qu'il préserve l'indépendance et la souveraineté du pays, qu'il permette au Tribunal spécial pour le Liban de travailler en le dotant des moyens financiers nécessaires, et qu'il garantisse la sécurité de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la Finul. Nous parlons d'ailleurs avec le Hezbollah, et non avec le Hamas.

Au Kosovo, monsieur Vantomme, la situation s'améliore -ce qui n'est pas le cas en Bosnie. Nous incitons les dirigeants serbes à mener un dialogue constructif avec les Kosovars : au-delà de l'arrestation de Radko Mladic, c'est une condition de l'intégration de la Serbie à l'Union européenne. Nous pouvons donc sans dommages réduire notre présence militaire sur place. Le ministère de la défense cherche autant que possible à rapatrier ses soldats à l'étranger : ce fut le cas pour les gendarmes mobiles, et ce sera bientôt le cas pour la force Licorne de Côte-d'Ivoire.

La transition démocratique en Égypte est en bonne voie, monsieur Badinter. Le Conseil suprême des forces armées contrôle la situation, tout en tenant compte du mécontentement qui s'exprime dans la rue. Un référendum a permis l'adoption d'une constitution. Le calendrier électoral est critiqué, parce qu'il prévoit des élections législatives d'ici la fin de l'année, avant l'élection présidentielle, ce qui, selon certains, ne laisse pas le temps nécessaire aux forces démocratiques de s'organiser, et ouvre la voie à un affrontement entre les Frères musulmans et ce qui reste du parti de Moubarak. Mais le Conseil supérieur des forces armées et le référendum ont validé ce calendrier. Certains candidats à l'élection présidentielle sont déjà en campagne, comme l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa.

Je suis donc confiant, à condition que nous sachions accompagner la reprise économique. Pour l'heure, tous les ingrédients d'une crise économique majeure sont réunis : effondrement du tourisme, afflux de réfugiés de Libye, non-rapatriement des salaires des travailleurs égyptiens de Libye, frilosité des investisseurs internationaux et fortes attentes sociales de la population. Un plan d'aide est indispensable. Se pose aussi le problème des Frères musulmans. D'après M. Moussa, si des forces démocratiques parviennent à s'organiser, les Frères ne réuniront que 20 % des voix environ. Mais on ne sait pas encore très bien quel est leur programme. J'ai dit qu'il fallait parler avec tous ceux qui ne franchissaient pas la ligne rouge, c'est-à-dire qui ne versaient pas dans le terrorisme et la violence et qui acceptaient le principe de l'alternance politique. Il est essentiel que la transition se déroule dans de bonnes conditions, car un Arabe sur quatre vit en Égypte.

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