Monsieur le ministre, mes chers collègues, après ce concert d'éloges, mon intervention va quelque peu briser votre consensus, mais il en est ainsi du débat démocratique et j'espère que vous écouterez mon intervention jusqu'au bout, comme j'ai écouté celles des précédents orateurs.
Avant d'en arriver, monsieur le ministre, à l'analyse de votre projet de loi par le groupe communiste républicain et citoyen, qui sera d'ailleurs complétée par mon amie Gélita Hoarau, sénatrice de la Réunion, je reviendrai, faute d'avoir reçu une réponse à mon rappel au règlement, sur la procédure d'urgence qui nous est imposée.
Vous ne cessez d'insister - surtout, il faut bien le dire, en direction des médias - sur l'importance d'un vrai débat parlementaire sur l'éducation. Voilà quelques jours, répondant en direct à la télévision à une jeune dirigeante d'un syndicat lycéen, vous disiez que « la démocratie, après la phase nécessaire de consultations, c'est le débat et la décision du Parlement », et vous opposiez la démocratie à la démonstration de force des lycéens dans la rue.
Mais, craignant la montée de la protestation contre votre projet de loi, vous avez décidé de réduire le débat parlementaire à sa plus simple expression en décrétant la procédure d'urgence alors même qu'il était engagé à l'Assemblée nationale !
Par ailleurs, vous avez avancé notre discussion, initialement prévue le 22 mars, et ce au détriment, notamment, d'un texte sur les violences faites aux femmes, qui nécessite pourtant d'être examiné en urgence ! De surcroît, vous avez décidé que tout serait « bouclé » en trois jours et demi !
Ainsi, monsieur le ministre, après avoir réussi le tour de force de susciter l'opposition presque unanime du Conseil supérieur de l'éducation, si l'on excepte les représentants du MEDEF, vous regardez passer les défilés de lycéens, qui sont de plus en plus importants malgré les vacances d'hiver et les casseurs, ces lycéens dont nous regrettons qu'ils n'aient pas été auditionnés par la commission des affaires culturelles. Vous voyez se succéder les mouvements de grève et de protestation des enseignants et de l'ensemble des personnels, ainsi que des parents d'élèves. A cet égard, la journée du 10 mars a été une confirmation très forte de cette mobilisation. Or, la seule réponse que vous nous proposez est une démocratie formelle, raccourcie, rabougrie, amputée de ce qui lui donne vie et sens : une écoute et une prise en compte attentive de ce que disent les intéressés sur les problèmes qui les concernent au premier chef.
Quelle leçon d'instruction civique donnez-vous là à nos jeunes et au pays, monsieur le ministre ? La seule réponse démocratique possible ne serait-elle pas le retrait de votre réforme ?
Bien sûr, me direz-vous, vous avez pris en compte une partie des revendications qui s'expriment quant au baccalauréat, à la deuxième langue vivante en seconde, à la section ES, à l'éducation physique et sportive au brevet des collèges. J'ai envie de dire : « bravo les jeunes ! Bravo les profs, les personnels et les parents ! » Mais personne ne s'y est trompé : ces reculs sont avant tout tactiques. D'ailleurs, s'agissant du baccalauréat, vous avez confirmé, depuis lors, votre volonté d'en rester à six épreuves, et vous refusez aux lycéens la prise en compte des travaux personnels encadrés, les TPE. On ne saurait être plus clair !
L'adoption par l'Assemblée nationale de 136 amendements, déposés dans leur quasi-totalité par la majorité gouvernementale, non seulement ne modifie en rien l'esprit de votre projet, mais tend même à en aggraver certains aspects particulièrement rétrogrades. Nous en ferons la démonstration au cours du débat, en défendant nos amendements.
Au demeurant, monsieur le ministre, vous donnez vous-même, tous les jours, la meilleure preuve de ce que j'avance ici, par le truchement de la préparation de la carte scolaire pour la prochaine rentrée : les suppressions d'emploi tombent « comme à Gravelotte », avec leur cortège de fermetures de classes, de dédoublements, d'options...
Aggravation des conditions d'études pour les élèves, des conditions de travail pour les personnels, des financements à la charge des collectivités territoriales, notamment à travers la décentralisation des personnels techniciens et ouvriers de service, ou TOS, imposée elle aussi grâce au coup de force du 49-3 : voilà la réalité de la prochaine rentrée, préparée comme un avant-goût de votre réforme ; voilà pourquoi une jeunesse, une profession et une majorité de parents se lèvent contre ce projet de loi. Allez-vous poursuivre longtemps cette politique désastreuse, dangereuse pour la démocratie même que vous prétendez défendre ?
Vous aviez pourtant, depuis longtemps, des indications fiables sur ce que les personnels de l'école, les parents, les élèves souhaitaient trouver dans une nouvelle loi sur l'école. Nul, en effet, dans notre pays - et surtout pas les élus communistes - ne conteste la nécessité de transformer l'école pour répondre aux questions lourdes que posent ses propres insuffisances et échecs, ainsi que les évolutions de la société. Le « miroir du débat », fruit d'un débat national qui a rassemblé plus d'un million de participants, était, de l'avis général, un bon reflet des aspirations et propositions des partenaires de l'école.
Hélas ! monsieur le ministre, vous n'en avez guère tenu compte, pas plus d'ailleurs que la commission Thélot, sur laquelle vous connaissez ma position, puisque j'ai été conduite à en démissionner alors qu'elle refusait d'inscrire à son ordre du jour des questions que je posais au nom des personnels, des jeunes et de leurs familles. Elle s'est essayée à un compromis entre les aspirations citoyennes et les exigences formulées par le MEDEF, relayées par les tenants de la construction de l'Europe néo-libérale que vous voudriez nous faire accepter aujourd'hui. Je n'invente rien : cela figure dans le rapport qui reprend de larges extraits des textes officiels du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, dont il n'avait été question dans aucun débat.
Même ce compromis, monsieur le ministre, vous ne l'avez pas respecté, de sorte que nombre d'organisations qui avaient accueilli favorablement le travail de la commission Thélot et approuvé certaines de ses propositions vous le reprochent aujourd'hui et vous demandent de retirer votre projet de loi ! Allez-vous les entendre ? Allez-vous permettre qu'une réelle concertation s'engage ?
Vous m'avez dit, lors de votre audition par la commission, voilà quelques jours, qu'« il y a environ 60 millions d'avis ». Je ne peux que regretter de nouveau que vous n'en ayez retenu qu'un seul : le vôtre ! Votre méthode est une caricature de la démocratie qui justifie cette vieille blague de comptoir : « la démocratie, c'est cause toujours ! ». Votre méthode, c'est celle que rejette de plus en plus le pays, celle qui empoisonne la vraie démocratie au point de conforter, ce que je regrette, la tendance des citoyens à s'abstenir aux élections.
Mais, malheureusement, on comprend pourquoi vous en êtes réduit à cette situation en découvrant la teneur de votre projet de loi dont je vais maintenant commenter le contenu.
Votre projet de loi s'organise autour d'une conception de l'acte éducatif totalement rétrograde, d'objectifs démagogiques, sans moyens pour les atteindre, et d'une volonté d'économies budgétaires entraînant une aggravation considérable des conditions d'enseignement pour les élèves comme pour les personnels, c'est-à-dire, en bout de course, une aggravation prévisible de l'échec scolaire que vous prétendez combattre !
J'ai parlé tout d'abord d'une conception rétrograde de l'acte éducatif. En effet, alors que toutes les recherches sur l'efficacité de l'acte d'apprentissage mettent l'accent sur le fait, d'une part, que le rapport des jeunes au savoir est le fondement même de la réussite ou de l'échec scolaire, d'autre part que ce rapport au savoir se construit dans des processus liés à des contenus et à des situations d'apprentissage multiples et diversifiées, tout votre discours consiste à dérouler une logique de responsabilité individuelle et de culpabilisation moralisatrice des élèves et des familles. C'est bien là, en effet, la fonction de la « note de vie scolaire » qui sera validée pour l'obtention du brevet des collèges, ou des « bourses au mérite » attribuées à certains élèves en fonction de leurs résultats, ou encore du « contrat individuel de réussite éducative », transformé en « programme personnalisé de réussite scolaire » et qui deviendra sans doute le « programme personnalisé de réussite éducative » à l'issue de notre discussion.
Parallèlement, aucune réflexion n'est menée sur les causes réelles de l'échec scolaire et les moyens d'y remédier, et aucun outil de réflexion pour les combattre n'est mis à la disposition des enseignants puisque vous continuez la casse du Centre national de documentation pédagogique, le CNDP, et de l'Institut national de recherche pédagogique, l'INRP.
Le fil rouge de cette logique est le suivant : si échec scolaire il y a, la faute en revient à l'élève et à sa famille, et non pas à l'institution ! On leur proposera donc une sorte de « contrat d'objectifs », dans le plus pur style de la gestion de l'entreprise, comme si l'éducation était une marchandise négociable de gré à gré !
Non, monsieur le ministre, l'éducation n'est pas une marchandise, et le problème de l'échec scolaire est trop sensible, trop douloureux et trop grave pour l'avenir même de notre pays pour être traité avec un tel mépris des réalités complexes qu'il recouvre !
Rétrograde encore, votre proposition sur les redoublements que vous encouragez alors que tous les spécialistes indiquent, ce que confirme d'ailleurs l'avis du 14 décembre 2004 du Haut conseil de l'évaluation de l'école, que, sauf exception, les redoublements soit sont inefficaces en termes de progrès des élèves, soit affectent négativement les élèves en termes de motivation et de comportement en les stigmatisant et en les maintenant, à terme, dans leur échec. Par ailleurs, le redoublement est inéquitable !
Rétrograde surtout le « socle commun de connaissances » que vous proposez.
Alors que toutes les recherches en sciences de l'éducation montrent que la formation d'un jeune est le résultat de processus complexes, qui font intervenir de nombreux champs du savoir, de l'ordre non seulement de la socialisation et de la rationalité, mais aussi du sensible, de l'affectif, du corporel, et que cela passe par des champs disciplinaires divers et variés, tels que les pratiques langagières, mathématiques, artistiques, technologiques ou physiques et sportives, vous prévoyez, face à ces avancées de la recherche pédagogique, un « socle commun de connaissances » réducteur, étriqué et étroitement utilitariste, avec, il est vrai, des enseignements complémentaires pour ceux qui réussissent, car l'enseignement à plusieurs vitesses, vous ne l'oubliez pas, reste votre objectif fondamental : d'un côté, l'école appauvrie, débouchant sur des orientations vers l'apprentissage dès la classe de cinquième pour certains, de l'autre côté, une école plus noble, qui continuera à être conçue pour ceux qui possèdent déjà, de par leur origine sociale, les outils intellectuels et matériels pour réussir !
Rétrograde encore, votre réponse à mon collègue et ami François Liberti, à l'Assemblée nationale : alors qu'il vous interpellait sur votre volonté rampante d'aller progressivement vers une diminution de l'offre de scolarisation en maternelle sous la responsabilité de l'Etat, c'est-à-dire vers un transfert progressif de cette école aux collectivités territoriales, commençant par la suppression systématique de l'accueil des enfants de deux ou trois ans, vous lui avez répondu que l'école maternelle n'assurerait, à cet âge, qu'une « fonction de garde, celle de la socialisation » !
C'est méconnaître le rôle extrêmement positif que joue notre école maternelle dans les premiers apprentissages dès le plus jeune âge, rôle confirmé par de nombreuses études de spécialistes de la petite enfance, contrairement à ce que vous avez cru pouvoir affirmer. Ce rôle est d'autant plus important pour la suite de la scolarité que l'enfant est issu d'un milieu défavorisé ; là encore, un avis du Haut conseil de l'évaluation de l'école est des plus explicites à ce sujet. D'ailleurs, c'est peut-être pour cette raison que vous souhaitez supprimer cette instance...
Mais votre projet de loi est tout aussi rétrograde sur d'autres plans, notamment lorsque vous préconisez le retour progressif et imposé à la bivalence des enseignants du collège, qui avait été abandonnée depuis près de vingt ans, ou lorsque vous proposez que l'on en revienne à l'apprentissage de l'hymne national dans les établissements du premier degré, dans le cadre de l'instruction civique : non pas que nous soyons opposés à cet apprentissage, monsieur le ministre, mais croyez-vous que l'on résoudra, par ce moyen, les difficultés rencontrées par nos jeunes issus de l'immigration ? Ne pensez-vous pas que la démarche pertinente consisterait plutôt dans une revalorisation de l'enseignement de notre histoire, sachant que notre hymne national n'est compréhensible et porteur de sens que si l'on en resitue le contenu dans son contexte, celui d'une armée populaire et révolutionnaire, sauvant à Valmy la République naissante, face à l'envahisseur contre-révolutionnaire venu en France pour tenter d'y rétablir le système féodal ?
Et ne croyez-vous pas qu'il faudra autre chose qu'un chant pour que les jeunes appartenant aux milieux en difficulté sociale, notamment ceux qui sont issus de l'immigration, retrouvent des raisons d'espérer une vie meilleure dans notre pays ?
Dès lors, pour contrebalancer l'effet désastreux de ces mesures, vous avancez des objectifs ambitieux et séduisants, mais dont nous affirmons ici qu'ils sont purement démagogiques, comme je vais vous le démontrer en prenant quelques exemples.
L'accession de 80 % d'une classe d'âge à un baccalauréat : on voudrait bien y croire, alors que le taux plafonne depuis plusieurs années en dessous de 70 % dans notre système éducatif et que ce pourcentage tend même à régresser ! Cela signifie que le seuil de difficultés auquel le système est confronté suppose, pour être franchi, un effort qualitatif et quantitatif important, que vos suppressions de moyens empêcheront !
C'est la même chose pour les 50 % de l'ensemble d'une classe d'âge que vous prétendez conduire à un diplôme de l'enseignement supérieur, alors que le nombre d'étudiants stagne depuis plus de vingt ans, que l'échec des jeunes dans les deux premières années d'études est catastrophique et que le pourcentage d'enfants issus des classes ouvrières est infinitésimal ! Que préconisez-vous, monsieur le ministre, pour résoudre ces problèmes ?
Voilà un projet qui nous aurait intéressés !
De même, on voudrait bien croire au recrutement de 300 infirmières par an jusqu'en 2010, mais vous ne nous dites pas où vous allez les trouver, sachant que le vivier de jeunes en formation est déjà notoirement insuffisant pour couvrir les besoins du pays dans le secteur hospitalier ! De plus, même lorsque les postes existent dans le système éducatif, il est difficile de les pourvoir tant les rémunérations sont faibles ! Aurez-vous recours à la directive Bolkestein ?
On voudrait bien croire, enfin, aux objectifs que vous annoncez à la fin de votre rapport annexé, tel celui-ci : « La proportion de bacheliers généraux parmi les enfants de familles appartenant aux catégories socioprofessionnelles défavorisées augmentera de 20 % ». Mais rassurez-vous, chers collègues de l'UMP, ce n'est pas pour demain, car, là encore, rien n'est dit sur les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir !