La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Christian Poncelet.
La séance est reprise.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Monsieur le président, mon rappel au règlement s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le ministre, tout le monde le sait, les lycéens, qui sont les premiers concernés par votre projet de loi, manifestent contre ce dernier. Or, des associations de parents d'élèves relèvent que, dans de nombreux établissements, des chefs d'établissement exercent des pressions sur les lycéens pour les empêcher de manifester.
Peut-être faut-il faire un rapprochement entre cette situation et ce qui s'est passé le 8 mars dernier ; et cela m'amène à vous poser ma deuxième question.
Le 8 mars dernier, tout le monde le sait, des violences ont été commises dans de nombreux endroits par des individus que l'on appelle communément des « casseurs », qui se sont introduits dans la manifestation. Monsieur le ministre, comment se fait-il que les forces de l'ordre aient laissé ces personnes commettre des actes d'agression ?
Nous savons que cela n'est pas nouveau. Je voudrais vous rappeler, mes chers collègues, ce qui s'est passé à l'occasion de manifestations ...
Monsieur Braye, vous dites parfois des choses qui sont inacceptables de mon point de vue, et je vous laisse parler !
... car ce que je dis est su de tous ; cela ne doit donc pas vous surprendre !
Souvenons-nous donc des manifestations contre le contrat d'insertion professionnelle, le CIP, qui se sont déroulées en d'autres temps et au cours desquelles des jeunes ont subi des violences et ont été blessés. Monsieur le ministre, vous savez fort bien que la police - et c'est tout à son honneur, car ce n'est pas le cas partout - peut, lorsqu'elle le veut, empêcher des perturbateurs de faire irruption dans les manifestations, ...
Si des dispositions ont été prises aujourd'hui, pourquoi ne l'ont-elles pas été ce jour-là ? Je vous demande donc, monsieur le ministre, d'intervenir auprès du ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales pour que toute la lumière soit faite sur le comportement de la police le 8 mars dernier.
Ecoutez-vous les uns les autres, mes chers collègues ! Faites preuve de sérieux, soyez responsables !
M. le président. Qu'est-ce que cela apporte de « brailler » dans l'hémicycle ?
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Cette remarque vaut également pour vous, monsieur Signé ; alors, n'applaudissez pas !
La parole est à Mme Annie David, pour un rappel au règlement.
Mon rappel au règlement a trait à l'organisation de nos travaux.
Rarement un débat parlementaire d'importance n'aura été introduit par une campagne publicitaire. Or, monsieur le ministre, c'est ce que vous avez décidé de faire avec votre texte en payant, sur les subsides de votre ministère, un encart dans la presse. Ce résumé, ce raccourci, devrais-je même dire, caractérise bien la précipitation dans laquelle vous tentez d'enfermer notre débat.
En le limitant à quelques points controversés par des centaines de milliers de lycéens, d'enseignants et de parents, vous semblez justifier la clôture prématurée de la discussion parlementaire. Cet encart publicitaire ressemble fort à un « Circulez, il n'y a rien à voir », empreint d'inquiétude face à l'émergence du vrai débat démocratique autour du savoir, de la réussite de tous et des moyens pour y parvenir.
Ainsi, monsieur le ministre, s'agissant de vos objectifs, pourquoi ne pas avoir mis en première ligne la réduction des moyens accordés à l'école, puisque ce ne sont pas moins de 50 000 postes qui ont été supprimés depuis trois ans ?
Monsieur le président, ce projet de loi est important. Le nombre d'orateurs inscrits dans la discussion générale, le nombre d'amendements déposés par la commission saisie au fond - plus de 130 - et par les groupes, le débat engagé au sein des autres commissions elles-mêmes, qu'il s'agisse ou non d'une loi de programmation, tous ces éléments concourent de toute évidence à exiger un débat approfondi, un aller et retour entre les assemblées.
Or, la déclaration d'urgence et la précipitation qui prévaut pour l'examen de ce texte, initialement prévu le 22 mars, marquent une volonté de passer en force pour couper court au débat qui s'engage tant dans le pays que dans les deux chambres. Il s'agit là d'un dévoiement inadmissible de nos institutions.
Monsieur le président, quelle justification trouve le bicamérisme, si cher à votre coeur, si la navette parlementaire est supprimée, la discussion se clôturant au sein d'une commission mixte paritaire qui tranchera les derniers points en suspens, en dehors de tout compte rendu public ?
Rarement la déclaration d'urgence n'aura été utilisée de manière aussi politicienne, une attitude qui ne sied pas à la sérénité qui doit habiter le Gouvernement de la République. Je vous demande donc, monsieur le président, d'agir pour que l'urgence soit levée sur le projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
Le simple fait que se pose la question de la programmation - je vous rappelle que les commissions des affaires culturelles et des finances proposent de modifier le titre du projet de loi en l'intitulant « projet de loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école » -, rend insupportable, sur le plan démocratique, le fait que l'Assemblée nationale ne puisse être saisie, dans la plénitude de ses pouvoirs, du projet de loi modifié par le Sénat.
J'attends une réponse claire de votre part, monsieur le président, et également de la vôtre, monsieur le ministre, pour qu'il soit mis fin à un déni flagrant de démocratie.
En tout état de cause, je demande une suspension de séance pour protester contre les conditions dans lesquelles les débats sont organisés au Parlement et pour permettre aux autorités, aux commissions, au président et au Gouvernement, de se concerter pour savoir comment lever la déclaration d'urgence sur ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Je vous rappelle, madame David, que la déclaration d'urgence est une prérogative constitutionnelle du Gouvernement.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, ce qui s'est passé ce matin dans l'hémicycle m'oblige à appeler solennellement votre attention et à vous rappeler d'une certaine manière le règlement.
Ce matin, en effet, était prévu un débat important sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur, dite directive « Bolkestein ». Etaient en discussion les conclusions du rapport de la commission des affaires économiques et du Plan sur plusieurs propositions de résolution.
La séance aurait dû commencer à neuf heures trente. Nous aurions alors disposé du temps nécessaire pour qu'ait lieu un débat riche et fructueux sur un sujet important pour l'avenir de notre pays et de l'Europe, dans le contexte que chacun ici connaît. Or, l'émission de MM. Drucker et Ardisson, qui a nécessité deux jours de préparation, a transformé l'hémicycle et a repoussé le début de nos travaux à dix heures trente.
Malgré cela, monsieur le président, nous avons conduit les travaux. A la suspension de la séance, à douze heures cinquante, après deux heures de discussion générale, il nous a été dit que nous ne pouvions poursuivre, c'est-à-dire examiner les amendements qui avaient été déposés, ni, a fortiori, procéder au vote de cette résolution, et que la suite du débat était reportée au 23 mars. Or, l'intérêt même de ces discussions était de donner un avis au Président de la République et au Gouvernement avant le Conseil européen qui se tiendra le 22 mars prochain !
Monsieur le président, il est vraiment urgent, selon nous, de souligner avec une grande solennité qu'il faut restaurer le crédit de cette assemblée en rappelant ce qu'elle est, c'est-à-dire la représentation d'élus de la nation qui doivent s'exprimer sur des sujets de première importance.
Notre assemblée était tout à fait dans les temps pour mener un fructueux débat ; elle était même la première à aborder le sujet. Or, avec ce contretemps, elle ne pourra donner son avis sur ce sujet, alors que l'Assemblée nationale le fera cet après-midi.
A un certain moment, il faut faire le départ entre ce qui relève de la politique de la communication et ce qui relève de la politique dans le sens noble du terme !
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, au nom de mon groupe, j'élève une protestation solennelle et forte
Très bien ! sur les travées du groupe socialiste
sur le déroulement de nos travaux et sur le fait que notre assemblée est privée de la possibilité de s'exprimer sur un sujet de première importance.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE. MM. Hugues Portelli et Jean-Pierre Chauveau applaudissent également.
Monsieur Bel, la séance a été suspendue ce matin alors que plus de deux heures de discussion étaient encore nécessaires pour mener le débat à son terme !
Vous avez fait allusion à la manifestation télévisée d'hier soir. Je vous ferai remarquer que cette émission, qui a été regardée par plus de cinq millions de téléspectateurs
Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE
Le Sénat n'est pas fait pour cela !
En ce qui concerne la discussion des conclusions du rapport sur la directive Bolkestein, je vous indique que nous reprendrons le débat lors d'une toute prochaine séance.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je répondrai à l'interpellation dont j'ai été l'objet concernant les conditions de sécurité de la manifestation du 8 mars dernier.
Il est tout à fait indigne d'accuser, comme vous le faites, madame Borvo Cohen-Seat, les forces de police : elles accomplissent un travail extrêmement difficile dans des conditions qui sont très pénibles
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Les forces de police ont procédé à cinquante interpellations au lendemain de la manifestation du 8 mars et à soixante-dix interpellations avant la manifestation d'aujourd'hui, afin que les lycéens puissent s'exprimer dans les conditions qu'exige la démocratie.
Le Gouvernement n'a jamais fait l'amalgame entre les casseurs et ceux qui manifestent.
Ce n'est pas rendre service à notre pays que de montrer du doigt la police qui, encore une fois, a fait de son mieux dans des conditions très difficiles.
Je n'aurai pas la cruauté de vous rappeler que d'autres manifestations, qui ont eu lieu dans d'autres temps, ne se sont pas toujours passées de la meilleure façon qui soit !
M. François Fillon, ministre. Naturellement, les Français qui souhaitent manifester doivent pouvoir le faire en toute sécurité. Cela suppose toutefois que non seulement les conditions d'organisation des manifestations mais aussi les relations entre les organisateurs et la police soient les meilleures possibles. C'est le cas pour la manifestation d'aujourd'hui ; cela ne l'était manifestement pas pour celle du 8 mars.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à travers ce projet de loi d'orientation, la nation a rendez-vous avec son école.
L'école est au coeur de tous les enjeux et de toutes les préoccupations qui engagent notre avenir. Elle est au croisement de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous voulons être demain. C'est dire que tout projet sur l'école porte en lui une ambition pour la France.
Cette ambition s'organise, à mes yeux, autour de trois axes.
D'abord, l'axe de la liberté intellectuelle : dans un environnement qui risque d'être « standardisé », « formaté », les prochaines générations doivent être dotées des clés culturelles de cette liberté. Elle signe en effet, depuis le siècle des Lumières, la singularité française.
Ensuite, l'axe de la responsabilité citoyenne : dans un monde que je pressens chahuté et conflictuel, les vertus républicaines seront primordiales. Nos enfants doivent être éduqués au « vivre ensemble ».
Enfin, l'axe de l'ouverture et de l'adaptation : dans un espace mondialisé et au coeur d'une Europe élargie, notre jeunesse doit être préparée à être acteur et non pas otage des mutations économiques, technologiques et sociales de son temps.
Brillante, républicaine, moderne : voilà la France de demain, telle que je la vois. C'est bien autour de ce dessein que le Président de la République, le Premier ministre et la majorité entendent préparer l'école !
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation est le fruit d'un large débat poursuivi sur près d'une année. Il s'inspire des travaux menés par la commission Thélot dont je tiens à saluer la qualité. Je rends hommage à l'engagement du Sénat dans l'organisation de ce débat sur l'avenir de l'école, puisqu'il a abrité dans ses murs les réunions de la commission et que, sur l'initiative du président de la commission des affaires culturelles, M. Jacques Valade, il a apporté, le 21 janvier 2004, sa propre contribution dont je salue la richesse et la qualité.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de ces compliments adressés au Sénat !
Il les mérite, monsieur le président !
Ce projet de loi d'orientation a fait l'objet d'une concertation nourrie avec les organisations syndicales et les fédérations de parents d'élèves. Il est enfin le résultat d'une réflexion plus personnelle, développée dans le cadre des nombreux contacts que j'ai pu nouer avec les membres de la communauté éducative.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous voilà maintenant saisis de ce projet de loi d'orientation, dont le contenu est précisé et enrichi par l'excellent rapport de votre collègue, M. Jean-Claude Carle. Je remercie aussi, pour la pertinence de son analyse, M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis de la commission des finances.
J'adresse mes chaleureux remerciements à la commission des affaires culturelles, à son président et aux membres de la majorité qui ont collaboré à la préparation de ce projet de loi d'orientation.
Depuis que ce texte est connu, des critiques contradictoires lui ont été adressées, même s'il est intéressant d'observer qu'aucune alternative globale ne lui est véritablement opposée.
Ces critiques ne doivent être ni dédaignées ni rejetées d'un revers de la main. Elles sont symptomatiques des fortes interrogations qui parcourent le système éducatif. Mais elles sont aussi et surtout révélatrices des lignes de fond qui traversent la société française.
L'école est le miroir de la nation, de ses querelles passées et de ses projections futures. Elle est le reflet de nos espérances individuelles et collectives. Elle est à la jointure de nos tensions libérales et égalitaires, de nos exigences privées et publiques. Elle est à la fois le réceptacle de nos dérives sociétales et de nos illusions sociales. Elle est l'épicentre des services publics. Elle est la colonne vertébrale de l'unité nationale.
Toucher à l'école, la changer, c'est, d'une certaine manière, remuer tout cela !
Dès lors, tout indique, jusqu'à preuve du contraire, que le chemin tranquille et consensuel de la réforme de l'école n'existe malheureusement pas. Nombre de mes prédécesseurs, de droite comme de gauche, en firent le constat.
Aujourd'hui, sans grande surprise, ce projet de loi d'orientation suscite des crispations et des manifestations.
Je ne néglige pas la voix de ceux qui ont entre quatorze et dix-huit ans et dont certains des messages généreux ne me semblent pas contredire l'esprit de ce texte. Mais, dans une démocratie, le pouvoir n'est pas dans la rue. En République, si le Gouvernement entend naturellement l'expression légitime des désaccords, la décision revient au Parlement. C'est à lui seul, en tant que représentant de la nation, qu'il appartient de débattre et de trancher, par la loi, la question de l'école.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Pour moi, la détermination républicaine ne s'oppose ni à l'écoute ni au dialogue. Je l'ai déjà montré, je crois.
A la question des options, sur laquelle certains lycéens percevaient un risque pour les sciences économiques et sociales, j'ai répondu favorablement. Sur les points acquis dans le cadre des travaux personnalisés encadrés - ils sont, je le rappelle, maintenus en classe de première -, j'ai indiqué qu'ils pourraient être pris en compte dans la notation du baccalauréat. Sur la réforme du baccalauréat elle-même, j'ai dit que je n'avancerai pas tant que les craintes et les malentendus ne seraient pas dissipés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi d'orientation s'inscrit dans la continuité de l'histoire de ce grand service public qu'est l'éducation nationale. Il reprend certains objectifs de la loi d'orientation de 1989 - votée elle aussi, madame David, selon la procédure d'urgence -, laquelle s'inscrit dans l'esprit de la réforme Haby de 1975 et en conserve des éléments très importants.
La volonté de conduire 80 % d'une génération au niveau du baccalauréat est ainsi confirmée. Notre pays a, en effet, besoin d'hommes et de femmes mieux formés : il ne peut plus accepter de laisser 150 000 jeunes sortir chaque année du système scolaire sans aucun bagage ! C'est pourquoi 100 % des jeunes Français devront avoir un diplôme ou une qualification reconnue.
La France aura également besoin, pour s'affirmer dans la compétition internationale, d'un plus grand nombre d'ingénieurs, de chercheurs, de cadres supérieurs publics et privés. Le projet de loi d'orientation fixe donc un nouvel objectif : atteindre 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur. Plus que jamais, nous cherchons à élever le niveau de formation de notre nation.
Cette continuité que je revendique exige cependant de faire prendre un tournant à notre école. En effet, en dépit de ses succès, malgré le dévouement des enseignants, derrière la façade égalitaire, les faits sont là : depuis dix ans, ses résultats stagnent et les discriminations sociales persistent.
Pourquoi cet état de fait, alors même que le budget que nous consacrons à l'éducation est l'un des plus élevés d'Europe, alors même qu'en quinze ans le nombre d'enseignants a progressé de 100 000 pendant que le nombre d'élèves diminuait de 500 000 ?
C'est que nous n'avons pas redéfini les priorités de l'école, ses buts, son organisation, ses pratiques !
Aujourd'hui, je vous propose de nous y atteler.
Le projet de loi fait de la transmission des connaissances et des compétences fondamentales la mission centrale de l'école. C'est en ce sens qu'il faut comprendre la définition d'un ensemble de connaissances et de compétences indispensables qui doivent être acquises à la fin de la scolarité obligatoire, le tout étant couronné par l'examen national du brevet.
La notion de « socle », qui reprend l'une des propositions du rapport de la commission Thélot, ne doit pas donner lieu à malentendu. Il s'agit non pas, comme d'aucuns le prétendent, de l'instauration d'un minimum éducatif, mais de la volonté d'assurer à tous les élèves les conditions de l'accès à une citoyenneté réfléchie et de donner à chacun les moyens d'ouvrir les portes de la culture.
Ceux qui qualifient improprement le socle de « SMIC culturel » ne sont manifestement pas allés à la rencontre des 150 000 jeunes dont je parlais à l'instant.
M. François Fillon, ministre. Ils passent sous silence ces 80 000 jeunes qui savent si peu lire, écrire et compter à leur entrée en sixième.
Très bien !sur les travées de l'UMP.
M. François Fillon, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, une éducation sans priorités claires, c'est une éducation dont l'essentiel échappe aux enfants qui n'ont pas la chance d'être nés là où il faut.
Applaudissementssur les mêmes travées.
Pour tout dire, c'est une éducation qui, derrière une vitrine uniforme et idéalisée, est en réalité élitiste.
Ce socle sera le tremplin qui, aujourd'hui, fait défaut à notre système éducatif et qui, demain, permettra à tous les élèves de poursuivre, plus loin, de façon plus assurée, leur scolarité.
J'affirme que ce socle est l'instrument de la qualité des savoirs transmis à tous, et qu'il est aussi celui de la justice au regard des savoirs réellement acquis par tous !
Bien sûr, nous pourrions aisément faire croire que l'école peut continuer à prodiguer tous ses enseignements sans aucune distinction dans les objectifs affichés. Bien sûr, nous pourrions élargir à l'infini ce socle afin de ne froisser personne... Ce serait commode, mais ce serait lâche, aussi.
J'assume ce choix, car il est au coeur de la relance de notre système éducatif. Si, depuis une dizaine d'années, nous plafonnons autour des 60% de bacheliers, c'est parce que, au milieu du parcours, entre l'entrée en sixième et la sortie vers le baccalauréat, il manque une étape solide.
Les connaissances et les compétences retenues dans le socle sont celles qui nous sont apparues comme indispensables à la vie dans la société d'aujourd'hui et à l'accès à la culture universelle : la langue française, d'abord, puis les mathématiques, les éléments d'une culture humaniste et scientifique permettant l'exercice de la citoyenneté, une langue vivante étrangère et, conséquence nécessaire de la grande mutation technologique de la seconde moitié du XXe siècle, la maîtrise des technologies de l'information et de la communication.
Ce socle des indispensables, ce socle maîtrisé par tous, crée une obligation, celle de tout entreprendre pour atteindre le résultat voulu. Cela suppose une nouvelle stratégie destinée à épauler les élèves qui éprouvent des difficultés pour acquérir ce socle.
Tel est l'objet des programmes personnalisés de réussite scolaire.
Ces programmes, qui visent à mettre en place, à tous les moments de la scolarité obligatoire, dès le début de l'école primaire, des parcours personnalisés, ont une double fonction : empêcher que des obstacles sérieux n'aboutissent à un échec rendant inévitable le redoublement ou, lorsque le redoublement se révèle nécessaire, faire en sorte qu'il ne se limite pas à une simple répétition inutile pour l'élève.
Au titre de ces programmes personnalisés de réussite scolaire, trois heures de soutien hebdomadaire par semaine en petits groupes devront pouvoir être proposées aux élèves qui en auront besoin.
Sur la base de groupes de huit élèves, et pour tous ceux qui sont repérés en difficulté lors des évaluations, les besoins sont estimés à 321 millions d'euros pour l'école primaire et à 396 millions d'euros pour le secondaire.
Mais la finalité de la scolarité obligatoire ne se limite pas à l'acquisition du socle des indispensables. A côté de ce socle, toutes les disciplines apportent leur contribution essentielle à la formation de l'élève, à la constitution de sa personnalité, à sa vie de citoyen et à la préparation de son parcours professionnel.
Au-delà de la scolarité obligatoire, l'objectif général que le projet de loi assigne au lycée est de conduire, au travers de ses trois voies, un plus grand nombre de jeunes au niveau du baccalauréat.
Le baccalauréat professionnel pourra ainsi être préparé en trois ans ou en quatre ans. Les lycées généraux et technologiques proposeront, après une seconde générale, des séries recentrées sur un certain nombre de disciplines dominantes.
Dans les séries générales et technologiques, il faudra que les élèves puissent acquérir des connaissances approfondies et maîtriser des méthodes complexes dans les principales disciplines afin de favoriser la poursuite d'études à l'université.
Là encore, l'ambition est de faire accéder le plus grand nombre d'élèves à la haute culture scientifique, économique et sociale, ainsi que littéraire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez entre vos mains le premier projet de loi sur l'éducation qui affirme aussi clairement l'ambition européenne de la France et de son système éducatif.
Au sein de l'Europe du XXIe siècle, je ne puis situer la France qu'au premier rang. Or toutes les comparaisons internationales montrent que notre pays obtient des résultats médiocres dans le domaine de la maîtrise des langues vivantes.
Cette situation n'est plus acceptable, parce qu'elle met en péril la réussite individuelle des jeunes Français aussi bien que la réussite collective du pays.
Elle est préjudiciable à la France en ce qu'elle lui interdit d'occuper pleinement sa place dans le monde, mais elle est préjudiciable aussi à tous les Français individuellement en ce qu'elle limite leurs possibilités de participer au développement des échanges internationaux dans les domaines culturel, scientifique et économique.
C'est pourquoi il est proposé dans le rapport annexé un plan résolu en faveur de l'enseignement des langues, plan qui s'est inspiré d'ailleurs sur plusieurs points de l'important rapport que M. Jacques Legendre a présenté, au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat, en novembre 2003 et intitulé : Pour que vivent les langues... : l'enseignement des langues étrangères face au défi de la diversification.
Je veux vous rappeler les mesures essentielles que contient le projet de loi à cet égard.
Le concours de professeur des écoles comportera désormais une épreuve obligatoire de langue vivante. L'enseignement des langues sera recentré sur la compréhension et l'expression orale. Cet enseignement débutera à l'école primaire en CE1. Au collège, la continuité sera assurée avec la langue apprise à l'école, et une seconde langue sera proposée, non plus en classe de quatrième mais dès la classe de cinquième. Au collège et au lycée, l'enseignement des langues sera dispensé en groupes réduits, organisés non plus par classe, mais par niveau de compétence. Les baccalauréats binationaux, de même que les sections européennes et internationales, seront développés.
Financièrement, le dédoublement des groupes de langue est la mesure la plus lourde de ce projet de loi d'orientation, et l'une des plus importantes aussi, avec l'apprentissage de la seconde langue vivante dès la classe de cinquième.
Pour que nous puissions assumer notre ambition en termes d'encadrement, 10 000 équivalents temps plein sur cinq ans devront être prévus.
Sur cette question des langues, donc, une amélioration décisive de notre système éducatif va s'enclencher.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avec l'expression « éducation nationale » résonnent en écho deux principes : instruire, mais aussi rassembler la nation.
Amour de la France, citoyenneté, mérite, autorité, laïcité, égalité et fraternité : ces mots, ces usages, il est du devoir de l'école de les faire partager, de les faire respecter.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et sur certaines travées de l'UC-UDF.
Contrairement à certains, je ne crois pas que ces valeurs soient surannées. Bien au contraire, dans ce monde désordonné où s'insinuent la violence, les communautarismes, les haines racistes ou antisémites, le projet républicain est plus que jamais contemporain.
Entre l'école et la République, il existe un pacte indissoluble que j'entends renforcer.
Ainsi que l'affirme le deuxième article du projet de loi que j'ai voulu : « La Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».
Cette mission est confiée à tous les membres de la communauté éducative, et elle doit être vécue par tous les élèves dans l'exercice même de leur scolarité comme un apprentissage de la citoyenneté.
La citoyenneté, cela commence, chez l'élève comme chez l'adulte, par l'adoption d'un ensemble de comportements responsables, respectueux de soi et d'autrui ainsi que des règles de la vie commune, et cela aboutit à la recherche de l'intérêt général et au souci du bien commun.
La citoyenneté, c'est comprendre très tôt que les droits entraînent des devoirs.
Ceux qui ont construit l'école de la République, et qui se situaient dans le prolongement de tous les efforts éducatifs antérieurs, le savaient bien : l'école a une fonction éducative, c'est-à-dire que l'éducation a une fonction morale.
Concrètement, les enseignements, comme l'apprentissage des règles à respecter dans tous les établissements, seront l'occasion de mettre en oeuvre les valeurs de tolérance et de respect des autres, l'égalité des femmes et des hommes, la civilité dans les comportements. C'est ce que je veux promouvoir en intégrant une note de vie scolaire dans le brevet rénové des collèges.
M. François Fillon, ministre. La violence et la délinquance n'ont rien à faire à l'école. Parce qu'elles s'attaquent prioritairement aux plus faibles et aux plus démunis sur le plan social, nous les combattrons sans aucun état d'âme, en nous inspirant de l'excellent rapport de M. Christian Demuynck sur le violence à l'école, dans lequel votre collègue énumère toute une série de mesures pour enrayer cet engrenage inacceptable.
Applaudissementssur les travées de l'UMP.
Les élèves qui perturbent gravement le déroulement des classes seront pris en charge et seront encadrés par des dispositifs relais dont le nombre sera accru. Ainsi, deux cents classes relais de plus chaque année pendant cinq ans sont prévues, ce qui représente 13 millions d'euros supplémentaires par an.
Parmi les valeurs de la République, l'une d'entre elles est vitale : l'égalité des chances. Pour moi, l'école est là pour briser, pour transcender les barrières sociales.
Nous nous en donnons les moyens.
C'est ainsi que je propose de tripler les bourses au mérite accordées sur critères sociaux aux élèves qui obtiendront de bons résultats au brevet national ou au baccalauréat. Le nombre des bénéficiaires de cette mesure devrait augmenter de 50 000 en trois ans, ce qui représente un effort supplémentaire de 17 millions d'euros par an.
L'égalité des chances, c'est aussi offrir aux élèves en situation de handicap une scolarisation en priorité dans l'établissement scolaire le plus proche de leur domicile. C'est pourquoi le nombre des unités pédagogiques d'intégration pour les handicapés devrait être augmenté de deux cents par an pendant cinq ans, de façon à atteindre l'objectif de 1 000 unités affiché dans le rapport, ce qui représente 16 millions d'euros de dépenses supplémentaires par an.
L'égalité des chances consiste encore, pour l'école, à assurer sa mission de prévention et de surveillance sanitaire ainsi que l'éducation à la santé. Pour cela, le projet de loi prévoit la présence d'une infirmière ou d'un infirmier dans chaque établissement du second degré.
Pour atteindre cet objectif, il faut prévoir le recrutement de 1 520 personnels nouveaux, ce qui correspond à 304 de plus par an pendant cinq ans, soit un effort annuel supplémentaire de 10 millions d'euros.
Certains, mesdames, messieurs les sénateurs, ont cru pouvoir affirmer que ce projet de loi restait bien silencieux sur les questions pédagogiques.
C'est tout à fait inexact !
Le projet de loi a, au contraire, pour objet de donner à la pédagogie toute sa place, mais, il est vrai, rien que sa place.
Il s'agit d'abord de dépasser l'opposition stérile des savoirs et de la pédagogie, de mettre les connaissances à la première place, de se centrer sur les savoirs et les savoir-faire les plus importants.
Il s'agit ensuite de mettre clairement la pédagogie au service tant de l'acquisition des savoirs par les élèves que de la transmission des connaissances et des compétences par les enseignants.
Les programmes personnalisés de réussite éducative, les groupes de compétences en langues, la création des conseils pédagogiques, la présence, dans le cahier des charges national de la formation des maîtres, d'un volet consacré à l'adaptation à des publics hétérogènes, l'inscription dans la loi du principe de la liberté pédagogique, qui n'y figurait pas jusqu'à présent, sont autant d'éléments qui font de cette loi une grande loi pédagogique.
Dans ce domaine, notre texte tend à affirmer plusieurs principes.
Tout d'abord, la pédagogie vise en priorité à soutenir les élèves en difficulté, à individualiser les modalités de l'enseignement et à rechercher les moyens de l'adapter à la diversité des classes.
Ensuite, le choix des méthodes pédagogiques relève de la responsabilité de chaque enseignant. Conformément à la tradition scolaire française, réaffirmée avec solennité à travers l'inscription dans la loi du principe de la liberté pédagogique, l'enseignant est considéré comme un « maître », dont la compétence, fondée sur la maîtrise des savoirs à enseigner, s'étend naturellement à la manière de les enseigner.
Cependant, l'autorité pédagogique de l'enseignant doit, évidemment, s'exercer dans le cadre des programmes et s'enrichir de la concertation et du travail en équipe, que la création du conseil pédagogique dans les établissements publics locaux d'enseignement, les EPLE, a pour fin d'organiser et de promouvoir. Elle doit bénéficier des conseils et du suivi des corps d'inspection.
Enfin, dans la formation des maîtres, il s'agit également de redéfinir les liens entre la pédagogie et les savoirs. C'est pourquoi j'ai proposé que la formation initiale des enseignants soit confiée à l'université : aujourd'hui autonomes et souvent livrés à leur propre logique, les instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM, prendront le statut d'école intégrée aux universités, comme c'est le cas, d'ailleurs, dans la quasi-totalité des pays développés.
L'Etat fixera, dans un cahier des charges national - c'est une nouveauté - le contenu de la formation initiale des enseignants, qui sera réorientée sur deux ans autour de trois volets : la formation disciplinaire, la formation pédagogique et la formation du fonctionnaire du service public de l'éducation.
La formation continue des enseignants sera, elle aussi, recentrée sur l'échange de pratiques pédagogiques performantes et l'approfondissement disciplinaire. En plus des dispositifs déjà existants, tout enseignant pourra bénéficier, sur présentation d'un projet personnel de formation, d'un crédit d'heures de l'ordre de vingt heures par an.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi vise à affirmer l'importance de la pédagogie et à en préciser la portée dans les classes, dans les établissements scolaires et dans les instituts universitaires de formation des maîtres.
Avec ce texte, nous misons sur la force et la capacité du service public de l'éducation à assumer ces nouvelles orientations.
Sur le terrain, j'ai, comme vous, croisé tant de professeurs et de chefs d'établissements, motivés, passionnés, ajustant leurs méthodes, inventant, construisant l'école de demain ! J'ai confiance dans l'école de la République, j'ai confiance dans son aptitude à relever les défis de son temps.
Si l'éducation nationale ne continue pas à s'adapter, ne répond pas aux aspirations des Français, n'obtient pas tous les résultats qu'on en est en droit de lui demander, alors, elle est en péril.
C'est pourquoi il n'est pas acceptable d'opposer la logique du service public avec la poursuite de la qualité, ni de prétendre qu'avoir des objectifs, développer une stratégie et évaluer des résultats serait incompatible avec la culture du service public. Il n'est pas davantage acceptable de laisser dire que mieux gérer le système éducatif, c'est vouloir le brader ou l'asservir à la loi du marché.
La modernisation du service public passera par des contrats d'objectifs plus clairs entre l'établissement scolaire et l'académie et par un ciblage des moyens, là ou l'échec scolaire est le plus flagrant. Ce sera le cas, notamment, pour les programmes personnalisés de réussite scolaire. Elle passera également par une meilleure utilisation des ressources humaines en matière d'aide et de remplacement des professeurs absents.
Cette question des remplacements de courte durée est devenue, pour les élèves et leurs parents, le symbole d'un blocage peu admissible de l'institution scolaire. Alors que personne n'a jamais osé aborder ce sujet quasi tabou, nous vous proposons de nous y attaquer.
Tout professeur absent pourra être remplacé par l'un de ses collègues de l'établissement exerçant dans sa discipline ou dans une autre discipline si aucune autre solution n'est possible. L'intervention des enseignants dans ce cadre donnera naturellement lieu au paiement d'heures supplémentaires.
La modernisation du service public passera aussi par la simplification des niveaux de décision entre les rectorats, par les inspections académiques et les services centraux, et par la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances.
Un Haut conseil de l'éducation donnera au Gouvernement des avis sur les questions relatives à la pédagogie et aux programmes, à l'organisation et aux résultats du système éducatif ainsi qu'à la formation des enseignants.
Partout, il s'agit de passer progressivement d'une logique quantitative à une logique plus réactive, plus qualitative. Il faut désormais promouvoir une meilleure répartition des moyens et une meilleure gestion des ressources humaines en fonction d'objectifs lisibles et régulièrement évalués.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la rénovation du service public de l'éducation et la réussite de tous les élèves, qui est un objectif ambitieux, ne se décrètent pas.
Chacun a son rôle à jouer.
Il appartient au Gouvernement d'évaluer la situation et de tracer les grands axes de progression : c'est ce que nous faisons ici en prévoyant 2 milliards d'euros et le recrutement de 150 000 enseignants d'ici à cinq ans.
Il revient, ensuite, à tous les acteurs de ce grand service public auquel notre pays confie ce qu'il a de plus précieux, l'avenir de ses enfants, de se mobiliser autour d'objectifs partagés.
C'est ainsi que l'éducation nationale poursuivra sa marche en avant.
Telles sont les priorités définies dans ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, dont je suis convaincu qu'il contribuera à assurer à la France un avenir à la hauteur de ses ambitions.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, contrairement à ce qui est parfois, et même souvent, dit, les réformes d'ampleur de l'éducation nationale sont peu nombreuses : ce n'est que tous les quinze ans, environ, que la nation, par l'intermédiaire de ses élus, a rendez-vous avec son école.
M. François Fillon, ministre. Ce rendez-vous, nous y sommes. Dans cette longue histoire de l'école, j'ai l'honneur d'agir dans le prolongement de nombre de mes prédécesseurs, dont certains furent illustres. Ils ont voulu l'école de la République, ils l'ont faite. Avec ce texte, j'ai le sentiment ne pas être infidèle à l'esprit universel qui était le leur.
Applaudissements prolongés sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
Vous venez de rappeler, monsieur le ministre, les éléments essentiels de la démarche du Gouvernement et les propositions contenues dans ce projet de loi sur l'avenir de l'école.
Ce texte répond à une attente, celle des milliers de Français, de tous horizons, qui, participant à la consultation voulue par le Président de la République, se sont exprimés, au cours de 26 000 réunions publiques, sur ce qu'ils attendaient de notre école pour demain. Ce grand débat, organisé sous l'égide de la commission présidée par Claude Thélot, a permis de mobiliser la nation tout entière sur ce sujet stratégique pour son avenir, donnant ainsi tout son contenu à l'affirmation qu'il faut sans cesse répéter : l'avenir de l'école se décide aujourd'hui.
La commission des affaires culturelles a été pleinement associée à cette démarche, puisque trois de ses membres, Jean-Claude Carle, aujourd'hui rapporteur, Annie David et Monique Papon, ont activement participé à ses travaux.
Tous ces avis, toutes ces contributions ont été transcrits dans Le Miroir du débat et la commission Thélot en a fait la synthèse. Son rapport, intitulé Pour la réussite de tous les élèves, a été remis au ministre de l'éducation nationale le 6 avril dernier : c'est le message adressé par nos compatriotes aux responsables politiques que nous sommes pour une nouvelle école républicaine.
Comme l'ont indiqué le président et des membres de la commission lorsque nous les avons auditionnés, ce rapport est une expression collective et trace des pistes pour accompagner l'évolution de l'école, remédier à ses carences actuelles et, de ce fait, éclairer les rédacteurs de la future loi.
Le Gouvernement s'est immédiatement mis au travail à partir de ces propositions en élaborant ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, qui vient aujourd'hui devant la Haute Assemblée.
Je salue votre courage politique, monsieur le ministre, de vous être livré à ce difficile exercice pour synthétiser et transcender ces milliers d'avis exprimés. Il est de moins en moins facile de préparer un projet de loi de réforme de l'école et nombre de vos prédécesseurs ont reculé devant les réactions, les manifestations ou les grèves suscitées par leurs projets. L'histoire nous montre que l'acte de légiférer sur l'école - vous l'avez rappelé, monsieur le ministre - ne se produit que tous les quinze ans : Jules Ferry en 1881, Marcel Astier en 1919, Michel Debré en 1959, René Haby en 1975 et Lionel Jospin en 1989...
Cependant, nous ne pouvions négliger la situation difficile de notre école, décevoir l'espoir de nos concitoyens, qui se sont exprimés et ont, en quelque sorte, passé commande pour une école rénovée : éduquer et former notre jeunesse en donnant à chacun sa chance et en s'efforçant de ne laisser personne sur le bord du chemin.
Il s'agit, non pas d'une révolution, mais d'une nécessaire évolution souhaitée par tous. Nous avons, à partir d'un constat, l'obligation, l'impérieuse nécessité, avec réalisme et fermeté, de porter remède aux dysfonctionnements de l'école et de la projeter dans le XXIe siècle.
C'est ce à quoi vous vous êtes attaché, et, par votre projet, le « contrat France 2005 », vous avez le mérite de proposer des solutions à ce constat d'échec qui sanctionne notre système scolaire.
Il est, en effet, insupportable que 150 000 jeunes quittent l'école négativement, sans formation de base, sans qualification et, de ce fait, sans réelle chance d'insertion professionnelle et sociale.
La perception par les jeunes de cette absence d'avenir entraîne des dérives publiques tout à fait regrettables, même si, le plus souvent, elles sont amplifiées, voire exploitées. Il n'en demeure pas moins que la jeunesse exprime sa perception des difficultés réelles du présent et ses inquiétudes tout aussi réelles pour l'avenir.
La communauté nationale, tout particulièrement celle des adultes, a une responsabilité majeure dans ce domaine.
Quatre orientations se sont dégagées du débat national, quatre défis prioritaires pour l'école de demain, qui sont des chantiers incontournables.
La référence à l'égalité des chances ne suffit plus ; il faut l'organiser, et vous vous y efforcez, monsieur le ministre, d'une façon qui est non plus incantatoire mais concrète, en vous attaquant aux racines profondes de cette situation.
Notre système éducatif, a, en fait, peu évolué au cours des décennies précédentes.
Il est vain de penser que tous les enfants, à situation sociale comparable, peuvent atteindre des niveaux scolaires, voire universitaires, identiques : peut-on imaginer que tous les enfants, tous les adolescents, tous les adultes, pour prendre l'image du sport, aient la même capacité à courir, sauter, jouer au football avec le même talent et atteindre les performances des meilleurs et des plus doués ?
L'évocation de l'égalité de tous les individus par rapport à la performance est une tromperie, sauf à tirer vers le bas l'ensemble et, par conséquent, à pénaliser les meilleurs.
En revanche, il est de notre devoir impérieux de mettre en place tous les systèmes utiles pour faire émerger tous les talents dont l'épanouissement peut être contrarié par l'origine sociale ou par l'aptitude même des enfants, qui est plus ou mois facile à révéler et à mettre en valeur.
Il faut ouvrir l'école au plus grand nombre, organiser l'émergence des talents, soutenir les plus défavorisés ou les plus fragiles...
...et faciliter l'orientation en fonction des capacités de chacun, non par la négative, comme c'est trop souvent le cas actuellement.
Il faut désormais mieux prendre en compte la diversité des capacités et des situations. Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, s'y emploie.
Les Français demandent à l'école de donner à leurs enfants une culture générale et des compétences minimales, de prendre en compte leur diversité, d'améliorer la gestion du système éducatif et de répondre aux défis de l'ouverture à l'international de la France.
Je laisse à M. le rapporteur le soin de développer ces thèmes et de montrer comment le projet de loi d'orientation tente d'y apporter une réponse.
Quoi qu'il en soit, nous adhérons totalement à vos propositions essentielles, monsieur le ministre : maîtrise d'un socle de connaissances de base ; lutte contre l'échec scolaire par un soutien personnalisé ; développement de l'enseignement des langues vivantes, dès le CE1 pour la première langue, à compter de la cinquième pour la seconde.
J'ajouterai que, bien qu'elle ait disposé de délais très courts, ce qu'elle a déploré, la commission des affaires culturelles a préparé l'examen de ce texte avec soin et avec sérieux. Elle avait heureusement anticipé le calendrier et débuté ses consultations dès le dépôt du projet de loi d'orientation, le 12 janvier dernier.
La commission a procédé à une cinquantaine d'auditions, si l'on y inclut celles de son rapporteur, qui a été très studieux pendant la semaine des vacances parlementaires du mois de février. Je confirme que nous avons rencontré l'ensemble des organisations représentatives des enseignants, des chefs d'établissement, des parents d'élèves et des lycéens, ainsi que de nombreux spécialistes de l'éducation.
Permettez-moi, enfin, d'évoquer deux points particuliers du projet de loi.
En premier lieu, j'ai eu l'honneur l'an dernier d'être le rapporteur du projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. J'avais moi-même demandé au cours du débat que ce texte s'accompagne d'un effort important en matière d'enseignement du fait religieux - et donc d'une adaptation de la formation des enseignants en ce sens - afin d'améliorer la connaissance critique des religions et de favoriser la compréhension mutuelle entre les différentes cultures et traditions de pensée. C'est de l'ignorance, en effet, que naît l'intolérance ; c'est sur ce terrain que prospèrent les extrémismes.
J'approuve donc l'initiative, dont la force symbolique est très grande, de notre collègue député M. Jean-Pierre Brard, visant à introduire l'enseignement de l'histoire du fait religieux.
En second lieu, j'aborderai les dispositions relatives à la réforme des instituts universitaires de formation des maîtres, marquant la volonté - cela est bien normal - de les intégrer aux universités. C'est un réel progrès, même si subsistent un certain nombre de difficultés, sur lesquelles notre rapporteur reviendra.
A cet égard, nous constatons tous que la réflexion n'a pas été suffisamment poussée sur la question de l'articulation entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Des membres de la commission Thélot avaient déjà regretté cette frontière fixée à leur champ d'investigation. Et les nombreuses personnes que nous avons auditionnées ont déploré que nous ne nous attaquions pas à cette question, tout particulièrement à l'inacceptable taux d'échec en première année d'université.
Le 29 janvier dernier, à l'occasion d' « Objectif emploi » organisé par le Sénat, les participants avaient mis en avant cette question. La commission « Défis éducatifs » avait proposé que, dès le secondaire, les élèves soient mieux informés des possibilités qu'offre l'enseignement supérieur, afin d'éviter les erreurs d'aiguillage qui conduisent à l'échec et à un gâchis inacceptables. Ce qui est vrai pour les étudiants et pour les élèves l'est également pour les professeurs des classes préparatoires et du premier cycle de l'enseignement supérieur.
Certes, le projet de loi d'orientation fixe au système éducatif l'objectif de faire obtenir un diplôme de l'enseignement supérieur à 50 % d'une classe d'âge - contre 38 % aujourd'hui. L'organisation de ce niveau est donc, de ce fait, absolument à revoir.
La commission des affaires culturelles souhaite, monsieur le ministre, que la réflexion soit approfondie dans des conditions sereines, loin de toute agitation de la rue, en vue de sortir de cette impasse.
Elle a fait de nombreuses autres propositions, que son rapporteur va maintenant vous présenter.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
M. Philippe Richert remplace M. Christian Poncelet au fauteuil de la présidence.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en ouvrant, le 20 novembre 2003, le débat national sur l'avenir de l'école, le Président de la République rappelait que « l'école a été le rêve de la République » et qu'elle reste « la plus belle de ses réussites ». Cependant, ajoutait-il, « l'école exprime une forme de désarroi. Elle s'interroge sur le contenu de ses missions ».
Il a souhaité, alors que notre système éducatif cherche un nouveau souffle, que l'ensemble des Français puissent faire partager leurs préoccupations et exprimer leurs attentes et leurs aspirations.
En effet, notre destin collectif est intimement lié à l'avenir de l'école.
La commission du débat national sur l'avenir de l'école, présidée par M. Claude Thélot, à qui je souhaite rendre un hommage appuyé, comme vous l'avez fait, monsieur le ministre, a accompli un travail considérable pour établir la synthèse de ces contributions.
Cette démarche confère une assise et une légitimité toutes particulières au projet de loi d'orientation qui a ensuite été élaboré par le Gouvernement.
A l'occasion d'une rencontre organisée dans ma région, une jeune enseignante m'a semblé avoir trouvé les mots justes pour formuler le constat partagé : « l'école va bien pour les enfants qui vont bien ».
Le projet de loi d'orientation que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, nourri de ces débats et de nombreuses concertations, vise à permettre à notre école d'aller bien pour tous nos enfants.
L'école de la réussite pour tous, c'est d'abord celle qui assure l'égalité des chances, laquelle n'est pas seulement l'égalité dans l'instant, mais est aussi l'égalité face à l'avenir.
Ce n'est pas par la seule inflation continue des moyens que nous gagnerons ce pari. Dans son rapport intitulé Mieux gérer, mieux éduquer, mieux réussir, la commission d'enquête sénatoriale constituée en 1998, sous la présidence de notre collègue Adrien Gouteyron, nous avait déjà mis en garde contre les limites d'une hausse budgétaire mal maîtrisée.
En effet, pendant plusieurs décennies, notre système éducatif a enregistré une formidable progression, conjuguant massification et démocratisation de l'accès aux niveaux supérieurs de formation. Mais, depuis dix ans, il a atteint un palier, et ce en dépit d'une augmentation de 25 % du budget de l'enseignement scolaire.
La persistance d'inégalités jette le doute sur la capacité de l'école à remplir son rôle de meilleur instrument de promotion sociale. Un enfant d'ouvrier a toujours dix-sept fois moins de chances qu'un enfant de cadre d'accéder à une grande école. Enfin, dans un récent avis, le Haut Conseil de l'évaluation de l'école a montré que la pauvreté, au sens large, - la pauvreté économique et sociale, mais également culturelle -, était la première cause du grand échec scolaire.
L'éducation est notre première priorité nationale. Chacun se sent concerné par ce qui touche à cette question. Le temps est venu pour la nation de se réapproprier son école pour en fixer les grandes orientations, afin qu'elle porte ses espoirs et ses exigences.
La première de ces exigences est que chacun maîtrise, à l'issue de la scolarité obligatoire, un socle commun de connaissances et de compétences indispensables. C'est la condition primordiale de l'efficacité et de la qualité de notre école. C'est avant tout un impératif de justice sociale, en termes d'égalité des chances face à la transmission des savoirs, dès lors que l'école s'adresse à tous les élèves.
A ceux qui prétendent que le socle commun de connaissances constituerait une culture au rabais ou un nivellement des ambitions, je me contenterai de rappeler ces quelques chiffres connus de tous : quand 15 % des élèves entrent en sixième en éprouvant de grandes difficultés en lecture, que 7 % des adolescents de dix-sept ans sont dans une situation proche de l'illettrisme et que 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification et sans maîtrise des bases fondamentales du savoir, garantir à tous la maîtrise d'un socle commun de connaissances est une ambition forte et élevée. Je défie quiconque de dire le contraire !
Ce socle commun de connaissances répond, en outre, à la principale préoccupation de la majorité des Français. La nation affiche ainsi clairement ses attentes à l'égard de l'école, en définissant ce que nul ne peut ignorer pour poursuivre sa formation, réussir sa vie en société et préparer son avenir professionnel. En parallèle, l'acquisition de ce socle de connaissances par tous les élèves devra faire l'objet, à chaque étape, d'une évaluation, prise en compte dans la poursuite de la scolarité.
Mais ce serait une erreur de voir dans ce socle commun une illusoire uniformité des parcours de réussite. L'école accueille des élèves divers ; elle a pour devoir d'offrir et de promouvoir des voies de réussite plurielles.
L'égalité des chances appelle aujourd'hui d'autres réponses que l'égalité de traitement. Cette dernière a produit des effets limités et parfois destructeurs. Bien au contraire, l'égalité des chances repose, à mon sens, sur l'inégalité de traitement. Nous en sommes aujourd'hui convaincus.
J'ai été guidé, tout au long de l'examen du projet de loi, par cette phrase d'Hervé Bazin dans son Abécédaire : « Pour que chacun soit, nous devons vivre ce paradoxe : tous égaux, tous non pareils ».
La personnalisation des apprentissages que vous avez souhaitée, monsieur le ministre, avec le programme personnalisé de réussite scolaire - je vous proposerai de le rebaptiser « parcours de réussite éducative » pour en souligner l'aspect progressif et global - constitue, en ce sens, une avancée importante.
Plusieurs des amendements que je présenterai au nom de la commission des affaires culturelles répondent au souci d'aller plus loin dans cette direction.
Tout d'abord, j'ai souhaité donner à ce projet de loi d'orientation une forte tonalité politique, pour mettre un terme au postulat culturel de hiérarchisation des formes d'intelligence sur lequel est bâti notre système éducatif. En raison de préjugés tenaces, la voie professionnelle demeure toujours perçue comme une voie de relégation, qu'on ne rejoint qu'à la suite d'une orientation par l'échec, une orientation subie et non choisie.
C'est pourquoi il appartient à la nation de proclamer haut et fort que l'école doit accorder le même intérêt à toutes les formes de talents, reconnaître et valoriser l'intelligence « du geste », celle de la main, tout autant que les capacités d'ordre plus conceptuel. Pour cela, elle doit privilégier des approches diversifiées.
L'école de l'égalité des chances est d'abord celle qui permet à chacun d'aller au plus loin de ses potentialités, dans l'expression de ses talents, aussi bien intellectuels que manuels, artistiques et sportifs.
Ensuite, et dans le même esprit, l'école doit s'adapter aux élèves qui présentent des besoins spécifiques, pour leur offrir les meilleures chances de réussite.
Nous avons eu de riches débats, ces derniers mois, en vue d'améliorer les conditions de scolarisation des élèves handicapés. J'ai souhaité que ce projet de loi d'orientation adresse des messages analogues à l'égard des élèves intellectuellement précoces, qui sont, paradoxalement, les oubliés de la difficulté scolaire. L'école doit pouvoir leur offrir un cadre pédagogique adapté et stimulant, pour accompagner leur progression, y compris en favorisant une accélération de leur parcours scolaire.
En outre, l'école de la République a le devoir d'accueillir les « primo-arrivants », c'est-à-dire les élèves non francophones qui arrivent sur notre territoire. Leur assurer une maîtrise rapide de la langue française est la première clé à leur donner pour faciliter leur intégration.
Enfin, l'éducation nationale doit reconnaître qu'elle ne détient pas le monopole des voies de la réussite. Il m'a semblé primordial de donner à ce projet de loi d'orientation toute sa dimension, en l'inscrivant dans une vision large et solidaire de toutes les composantes du système éducatif.
L'enseignement privé sous contrat contribue à la qualité du service public de l'éducation et doit disposer de moyens humains suffisants pour remplir ses missions.
De même, les voies de l'alternance, l'apprentissage et l'enseignement agricole concourent, avec succès, aux objectifs de réussite et d'élévation des niveaux de qualification.
Par souci de parallélisme, il est apparu légitime de compléter les éléments de programmation introduits par l'Assemblée nationale par des données similaires traduisant l'engagement du Gouvernement à mettre en oeuvre, dans l'enseignement agricole, les mesures annoncées. Le Sénat, en particulier la commission des affaires culturelles qui y consacre un rapport budgétaire au moment de l'examen du projet de loi de finances, présenté par notre collègue Françoise Férat, manifeste un attachement fort pour cette composante originale de notre système éducatif, qui accueille près de 175 000 élèves et dont la réussite est saluée unanimement.
A ce titre, l'une des propositions que je vous présenterai prend modèle sur l'organisation des lycées agricoles, dont l'ancrage dans nos territoires contribue à favoriser l'insertion professionnelle des élèves : dans le cadre d'une expérimentation, les lycées professionnels pourront élire le président de leur conseil d'administration parmi les personnalités extérieures qui y siègent.
Cela permettra, dans la logique du projet de loi, non seulement de renforcer le pilotage stratégique des établissements, mais aussi de permettre au chef d'établissement de se consacrer pleinement à son rôle essentiel d'animateur pédagogique. Monsieur le ministre, votre texte renforce en effet de façon tout à fait positive ses missions en ce domaine, en lui confiant la présidence du conseil pédagogique, nouvellement institué.
Par ailleurs, nous ne remporterons le pari de l'école de la réussite de tous et de l'égalité des chances que si l'ensemble des acteurs réussissent et se mobilisent autour de ces objectifs.
Guidé par cette conviction, je vous présenterai un certain nombre de propositions qui s'inscrivent dans le prolongement des orientations déjà tracées par le projet de loi, en faveur d'une plus large ouverture de l'école sur ses partenaires.
Telle est la vocation de l'importance renouvelée que j'ai souhaité donner à la notion centrale de « communauté éducative ». Dans un récent rapport sur les violences scolaires, notre collègue Christian Demuynck, relatant les propos d'un proviseur, relevait très justement que « l'équilibre d'un jeune repose sur trois piliers, sur lesquels il s'appuie et se construit : l'école, la famille, la cité ». Ces piliers sont réunis au sein de la communauté éducative.
En premier lieu, les parents y occupent une place particulière. L'école doit mieux reconnaître la responsabilité qu'ils assument dans la réussite des élèves, pour les associer plus étroitement au suivi de leur scolarité. La réussite d'un jeune est forcément le résultat d'une conjugaison entre l'action de l'école et celle de la famille ; or on observe encore parfois, dans le milieu scolaire, les stigmates d'une défiance réciproque entre les familles et les enseignants, alors qu'il convient de privilégier, au contraire, les relations fondées sur le dialogue et sur la confiance mutuelle.
En second lieu, cette meilleure compréhension réciproque et ce souci d'ouverture doivent prévaloir avec l'ensemble des « acteurs de la cité ». Ces derniers apportent une contribution de plus en plus active et essentielle à la réalisation de la mission éducative.
Ces partenaires sont, de toute évidence, les collectivités territoriales, auxquelles la loi confie une « compétence partagée » en matière d'éducation. Elles s'en sont pleinement saisies avec une efficacité et une capacité d'innovation que nous connaissons tous.
La communauté éducative réunit également les autorités institutionnelles de l'Etat, les services médico-sociaux et les milieux professionnels et économiques, dont l'implication est devenue une exigence accrue pour répondre aux attentes et aux défis nouveaux auxquels est confrontée notre école, à savoir les défis non seulement de la sécurité, de la prévention des comportements à risques, mais aussi de l'orientation et de la préparation des parcours professionnels des élèves.
L'information sur les métiers est en effet l'une des premières sources d'inégalité, un domaine dans lequel les parents et les jeunes se sentent souvent démunis. Les collectivités territoriales et les organismes professionnels doivent contribuer à améliorer la qualité de cette information, en fournissant des données actualisées sur les débouchés professionnels et les perspectives d'évolution de carrière. Il existe un paradoxe inacceptable consistant à voir certaines filières se vider de leurs effectifs, alors qu'elles répondent aux besoins de notre économie et de notre société, y compris au niveau local.
Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, de prendre l'exemple de mon département. La Haute-Savoie concentre sur le bassin d'emploi de la vallée de l'Arve, c'est-à-dire entre Genève et Chamonix, quelque 800 PME-PMI spécialisées dans le décolletage et les activités connexes de la mécanique. Ces entreprises emploient 13 000 salariés, et chaque année, elles doivent recruter environ 500 personnes ayant le niveau du baccalauréat professionnel, voire plus. Actuellement, à peine le quart des besoins est pourvu.
Les lycées techniques et professionnels ainsi que les centres de formation d'apprentis, les CFA, éprouvent les pires difficultés à remplir leurs sections.
Le lycée professionnel de Cluses, qui vient d'être restructuré par la région, n'accueille pas plus de 200 élèves, alors qu'il dispose de 400 places. Le CFA attenant à cet établissement ne compte que 40 apprentis alors qu'il peut en accueillir plus du double...
Et pourtant, les salaires sont relativement attractifs. Le titulaire d'un baccalauréat professionnel débute à environ 1 200 euros nets mensuels, pour atteindre 1 500 euros au bout de deux ans et 3 000 euros après cinq ans d'exercice au sein de l'entreprise.
Cette inadéquation entre l'offre et la demande est inacceptable. Elle l'est d'autant plus que, dans le même temps, de nombreux jeunes qui ont suivi certaines filières à l'image plus attractive poussent la porte non pas d'une entreprise mais de l'ANPE.
Une orientation réussie est celle qui concilie non seulement le projet du jeune, mais encore les besoins de l'économie locale et répond donc aussi aux exigences en termes d'aménagement du territoire.
Je clos cette parenthèse en soulignant que le système éducatif doit faire davantage confiance aux acteurs de terrain sur lesquels repose, au quotidien, la réussite des élèves. Ce projet de loi n'a pas vocation à tout définir et à tout déterminer. Il servira de levier, de cadre dans lequel s'inscriront des expérimentations et des politiques contractuelles et de partenariats, qui sont des vecteurs d'initiatives locales et sources d'efficacité.
Dans ce sens, j'ai estimé essentiel que le projet de loi incite au développement de réseaux dans le second degré, au niveau de l'échelon de proximité que constitue le bassin de formation.
Il s'agit de favoriser l'ouverture des établissements sur leur environnement et de briser le cloisonnement qui les isole parfois. En effet, la logique de complémentarité entre les établissements de tous types doit prévaloir sur celle de concurrence, pour aboutir à une offre de formation plus riche et plus cohérente. De surcroît, le fonctionnement en réseau a vocation à faciliter le développement de passerelles entre les différentes voies pour proposer aux élèves des perspectives plus larges et plus diversifiées.
Enfin, la réussite de tous les élèves, c'est aussi, il faut le souligner, la réussite de tous les personnels des établissements scolaires, et, en premier lieu, celle des enseignants. Car les enseignants sont, bien entendu, au coeur de l'école et de son évolution.
Ils consacrent, chaque jour, leur temps et leur énergie à instruire, à accompagner et à éduquer ces jeunes qui sont le levain de notre société. C'est donc sur leurs épaules que repose largement notre avenir.
C'est pour cela que vous voulez leur faire faire des heures supplémentaires pour remplacer les autres professeurs ! Vous pensez qu'ils ne travaillent pas assez bien !
Or, nous le savons bien, la mission des enseignants est difficile et les conditions dans lesquelles ils l'exercent ne sont pas toujours aisées, l'implication des élèves laissant parfois à désirer et l'atmosphère d'agressivité étant palpable dans un certain nombre d'établissements.
Aussi, je veux aujourd'hui rendre hommage aux enseignants et à l'ensemble des personnels qui agissent au quotidien dans nos établissements.
Je souhaite qu'ils soient convaincus que ce projet de loi a pour ambition de les aider à accomplir leur mission, de leur donner de nouveaux outils d'intervention ou d'organisation. Je pense à la priorité conférée au socle commun, au parcours personnalisé de réussite éducative, mais aussi à l'affirmation de leur liberté pédagogique, au soutien qu'ils peuvent trouver chez les autres membres de la communauté éducative ou au sein du conseil pédagogique.
De même, l'amélioration de l'orientation des élèves devrait se traduire par une plus grande motivation de ces derniers ; la meilleure prise en charge de la diversité des élèves devrait aussi faciliter le travail des enseignants.
Enfin, l'adaptation de leur formation à leurs nouveaux besoins va dans ce sens.
En bref, les mesures que nous allons voter doivent bénéficier aux élèves et également, à travers eux, à leurs professeurs, pour la réussite de tous.
Je rappellerai cette citation de notre illustre collègue Victor Hugo : « Chaque enfant qu'on enseigne, c'est un homme qu'on gagne ».
Pour cela, notre pays a besoin d'enseignants qui maîtrisent leurs disciplines, qui adaptent leurs méthodes pédagogiques aux élèves qui sont devant eux. Avant tout, ne l'oublions pas, notre école a besoin de professionnels qui aiment leur métier et qui aiment nos enfants, ce qui est le cas.
Monsieur le ministre, il nous faut renforcer l'attractivité de ce métier, parmi les plus beaux. Cela paraît simple et évident. Mais le général de Gaulle n'a-t-il pas écrit : « Les choses capitales qui ont été dites à l'humanité ont toujours été des choses simples. » ?
Tentons, dans cette perspective, de traduire en mots simples, dans le présent projet de loi, la nouvelle ambition de notre pays pour notre école.
Au terme de mon intervention, permettez-moi de remercier les administrateurs de la commission des affaires culturelles, qui ont beaucoup travaillé. Très tôt ce matin, ils classaient encore les quelque six cents amendements qui ont été déposés sur ce texte.
Je remercie également vos collaborateurs, monsieur le ministre, avec lesquels nous avons eu des discussions intenses, parfois très serrées, qui ont été fructueuses.
Mes chers collègues, je vous adresse aussi à vous tous, qui avez participé à de nombreuses auditions, mes remerciements, et je sais gré tout particulièrement à M. Valade, pour ses conseils très éclairés.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après les interventions de Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, et de Jean-Claude Carle, rapporteur de ladite commission, je m'exprimerai au nom de la commission des finances avec beaucoup de modestie, tant la qualité du travail effectué par nos collègues emporte notre adhésion et notre respect.
La commission des finances a souhaité se saisir de ce projet de loi. C'est une innovation, car ni la loi présentée par René Haby en 1975, ni la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 n'avaient fait l'objet d'un examen par la commission des finances de l'Assemblée nationale ou du Sénat.
A l'occasion de la première lecture de ce projet de loi, l'Assemblée nationale a introduit des éléments que l'on peut qualifier de « programmation ». Pour autant, sa commission des finances ne s'en était pas saisie.
A la Haute Assemblée, la commission des finances a estimé nécessaire de donner un avis sur le projet de loi que nous examinons en raison d'une double préoccupation.
Il s'agit d'abord, naturellement, de l'importance du budget consacré à l'éducation, qui connaît une croissance constante depuis ces dix dernières années.
Par ailleurs, monsieur le rapporteur, alors que la commission des finances s'efforce de faire partager au Sénat la culture de la loi organique relative aux lois de finances, la fameuse LOLF, culture non plus des moyens mais de la performance, celle du système scolaire semble, hélas ! plafonner depuis près d'une dizaine d'années ; les chiffres cités dans votre rapport en témoignent.
C'est forte de cette double préoccupation que la commission des finances s'est interrogée sur ce projet de loi, sur sa dimension budgétaire et sur les critères de performance que vous avez souhaité introduire, monsieur le ministre, et sur lesquels nous allons naturellement revenir.
Pour ce qui concerne l'importance du budget, je rappelle avec force une évidence que nous partageons tous : l'enseignement est, à tort, une dépense de fonctionnement. En effet, c'est le premier investissement national. La transmission du savoir, qu'il s'agisse d'instruire, d'éduquer, de former, selon les points de vue, est assurément le premier et le meilleur des investissements que nous pouvons faire collectivement pour améliorer les chances de notre pays.
C'est tellement vrai - monsieur le rapporteur, vous l'avez rappelé - que plus de un million de Français ont participé aux 26 000 réunions qui ont été organisées. Il s'agit, sans doute, du plus grand débat, représentatif de l'appétit d'engagement de nos compatriotes, sur le thème de l'éducation.
L'éducation nationale compte 60 millions d'usagers, et, monsieur le ministre, je le crains, hélas ! 60 millions d'avis Ne nous plaignons pas du fait que les Français se passionnent pour ce sujet.
La première raison de l'implication de la commission des finances tient donc au fait que la dimension budgétaire de l'éducation nationale ne cesse, non pas d'être préoccupante, mais, très légitimement, de nous conduire à nous interroger sur ce que nous estimons être une dépense d'investissement, dont la maîtrise mérite d'être évaluée, notamment en termes de performance.
En effet, au cours de ces dix dernières années, le budget de l'éducation scolaire, hors enseignement supérieur, est passé de 45, 9 milliards d'euros à près de 57 milliards d'euros en 2005, soit une progression de 25 %, alors que les effectifs ont diminué de près de 500 000 élèves.
Aujourd'hui, le budget de l'enseignement scolaire est le premier budget public, civil et militaire, avant celui de la défense et le remboursement de la dette, heureusement d'ailleurs ! Sa part dans le budget général est passée de 17, 6 % à 19, 6 % en dix ans. Il s'agit donc bien d'un projet national, traduit par des chiffres et des engagements importants qui nous situent, dans l'espace international, à un niveau respectable. Je souhaiterais à cet égard donner quelques précisions.
Comparons la France avec les pays de l'OCDE, l'organisation de coopération et de développement économiques. La France consacre 6, 5 % de son PIB à l'éducation, hors formation continue, alors que la moyenne de l'OCDE est de 5, 5 %.
Certes, comparaison n'est pas raison ! Toutefois, à travers ces chiffres, pointe déjà l'une des lacunes de notre système d'enseignement : sa faible productivité. A titre d'exemple, le coût d'un élève dans le secondaire en France est supérieur de 30 % au coût moyen d'un élève dans un pays de l'OCDE.
La commission des finances souhaite faire une observation : nous ne nous situons plus dans un débat franco-français. Naturellement, d'une majorité à l'autre, on peut se rejeter les responsabilités. La vérité est que nous sommes observés de l'extérieur, notamment en raison de notre participation au programme international de suivi des acquis, puisque le ministère de l'éducation nationale transmet des données. Un tel programme permet d'établir, année après année, la performance du système scolaire et le savoir moyen des élèves français au regard de leurs jeunes homologues des pays de l'OCDE.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Évidemment, la comparaison n'est pas une raison absolue, monsieur Mélenchon, je le reconnais volontiers, mais l'absence totale de comparaison est la certitude de l'absurdité !
Applaudissementssur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Sur ce point, la commission des finances n'a pu que constater la stagnation de la performance ; c'est la seconde raison qui l'a motivée.
Mais je n'ouvrirai pas la polémique. Je relèverai plutôt le bon rattrapage que nous avons connu de 1985 à 1995 - reconnaissons-le, il résulte essentiellement du développement des baccalauréats professionnels, domaine dans lequel vous avez oeuvré, mon cher collègue - qui nous a permis de porter près de 65 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat.
Depuis dix ans, nous observons une stagnation sur l'ensemble des critères de réussite, que ce soit le taux d'accès au baccalauréat ou le pourcentage de jeunes en situation d'échec scolaire. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, vous l'avez tous rappelé, je n'y reviendrai pas.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. En revanche, je voudrais traiter d'un phénomène qui n'a pas encore été évoqué : l'hypocrisie implicite d'un système de sélection qui n'ose pas dire son nom et qui fonctionne souvent au bénéfice de ceux qui ont la maîtrise des mécanismes d'orientation.
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Nous avons, à l'entrée du deuxième cycle du secondaire, cent trente options pour le baccalauréat. Ceux qui connaissent les bonnes options ont plus de chances non seulement d'obtenir leur diplôme, mais surtout de réussir dans l'enseignement supérieur.
Savez-vous que près de 11 % des élèves titulaires de baccalauréats généraux qui font des études supérieures sortent sans diplôme - c'est déjà considérable ! - contre 60 % des élèves titulaires d'un baccalauréat professionnel qui entrent dans l'enseignement supérieur, en général en STS, sections des techniciens supérieurs ou en IUP, instituts universitaires professionnalisés ? Autrement dit, le taux d'échec est six fois plus élevé dans ce dernier cas ! Cela signifie que l'on restitue, par le biais des orientations sélectives, une sélection que l'on n'ose pas faire parce que l'on craint d'évoquer le problème de la réussite scolaire !
Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.
M. Gérard Longuet, rapporteur pour avis. Heureusement, aujourd'hui, nous ne pouvons plus nous cantonner à ce débat franco-français, nous disposons de données extérieures. Nous avons le devoir de confronter les perspectives de réussite que nous offrons aux jeunes Français à celles auxquelles ils pourraient prétendre s'ils étaient anglais, allemands ou finlandais, la Finlande ayant, nous dit-on, le meilleur système européen à ce jour.
Murmures sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le ministre, avant d'examiner les moyens, la commission des finances voudrait saluer votre courage. En effet, vous avez affiché des objectifs qualitatifs et quantitatifs. Pour une fois, je commencerai par souligner les objectifs qualitatifs, m'éloignant ainsi momentanément du quantitatif.
Vous évoquez des comportements et des valeurs.
Il n'y a pas de système sans direction, ni de marcheur sans boussole. Vous nous proposez les valeurs de la République. Il était, en effet, raisonnable de les rappeler au moment où l'éducation pourrait donner l'impression d'être le lieu d'un happening permanent qui verrait, au nom d'une créativité sans limite, des enfants, des jeunes, bref des élèves, disponibles pour toutes les imaginations. Car, il revient également à l'éducation nationale d'instruire et de transmettre, et pas simplement d'éveiller, de surcroît dans le désordre ! Il y faut des repères, et ces repères communs sont les valeurs de la République.
Vous rappelez, en termes simples, l'existence du règlement intérieur tant il est vrai que l'on ne peut pas vivre en communauté si certaines règles ne sont pas respectées. C'est une banalité de le dire ! Il est désolant que, aujourd'hui, ce soit original d'avoir le courage de l'écrire ! Monsieur le ministre, je vous remercie de l'avoir fait.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
De la même façon, introduire dans la notation de l'élève une note de vie scolaire, c'est restituer au comportement de tous les jours, qui traduit une façon de se tenir, de respecter les autres et ce que l'on reçoit, une force et une importance qui avaient, semble-t-il, disparu au détriment peut-être des professeurs mais surtout des élèves exposés à la loi de la plus « grande gueule », qu'il serait nécessaire de chasser de nos classes !
Je souhaiterais évoquer d'autres valeurs qualitatives contenues dans votre texte, notamment le choix de l'aide à la personne plutôt que de l'aide au territoire. Sans doute les zones d'éducation prioritaire étaient-elles utiles lorsqu'elles ont été mises en place ; toutefois, aujourd'hui, il paraît plus respectable d'aller vers l'élève, de le considérer comme une personne, avec ses difficultés, que de baptiser, de façon définitive, telle zone comme étant « à protéger » et telle autre comme étant « à négliger ».
L'aide à la personne est une forme de respect ; cela ouvre la voie à un dialogue entre l'enseignant, l'élève et, je l'espère, ses parents, dialogue de responsabilité comme il se pratique souvent - pourquoi ne pas le dire ? - dans l'enseignement privé, qui, reconnaissons-le toutefois, jouit de la double liberté du choix de ses professeurs et du choix de ses élèves. Mais je n'ouvrirai pas ce débat maintenant.
Chaque fois que l'on peut personnaliser une action publique, on a une chance d'optimiser son résultat.
Le dernier point qualitatif de votre projet que la commission des finances voudrait saluer est l'émergence du concept d'établissement.
Nous parlons très souvent, dans les discours, de « communauté éducative » ; la vérité est, hélas ! beaucoup plus modeste. L'enseignement public est sans doute la plus grande profession libérale nationalisée. Je souhaite que, progressivement, les écoles, les collèges et les lycées deviennent des communautés éducatives au sein desquelles les dialogues se nouent : entre enseignants, entre enseignants et élèves, entre enseignants, élèves et parents et, enfin, avec le monde extérieur.
Vous introduisez ces valeurs éducatives, et ce non sans un certain nombre de tensions, il faut le reconnaître. Je pense que le débat permettra de traiter les différents thèmes abordés : l'autonomie de l'enseignant, qu'il faut respecter ; le projet pédagogique, qui est une action collective ; l'autorité du chef d'établissement, ce qu'elle est en dehors de ses fonctions logistiques.
Concernant les objectifs quantitatifs, monsieur le ministre, la commission des finances vous apporte une adhésion totale.
Je me contenterai de résumer les plus importants d'entre eux : 100 % de jeunes formés, avec peut-être l'espoir d'une étape intermédiaire ; 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, objectif qui ne peut être partagé que par tous ; augmenter de 20 % le nombre de bacheliers des catégories socioprofessionnelles les plus défavorisées, ce qui est bien la tradition de l'élitisme républicain et de l'école comme ascenseur social.
Deux autres objectifs quantitatifs nous rappellent que la France est en train de « dévisser » par rapport aux grands pays : porter 50 % d'une classe d'âge au niveau de l'enseignement supérieur, ce n'est pas un gaspillage si cet enseignement supérieur tient compte de la diversité des élèves et propose un enseignement supérieur technologique et professionnel à côté de l'enseignement supérieur général. Ce dernier a ses siècles de noblesse, mais il ne doit pas étouffer les autres formations.
Par ailleurs, lorsque vous proposez une augmentation de 50 % du nombre des apprentis dans les CFA des lycées, il s'agit de l'objectif global. Je ferai une remarque malicieuse : espérons cependant qu'une bataille de filières n'aura pas lieu et que l'on n'ouvrira pas la compétition sur un bien rare, le jeune d'aujourd'hui, qu'il faut, hélas ! se disputer.
Au nom de la commission des finances, je terminerai par ce qui est le coeur de notre responsabilité : le jugement que nous avons à porter sur les moyens qui donnent à votre projet, au-delà d'une loi de principe, l'allure d'une loi , sinon de programmation, du moins de programme.
Monsieur le ministre, je vous rendrai service non pas immédiatement, mais sur le long terme.
Je souhaiterais ouvrir ce débat en évoquant les chiffres issus du rapport Thélot. On a rendu hommage à la commission du même nom, d'autant plus que l'on n'a pas forcément suivi toutes ses conclusions ! En effet, sa conclusion financière s'élevait à 8 milliards d'euros. Mes chers collègues, puisque la commission des finances a vocation à parler de « gros sous », je souhaite vous expliquer pourquoi cette somme n'était pas d'une évidente nécessité.
Quatre de ces huit milliards d'euros étaient destinés à étendre aux élèves des lycées professionnels l'avantage que constitue, pour les apprentis, le bénéfice d'un salaire. Or, l'apprentissage est un contrat de travail et ce salaire est payé par les entreprises.
Quel que soit le respect que j'éprouve envers ceux qui ont fait cette proposition, je ne vois pas pourquoi le contribuable verserait ce que les entreprises paient. Cette première mesure, qui représente à elle seule, je le répète, la moitié de la dépense Thélot, est simplement hors sujet ; plus exactement, elle aboutirait à transformer tous les élèves de l'enseignement professionnel en salariés disposant d'un contrat de travail, ce qui est simplement impossible et ne correspond d'ailleurs pas à leur souhait.
Par conséquent, il faut accepter de considérer l'enseignement pour ce qu'il est : un investissement. Hélas ! les investissements demandent une période de maturité avant de rapporter. L'apprentissage est une voie particulière, qui a ses avantages : on peut le choisir librement, on ne peut pas l'imposer. C'est la raison pour laquelle cette dépense spectaculaire n'a simplement pas de sens, à cet instant.
En revanche, deux autres dépenses préconisées par la commission Thélot ne peuvent pas être prises en charge aujourd'hui, mais méritent qu'on s'interroge : il s'agit du coût de l'institutionnalisation de la fonction de directeur d'école, chiffré à 700 millions d'euros, et de celui de la consolidation des fonctions de directeur d'établissement du second degré, principaux et proviseurs, évalué à 250 millions d'euros.
En effet, si nous voulons pouvoir compter sur les établissements, ne nous faisons pas d'illusion : il faudra réfléchir au statut de leurs chefs qui, pour exercer des responsabilités, demanderont assez naturellement, un jour ou l'autre, des contreparties !
C'est un débat que nous ne pouvons pas avoir dans le climat budgétaire que nous connaissons ; nous ne pouvons pas régler tous les héritages des décennies précédentes.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de ce que vous faites aujourd'hui.
Vous avez évoqué, devant l'Assemblée nationale, la somme de 2 milliards d'euros, mais, en années pleines, si toutes les mesures aboutissent, comme nous le souhaitons, en particulier celles d'entre elles qui dépendent de la bonne volonté des enseignants ou de la mobilisation des chefs d'établissement - je pense, par exemple, au remplacement des heures non assurées ou à l'engagement des enseignants dans les projets de formation permanente dans le cadre du DIF, le droit individuel à la formation -, elles représenteront en réalité près de un milliard d'euros de dépenses supplémentaires sur cinq ans.
Il s'agit donc d'une avancée extrêmement significative, qui recouvre, hors lycées professionnels, presque la moitié du projet Thélot, et la commission des finances tenait à vous en rendre hommage, monsieur le ministre.
Cependant, s'agissant des objectifs généraux, je mettrai peut-être deux bémols.
Vous avez, monsieur le ministre, ouvert la porte au débat sur l'établissement d'enseignement.
La commission des affaires culturelles a, comme la commission des finances, déposé un amendement tendant à rendre possible l'extension, par voie d'expérimentation, à ceux des lycées généraux qui le souhaitent, du statut des lycées agricoles.
Ce débat est-il prématuré ? L'expérimentation, qui n'est donc pas imposée, est-elle la bonne formule ? En tout état de cause, si nous voulons une éducation nationale forte, nous avons le devoir de construire sur le long terme des établissements responsables. Et il n'y a pas d'établissement responsable s'il n'y a pas de chef d'établissement en situation de responsabilité.
Or l'expérience prouve que les lycées agricoles, sans doute parce qu'ils sont marginaux et qu'ils ont avec la vie professionnelle des liens plus étroits - peut-être aussi du fait du sentiment défensif d'une communauté qui se sent assiégée par l'évolution industrielle -, ont une vie collective très intense.
Les lycées agricoles ont su, comme le disait Jean-Claude Carle, trouver leur place dans les bassins d'emplois, justement parce que la fonction de président a été séparée de celle de directeur.
Je ferai une autre remarque, qui, elle, a trait aux collectivités locales.
Monsieur le ministre, nous sortons d'un long débat sur la décentralisation. Certains d'entre nous portent un regard peut-être désabusé sur cette dernière.
Je crois pour ma part que nous ne devons pas projeter sur la décentralisation nos déceptions personnelles, quand bien même nous pourrions avoir, comme c'est mon cas et comme c'est le vôtre aussi, des raisons pour le faire. La France est éternelle : elle survit aux vicissitudes et aux aléas.
Il n'y aura pas d'éducation réussie si l'on n'utilise pas ce formidable réservoir que constituent les collectivités locales en termes de partenariat. Jules Ferry ne s'y était pas trompé qui avait créé l'école communale. Les collèges sont départementaux, les lycées sont régionaux. Est-ce la meilleure ou la seule formule ? Je n'en sais rien, mais, dans une loi de ce type, je n'imagine pas que l'orientation des jeunes puisse se faire sans un partenariat fort avec les régions, je n'imagine pas qu'une éducation sportive, culturelle, artistique puisse se faire sans les communes, je n'imagine pas qu'un suivi social des élèves puisse se faire sans les départements.
Monsieur le ministre, c'est un débat que nous retrouverons sans doute dans le cours de la discussion des articles. Je sais que vous n'y êtes pas hostile, mais je sais aussi qu'on ne peut pas tout traiter dans le présent projet de loi.
Pour en terminer avec les mesures que contient ce dernier, à défaut de toutes les chiffrer dans mon intervention, je confirme que l'aide à la personne, à travers les heures de soutien, représente 240 millions d'euros pour la première dépense ; que les remplacements de courte durée, s'ils fonctionnent à plein, c'est-à-dire si plus de 80 % des heures sont assurées, représentent 240 millions d'euros ; que l'effort en faveur des langues vivantes, avec 10 000 équivalents temps plein au terme de cinq ans, représente environ 400 millions d'euros, soit, pour ces seules mesures, un total de près de 950 millions d'euros.
L'effort que vous consentez est donc significatif, monsieur le ministre, et, en disant cela, je tente de faciliter les réunions d'arbitrage que vous ne manquerez pas d'avoir avec votre collègue et notre ami Jean-François Copé !
Sourires
Ma dernière réflexion portera sur l'évaluation.
Grâce à la LOLF, nous sommes aujourd'hui non pas dans une culture de l'indicateur et de la statistique maniaque, mais dans le souci de la performance, et je crois, monsieur le ministre, qu'à cet égard nous devons encore progresser.
Nous ne pouvons nous satisfaire des articles superficiels qui, véritables « marronniers », ressortent dans les magazines à la veille ou au lendemain de chaque baccalauréat. En effet, on ne mesure pas la performance du système scolaire en classant les lycées par leur taux de succès au baccalauréat alors que l'on sait que certains de ces établissements ont la faculté d'éliminer tous les élèves qui n'ont aucune chance de réussir.
En revanche, on ne peut pas faire vivre un ensemble qui représente le premier budget de la nation, qui s'appuie sur près de un million d'enseignants et qui suppose la mobilisation de dizaines de milliers d'établissements sans se poser la question de la culture du résultat, c'est-à-dire du suivi de l'élève et de la façon dont, au cours d'une année de scolarité, il progresse, afin que, d'année en année, il soit mieux orienté.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, la commission des finances souhaite que les projets annuels de performances recoupent totalement les dix indices que vous avez établis et qui ont l'immense mérite de sortir la réflexion générale sur l'éducation de la catégorie des voeux pieux pour en faire un projet collectif partagé.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Mes chers collègues, je soumets au Sénat une motion concernant les modalités de discussion de l'article 8 et du rapport annexé au projet de loi.
Le rapport annexé fait l'objet de 212 amendements.
Or, l'article 8, qui prévoit l'approbation des orientations et objectifs figurant dans ce rapport annexé, fait lui-même l'objet d'un amendement de suppression n° 486, déposé par le groupe CRC.
Cet amendement de suppression a pour effet mécanique de mettre en discussion commune les 212 amendements portant sur le rapport annexé.
Afin de clarifier notre débat, je vous propose, avec l'accord de M. le président de la commission des affaires culturelles, d'examiner séparément l'amendement de suppression de l'article 8, puis, le cas échéant, de discuter les amendements portant sur l'annexe.
Notre débat gagnera ainsi en lisibilité.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
Monsieur le président, je demande la réserve de l'article 8 du projet de loi portant sur le rapport annexé et des amendements s'y rapportant jusqu'après l'examen des autres articles, c'est-à-dire jusqu'après l'article 62.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 126 minutes ;
Groupe socialiste, 82 minutes ;
Groupe Union centriste-UDF, 34 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 27 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratiqueet social européen, 21 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. André Vallet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n'est pas possible d'aborder cette discussion sans rappeler à tous ceux qui, de bonne foi parfois, de mauvaise foi souvent, s'agitent à propos du « manque de moyens accordés par la nation au budget de l'éducation nationale » quelques chiffres significatifs.
M. le rapporteur pour avis de la commission des finances a dit que l'investissement des Français pour leur école représentait presque 7 % du produit intérieur brut, soit un taux supérieur à celui de toutes les nations européennes.
Chaque Français participe à hauteur de 1 700 euros par an au financement du budget de l'éducation nationale.
En trente années, la nation a accru son effort de 96 % pour le premier degré, de 76 % pour le second degré, alors que le nombre d'élèves ne cesse de décroître : on comptait ainsi 42 500 élèves de moins en 2003 dans les collèges et lycées, et 41 300 en 2004.
Le taux d'encadrement était, par enseignant, de 21 élèves en 1960, de 16 élèves en 1975, de 13, 4 élèves en 1990, de 11, 6 élèves en 2003.
Au contraire : cela signifie qu'il y a moins d'enfants mais plus d'adultes dans les établissements !
Pourtant, malgré l'effort financier indéniable, de 15 % à 20 % des élèves franchissent les portes du collège sans maîtriser la lecture d'un texte.
Dans l'enceinte des établissements scolaires, se multiplient les délits, actes de violence, insultes, difficiles cependant à chiffrer réellement parce que souvent classés comme de banales incivilités.
Nous venons d'apprendre que 32 000 professeurs, pourtant payés, ne sont pas utilisés pour enseigner. Le coût budgétaire est de 1, 5 milliard d'euros ! Il n'y a donc toujours pas assez de transparence, monsieur le ministre, dans la gestion du personnel de l'éducation nationale. C'était pourtant, en 1999 déjà, une des conclusions de la commission d'enquête mise en place par le Sénat et que présidait notre collègue Adrien Gouteyron.
Je vous livre, mes chers collègues, tous ces chiffres « en vrac » et sans analyse précise, mais ils sont incontestables. Nous ne pouvons les écarter d'un revers de la main.
Toutes ces insuffisances appellent la réforme, et il me faut vous donner acte, monsieur le ministre, de l'avoir entreprise. C'est d'ailleurs ce qu'avait bien compris M. Allègre, l'un de vos prédécesseurs, mais les mêmes groupes et les mêmes réseaux que ceux qui se déchaînent aujourd'hui contre votre projet l'avaient empêché d'agir.
Il fallait réagir, non pas en donnant encore plus de moyens, comme le réclament des syndicalistes sourds et aveugles face aux chiffres que je viens d'énoncer, insensibles aux difficultés budgétaires de notre pays, mais en tentant de réformer, en définissant les grands objectifs du système éducatif, de la maternelle à la classe de terminale, pour les quinze années à venir.
Les progrès de l'école ne se feront pas grâce à l'adjonction de nouveaux moyens. L'urgence est non pas de donner toujours plus, mais d'utiliser autrement et mieux le potentiel de moyens et de compétences de l'éducation nationale.
Le malaise des élèves et des enseignants est plus diffus, plus profond que les slogans affichés sur les pancartes.
Les lycéens redoutent l'avenir : avec ou sans diplôme, ils craignent de ne pouvoir s'intégrer dans notre société et de ne pas trouver leur place dans la vie professionnelle.
Les enseignants n'ont pas l'impression d'être reconnus par la République et doutent de leur mission. Ils doivent, plus que jamais, être respectés, dans la société, dans leur hiérarchie ; ils doivent être confortés dans leur légitimité. Il faut redéfinir leurs missions et leur rendre leur fierté ; ils le méritent.
Je rejoins les conclusions de la commission Thélot, qui voudrait que « la réussite de tous les élèves repose, au-delà de leurs efforts et de leur travail scolaire, sur des personnels confiants, convaincus, reconnus et qui travaillent autrement ».
Le Président de la République a souhaité qu'un grand débat ait lieu, qu'une consultation nationale puisse être organisée. Cela a été fait, et souvent bien. Un million de personnes ont été mobilisées.
Il est vrai, monsieur le ministre, que la synthèse de ce travail n'engageait pas le Gouvernement, comme vous l'avez déclaré à plusieurs reprises, mais j'aurais aimé que, profitant du consensus qui s'était dégagé, vous repreniez un plus grand nombre de propositions de la commission nationale du débat sur l'avenir de l'école. J'aurais aimé, et c'est un sentiment partagé par mon groupe, que vos bonnes propositions soient plus audacieuses en de nombreux domaines
Le temps me manque pour énoncer tout ce que nous aurions aimé voir dans votre texte pour améliorer plus durablement le service public de l'éducation.
Je pense à l'accroissement de l'autonomie des établissements en termes de marges de manoeuvre financières et pédagogiques, à l'accroissement de la capacité d'action de l'équipe de direction ; je pense aussi aux propositions concernant l'école primaire et visant à transformer les établissements en établissements disposant d'un statut propre.
Je pense aussi aux propositions visant à transformer les écoles primaires en établissements disposant d'un statut propre.
Le brevet des collèges sera rénové ; qui pourrait s'en plaindre ? Il aurait néanmoins été souhaitable de considérer que, dans le collège, maillon faible de notre système éducatif, il n'est plus possible de dispenser à des classes hétérogènes un enseignement laissant de côté tous ceux qui, à ce niveau, présentent de lourds déficits.
Ce texte était aussi peut-être l'occasion, monsieur le ministre, de dire que le goût du travail, l'effort d'entreprendre, l'évaluation, la sanction de l'absence de travail sont incontournables dans la formation d'un citoyen.
J'aurais aimé, par ailleurs, que vous redéfinissiez mieux les missions des enseignants, s'agissant de l'accompagnement des élèves en difficulté, parfois menacés d'illettrisme, donc d'échec scolaire, du suivi individualisé, des relations avec les parents, du travail en équipe et de la concertation. Est-il concevable que les parents de ces élèves, parents aisés bien sûr, soient contraints de se tourner vers le marché florissant du soutien scolaire ? Est-il concevable que l'Etat, par le biais d'un avantage fiscal, finance indirectement les insuffisances de l'école ?
Le coeur de ce texte repose sur l'idée d'un socle commun, sur un ensemble de connaissances et de compétences indispensables. C'est, de mon point de vue, un élément très positif de la loi. Le recentrage de l'école primaire sur un nombre réduit de savoirs fondamentaux doit permettre à l'école de retrouver sa fonction essentielle : apprendre à parler, à écrire, à compter et à vivre ensemble.
Il est bon de rappeler que tel était déjà le souci de Lionel Jospin, ministre de l'éducation nationale en 1989, puisque la loi d'orientation sur l'éducation du l0 juillet 1989 précisait ceci : « la maîtrise de la langue française fait partie des objectifs fondamentaux de l'enseignement ». Tel était aussi le souci de Claude Allègre qui affirmait : « Transmettre la langue nationale est la priorité absolue. Se sentir chez soi dans la langue française est indispensable pour accéder à tous les savoirs ; ce que l'école doit d'abord à tous ses enfants, ce sont les apprentissages fondamentaux : lire, écrire, compter. » C'était également le souci de Jack Lang qui déclarait, le 20 juin 2000 : « quelle que soit la valeur de l'école, on ne peut se résigner à voir 10 % à 15 % d'élèves en situation d'échec scolaire. »
« Aujourd'hui comme hier, l'enfant qui quitte l'école doit naturellement avoir acquis les savoirs fondamentaux qui sont lire, écrire, compter et raisonner. Il doit aussi disposer de compétences nouvelles, telles que comprendre et parler une langue vivante ou utiliser l'ordinateur pour écrire les textes et trouver les informations. »
Ces déclarations relativisent - c'est le moins que l'on puisse dire - l'emportement de la minorité plurielle à l'encontre du socle commun, très injustement qualifié aujourd'hui de « SMIC. culturel ». J'aurais préféré, au regard des enjeux, un consensus sur toutes les ouvertures que permet ce texte, quitte à reprendre ultérieurement le chantier, pour que nos enfants ne soient pas les victimes de guerres politiques stériles.
Votre texte, monsieur le ministre, malgré ses insuffisances, amorce un retour à plus de cohérence, à plus de logique pour que nos enfants acquièrent des connaissances susceptibles d'ouvrir à chacun d'eux un monde toujours plus complexe. C'est le retour à des valeurs qui, pour être anciennes, n'en sont pas moins authentiques et fondamentales.
C'est la raison pour laquelle le groupe Union centriste-UDF apportera très majoritairement son soutien à ce projet de loi, en souhaitant que ce dernier soit rapidement et courageusement complété afin que notre pays gagne la bataille de la matière grise, seule ressource inépuisable dont nous disposons.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, après ce concert d'éloges, mon intervention va quelque peu briser votre consensus, mais il en est ainsi du débat démocratique et j'espère que vous écouterez mon intervention jusqu'au bout, comme j'ai écouté celles des précédents orateurs.
Avant d'en arriver, monsieur le ministre, à l'analyse de votre projet de loi par le groupe communiste républicain et citoyen, qui sera d'ailleurs complétée par mon amie Gélita Hoarau, sénatrice de la Réunion, je reviendrai, faute d'avoir reçu une réponse à mon rappel au règlement, sur la procédure d'urgence qui nous est imposée.
Vous ne cessez d'insister - surtout, il faut bien le dire, en direction des médias - sur l'importance d'un vrai débat parlementaire sur l'éducation. Voilà quelques jours, répondant en direct à la télévision à une jeune dirigeante d'un syndicat lycéen, vous disiez que « la démocratie, après la phase nécessaire de consultations, c'est le débat et la décision du Parlement », et vous opposiez la démocratie à la démonstration de force des lycéens dans la rue.
Mais, craignant la montée de la protestation contre votre projet de loi, vous avez décidé de réduire le débat parlementaire à sa plus simple expression en décrétant la procédure d'urgence alors même qu'il était engagé à l'Assemblée nationale !
Par ailleurs, vous avez avancé notre discussion, initialement prévue le 22 mars, et ce au détriment, notamment, d'un texte sur les violences faites aux femmes, qui nécessite pourtant d'être examiné en urgence ! De surcroît, vous avez décidé que tout serait « bouclé » en trois jours et demi !
Ainsi, monsieur le ministre, après avoir réussi le tour de force de susciter l'opposition presque unanime du Conseil supérieur de l'éducation, si l'on excepte les représentants du MEDEF, vous regardez passer les défilés de lycéens, qui sont de plus en plus importants malgré les vacances d'hiver et les casseurs, ces lycéens dont nous regrettons qu'ils n'aient pas été auditionnés par la commission des affaires culturelles. Vous voyez se succéder les mouvements de grève et de protestation des enseignants et de l'ensemble des personnels, ainsi que des parents d'élèves. A cet égard, la journée du 10 mars a été une confirmation très forte de cette mobilisation. Or, la seule réponse que vous nous proposez est une démocratie formelle, raccourcie, rabougrie, amputée de ce qui lui donne vie et sens : une écoute et une prise en compte attentive de ce que disent les intéressés sur les problèmes qui les concernent au premier chef.
Quelle leçon d'instruction civique donnez-vous là à nos jeunes et au pays, monsieur le ministre ? La seule réponse démocratique possible ne serait-elle pas le retrait de votre réforme ?
Bien sûr, me direz-vous, vous avez pris en compte une partie des revendications qui s'expriment quant au baccalauréat, à la deuxième langue vivante en seconde, à la section ES, à l'éducation physique et sportive au brevet des collèges. J'ai envie de dire : « bravo les jeunes ! Bravo les profs, les personnels et les parents ! » Mais personne ne s'y est trompé : ces reculs sont avant tout tactiques. D'ailleurs, s'agissant du baccalauréat, vous avez confirmé, depuis lors, votre volonté d'en rester à six épreuves, et vous refusez aux lycéens la prise en compte des travaux personnels encadrés, les TPE. On ne saurait être plus clair !
L'adoption par l'Assemblée nationale de 136 amendements, déposés dans leur quasi-totalité par la majorité gouvernementale, non seulement ne modifie en rien l'esprit de votre projet, mais tend même à en aggraver certains aspects particulièrement rétrogrades. Nous en ferons la démonstration au cours du débat, en défendant nos amendements.
Au demeurant, monsieur le ministre, vous donnez vous-même, tous les jours, la meilleure preuve de ce que j'avance ici, par le truchement de la préparation de la carte scolaire pour la prochaine rentrée : les suppressions d'emploi tombent « comme à Gravelotte », avec leur cortège de fermetures de classes, de dédoublements, d'options...
Aggravation des conditions d'études pour les élèves, des conditions de travail pour les personnels, des financements à la charge des collectivités territoriales, notamment à travers la décentralisation des personnels techniciens et ouvriers de service, ou TOS, imposée elle aussi grâce au coup de force du 49-3 : voilà la réalité de la prochaine rentrée, préparée comme un avant-goût de votre réforme ; voilà pourquoi une jeunesse, une profession et une majorité de parents se lèvent contre ce projet de loi. Allez-vous poursuivre longtemps cette politique désastreuse, dangereuse pour la démocratie même que vous prétendez défendre ?
Vous aviez pourtant, depuis longtemps, des indications fiables sur ce que les personnels de l'école, les parents, les élèves souhaitaient trouver dans une nouvelle loi sur l'école. Nul, en effet, dans notre pays - et surtout pas les élus communistes - ne conteste la nécessité de transformer l'école pour répondre aux questions lourdes que posent ses propres insuffisances et échecs, ainsi que les évolutions de la société. Le « miroir du débat », fruit d'un débat national qui a rassemblé plus d'un million de participants, était, de l'avis général, un bon reflet des aspirations et propositions des partenaires de l'école.
Hélas ! monsieur le ministre, vous n'en avez guère tenu compte, pas plus d'ailleurs que la commission Thélot, sur laquelle vous connaissez ma position, puisque j'ai été conduite à en démissionner alors qu'elle refusait d'inscrire à son ordre du jour des questions que je posais au nom des personnels, des jeunes et de leurs familles. Elle s'est essayée à un compromis entre les aspirations citoyennes et les exigences formulées par le MEDEF, relayées par les tenants de la construction de l'Europe néo-libérale que vous voudriez nous faire accepter aujourd'hui. Je n'invente rien : cela figure dans le rapport qui reprend de larges extraits des textes officiels du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, dont il n'avait été question dans aucun débat.
Même ce compromis, monsieur le ministre, vous ne l'avez pas respecté, de sorte que nombre d'organisations qui avaient accueilli favorablement le travail de la commission Thélot et approuvé certaines de ses propositions vous le reprochent aujourd'hui et vous demandent de retirer votre projet de loi ! Allez-vous les entendre ? Allez-vous permettre qu'une réelle concertation s'engage ?
Vous m'avez dit, lors de votre audition par la commission, voilà quelques jours, qu'« il y a environ 60 millions d'avis ». Je ne peux que regretter de nouveau que vous n'en ayez retenu qu'un seul : le vôtre ! Votre méthode est une caricature de la démocratie qui justifie cette vieille blague de comptoir : « la démocratie, c'est cause toujours ! ». Votre méthode, c'est celle que rejette de plus en plus le pays, celle qui empoisonne la vraie démocratie au point de conforter, ce que je regrette, la tendance des citoyens à s'abstenir aux élections.
Mais, malheureusement, on comprend pourquoi vous en êtes réduit à cette situation en découvrant la teneur de votre projet de loi dont je vais maintenant commenter le contenu.
Votre projet de loi s'organise autour d'une conception de l'acte éducatif totalement rétrograde, d'objectifs démagogiques, sans moyens pour les atteindre, et d'une volonté d'économies budgétaires entraînant une aggravation considérable des conditions d'enseignement pour les élèves comme pour les personnels, c'est-à-dire, en bout de course, une aggravation prévisible de l'échec scolaire que vous prétendez combattre !
J'ai parlé tout d'abord d'une conception rétrograde de l'acte éducatif. En effet, alors que toutes les recherches sur l'efficacité de l'acte d'apprentissage mettent l'accent sur le fait, d'une part, que le rapport des jeunes au savoir est le fondement même de la réussite ou de l'échec scolaire, d'autre part que ce rapport au savoir se construit dans des processus liés à des contenus et à des situations d'apprentissage multiples et diversifiées, tout votre discours consiste à dérouler une logique de responsabilité individuelle et de culpabilisation moralisatrice des élèves et des familles. C'est bien là, en effet, la fonction de la « note de vie scolaire » qui sera validée pour l'obtention du brevet des collèges, ou des « bourses au mérite » attribuées à certains élèves en fonction de leurs résultats, ou encore du « contrat individuel de réussite éducative », transformé en « programme personnalisé de réussite scolaire » et qui deviendra sans doute le « programme personnalisé de réussite éducative » à l'issue de notre discussion.
Parallèlement, aucune réflexion n'est menée sur les causes réelles de l'échec scolaire et les moyens d'y remédier, et aucun outil de réflexion pour les combattre n'est mis à la disposition des enseignants puisque vous continuez la casse du Centre national de documentation pédagogique, le CNDP, et de l'Institut national de recherche pédagogique, l'INRP.
Le fil rouge de cette logique est le suivant : si échec scolaire il y a, la faute en revient à l'élève et à sa famille, et non pas à l'institution ! On leur proposera donc une sorte de « contrat d'objectifs », dans le plus pur style de la gestion de l'entreprise, comme si l'éducation était une marchandise négociable de gré à gré !
Non, monsieur le ministre, l'éducation n'est pas une marchandise, et le problème de l'échec scolaire est trop sensible, trop douloureux et trop grave pour l'avenir même de notre pays pour être traité avec un tel mépris des réalités complexes qu'il recouvre !
Rétrograde encore, votre proposition sur les redoublements que vous encouragez alors que tous les spécialistes indiquent, ce que confirme d'ailleurs l'avis du 14 décembre 2004 du Haut conseil de l'évaluation de l'école, que, sauf exception, les redoublements soit sont inefficaces en termes de progrès des élèves, soit affectent négativement les élèves en termes de motivation et de comportement en les stigmatisant et en les maintenant, à terme, dans leur échec. Par ailleurs, le redoublement est inéquitable !
Rétrograde surtout le « socle commun de connaissances » que vous proposez.
Alors que toutes les recherches en sciences de l'éducation montrent que la formation d'un jeune est le résultat de processus complexes, qui font intervenir de nombreux champs du savoir, de l'ordre non seulement de la socialisation et de la rationalité, mais aussi du sensible, de l'affectif, du corporel, et que cela passe par des champs disciplinaires divers et variés, tels que les pratiques langagières, mathématiques, artistiques, technologiques ou physiques et sportives, vous prévoyez, face à ces avancées de la recherche pédagogique, un « socle commun de connaissances » réducteur, étriqué et étroitement utilitariste, avec, il est vrai, des enseignements complémentaires pour ceux qui réussissent, car l'enseignement à plusieurs vitesses, vous ne l'oubliez pas, reste votre objectif fondamental : d'un côté, l'école appauvrie, débouchant sur des orientations vers l'apprentissage dès la classe de cinquième pour certains, de l'autre côté, une école plus noble, qui continuera à être conçue pour ceux qui possèdent déjà, de par leur origine sociale, les outils intellectuels et matériels pour réussir !
Rétrograde encore, votre réponse à mon collègue et ami François Liberti, à l'Assemblée nationale : alors qu'il vous interpellait sur votre volonté rampante d'aller progressivement vers une diminution de l'offre de scolarisation en maternelle sous la responsabilité de l'Etat, c'est-à-dire vers un transfert progressif de cette école aux collectivités territoriales, commençant par la suppression systématique de l'accueil des enfants de deux ou trois ans, vous lui avez répondu que l'école maternelle n'assurerait, à cet âge, qu'une « fonction de garde, celle de la socialisation » !
C'est méconnaître le rôle extrêmement positif que joue notre école maternelle dans les premiers apprentissages dès le plus jeune âge, rôle confirmé par de nombreuses études de spécialistes de la petite enfance, contrairement à ce que vous avez cru pouvoir affirmer. Ce rôle est d'autant plus important pour la suite de la scolarité que l'enfant est issu d'un milieu défavorisé ; là encore, un avis du Haut conseil de l'évaluation de l'école est des plus explicites à ce sujet. D'ailleurs, c'est peut-être pour cette raison que vous souhaitez supprimer cette instance...
Mais votre projet de loi est tout aussi rétrograde sur d'autres plans, notamment lorsque vous préconisez le retour progressif et imposé à la bivalence des enseignants du collège, qui avait été abandonnée depuis près de vingt ans, ou lorsque vous proposez que l'on en revienne à l'apprentissage de l'hymne national dans les établissements du premier degré, dans le cadre de l'instruction civique : non pas que nous soyons opposés à cet apprentissage, monsieur le ministre, mais croyez-vous que l'on résoudra, par ce moyen, les difficultés rencontrées par nos jeunes issus de l'immigration ? Ne pensez-vous pas que la démarche pertinente consisterait plutôt dans une revalorisation de l'enseignement de notre histoire, sachant que notre hymne national n'est compréhensible et porteur de sens que si l'on en resitue le contenu dans son contexte, celui d'une armée populaire et révolutionnaire, sauvant à Valmy la République naissante, face à l'envahisseur contre-révolutionnaire venu en France pour tenter d'y rétablir le système féodal ?
Et ne croyez-vous pas qu'il faudra autre chose qu'un chant pour que les jeunes appartenant aux milieux en difficulté sociale, notamment ceux qui sont issus de l'immigration, retrouvent des raisons d'espérer une vie meilleure dans notre pays ?
Dès lors, pour contrebalancer l'effet désastreux de ces mesures, vous avancez des objectifs ambitieux et séduisants, mais dont nous affirmons ici qu'ils sont purement démagogiques, comme je vais vous le démontrer en prenant quelques exemples.
L'accession de 80 % d'une classe d'âge à un baccalauréat : on voudrait bien y croire, alors que le taux plafonne depuis plusieurs années en dessous de 70 % dans notre système éducatif et que ce pourcentage tend même à régresser ! Cela signifie que le seuil de difficultés auquel le système est confronté suppose, pour être franchi, un effort qualitatif et quantitatif important, que vos suppressions de moyens empêcheront !
C'est la même chose pour les 50 % de l'ensemble d'une classe d'âge que vous prétendez conduire à un diplôme de l'enseignement supérieur, alors que le nombre d'étudiants stagne depuis plus de vingt ans, que l'échec des jeunes dans les deux premières années d'études est catastrophique et que le pourcentage d'enfants issus des classes ouvrières est infinitésimal ! Que préconisez-vous, monsieur le ministre, pour résoudre ces problèmes ?
Voilà un projet qui nous aurait intéressés !
De même, on voudrait bien croire au recrutement de 300 infirmières par an jusqu'en 2010, mais vous ne nous dites pas où vous allez les trouver, sachant que le vivier de jeunes en formation est déjà notoirement insuffisant pour couvrir les besoins du pays dans le secteur hospitalier ! De plus, même lorsque les postes existent dans le système éducatif, il est difficile de les pourvoir tant les rémunérations sont faibles ! Aurez-vous recours à la directive Bolkestein ?
On voudrait bien croire, enfin, aux objectifs que vous annoncez à la fin de votre rapport annexé, tel celui-ci : « La proportion de bacheliers généraux parmi les enfants de familles appartenant aux catégories socioprofessionnelles défavorisées augmentera de 20 % ». Mais rassurez-vous, chers collègues de l'UMP, ce n'est pas pour demain, car, là encore, rien n'est dit sur les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir !
Des mots, encore des mots !
J'en viens à l'aspect démagogique de votre texte, monsieur le ministre, lorsque vous chiffrez le coût de certaines des réformes annoncées, telles que la multiplication des unités pédagogiques d'intégration, les UPI, ou des dispositifs relais.
Où comptez-vous prendre l'argent, sinon par redéploiements internes ? Ces derniers ne pourront se faire qu'au prix de dégradations dans d'autres secteurs, comme le montrent les nombreuses suppressions de postes auxquelles vous procédez en ce moment et que vous programmez encore dans le projet de budget pour 2006.
D'ailleurs, toutes les mesures que vous chiffrez sont annoncées comme étant inscrites « dans la limite des crédits ouverts chaque année par la loi de finances ». C'est une sage précaution quand on connaît quelque peu les évolutions de la loi de finances !
Nous l'avions bien compris, il s'agit non pas d'une programmation de moyens, mais uniquement d'un affichage permettant de mesurer la hauteur des redéploiements envisagés, redéploiements dont nous craignons qu'ils ne se fassent au détriment de l'éducation prioritaire, notamment des zones d'éducation prioritaires, les ZEP, sur lesquelles vous êtes peu disert dans votre projet de loi !
En réalité, ce que vous organisez, c'est le renforcement d'une école ségrégative, l'école du tri social et de la fabrication d'une main-d'oeuvre adaptée aux besoins de l'économie, telle que la préconisent le MEDEF et les textes en provenance de Bruxelles. A tel point d'ailleurs que, à certains égards, on pourrait croire que vous avez procédé à un exercice pratique de ces nouvelles technologies que nous voulons enseigner à nos jeunes : je veux parler de la fonction « copier-coller »...
Tout autre est notre conception de la transformation - que nous affirmons nécessaire - de notre système éducatif.
Ce que nous proposons - et nous vous suggérons d'en débattre sérieusement -, c'est une série de mesures véritablement novatrices visant à construire une école de l'égalité, de la justice et de la réussite scolaire pour tous les jeunes. Ces mesures sont énumérées et justifiées dans une proposition de loi que nous avons déposée voilà quelques jours. En cet instant, et pour conclure mon propos, je me contenterai de souligner les grands axes qui la structurent.
Contrairement à l'objectif que vous fixez d'un « savoir minimum » pour une partie importante de la jeunesse, nous proposons que tous les jeunes, quelles que soient leurs origines sociales, culturelles ou géographiques, puissent accéder à la maîtrise des savoirs, des connaissances et des compétences, constituant une culture commune de haut niveau, riche, équilibrée, diversifiée, porteuse de valeurs de progrès et de libération humaine. Cette culture doit permettre à chacune et à chacun d'entre eux de donner un sens à leurs études et leur apporter les outils intellectuels pour développer leur personnalité, pour apprendre un métier, un métier choisi et non pas imposé sur la base de l'orientation par l'échec, et, enfin, de développer une citoyenneté responsable et active.
En clair, nous souhaitons que chaque jeune puisse retrouver confiance en un avenir meilleur ! Et nous voulons donner au système éducatif et à la nation les moyens d'atteindre cet objectif ambitieux !
Dans cette perspective, nous préconisons une scolarité obligatoire de trois à dix-huit ans, intégrant donc notre école maternelle comme premier cycle de l'école primaire, obligation étant faite à l'Etat d'assurer la scolarisation de tous les enfants de deux ans, lorsque les familles en font la demande.
Mais pour lutter véritablement contre l'échec scolaire, il sera nécessaire de transformer les structures et le fonctionnement même du système éducatif, le contenu des programmes, la formation des enseignants et des autres personnels qui assument, toutes et tous, des missions éducatives.
Ainsi, nous proposons de libérer l'initiative pédagogique des personnels et de l'associer, dans chaque établissement scolaire, à un Conseil scientifique et pédagogique, organisme indépendant de la direction de l'établissement et composé de personnels, de parents, d'élèves, d'élus, organisme dont la responsabilité principale consisterait à établir des diagnostics sur la nature des difficultés rencontrées par les élèves et à élaborer des solutions, collectives et individuelles, pour y répondre.
Dans le même ordre d'idées, nous proposons de créer des « observatoires des scolarités » à l'échelon des départements et des régions, ainsi qu'une structure sur le plan national, qui pourrait se confondre avec le Haut conseil de l'évaluation de l'école, dont nous demandons le maintien.
Sur le plan national, nous proposons également de mettre en place un « fonds national de lutte contre les inégalités à l'école », car il y a beaucoup à faire dans ce domaine pour toute politique sérieuse de lutte en faveur de la réussite scolaire de tous les jeunes.
Afin de renforcer la compétence professionnelle des personnels enseignants, nous proposons de porter à deux ans la durée de leur formation professionnelle initiale en Institut universitaire de formation des maîtres, ou IUFM. Si l'on tient compte de l'année de préparation au concours d'entrée, la durée totale de la formation serait de trois ans.
En outre, nous proposons que soient organisés des prérecrutements dès le niveau du baccalauréat, tels qu'ils existaient autrefois dans le cadre des Instituts de préparation aux enseignements du second degré, les IPES, afin de favoriser l'entrée dans les carrières de l'enseignement à des jeunes issus des milieux populaires.
Dans la même logique de développement de l'initiative et d'innovation pédagogique, nous proposons que soit renforcée la formation continue de tous les personnels et que cette dernière soit conçue non seulement comme un droit, mais aussi comme une obligation au service de la réussite de tous, et qu'elle soit donc assurée sur le temps de travail.
Nous pensons que la formation et l'éducation des élèves relèvent de la « responsabilité partagée » école-famille-société. Dans ce cadre, nous proposons le renforcement du rôle de chacun des partenaires afin de leur permettre d'assumer au mieux leur responsabilité propre, en concertation avec les autres.
C'est pourquoi nous souhaitons que le statut de parent délégué, qui avait été créé par la loi d'orientation sur l'éducation de 1989 - mais il n'a jamais été appliqué, comme chacun sait ! - soit mis en application et renforcé.
De même, nous proposons l'élaboration d'un statut de « citoyen en formation » s'appliquant aux élèves, avec des droits reconnus, par exemple, pour l'exercice d'une activité syndicale ou politique dans les lycées.
Enfin, nous souhaitons que soit transformé radicalement le mode de gestion du système éducatif par l'introduction du principe de la double légitimité. Ce principe est simple : pour être validé, tout texte réglementaire nouveau doit recevoir, au préalable, l'approbation des deux instances légitimes et compétentes, l'instance des élus de la nation et l'instance de concertation compétente.
Comme vous le voyez, contrairement à la perspective autoritariste et de renforcement des pouvoirs hiérarchiques qui caractérise votre projet de loi, monsieur le ministre, nous nous situons dans une perspective de développement de la démocratie participative, seule susceptible de permettre l'adhésion des acteurs du système éducatif à un projet de transformation progressiste de l'école.
Par cette proposition de loi, nous souhaitons, avec toutes celles et tous ceux qui en ont la volonté, ouvrir une réelle alternative au libéralisme, qui puisse répondre aux aspirations citoyennes et contribuer, par là même, à la construction d'une autre société à finalité humaine !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l'aurez compris, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi !
Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également. - Exclamations sur certaines travées de l'UMP.
Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les principes de la République qui ont fondé les lois scolaires à la fin du XIXe siècle, reposant sur l'instruction obligatoire, la gratuité, l'égalité de droit et de traitement, avaient pour objectif l'extension de la fréquentation scolaire à tous les enfants.
Le présent projet de loi fait de la consolidation du pacte social, lequel se forge à l'école, un objectif majeur qui nécessite une adhésion aux valeurs à transmettre parce que ces dernières constituent le bien commun et une condition de l'obtention même du résultat attendu.
La mission première de l'école n'est pas, en effet, directement politique. Il s'agit d'abord de la formation de l'esprit et du jugement par la pratique des différentes disciplines intellectuelles, par la culture de la sensibilité, de l'esprit de géométrie et de finesse, par la connaissance de l'être humain à travers la fréquentation des oeuvres de la littérature, par le goût de la recherche de la vérité et l'acceptation de l'effort pour y parvenir, l'honnêteté intellectuelle, le sens et le souci du bien commun et, enfin, par l'instruction civique, qui consiste à faire partager aux élèves les valeurs de la République, mais qui ne prend son sens et sa puissance que si le préalable de l'instruction est acquis.
En 1989, la loi Jospin avait voulu mettre l'élève au centre du système éducatif. L'école devait permettre à l'élève d'acquérir un savoir et de construire sa personnalité par sa propre activité. Il fallait non plus transmettre des savoirs, mais « aider l'élève à devenir l'acteur de sa propre formation », lui « apprendre à apprendre ».
Une telle conception n'est recevable qu'à la condition de ne pas oublier que cette capacité n'est pas spontanée et qu'elle requiert des apprentissages préalables. Il serait paradoxal et insensé de concevoir une ambition si noble, mais réelle, pour l'éducation et, dans le même temps, de priver l'enfant de sa capacité, tout aussi réelle, d'y parvenir.
C'est pourquoi apprendre à lire à l'enfant est la première mission de l'école primaire.
Dès votre arrivée au ministère de l'éducation nationale, monsieur le ministre, vous vous êtes prononcé en faveur de la lutte contre l'illettrisme. C'était d'ailleurs déjà pour vous une priorité dans vos précédentes responsabilités ministérielles, je m'en souviens.
Or, devant l'ampleur des difficultés en la matière, une évolution comparative des différentes méthodes d'apprentissage de la lecture est devenue indispensable. Il ne doit pas y avoir de tabou ni de censure dans ce domaine.
Quand un instituteur réussit en cours préparatoire à obtenir que tous ses élèves sachent lire, et bien lire, à la fin de l'année, il ne doit pas être sanctionné parce qu'il a utilisé une méthode traditionnelle, celle grâce à laquelle nous avons tous, dans cette enceinte, appris à lire.
Il doit être imité ! En pédagogie, comme dans toutes les sciences, c'est l'expérience qui est le critère décisif.
Depuis cinquante ans, le fonctionnement du cerveau a fait l'objet d'études minutieuses qui ont vérifié le bien-fondé des méthodes traditionnelles, au demeurant toujours perfectibles. La formation des maîtres doit comporter cette connaissance du fonctionnement du cerveau, qui a besoin d'aller du simple au complexe, d'associer d'abord des voyelles et des consonnes, puis des mots composés de plusieurs syllabes simples, etc.
De plus, l'apprentissage de notre langue doit être un moyen pour nos enfants de s'ouvrir à l'immense et passionnante question de la francophonie.
Quant aux échecs en matière d'apprentissage des langues étrangères, je suis convaincu qu'ils sont largement dus à une connaissance insuffisante du français et de la grammaire française : le refus de la grammaire systématique et de la vérification de la compréhension par l'exercice de la traduction fait que les enfants sont noyés, et l'apprentissage d'une langue étrangère leur apparaît comme un exercice irrationnel.
A l'image de ce qui se pratique dans plusieurs autres pays européens, le projet de loi propose une mesure essentielle pour réduire les inégalités, à savoir la mise en place d'un socle commun de connaissances et de compétences indispensables que tous les élèves devront avoir acquises à la fin de leur scolarité obligatoire.
Le projet de loi vise non pas à resserrer les exigences de l'école sur un bagage commun minimal, mais à instaurer une obligation de résultats qui bénéficie à tous et qui permette à chacun de développer ses talents et d'atteindre ses objectifs personnels et professionnels.
Le Haut conseil de l'éducation est chargé de définir le contenu de ce bagage commun. Je souhaite que le Parlement ait aussi son mot à dire sur la question.
L'école primaire et le collège ont l'une et l'autre un rôle à jouer dans les acquisitions fondamentales. Il me semble essentiel qu'un enfant ne puisse passer en classe de sixième qu'à la condition de savoir écrire, lire et compter. Or tel n'est pas le cas actuellement. Il n'est que d'entendre les doléances des professeurs de l'enseignement secondaire pour constater qu'ils sont, dans de nombreuses circonstances et quelle que soit leur discipline, obligés de revenir à l'enseignement de notions élémentaires réputées acquises à l'entrée en sixième. Cela crée des situations insolubles dans les classes très hétérogènes du collège unique.
L'idée du programme personnalisé de réussite scolaire me semble excellente, à condition que le redoublement soit obligatoirement imposé à la fin de chaque cycle si les connaissances fondamentales ne sont pas acquises.
L'acquisition de connaissances clairement définies est essentielle. Il est grand temps de rompre avec cet incessant remaniement des programmes et des cursus, source d'angoisse et d'effacement des repères, tant pour les élèves que pour les enseignants.
Le principe de la liberté pédagogique des enseignants est clairement affirmé dans la loi. Chaque enseignant pourra adapter ses méthodes à la classe et aux élèves. L'enseignant est celui qui connaît le mieux ses élèves et celui qui peut le mieux tenir compte de leur diversité. C'est dans la classe que la liberté pédagogique, l'autorité et la responsabilité de chaque enseignant sont pleinement engagées et s'articulent les unes par rapport aux autres.
A cet égard, il serait essentiel que la liberté pédagogique soit utilisée pleinement, pourquoi pas au sein d'établissements expérimentaux, en particulier pour lutter contre le fléau de l'illettrisme.
Ces objectifs ne peuvent être atteints que sous l'autorité des enseignants et avec l'appui des parents, sous réserve que les notions d'effort et de travail soient réhabilitées. C'est pourquoi l'autorité du chef d'établissement, celle du directeur dans son école, celle de l'enseignant dans sa classe doivent être réaffirmées.
S'il est souhaitable de faciliter la présence des parents dans les instances de vie scolaire, il faut éviter toute confusion des rôles : il appartient aux seuls professeurs de procéder à l'évaluation et à la validation des acquis. Toutefois, le lien avec les familles est très important dans le primaire. Les parents doivent être sensibilisés aux conditions indispensables de la réussite scolaire : hygiène de vie, sommeil, calme, petit-déjeuner, danger des médias pour les petits. Mais, par rapport aux familles, l'école ne joue qu'un rôle subsidiaire dans l'éducation. La décomposition, de plus en plus fréquente hélas ! de la famille, cellule de base de la société, crée dans les établissements scolaires des situations que les professeurs n'ont pas les moyens de résoudre.
L'autorité des enseignants doit être restaurée, tout particulièrement sur la question du redoublement. Aujourd'hui, dans le secondaire, les parents peuvent faire appel de la décision de redoublement, et, dans le primaire, former un recours motivé devant l'inspecteur d'académie.
Ce projet de loi clarifie les rôles de chacun : le redoublement pourra être prononcé, dans le primaire, par le conseil des maîtres, et, dans le secondaire, par le conseil de classe, la décision finale appartenant au chef d'établissement et l'avis des parents n'étant que consultatif. Si la procédure est clarifiée, il n'en demeure pas moins que l'objectif est bien d'éviter le redoublement.
La proposition visant à créer un Haut conseil de l'éducation est excellente. Des sujets essentiels pourraient alimenter les travaux de cette instance, comme, par exemple, s'agissant du cas délicat de l'éducation dite affective et sexuelle, le lien entre la famille et l'école. Le Haut conseil de l'éducation pourrait aussi mener une réflexion approfondie sur la laïcité et ses différentes conceptions. En effet, des débats sont actuellement conduits de manière anarchique sur la place de la religion à l'école. Une autorité telle que le Haut conseil doit se pencher sur ce problème pour apporter l'éclairage indispensable aux questions que peut soulever, notamment, une interprétation arbitraire de l'Islam.
L'école est fondée non seulement sur la transmission de la culture et des savoirs, mais aussi sur l'acquisition des droits et des devoirs qu'impose la vie en société. Le règlement intérieur est la loi interne de la communauté scolaire ; il doit être commenté et constitue un vrai tremplin pédagogique pour l'instruction civique.
Je souhaiterais souligner aussi l'importance de deux matières fondamentales, à savoir l'histoire et l'éducation physique. L'histoire, celle de la France notamment, permet de savoir d'où l'on vient pour choisir et construire son avenir personnel et collectif. Il est nécessaire, pour intéresser les élèves, de leur proposer des récits édifiants et de leur parler de personnages admirables : les grands hommes dont, pour certains, il a été question ici même hier, des héros et des saints qui ont toujours fourni le socle sur lequel se construit toute personnalité.
Il est essentiel de promouvoir également l'éducation physique, aussi indispensable à l'éveil et à la construction de la personnalité des enfants que les disciplines intellectuelles. Je me félicite, monsieur le ministre, que, au cours des débats à l'Assemblée nationale, vous ayez réaffirmé que l'éducation physique et sportive, dont l'enseignement est obligatoire à tous les niveaux, joue un rôle fondamental dans la formation de l'élève et dans son épanouissement personnel. L'éducation physique est en effet, dès le plus jeune âge, un élément fondamental, voire irremplaçable, dans le développement de l'enfant et de l'adolescent. De plus, elle présente un intérêt notable pour la santé des enfants. Elle permet de lutter contre la sédentarité et constitue de ce fait le meilleur moyen de prévention de l'obésité. Rappelons que l'obésité touche aujourd'hui un enfant âgé de dix ans sur dix et que ce chiffre a été multiplié par quatre à cinq depuis les années soixante.
Enfin, monsieur le ministre, je souhaiterais soulever un point qui me tient à coeur en tant que maire : l'accueil des enfants de deux ans. Celui-ci constitue certes une dimension de la politique familiale, mais il permet aussi d'offrir une solution à des couples qui doivent concilier vie familiale et vie professionnelle. Le taux moyen national de scolarisation en maternelle à deux ans est de 35 % ; il est de plus de 50 % dans les départements ruraux. La scolarisation d'un enfant de deux ans résulte non pas seulement d'un choix économique, mais aussi du choix de l'école pour l'école. Depuis des années, l'amélioration de la qualité des écoles rurales et de celle de leur fonctionnement passe aussi par le renforcement de l'accueil des plus jeunes enfants. Je souhaiterais que le Gouvernement tienne compte de cet élément essentiel dans l'évaluation du nombre de postes nécessaires.
Par conséquent, des questions aussi fondamentales que celles qui sont soulevées ici pourraient opportunément faire l'objet d'un référendum, ainsi que l'avait souhaité Jacques Chirac en 1995. En effet, il existe deux conceptions incompatibles à propos de l'école. Deux approches anthropologiques leur correspondent selon la place qui est faite à une vérité sur l'homme. Parce que ce projet de loi est conforme à l'expérience multiséculaire d'une vérité anthropologique, il constitue à mon sens une réelle avancée pour le système éducatif de notre pays. C'est pourquoi, avec la majorité du groupe du RDSE, je lui apporterai mon soutien.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UC-UDF et de l'UMP.
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai, comme l'a fait tout à l'heure M. le rapporteur, en me référant au Président de la République.
Murmures sur les travées du groupe socialiste.
Lors de ses voeux aux corps constitués, le Président de la République avait souhaité que les objectifs de la loi sur l'école mobilisent « l'ensemble de la communauté éducative ».
M. Yannick Bodin. Force est de constater que son voeu a été exaucé : toute la communauté éducative est mobilisée, mais elle est mobilisée contre le projet du Gouvernement !
M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.
Quels sont les objectifs de ce projet de loi ?
Construire une école toujours plus juste, plus efficace, plus ouverte, plus sûre, indiquait le Président de la République. Pour ce faire, le présent texte devait être la pierre angulaire d'une réforme de l'école, à même de donner à celle-ci un nouveau souffle, quinze ans après sa réorganisation par la grande loi Jospin pour l'adapter aux évolutions de la société et aux aspirations de la jeunesse et des familles.
Pour mener à bien ce projet, le Gouvernement a, durant un an, organisé une large consultation, un grand débat, qui a conduit à la publication du « Miroir du débat », en avril 2004. Qu'en reste-t il ?
Ensuite, une commission dirigée par Claude Thélot a remis un rapport, qui, pour dire le moins, proposait un grand nombre de pistes très utiles.
Pourtant, monsieur le ministre, de cette consultation, de ce rapport, votre texte ne s'est que très peu inspiré. Il manque de souffle, d'ambition. Il n'aborde que très timidement des thèmes pourtant primordiaux pour l'école de demain. Il ne répond pas aux défis auxquels l'école doit faire face en ce début du xxiè siècle.
Vous n'avez pas voulu écouter ce qui vous était dit. Vous n'avez fait que survoler le rapport Thélot, qui abordait pourtant des sujets importants, même si je conçois que l'on puisse aussi émettre quelques réserves sur ce point.
Monsieur le ministre, nous entamons ce débat dans un contexte politique plus que difficile pour le Gouvernement. Votre projet de loi est en effet jugé très sévèrement par l'ensemble des acteurs du monde de l'éducation, à commencer par le Conseil supérieur de l'éducation, qui l'a rejeté. En outre, les professeurs et les lycéens, lors de grèves et de manifestations très suivies, ont demandé le retrait de ce texte. A l'issue de mouvements lycéens importants à Paris comme en province, ils ont obtenu que vous reculiez sur la réforme du baccalauréat.
Face à ces mouvements, vous avez fait le choix provoquant de déclarer l'urgence sur ce texte. Vous souhaitez en fait couper court au débat, vous débarrasser au plus vite de ce dernier, trop conscient du rejet suscité.
La sagesse voudrait que vous retiriez votre texte.
M. Jean-Luc Mélenchon applaudit.
Tel est le cas des organisations lycéennes, l'union nationale lycéenne, l'UNL, et la fédération indépendante et démocratique lycéenne, la FIDL, qui, il est vrai, n'ont pas été entendues.
Tel est le cas des syndicats d'enseignants, qui sont venus nous dire, en commission, leur opposition à cette réforme : citons le syndicat général de l'éducation nationale, le SGEN-CFDT, la fédération syndicale unitaire, la FSU, l'union nationale des syndicats autonomes-syndicat des enseignants, l'UNSA-SE, le syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale, le SNPDEN, et même la confédération syndicale de l'éducation nationale, la CSEN, dont une des composantes, le syndicat national des lycées et collèges, le SNALC, n'est pourtant pas un syndicat très marqué à gauche. En tout cas, ils nous l'ont clairement dit.
Tel est encore le cas des parents d'élèves, dont les trois organisations, la fédération des conseils de parents d'élèves des écoles publiques, la FCPE, la fédération des parents d'élèves de l'enseignement public, la PEEP, mais aussi l'union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre, l'UNAPEL, sont venues ensemble devant la commission...
M. Yannick Bodin.... pour tenir, après l'avoir publié ensemble dans la presse, un même discours de rejet de votre projet. Monsieur le ministre, vous avez réussi une première dans l'histoire de l'école : réunir les parents du public et du privé contre vous !
Mmes Gisèle Printz et Dominique Voynet, MM. Jean-Luc Mélenchon et Jean-Pierre Sueur applaudissent .
Pourtant, personne aujourd'hui ne nie la nécessité de faire évoluer l'école. Tous ici, nous sommes conscients des difficultés qu'elle rencontre pour réaliser les missions qui lui ont été confiées par la République. Quinze ans après, il faut bien sûr relancer la réforme Jospin de 1989.
Rires sur certaines travées de l'UMP.
En effet, il y a encore beaucoup à faire. Cent cinquante mille jeunes quittent tous les ans l'école sans diplôme ou sans qualification. Sur le constat, nous sommes d'accord.
Trop d'élèves ont un niveau encore trop faible à leur entrée en sixième. C'est une évidence.
Les résultats scolaires restent trop dépendants de l'origine sociale des élèves.
Trop souvent, l'orientation au collège se fait par l'échec et non par la préparation individualisée d'un projet personnel formatif et professionnel.
L'enseignement professionnel est dévalorisé.
Les jeunes Français ne parlent pas assez bien les langues étrangères.
Bref, l'école, c'est vrai, a besoin d'avancer, de se réformer, d'évoluer. Nul n'en doute, pas plus ici que dans les manifestations lycéennes, pas plus les lycéens et les professeurs que les parents d'élèves, qui ont réagi très négativement à votre projet.
Votre texte, monsieur le ministre, constitue d'abord un renoncement. Il n'est pas adapté aux besoins réels de l'école, il manque en grande partie d'ambition, quand certaines des mesures qu'il contient ne sont tout simplement pas rétrogrades ou même dangereuses.
Il manque donc d'ambition : il ne comporte rien sur l'évolution et la redéfinition du métier d'enseignant, rien sur la politique en faveur la petite enfance ou sur l'amélioration des transitions entre l'école et le collège, entre le collège et le lycée, entre le lycée et l'enseignement supérieur !
Il ne comporte rien non plus sur le rapport entre l'inégalité sociale et la réussite scolaire, point majeur que le débat sur l'école a pourtant mis avec force en évidence ! Rien, en tout cas rien de nouveau, sur l'orientation, qui doit devenir le moment d'un choix et non être vécue comme un échec. Rien sur les ZEP et sur l'éducation prioritaire, alors qu'il faut approfondir ce dispositif qui a donné certains résultats. Rien sur la scolarisation à deux ans, cependant que votre vision de l'école maternelle est extrêmement réductrice.
Rien non plus sur la pluridisciplinarité, alors qu'une réflexion approfondie sur le sujet aurait été très utile. Rien pour revaloriser les filières professionnelles. Rien sur le cadre plus large de la formation tout au long de la vie, alors que l'on sait bien, aujourd'hui, que tout le monde sera amené à revenir à l'école au moins une fois dans sa vie.
Rien, enfin, sur les nouveaux rapports entre l'éducation nationale et les collectivités territoriales, et le rôle de celles-ci par rapport aux politiques éducatives.
Sur tous ces sujets, monsieur le ministre, votre projet de loi est vide. Il faudra pourtant, un jour, avoir le courage de traiter de toutes ces questions dont dépend la réussite de l'école républicaine.
Venons-en, monsieur le ministre, à votre projet de loi.
Votre définition du socle commun doit être revue. Certes, il ne s'agit pas de remettre en cause l'idée qu'il faille s'assurer que tout élève a acquis, à sa sortie du système scolaire, un socle commun de connaissances et de compétences qui lui permette de travailler, de poursuivre à tout moment sa formation et aussi d'être un citoyen.
Mais votre définition de ce socle est par trop restrictive ! Sont absents, alors qu'ils font aussi partie des fondamentaux de la formation et de l'éducation des futurs adultes, l'éducation physique et sportive, l'enseignement artistique et la culture technologique.
Cette idée d'un socle de compétences et de connaissances, nous la revendiquons. Mais pour qu'il soit un réel levier de l'égalité des chances, il faut qu'il soit réellement commun ! Aux termes de votre projet de loi, il sera le minimum réservé à certains, tandis que d'autres auront le privilège de découvrir d'autres matières, avant même la fin de la scolarité obligatoire.
Il faut que ce socle commun soit aussi suffisamment large pour permettre à chacun de partir sur la même base, quel que soit son milieu social d'origine.
Ce projet de loi était l'occasion d'avancer, de créer, d'assurer un réel socle commun, d'offrir une réelle culture à tous. Là encore, vous vous arrêtez en chemin.
Il y a donc là un manque d'ambition, mais certaines des mesures que vous proposez sont rétrogrades et dangereuses.
Il en est ainsi de la remise en cause de l'organisation de la scolarité en cycles puisque vous rétablissez l'année comme unité principale du temps scolaire, mais aussi de la possibilité de faire redoubler les élèves chaque année et au seul bon vouloir des enseignants, ce qui participe d'ailleurs à la destruction du principe des cycles.
Il en est ainsi, encore, de la réintroduction de l'orientation professionnelle dès la fin de la classe de quatrième, avec la mise en place, prévue dans l'annexe du projet de loi, d'une classe de troisième avec option « découverte professionnelle » à raison de six heures par semaine, offerte non pas à tous les élèves mais seulement à ceux qui ont des difficultés dans les autres matières.
Et je ne parle pas de la note de « vie scolaire » qui - j'en fais malheureusement le pari - deviendra très rapidement la « note de conduite ». C'est votre petit côté Choristes !
Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.
Je parle non pas du film, qui était excellent, mais de la manière dont on y pratiquait la discipline !
Je dois aussi revenir sur la suppression des TPE en terminale. Après un début difficile, ils reçoivent aujourd'hui des louanges.
Ces travaux ont été créés pour favoriser l'apprentissage de l'autonomie, de la réflexion personnelle, de l'esprit critique, qui sont autant de compétences fondamentales non seulement pour la réussite scolaire mais encore pour le futur des élèves, notamment ceux qui se destinent à des études supérieures.
Là encore, vous allez à rebours des évolutions positives récentes de l'école. Je vous ai pourtant entendu dire, voilà quelques jours : « Mais on a toujours fait des exposés. »
On peut faire des exposés en classe sans qu'il soit besoin de créer des heures supplémentaires !
Dans un tout autre domaine, vous créez une autorité administrative, que vous prétendez indépendante, le Haut conseil de l'éducation. L'étendue de ses fonctions ainsi que le mode de nomination de ses membres font craindre qu'elle ne soit jamais capable de jouer pleinement son rôle d'orientation et de contrôle. En tout cas, elle ne sera jamais indépendante.
Enfin, il me faut dire un mot de votre proposition de « contrat personnalisé de réussite scolaire » que les députés, trop conscients des difficultés juridiques importantes que cette initiative risquait d'entraîner, ont rebaptisé « programme personnalisé de réussite scolaire » - et on parle d'ailleurs maintenant de « parcours ».
Si l'appellation a évolué, le contenu, lui, n'a strictement pas changé. Or, il faut le dire, ces contrats, ces programmes ou ces parcours seront à la fois inefficaces et dangereux.
En effet, il est illusoire de croire qu'on réglera les difficultés scolaires en ajoutant des heures supplémentaires à l'emploi du temps des élèves. §Comment croire que les élèves en voie de déscolarisation retrouveront le goût d'apprendre avec quelques heures d'école en plus ?
Ce qu'il leur faut, c'est de l'école autrement : des méthodes pédagogiques innovantes, des maîtres formés à ce type de situation. Et si l'école ne remplit pas, ou remplit mal, sa mission envers les élèves en difficulté, vous favorisez la prolifération des officines privées à but lucratif qui, évidemment, attirent une « clientèle privilégiée ». Où est alors l'égalité des chances ?
Vous risquez de plonger les élèves et leurs parents, déjà en difficulté, dans la spirale de l'échec. Vous ne cherchez pas à leur redonner confiance ou à leur offrir un espoir de réussite par un accompagnement individualisé. Non, en fait, vous les culpabilisez. Le devoir de la République est de créer les moyens et les méthodes pour que ses enfants réussissent, ce n'est pas de faire porter l'échec a priori sur les familles ou sur leurs enfants.
Quant à votre vision de la formation des enseignants, elle me paraît également conservatrice et rétrograde.
Enseigner, monsieur le ministre - vous en serez sûrement d'accord -, c'est un métier. Cela s'apprend. Il ne suffit pas de posséder un savoir, fût-ce à la perfection, pour être capable de le transmettre.
Bien maîtriser sa discipline est une condition nécessaire pour enseigner, mais ce n'est pas une condition suffisante. Il faut aussi apprendre le métier.
Or votre réforme des IUFM va dans le mauvais sens. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Votre volonté de rattacher ces IUFM à une université - choix opéré sans concertation - est inquiétante : quelles places et quelle autonomie auront-ils sur les plans financier et pédagogique ? En réalité, le point fort de votre réforme, c'est la dissolution - la disparition, allais-je dire - des IUFM dans l'université, alors qu'il fallait renforcer la professionnalisation, notamment par une année supplémentaire en IUFM. Nous vous proposerons d'ailleurs, mes chers collègues, de supprimer le chapitre V de ce projet de loi, afin de prendre le temps de lancer une vraie réflexion sur le métier d'enseignant : ceux qui se destinent à la carrière d'enseignant ont besoin d'apprendre à enseigner, d'apprendre le travail en équipe, d'apprendre à orienter les élèves.
Ainsi, le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté ne répond pas, tant s'en faut, aux défis de l'école. Il n'est pas assez ambitieux alors que c'est d'un nouveau souffle que l'école a aujourd'hui besoin. Et quand ce texte prévoit des évolutions, celles-ci sont pour la plupart teintées de trop de conservatisme pour ne pas nous inquiéter et inquiéter toute la communauté éducative.
Mais, au-delà, force est de constater que la politique menée par le Gouvernement ne permet pas de mettre en oeuvre une politique ambitieuse de l'éducation. Vous avez, monsieur le ministre, chiffré le coût budgétaire de cette réforme à 2 milliards d'euros, dont vous vous êtes d'ailleurs bien gardé de spécifier les modalités de budgétisation.
Il y a fort à craindre qu'il s'agisse de simples redéploiements et de mise en oeuvre de moyens nouveaux. D'ailleurs, la seule mesure concrète que nous connaissons à ce jour en termes financiers est la suppression des TPE en terminale afin de financer - mais comment ? - le renforcement de l'apprentissage des langues. Ce n'est pas maintenant que vous pourrez faire quelque chose pour la rentrée prochaine :...
Ces 2 milliards d'euros ne sont pas assurés. Et ce n'est pas leur inscription dans le rapport annexé, dont la valeur normative contraignante est loin d'être démontrée, qui nous rassure. Le premier euro de cet engagement n'est pas budgété, en tout cas pas dans la loi de finances pour 2005 ; aucune programmation réelle n'accompagne votre projet. D'ailleurs, la rectrice de Toulouse a été amenée à présenter sa démission parce qu'elle n'était plus capable, vu le sacrifice du budget de l'éducation par l'actuel gouvernement, d'assurer correctement sa mission.
Vous vous engagez, toujours dans cette annexe, à recruter, chaque année, 30 000 enseignants, conseillers principaux d'éducation et conseillers d'orientation sur la période 2006-2010, mais cet engagement laisse songeur eu égard à la suppression des quelque 90 000 postes d'adultes dans les établissements scolaires depuis que le gouvernement auquel vous appartenez est aux responsabilités.
Je citerai un exemple qui décrédibilise l'ensemble de votre discours sur le sujet : le Gouvernement annonce qu'il y aura une infirmière par établissement, ce qui serait effectivement une bonne chose. Mais, mes chers collègues, faut-il vous rappeler que pas un poste supplémentaire d'infirmière n'a été budgété ni en 2004 ni en 2005 ? Là encore, nous ne pouvons nous satisfaire des discours du Gouvernement, à moins, monsieur le ministre, que vous ne nous annonciez tout à l'heure la préparation d'un collectif budgétaire vous permettant d'assurer la rentrée scolaire 2005 dans de meilleures conditions.
Pour conclure, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, je le répète, est sans ambition par ses insuffisances et dangereux par certaines mesures proposées.
Il aurait fallu définir clairement ce que l'on entend par « réussite pour tous », affirmer la priorité accordée aux élèves et aux territoires en difficulté, mettre en oeuvre un suivi vraiment personnalisé des élèves, redéfinir l'orientation scolaire et professionnelle, revaloriser les formations technologiques et professionnelles, réaffirmer le rôle des parents et les aider, préciser le rôle des collectivités territoriales dans les politiques d'éducation, redéfinir le métier d'enseignant et renforcer la formation des maîtres, accroître le nombre d'adultes dans les établissements. Enfin et surtout, il aurait fallu inclure ce débat dans le contexte plus large de la formation tout au long de la vie.
Sur tous ces sujets essentiels, votre projet de loi est souvent muet. Au mieux, il reste flou. C'est ce que l'on appelle « une occasion manquée ». §Il reviendra donc à l'actuelle opposition, quand le moment sera venu, ...
Mme Gisèle Printz applaudit
pour donner à la France un projet pour l'école digne de ses ambitions et de sa jeunesse.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République, en souhaitant qu'un grand débat ait lieu sur l'école, a répondu à l'aspiration d'un grand nombre de nos concitoyens. Il leur a donné la parole ; ce fut un véritable exercice de démocratie directe lorsque un million de nos concitoyens ont pu s'exprimer pour dire ce qu'ils attendaient de l'école et comment ils envisageaient son adaptation aux besoins nouveaux de notre société.
Pour ma part - j'ose le dire -, je suis très heureuse et fière d'avoir participé aux travaux de la commission Thélot qui, en quelque sorte, a balisé le terrain de notre réflexion sur l'école.
Oui, monsieur le ministre, votre projet de loi prépare, pour l'essentiel, l'école des quinze années à venir, avec l'ambition louable d'élever le niveau général de connaissances et le taux de diplômés, et d'attaquer les plaies ouvertes de notre système scolaire : beaucoup trop de jeunes enfants manquant de bases fondamentales, un brevet des collèges démonétisé, des instituts de formation des maîtres souvent inadaptés parce que trop théoriques, etc.
Le coeur de vos propositions permettra à l'école, j'en suis persuadée, d'amener tous les élèves à la réussite, quels que soient leurs talents.
Parmi les nombreux aspects du projet de loi dont la finalité louable est de débloquer l'ascenseur républicain et de sortir d'un élitisme intellectuellement séduisant mais socialement désastreux, je m'attacherai à développer deux points qui, entre autres, reflètent les propos qui ont été recueillis au cours du grand débat : la maîtrise des fondamentaux par un meilleur apprentissage de la lecture et les missions de l'école à l'heure d'une Europe toujours plus présente.
Peut-on, aujourd'hui, se satisfaire du fait que 10 % à 15 % d'enfants ne sachent pas lire en quittant le cours préparatoire ? Peut-on se satisfaire du fait que 10 % des enfants sortent de l'école primaire en ne disposant que de 300 mots de vocabulaire à peine ? Comment expliquer que, dans notre société si bavarde, qui ne cesse de communiquer, il y ait encore tant de jeunes qui ne maîtrisent pas usuellement notre langue après douze années passées sur les bancs de l'école ?
S'agissant de la lecture, vous avez affirmé, monsieur le ministre, qu'elle était la « clef indispensable » pour tout le reste. Je me garderai bien de me prononcer sur les méthodes, dont vous avez d'ailleurs confié l'étude à d'éminents spécialistes. Nous en saurons sûrement davantage dans quelques semaines, quand ils vous remettront leur rapport.
Je me bornerai à poser la question suivante, au risque de me faire taxer de nostalgique de la pédagogie traditionnelle : où sont donc passés les manuels dans de nombreuses écoles primaires ?
Comment découvrir le plaisir du livre quand, dans le primaire, on vous distribue au coup par coup des photocopies plus ou moins bien collées dans des classeurs, bientôt froissées dans le cartable ?
Le manuel scolaire, c'est le premier livre que certains enfants ont la chance d'avoir entre les mains, car nombreux sont ceux qui n'en disposent pas à la maison. L'école leur donne donc l'occasion d'avoir un rapport concret avec la lecture. C'est cela aussi lutter contre les injustices sociales.
Le livre devient alors un outil de liberté, grâce auquel l'enfant développe son autonomie, sa curiosité intellectuelle. C'est aussi et surtout, pour le citoyen en devenir qu'il est, l'outil fondamental de connaissances dont il aura besoin pour discerner le monde social, culturel et politique dans lequel il vit.
On connaît bien évidemment les réticences de certains enseignants face aux manuels, qu'ils accusent d'être des « carcans » réduisant leur liberté pédagogique et amenuisant leur créativité : ce sont des doléances que nous avons largement entendues lors des débats.
Il ne s'agit pourtant pas d'accabler les enseignants, de plus en plus confrontés à l'hétérogénéité des classes, ni de les enfermer dans une pédagogie qu'ils n'auraient pas souhaitée. D'ailleurs, le texte que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, rappelle et insiste sur la liberté pédagogique de chacun des enseignants.
Bien entendu, à l'époque de l'informatique et du web, il faut aussi faire une large part aux outils de demain : je pense à la complémentarité du numérique.
La question des outils pédagogiques ne mériterait-elle pas d'être mieux intégrée dans le cursus des IUFM ? L'éducation nationale ne doit-elle pas aider les enseignants à choisir et à utiliser leurs outils en professionnels, par le biais de formations adaptées ? En effet, face à la profusion et à la diversité des supports qui sont à leur disposition, les enseignants peuvent parfois se sentir déconcertés.
Je souhaite maintenant, monsieur le ministre, que, dans notre réflexion, les missions de l'école se déclinent davantage à l'heure de l'Europe. Comment pourrions-nous, en effet, dissocier la mise en oeuvre de cette loi d'orientation de l'ouverture de l'Europe à de nouveaux membres ? Il faut reconnaître que, depuis une cinquantaine d'années, ont été enregistrées de réelles avancées communautaires, une progression des échanges et de l'équivalence des diplômes, ainsi qu'une mobilité accrue des enseignants. Mais la formation proprement dite de l'élève est et reste nationale.
Si les sciences les plus techniques ne peuvent souffrir aucune contestation internationale, il n'en est pas de même pour les sciences humaines comme l'histoire, la littérature ou l'instruction civique. L'importance accordée par tel ou tel pays aux événements et aux oeuvres pèsera inévitablement sur l'orientation du savoir commun.
C'est maintenant qu'il faut, à travers nos programmes d'enseignement, réfléchir à la formation des futurs citoyens européens. Sinon, nous serons confrontés à une addition de cultures nationales européanisées que tenteront les réflexes identitaires.
Ne faudrait-il pas penser à un accroissement de l'éducation à la citoyenneté européenne dès les plus petites classes, dans le cadre de chaque enseignement ?
Je dis « oui » à la pratique dès l'école primaire d'une langue étrangère, indispensable à la nécessaire mobilité des jeunes, et « oui » au rapprochement des contenus d'enseignement et des systèmes éducatifs, en lien direct avec le processus engagé à Lisbonne.
Traditionnel pilier de la souveraineté nationale, l'école française, tout en confortant son identité, doit se convertir à l'Europe, d'abord dans l'éducation de ses enfants.
En conclusion, une réforme de l'école était une nécessité. Depuis dix ans, notre système est en panne, et c'est une obligation pour nous de sauver chaque année 150 000 jeunes du marasme d'une scolarité sans diplôme.
Monsieur le ministre, nous apprécions votre courage, vous qui êtes confronté au difficile fonctionnement de l'une des plus grandes administrations d'Europe et qui gérez le plus important budget de l'Etat.
Nous sommes à vos côtés sur le chemin de crêtes que vous avez tracé parce que nous voulons, avec vous, redonner toute sa force à l'école, creuset de la République. Il en va de la réussite et de l'épanouissement de nos enfants, qui prendront peut-être un jour notre place dans cet hémicycle. L'un des pères de l'éducation américaine, Horace Mann, n'avait-il pas écrit que les écoles étaient les lignes de fortification de la République ?
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi tente de répondre à deux questions fondamentales concernant notre école : comment faire pour que tous les élèves puissent acquérir un socle commun indispensable de connaissances ? Comment faire pour que les jeunes sortant du système scolaire soient armés pour une vie autonome et épanouissante ?
Je ne peux qu'être d'accord avec ce programme, mais je constate qu'il se préoccupe essentiellement du champ de l'école obligatoire, c'est-à-dire l'école élémentaire et le collège. On y parle peu de ce qui préoccupe les parents, les enfants et les enseignants : la violence à l'école, l'accueil des tout petits, l'âge de la scolarité obligatoire, le contenu de la formation des maîtres.
Je vais successivement aborder ces quatre points.
Tout d'abord, la violence en général et en milieu scolaire en particulier, et ce dès la maternelle, est un souci constant de tous nos concitoyens. Elle nuit à l'équilibre des élèves. Elle est source de perturbations importantes, y compris pendant les cours. Elle fait peur. Elle décourage.
Or le projet de loi que vous nous proposez procède plus de l'incantation que de la prise en compte pragmatique de ce grave sujet.
On n'y envisage aucune prévention précoce, on n'y insiste pas assez sur la formation des enseignants à la gestion des conflits et l'on n'y propose aucune sanction éducative adaptée à chaque stade de cette violence. Je regrette que cette préoccupation majeure n'occupe pas une place plus marquée dans ce projet.
Ma deuxième remarque concerne l'accueil des enfants de moins de trois ans. Ce point est rappelé dans le rapport annexé, mais aucune disposition nouvelle n'est envisagée.
Je sais que cet accueil, gratuit, rend de grands services aux parents. Mais rend-il service aux enfants ?
Je m'étonne, monsieur le ministre, que l'on puisse, d'un côté, exiger dans les structures multi-accueil de jeunes enfants, dans les crèches et dans les haltes garderies la présence d'un adulte spécifiquement formé pour sept enfants et, de l'autre, concevoir comme normal qu'un seul enseignant, secondé par un agent technique spécialisé des écoles maternelles, un ATSEM, ait à prendre en charge de 25 à 35 enfants âgés de deux ans.
N'y aurait-il pas à inventer des « jardins-passerelles », par analogie avec les jardins d'enfants, qui permettraient aux petits d'aller à l'école le matin jusqu'à onze heures et d'être ensuite pris en charge jusqu'au retour des parents par du personnel formé spécifiquement à cet accueil ?
Nombre de communes sont intéressées par cette expérience, mais comment pourront-elles assumer la charge salariale que représentera ce mode d'accueil innovant ?
Je sais que mon propos dépasse le cadre de l'éducation nationale et donc celui de votre action, monsieur le ministre. Mais je ne vois pas en cette matière d'égalité des chances, et je crois que nous devrons nous pencher très sérieusement sur l'accueil de ces jeunes enfants.
Le troisième point que je souhaite aborder est l'âge de la scolarité obligatoire.
Françoise Dolto l'a dit : « tout se joue avant six ans ». Si cela est vrai sur les plans psychologique et affectif, c'est également vrai pour le langage.
Dans l'acquisition de la maîtrise de la langue et de la communication, l'école maternelle occupe une position déterminante et stratégique puisque la pauvreté du vocabulaire est déjà identifiable à l'entrée dans le primaire. Tous les experts, sur ce sujet, vont dans le même sens.
Il est nécessaire, à la sortie de l'école maternelle, de maîtriser un vocabulaire minimum afin de pouvoir apprendre à lire et à écrire pendant le premier cycle de l'école élémentaire. Ce minimum requis se situe entre 600 et 900 mots maîtrisés par l'enfant. Or des études montrent une augmentation croissante des enfants entrant en cours préparatoire et ne disposant pas d'un tel vocabulaire : 11 % d'entre eux ne connaissent qu'environ 350 mots, rendant presque impossible leur apprentissage de la lecture, et ce quelle que soit la méthode retenue.
C'est aussi à l'école maternelle qu'apparaissent les premières manifestations de sexisme, de racisme, de violence verbale et physique. Et c'est le meilleur moment pour apprendre aux enfants la tolérance et le respect de l'autre.
Monsieur le ministre, ne doit-on pas envisager rapidement de rendre l'école obligatoire dès l'âge de trois ou quatre ans, ce qui permettrait de mieux répartir l'acquisition du socle commun des fondamentaux, en particulier du langage, indispensable à l'apprentissage de la lecture ?
Le quatrième point sur lequel je souhaite intervenir concerne la formation des maîtres.
Plus que du sort administratif des IUFM, c'est du contenu de la formation que se préoccupent les parents et les futurs enseignants, et, à ce sujet, je voudrais faire quelques remarques et suggestions. Je sais que cela relève plus souvent du règlement que de la loi, mais le texte que vous nous proposez est peu précis quant aux missions de cette formation.
Ne doit-on pas revenir à une spécialisation professionnelle plus poussée, adaptée à l'enseignement de chaque tranche d'âge ? Ne doit-on pas consacrer plus de temps, dans la formation des maîtres, à la psychologie de l'enfant, à la gestion des relations et des conflits, à l'éducation au respect et au civisme ?
Ne doit-on pas mieux adapter la formation disciplinaire aux programmes enseignés et privilégier la formation professionnelle par rapport à cette même formation disciplinaire ?
Ne doit-on pas imposer qu'une forte proportion d'enseignants d'IUFM soit encore en contact avec le public scolaire ?
Ne doit-on pas s'assurer de la véritable motivation des candidats au métier d'enseignant ? Ne doit-on pas prévoir de tester l'aptitude ou l'inaptitude à enseigner ? Ne doit-on pas prévoir de véritables passerelles vers d'autres emplois de la fonction publique ou privée quand il s'avère que le choix de ce métier a été une erreur ?
Ces questions, politiquement incorrectes, sont celles que se posent tous les parents qui auront, au moins une fois dans leur propre scolarité ou dans celle de leurs enfants, subi les conséquences, quelquefois dramatiques, de l'influence d'un enseignant incapable, pendant toute sa carrière, de maîtriser son enseignement. Que dire, d'ailleurs, de la vie de cet enseignant si mal à l'aise dans l'exercice de sa profession ?
Ce projet de loi, monsieur le ministre, répond bien imparfaitement à ces questions et à beaucoup d'autres, posées lors du grand débat sur l'école. Il ne suffira pas à changer fondamentalement notre école et à atteindre les objectifs que vous nous proposez dans le rapport annexé.
Nous ne ferons pas l'économie, dans un délai que j'espère court, d'une vraie grande réforme.
En attendant, monsieur le ministre, je voterai ce projet de loi en le considérant comme un traitement homéopathique, espérant qu'il sera suffisamment efficace pour éviter un traitement draconien ou une intervention chirurgicale !
M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau, dont je salue la première intervention.
Applaudissements
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous remercie pour cet accueil chaleureux.
De notre capacité à enraciner aujourd'hui les valeurs républicaines d'égalité, de liberté et de fraternité dans l'esprit de notre jeunesse, à forger l'esprit critique, à élargir le champ des connaissances, dépend l'avenir du pays.
Voilà une noble ambition, partagée, qui mérite un débat à la hauteur de l'enjeu, éloigné des visions partisanes. Mais l'affirmation d'une ambition ne saurait suffire à emporter l'adhésion en l'absence d'une mobilisation des moyens adéquats. C'est le sentiment des lycéens et des enseignants qui constatent au quotidien une dégradation de leurs conditions de vie dans les établissements.
La Réunion a connu, elle aussi, de grandes manifestations lycéennes. S'il est toujours hasardeux de sonder les reins et les coeurs des jeunes manifestants, ce serait toutefois manquer de lucidité que de ne pas voir dans leur mobilisation, d'une part, l'expression d'une réelle demande d'amélioration de leurs conditions actuelles d'enseignement et, d'autre part, l'expression d'une réelle angoisse face à l'avenir.
Il existe dans notre île, comme ici, une fracture au sein de la jeunesse entre celle qui, désireuse de réussir son parcours éducatif, s'inquiète de son avenir et celle qui, gagnée par la désespérance, est déjà en situation d'échec et retourne contre l'école sa colère et ses frustrations.
Les Réunionnais sont particulièrement attachés à l'école qui, au cours des dernières décennies, a joué un rôle indiscutable en termes de cohésion sociale et comme moteur d'ascension sociale. L'affirmation de l'école publique a accompagné le passage d'une société coloniale à une société fondée sur la réalisation des valeurs républicaines, notamment par l'accès du plus grand nombre à l'enseignement. S'il ne s'agit pas de nier ces avancées, il ne saurait non plus être question de passer sous silence les disparités et les retards actuels du système éducatif à la Réunion.
J'illustrerai mon propos de quelques affirmations concrètes.
Le taux de scolarisation des enfants de deux ans est, chez nous, de 15 %, contre 34 % en métropole. L'échec scolaire en cours préparatoire à la Réunion est presque le double de celui de métropole. En CM2, il est plus élevé de quelque 25 %.
En 2002, l'écart de réussite au brevet des collèges était inférieur de onze points dans notre département. Le taux de scolarisation des 16-19 ans y est inférieur de douze points. Quant au taux d'accès au baccalauréat, il est de 57 %, contre 69 % en métropole. A la Réunion, 19 % des jeunes sortent du système scolaire sans qualification, et l'illettrisme touche 20 % de la population.
Je pourrais continuer l'énumération de chiffres, tous porteurs, en filigrane, d'un fort enjeu social : comment ne pas rappeler, en effet, que le chômage des jeunes est de 51 % chez nous, contre 20 % en métropole ?
C'est la raison pour laquelle l'organisation et le contenu de l'enseignement doivent répondre prioritairement à la réduction de ces inégalités. Et non seulement les mesures contenues dans ce projet de loi n'y concourent à mon avis pas, mais la suppression des TPE risque même d'être un facteur aggravant.
Pour faire face aux retards, comme aux besoins créés par la progression démographique de l'île, le système éducatif réunionnais a aussi et surtout besoin de moyens. Le dernier plan de rattrapage en personnel enseignant date en effet de 1998-2002. Il n'y en a pas eu d'autres depuis, en dépit des retards incontestables, notamment au niveau du ratio d'encadrement.
Pis, la suppression brutale de milliers d'aides éducateurs a eu pour conséquence une dégradation des conditions de vie scolaire.
Comment ne pas s'inquiéter également des conséquences du transfert du personnel TOS vers les collectivités locales ? Chez nous, le conseil régional et le conseil général, ainsi que la majorité des organisations syndicales, estiment que ce transfert n'est pas acceptable dans les conditions prévues.
J'ai d'ailleurs déposé très récemment sur ce sujet une proposition de loi qui pourrait contribuer au règlement définitif de ce problème.
Monsieur le ministre, nous ne retrouvons pas dans votre projet de loi les moyens d'une ambition pour la jeunesse de notre île, jeunesse qui est pourtant notre atout essentiel. Cet investissement dans l'avenir est aussi la condition du maintien de la cohésion sociale actuelle.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, ne mérite ni excès d'estime ni indignité. Néanmoins, compte tenu de la réalité réunionnaise, nous ne pourrons l'approuver.
Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt-et-une heures trente.