En ce qui concerne le patrimoine, vous étiez présent lors du vote en séance : la proposition de loi a été soumise à beaucoup de modifications, notamment sur l'affectation du patrimoine exclusivement à d'autres institutions culturelles. Heureusement, M. Rebsamen a présenté une définition très exhaustive de cette notion, avec un large spectre d'interprétation. Cette proposition de loi fera encore, je pense, l'objet de quelques va-et-vient avant de trouver un consensus.
Pour ma part, je me sens le gardien du patrimoine, à la fois en tant que citoyen et en tant que ministre. Pour que le patrimoine continue à être entretenu, il doit être vivant. Notre patrimoine national est gigantesque, et relève de nombreux ministères. Que fera le ministère de la défense des casernes désaffectées de Metz ? Que fera le ministère de la justice des tribunaux qui ferment ? Et qu'en est-il de toutes les friches industrielles de l'État ? Il faudra désamianter, rénover sous des formes nouvelles dont les coûts augmentent. J'ai trouvé le rapport de M. Legendre et Mme Férat extrêmement bien fait et pragmatique. Je ne citerai qu'un exemple qui est emblématique : à 500 m du Château de Fontainebleau, il y a une caserne militaire construire aux XVIIIe et XIXe siècles qui a servi d'école militaire. Ce sont 15 000 m² dont on ne sait absolument pas quoi faire. Le projet d'organiser un bail emphytéotique avec une société de tourisme me semble aller dans le bon sens et n'affecte pas la vérité, ni l'intégrité du patrimoine. C'est une idée ; il faut, pour la mettre en oeuvre, un socle juridique solide. L'immensité de notre patrimoine appelle ce type de réflexions.
Concernant le patrimoine mondial, vous savez mon attachement personnel à cette question. Je hante la France entière pour le voir, et je crois que beaucoup de collectivités modestes trouvent le chemin du ministère. Je n'ai pas encore vraiment réfléchi à l'éventualité de créer une ligne budgétaire spécifique au patrimoine mondial. Mais je peux vous dire que nous sommes vigilants sur les sites inscrits. L'incendie de la Réunion est un dommage très grave, et j'ai relayé fortement les inquiétudes sur le Mont-Saint-Michel. J'ai soulevé la question du patrimoine mondial à plusieurs reprises, mais effectivement, peut-être que l'inscription d'une ligne budgétaire me donnerait les moyens d'une action encore plus résolue.
Concernant les moyens dont disposent les collectivités territoriales, je n'arrive pas à faire la part entre ce qu'on me dit de toutes parts sur la préservation de leurs capacités budgétaires. Les collectivités elles-mêmes disent avoir de grandes difficultés. J'ai beaucoup bataillé pour qu'on conserve la compétence croisée, ce qui est un élément important. Ce que je peux vous dire en tout cas, c'est que des instructions ont été données aux DRAC - et redonnées, car elles n'avaient pas été suivies - pour que les demandes des collectivités modestes soient examinées. Toutes les lettres que je reçois à ce sujet sont lues par moi et trouvent une réponse. La surveillance par les DRAC existe, je peux vous en assurer.
Madame Blandin, pour vous répondre, je peux vous dire que le plafonnement a été calculé largement au-delà des montants dont les institutions bénéficiaient jusqu'à maintenant. Je n'ai d'ailleurs pas eu de plainte des établissements concernés, car ils savent qu'ils sont dans une enveloppe tenable. Concernant le taux de 2,10 %, cela m'a été confirmé par le Président de la République hier même. Ce taux continuera à s'appliquer sur les 140 premières représentations.
Vous évoquez la Philharmonie de Paris. En ces temps de restrictions, l'investissement paraît considérable ; mais on met en quelque sorte de côté de l'argent pour la génération future. La logique de la Philharmonie est indubitable. Il y en a une à New York, à Londres, même à Rome, pas à Paris. Les grands chefs et les grands orchestres rechignent à venir en France à cause de cela. Or leur participation enrichit le public, éclaire notre vision générale de la musique et permet à Paris de tenir sa réputation. Il s'agit également d'un problème de transmission de la musique, puisque la Philharmonie doit aussi être le lieu de cette transmission. Jusqu'ici, les acteurs de la musique sont très éparpillés : il y a des conservatoires, des écoles, des associations privées... Ils ne disposent pas de ce vaisseau amiral sur lequel conforter leur action. La Philharmonie, ce seront aussi des salles de répétition, des ateliers, des lieux d'enseignement. La personne en charge du projet, Laurent Bayle, est à l'origine des initiatives Demos que vous connaissez sans doute : des solistes initient des élèves de quartiers sensibles à la musique. Lancé il y a trois ans, ce projet rassemble aujourd'hui 1 200 enfants dans quatre régions différentes. La Philharmonie, c'est ce qui va permettre à l'ensemble de ces acteurs de se rejoindre dans un lieu convenable. La salle Pleyel n'a pas de salle de répétition ; le théâtre des Champs-Élysées ne peut accueillir que 1 200 personnes. Tout cela pose problème pour les orchestres de haut niveau que notre pays mérite. Je tiens enfin à souligner que la Philharmonie est construite dans le Parc de la Villette, ce qui traduit une volonté d'ouverture vers la banlieue Nord. Il s'agit d'un véritable geste de démocratie culturelle. Laurent Bayle saura diriger cet établissement comme il a dirigé la Cité de la Musique, qui est une réussite absolue. C'est donc un investissement important, mais lorsqu'il sera achevé, nous nous dirons que cela valait vraiment la peine de le faire.
La construction elle-même avance au rythme qui est prévu.
Concernant le spectacle vivant, le budget demeure : c'est déjà une victoire. Mais les charges augmentent, à mesure que les salaires et l'inflation progressent ; la marge artistique se réduit d'autant, c'est vrai. Je voudrais déjà vous dire que j'ai réussi à dégager 12 millions d'euros sur trois ans. Ce n'est pas assez, mais c'est déjà honorable. Le rapport de la mission confiée à MM. Martinelli, Murat et Metzger va permettre de trouver des pistes de financement supplémentaires. Ce que nous trouverons sera bien sûr ajouté au budget déjà prévu.
Dans tous les cas, nous arrivons déjà à tenir un budget et à le sanctuariser, et cela en soi est déjà une grande satisfaction. La demande de culture augmente beaucoup, c'est un phénomène fantastique dans tout le pays. C'est le fruit du travail accompli depuis Malraux, mais aussi de la gratuité par exemple, et de tous nos efforts. Il faut trouver des solutions pour répondre à cette demande de la manière la plus satisfaisante possible.
S'agissant des marges du spectacle vivant, début janvier, nous aurons des propositions à faire pour infléchir la situation dans un sens favorable.
Les transferts de crédits en direction du CNC ont pour but de lui permettre d'assumer la charge de la FEMIS, une des meilleures écoles de cinéma au monde. Elle est désormais placée sous l'égide du CNC, ce qui paraît plus logique que le système antérieur. Il en est de même pour la cinémathèque, animée par Costa Gavras et dirigée par Serge Tubiana, qui propose des rétrospectives cinématographiques remarquables. Elle est aussi désormais placée sous la tutelle du CNC, lui-même sous la tutelle du ministère. C'est un fonctionnement plus logique.
Quant aux éventuelles dépenses du CNC épinglées par La Tribune, il me revient de préciser que le CNC assure lui-même la collecte de ses fonds, telle peut être la raison des interrogations de ce journal sur la manière d'évaluer les choses. Par le passé, je n'ai jamais constaté de dépenses somptuaires. Jusqu'il y a quatre ans, je me rendais très souvent au CNC, notamment en tant que président de la commission d'avances sur recettes, et j'ai souvent remarqué que la moquette était fatiguée, que les micros tombaient en panne. J'avais plutôt le sentiment d'une très bonne économie domestique du CNC.
Le CNC est en train de vivre en première ligne la révolution culturelle que nous constatons sur le front de la numérisation des salles. Certaines le font toutes seules, d'autres ont besoin du CNC. La participation du CNC à d'innombrables opérations de numérisation du patrimoine cinématographique explique sans doute que l'évaluation a besoin d'être optimisée au départ pour éviter toute surprise.
Nous avons réinstallé le cinéma au niveau de l'année 1967. Cette année, les chiffres de fréquentation vont être très proches de ceux de l'an dernier. Les incroyables démarrages de films de cette fin d'année, notamment le film Intouchables qui a déjà réalisé trois millions d'entrées en trois semaines, sont révélatrices de la puissance du cinéma comme vecteur culturel dans notre pays. Je tiens à rendre hommage aux exploitants de salle qui ont entrepris une véritable révolution en termes de modalités de paiement et de réservation, de confort des salles et de projection... Parfois lorsqu'il y a des enjeux très forts dans notre pays, les gens se mobilisent et y arrivent très bien, à l'exemple de ce qui s'est passé pour la TNT.
Les écoles nationales d'art qui relèvent du ministère de la culture sont au nombre de 115, dont 40 établissements publics nationaux et 70 sous statut d'EPCC. Le mouvement de regroupement des écoles d'enseignement supérieur et leur transformation en EPCC en particulier dans les arts plastiques et le spectacle vivant se poursuit. La répartition des EPCC est la suivante : 31 pour les arts plastiques, 37 pour le spectacle vivant, 22 pour la formation des interprètes et 15 pour la formation des enseignants.
Madame Cukierman, nous nous rejoignons fortement sur la photographie. J'aime la photographie en tant que citoyen et ministre. Je considère que c'est un vecteur indispensable, une pratique démocratique, un art. C'est aussi le photojournalisme qui est très important et menacé à notre époque par toutes sortes de pratiques différentes. La photographie représente un patrimoine considérable dont nous disposons. Lorsque je suis arrivé au ministère, elle était répartie partout. Heureusement il y avait une personnalité extraordinaire, Mme de Gouvion-Saint-Cyr, qui s'occupait de ce domaine au sein du ministère. Elle a pris sa retraite et j'ai mis en place une nouvelle organisation : une mission photo qui concentre les institutions et les informations de chacun des trois départements ministériels et du secrétariat général.
Un travail considérable est en cours sur la numérisation du patrimoine et l'accueil des collections. Je me pose certaines questions. Par exemple, que va devenir, le jour le plus tardif, le fonds Cartier-Bresson après la disparition de son épouse ? Nous sommes très attentifs à toutes ces problématiques. A cet égard, Paris Photo a été un très bon exemple de la fantastique vitalité de la photographie dans notre pays et dans le monde en général.
Nous avons récupéré une des annexes du Carré Richelieu, l'hôtel de Nevers, construit sous Mazarin, ce qui nous permettra de disposer d'un millier de mètres carrés pour avoir, en plus du Jeu de Paume et sous la direction de Mme Marta Gili, une salle d'exposition permanente du patrimoine photographique de l'État, sorte de pendant de la Maison européenne de la photographie. Ce nouveau lieu ne va pas coûter très cher et fera plaisir à tous les amoureux de la photographie.
Les mesures en faveur des arts plastiques concernent d'abord le soutien aux Fonds régionaux d'art contemporain (FRAC) avec l'ouverture prochaine de deux établissements. A l'origine, il n'était pas prévu que chaque FRAC ait vocation à devenir une sorte de musée d'art contemporain. Au départ, il s'agissait de constituer une collection d'art contemporain. Que de fois ai-je entendu de la part d'élus : mon FRAC, il faut maintenant qu'il devienne un lieu d'exposition ! Évidemment, c'est normal. Les élus ont envie de montrer ces collections, et le public de les voir. Les FRAC fonctionnent souvent à côté d'une école d'art. Cette demande va dans le sens du temps et des arts plastiques. Je continue d'appuyer l'action des FRAC lorsqu'elle va dans le bon sens.
J'ai annoncé début octobre un plan de quatorze mesures en faveur des arts plastiques. Un des points les plus importants est d'avoir introduit les mécanismes de l'IFCIC (Institut de financement du cinéma et des industries culturelles) qui permet d'assurer une trésorerie aux projets de galeristes ou de jeunes artistes débutants à laquelle ils n'avaient pas accès pour l'instant.
En ce qui concerne la culture partagée, pour l'instant, il n'y a que trois millions d'euros en plus. Je travaille beaucoup en faveur du mécénat. J'ai créé un fonds de dotation qui ne rend pas assez encore.
Les associations ont besoin d'un soutien pérenne. Elles ont besoin de s'assurer que les fonds accordés le sont sous la forme de convention de longue durée. C'est pourquoi nous avons multiplié les conventions territoriales, notamment dans les zones rurales, qui intègrent dans chacun des territoires un certain nombre d'associations de manière à ce qu'elles puissent être sûres que pendant trois ans elles bénéficient des soutiens dont elles ont besoin.
Si le cinéma français a réussi à rester un des meilleurs du monde sur le plan de la qualité et de l'industrie avec une capacité d'entraînement considérable, c'est parce qu'il disposait de son propre système. La légitimité des taxes affectées au CNC est la clef même du fonctionnement du cinéma français. Si on envisage de leur prendre une petite partie de leurs ressources, en économie domestique, cela semble normal mais en légitimité, c'est un véritable danger. Heureusement la profession cinématographique est très bien organisée, le CNC a une capacité d'anticorps très forte et le ministre a une habitude du cinéma telle que ce principe de légitimité ne se pose pas.
Le dispositif de crédit d'impôt pour le cinéma est favorable, mais moins que celui adopté par d'autres pays européens comme vous l'avez signalé. Mes interlocuteurs ont d'autres préoccupations en ce moment. Il appartient aux réalisateurs étrangers qui sont en France de se faire le relais de cette préoccupation. Ils ont plus de poids que la parole du ministre. S'agissant du crédit d'impôt pour le cinéma international, le délai d'agrément est allongé de douze à vingt-quatre mois afin de mieux prendre en compte la spécificité du secteur.
Sur le livre numérique et le principe d'extraterritorialité, je n'ai pas encore eu de retour de Bruxelles.