Intervention de Vincent Eblé

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission culture - examen des rapports pour avis

Photo de Vincent EbléVincent Eblé, rapporteur pour avis sur les crédits « Patrimoines » :

Le programme 175, que j'ai eu la charge d'examiner, concerne les crédits de la mission Culture destinés à toutes les formes de patrimoines. Il connaît une stabilisation des crédits de paiement à 870 millions d'euros, tandis que les autorisations d'engagement diminuent de 4,1 % avec un montant de 813 millions demandés pour 2012. Si l'enveloppe budgétaire paraît relativement stabilisée, je souhaiterais néanmoins souligner les préoccupations majeures qui doivent sous-tendre l'analyse de ces crédits.

Le premier point inquiétant relève des arbitrages réalisés par le gouvernement en faveur des « grands projets » tels que le Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MUCEM) ou la Maison de l'Histoire de France. Ceux-ci semblent en quelque sorte « aspirer » les crédits, peut-être au détriment d'un accompagnement plus efficace des autres axes de la politique patrimoniale. Cela est vrai pour le patrimoine monumental dont les autorisations d'engagement chutent de 30 millions d'euros. Quelle sera alors la stratégie du gouvernement au-delà de 2012 ? Cette diminution ne constitue-t-elle pas un mauvais signal pour le patrimoine ?

Ensuite, la charge croissante pesant sur les collectivités territoriales constitue évidemment un obstacle à la mise en oeuvre de la politique patrimoniale. Cela est particulièrement vrai avec la nouvelle responsabilité de la maîtrise d'ouvrage, qui les laisse démunies avec une assistance insuffisante, tout au moins les plus petites d'entre elles. Or plus de 50 % des monuments historiques sont des propriétés de communes. Les arbitrages financiers douloureux auxquels les collectivités sont contraintes, par les effets combinés de la réforme de leurs recettes et de transferts de charges en provenance de l'État, incomplètement compensées par celui-ci, se font au détriment des politiques facultatives au premier rang desquelles figurent les politiques patrimoniales. Concernant la question des efforts de l'État en direction des musées territoriaux je m'inquiète car l'effort de l'État ne doit pas se résumer à une intervention budgétaire ponctuelle comme le Plan musées-régions qui prévoit 70 millions d'euros sur trois ans pour 79 établissements : elle doit aussi prendre en compte les difficultés notamment soulignées par l'Association générale des conservateurs de collections publiques dans son « Livre blanc des musées de France » : démographie du corps des conservateurs, moyens insuffisants pour assurer des missions de base, risque d'un système à deux vitesses, entre de très grands établissements aux résultats brillants, d'un côté et, de l'autre, des musées plus modestes qui peinent à survivre avec très peu de visiteurs. Ces inquiétudes sont d'ailleurs relayées par la Cour des comptes qui, dans un rapport de mars 2011, décrit une « politique nationale de plus en plus parisienne » et une « double marginalisation des Français de province ».

De ces deux tendances découle une accentuation des inégalités entre territoires et un risque de « balkanisation » de la politique en faveur des patrimoines.

En ce qui concerne l'archéologie préventive, j'indique qu'aucun crédit n'est prévu pour l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), même si 20 millions d'euros devraient être débloqués en fin d'année. L'État poursuit donc son soutien sur le mode des « sauvetages financiers » (plus de 150 millions au total), opérés ces dernières années pour compenser le déficit de financement de l'archéologie préventive, dû au rendement insuffisant de la redevance d'archéologie préventive (RAP). Comme le rappelaient Yves Dauge et Pierre Bordier en juillet dernier, cette situation critique est préjudiciable à la mise en oeuvre de la politique publique. En effet, elle entraîne des retards dans la conduite des diagnostics et des chantiers de fouilles menées par l'Inrap, et pèse ensuite fortement sur la conduite des autres missions de l'établissement, au premier rang desquelles figurent la recherche et la valorisation scientifique. Une réforme de la RAP est annoncée pour le prochain collectif budgétaire, et nous y serons particulièrement attentifs.

Mon rapport aborde également la question du malaise social qui caractérise plusieurs opérateurs culturels tels que le musée d'Orsay, le Centre des musées nationaux (CMN) ou la Maison de l'Histoire de France. Si les origines des tensions diffèrent d'un établissement à un autre, ce malaise nous oblige à nous interroger à la fois sur la transparence des décisions de l'État mais aussi sur la stratégie qui consiste à réduire les effectifs tout en incitant à développer la fréquentation. En outre devrait-on prendre en compte l'autonomie grandissante des établissements culturels dont la Cour des comptes a rappelé qu'elle n'était pas un gage d'efficience et qu'elle affaiblissait le pilotage de la politique muséale par le ministère de la culture.

Un mot enfin sur le patrimoine mondial qui demeure le grand oublié du programme « Patrimoines ». Même si la notion n'est pas encore inscrite en droit positif, les 37 sites français constituent une réalité et l'État doit dégager des moyens pour montrer qu'il assume sa responsabilité engagée en application de la convention Unesco de 1972.

En conclusion, je vous propose de rendre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture ».

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