Intervention de Jean-Pierre Leleux

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission culture - examen des rapports pour avis

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux, rapporteur pour avis des crédits « Cinéma » :

Mes chers collègues, je vous propose de commencer par les bonnes nouvelles du secteur du cinéma, avant d'évoquer les sujets plus difficiles.

Quelles sont ces bonnes nouvelles ? La production cinématographique bat un nouveau record historique : avec 261 films agréés en 2010 (13,5 % de plus qu'en 2009). S'agissant de la fréquentation des salles, nous n'avons pas connu cela depuis 1967 ! En 2010, le record de 206 millions d'entrées a été franchi. Et en 2011, pour la troisième année consécutive, le seuil des 200 millions de personnes ayant vu un film dans une salle de cinéma devrait être franchi. La part du cinéma français est très élevée par rapport à la plupart des autres pays, même si elle a eu tendance à se tasser un peu en 2010. Enfin, le nombre d'écrans continue à croître : 5 465 en 2010, soit + 4,7 % depuis 2001.

Cependant, le nombre d'exploitations cinématographiques, lui, diminue, - 5,5 % sur la même période, en raison notamment de la poursuite de la concentration du secteur. Cette évolution préoccupe les élus, dont je fais partie. C'est pourquoi je suis particulièrement attentif au soutien à la modernisation des petites exploitations, notamment classées « art et essai ».

A cet égard, en tant que membre du comité de suivi parlementaire chargé d'évaluer l'application de la loi du 30 septembre 2010 relative à l'équipement numérique des salles, je crois que nous pouvons en être globalement satisfaits. Je vous rappelle que cette loi impose le principe du paiement de contributions des distributeurs de films et autres utilisateurs de l'équipement numérique, aux exploitants de salles. Elle garantit que les conditions de négociation de ces contributions et de fixation de leurs montants ne nuisent ni à la liberté de programmation des exploitants, ni à la maîtrise des plans de sortie des distributeurs.

Si quelques difficultés ont pu être exprimées, les négociations entre distributeurs et exploitants ont néanmoins été facilitées par les recommandations de bonnes pratiques émises par le comité de concertation instauré par la loi.

Je relève néanmoins que les distributeurs et exploitants de taille moyenne ou petite ont rencontré davantage de difficultés que les autres, même si elles semblent s'être considérablement atténuées depuis juin 2011. Mon attention a été attirée sur l'importance des différentiels de contributions demandés par certains distributeurs, selon la taille des exploitations. Je rappelle que le Médiateur du cinéma peut être saisi de tout différend dans ce domaine.

Il convient d'être particulièrement vigilant sur les conditions d'accès de ces petites salles aux films, y compris aux films chimiques, qui représentent encore la majorité des films. A cet égard, l'Agence pour le développement régional du cinéma (ADRC) devra continuer à jouer pleinement son rôle.

Par ailleurs, les plus petites exploitations (3 écrans maximum) bénéficient d'une aide spécifique mise en place par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Début septembre 2011, cette aide avait déjà bénéficié à près de 245 établissements, soit 331 salles. Les régions - et quelques départements - se sont également fortement impliqués dans ce soutien.

Je suis préoccupé par deux catégories spécifiques, pour lesquelles des solutions sont à l'étude : les établissements « peu actifs » et les circuits itinérants, qui devront faire l'objet d'aides spécifiques. Je propose d'interroger le ministre sur ce sujet, compte tenu de l'irrigation culturelle de nos territoires que permettent ces types d'exploitation cinématographique.

Au total, en septembre 2011, 3 191 écrans cinématographiques étaient équipés pour la projection numérique, soit 58 % de l'ensemble des écrans actifs sur le territoire national. Je me réjouis de la rapidité avec laquelle notre parc de salles s'équipe en écrans numériques, limitant ainsi la durée de la transition technologique et faisant de la France le pays le mieux équipé d'Europe.

A cet égard, je salue l'implication du CNC qui a pleinement joué son rôle.

Avec le « plan numérisation » 2010-2015, qui concerne les salles mais aussi les oeuvres patrimoniales, les missions et charges qu'il assume s'accroissent.

Depuis 2010, le CNC prend en charge, pour le compte de l'État, un nombre croissant d'actions auparavant financées par des crédits de la mission « Culture » du budget du ministère, dans le cadre de ce qu'il faut bien appeler une « débudgétisation ».

En outre, en 2012, il financera non plus la moitié, mais la totalité de la subvention allouée à la Cinémathèque française, la subvention à l'École nationale supérieure des métiers de l'image et du son (ENSMIS), des actions en faveur du cinéma en région, auparavant financées par des crédits déconcentrés aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC).

Au total, 21,15 millions d'euros de charges seront ainsi transférés du budget de l'État vers le fonds de soutien en 2012 au titre du cinéma.

En outre, les dépenses devraient augmenter au titre de l'ensemble des soutiens, en raison notamment d'une réforme du soutien automatique à la distribution cinématographique destinée à renforcer ce maillon essentiel de la filière, de la nécessaire mise en place d'un soutien automatique à la vidéo à la demande, en vue de renforcer l'offre légale, de la création d'un nouveau dispositif sélectif dénommé « aide aux Cinémas du monde » ainsi que d'un renforcement des soutiens à la musique originale de films.

Pourtant, le CNC évalue l'ensemble de ses dépenses pour 2012 à 700,8 millions d'euros, contre 749,8 millions en 2011, soit une baisse de 6,5 %.

Ceci s'explique par l'inscription de seulement 6,4 millions d'euros au titre du plan numérique, que je viens d'évoquer, contre 102,3 en 2011.

En effet, la réserve numérique constituée au bilan de l'établissement depuis 2009 lui permettra de mobiliser les moyens nécessaires au rythme de déploiement de ce plan pluriannuel. D'après les informations qui m'ont été transmises, cette réserve est d'un montant de 215 millions d'euros au 31 décembre 2010, sur laquelle pourraient être prélevés 136 millions d'euros en 2012, sous réserve bien entendu de l'accord du conseil d'administration de l'établissement.

Le plan numérique devrait donc être financé dans son intégralité en 2012. Cependant, il conviendra de veiller à ce que les ressources du CNC pour les années suivantes permettent d'en assumer le financement jusqu'à son terme. Fin 2012, quasiment la totalité des petites salles auront été équipées de projecteurs numériques. En revanche, la numérisation des oeuvres sera en cours.

S'agissant des ressources du CNC, elles proviennent pour l'essentiel du produit de taxes affectées, prélevées sur les diffuseurs de films - exploitants de cinéma, chaînes de télévision, fournisseurs d'accès à Internet, diffuseurs de vidéo... - en vue d'alimenter le compte de soutien aux professionnels du secteur.

Ces taxes ont été créées et adaptées, dans leur assiette et leur taux, au fur et à mesure des évolutions technologiques et des marchés concernés. Leur montant total pour 2011 est estimé à près de 750 millions d'euros.

Au total, les recettes du CNC ont progressé de 54,6 % en 7 ans.

Mais la réforme de l'une de ces taxes s'imposait : la taxe sur les services de télévision (TST) dans son volet « distributeurs », dans la mesure où un fournisseur d'accès à Internet a adopté une stratégie d'optimisation fiscale qui, si elle s'était généralisée, aurait entraîné un moindre rendement de cette taxe de 140 millions d'euros...

A cette fin, l'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement ; l'article 5 bis introduit dans le projet de loi de finances doit ainsi permettre de mettre fin à ces comportements et de sécuriser la TST.

Le champ de l'assiette est élargi et clarifié ; il comprend toute offre permettant d'accéder à des services de télévision ; ce point fait consensus. En contrepartie, le barème de la taxe est allégé et simplifié.

Le produit résultant de ce barème a été présenté comme devant être identique à celui perçu en 2010, soit 190 millions d'euros pour les seuls fournisseurs d'accès à Internet.

En revanche, un autre amendement gouvernemental adopté par nos collègues députés est loin de faire consensus, et c'est un euphémisme. Il s'agit de l'article 16 ter du PLF, qui a pour effet de plafonner le produit de chacune des taxes affectées au CNC, dans le but de limiter ses ressources à 700 millions d'euros, le surplus étant reversé au budget de l'État.

Cette démarche a été dénoncée par tous les professionnels du secteur, qui craignent un grave risque de fragilisation de l'ensemble du dispositif, pourtant efficace et vertueux, de soutien public au cinéma et à l'audiovisuel.

En effet, elle emporte un fort risque de fragilisation des soutiens automatiques, fondés sur une redistribution mécanique et mutualiste des recettes générées par les oeuvres aux fins de réinvestissement. Je vous renvoie à mon rapport écrit pour le détail des arguments.

Certes, cet article 16 ter s'inscrit dans la démarche globale de plafonnement du produit des taxes affectées aux opérateurs de l'État à partir de 2012, dans le double objectif de les soumettre à l'effort de maîtrise des finances publiques et de réintégrer dans le champ de l'autorisation parlementaire annuelle le niveau des taxes qui leur sont affectées, ainsi que l'a recommandé le rapport d'information de la mission d'évaluation et de contrôle (MEC), transpartisane, de l'Assemblée nationale sur le « Financement de la culture : budget de l'État ou taxes affectées ? ».

Cependant, les modalités retenues sont inappropriées au fonctionnement du fonds de soutien du CNC, comme je viens de le dire. Le Président de la République en est d'ailleurs lui-même convenu et le Gouvernement a fait savoir qu'il déposerait un amendement rectificatif au Sénat, ce qui n'est pas encore le cas.

Pour ce qui me concerne, je vous proposerai d'adopter un amendement en vue de plafonner non pas chacune des taxes affectées mais exclusivement la part « distributeurs » de la taxe sur les services de télévision. En effet, celle-ci ne répond pas au même système de mutualisation et de redistribution que les autres, mais permet de faire participer ses contributeurs au financement de la production de « contenus culturels », dont ils ont impérativement besoin pour alimenter leurs « tuyaux ».

Il me semble que notre commission remplirait parfaitement son rôle en adoptant aujourd'hui un amendement en ce sens. Nous respecterions ainsi les convictions partagées par une large majorité d'entre nous, quelque soient nos sensibilités politiques.

Je vous propose de limiter l'application de la mesure à l'année 2012, afin :

- d'une part, de ne pas risquer d'affaiblir le dispositif à l'égard de la Commission européenne, ceci d'autant plus que le produit des taxes pourrait s'avérer supérieur à celui évalué au moment de l'élaboration du budget prévisionnel du CNC pour 2012. Je vous renvoie à mon rapport écrit sur ce point ;

- d'autre part, le niveau du plafonnement serait maintenu.

Le surplus, évalué à 70 millions d'euros, sera reversé au budget de l'État. Je propose d'exprimer, au nom de notre commission, le voeu que ces fonds soient néanmoins alloués par l'État au secteur de la culture.

Au-delà de 2012, nous pourrions suggérer que le taux appliqué à cette taxe soit revu à la baisse, afin d'adapter son produit aux besoins du CNC. Les redevables de cette taxe (essentiellement les fournisseurs d'accès à Internet) pourraient alors être assujettis à une autre taxe, dont la création permettrait notamment de financer les organismes publics dédiés aux secteurs de la musique et du spectacle vivant.

Quant au cinéma, je rappelle qu'il bénéficie aussi d'autres sources de financement public, que j'évoque dans mon rapport écrit :

- les aides des régions : en 2010, les collectivités territoriales ont engagé 53,8 millions d'euros au titre de leur politique de soutien à la production cinématographique et audiovisuelle, dont 39,1 millions sur leur budget propre et 14,7 millions en provenance du CNC dans le cadre de conventions ;

- les SOFICA (sociétés pour le financement du cinéma et de l'audiovisuel) dédiées au cinéma : elles feront l'objet d'un nouveau « coup de rabot fiscal », ce que je regrette compte tenu de l'efficience reconnue du dispositif. En effet, dans le rapport de juin 2011 sur l'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, l'Inspection générale des finances lui a attribué une note d'efficience de 2, sur une échelle de 0 à 3 ;

- enfin, j'évoque longuement dans mon rapport écrit le crédit d'impôt national à la production cinématographique. Une récente étude comparative du CNC montre qu'il est devenu beaucoup moins attractif que certains autres pays voisins. D'après les informations qui m'on été transmises, le fait de porter son plafond de 1 à 1,8 million d'euros permettrait de décourager l'essentiel des délocalisations de tournages.

Je propose de demander au Gouvernement ses intentions dans ce domaine, compte tenu du caractère très efficient de cette mesure, y compris pour les finances publiques.

Ne pouvant prolonger davantage mon propos, je vous renvoie également à mon rapport écrit qui présente une synthèse du premier bilan d'activité de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Si l'on mesure un impact positif de la réponse graduée, nous savons aussi que certaines pratiques permettent de contourner la loi. Ces avancées en termes de pédagogie méritent néanmoins d'être saluées. Le volet « développement de l'offre légale » est bien entendu essentiel et encore insuffisant.

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