J'articulerai ma présentation en deux parties : une synthèse des conclusions de notre groupe de travail sur le spectacle vivant, le présent rapport donnant l'occasion de les diffuser, puis la présentation du budget consacré à l'action « Spectacle vivant » du programme « Création » de la mission « Culture ».
Le groupe de travail de notre commission sur le spectacle vivant, co-animé par notre collègue Jean Pierre Leleux et moi-même, s'est réuni régulièrement de janvier à juillet 2011, à l'occasion d'une vingtaine d'auditions et d'une table ronde avec des représentants du Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC). En outre, une délégation du groupe de travail a participé à différents débats organisés à l'occasion du Festival d'Avignon en juillet dernier et nous avons pu ainsi partager nos principales observations.
En premier lieu, il faut améliorer l'observation et la connaissance du secteur du spectacle vivant.
A cette fin, pouvoirs publics et professionnels travaillent à la création d'une plateforme d'observation (PFO). Cependant, beaucoup s'inquiètent du retard pris, la plupart des groupes de travail ayant vu leurs travaux suspendus. Je propose d'interroger le ministre sur ces retards.
En deuxième lieu, il faut répondre aux inquiétudes relatives au financement du secteur, dans un contexte structurel de raréfaction des ressources publiques, de l'État comme des collectivités territoriales, qui en assument les deux tiers du financement public. Dans le même temps, les attentes croissantes du public et la création de nouvelles structures viennent renforcer les besoins. Ce sujet a évidemment été largement évoqué au cours de nos auditions, de nombreux professionnels déplorant la dégradation de leurs marges artistiques.
Il nous faut coordonner avec davantage de cohérence les interventions des uns et des autres, clarifier les responsabilités, dans le dialogue et le respect mutuel.
Au-delà, comme vous le savez, des réflexions sont en cours sur l'affectation de ressources extrabudgétaires. M. Frédéric Mitterrand a confié, en juin dernier, une mission sur le financement du spectacle vivant à MM. Jean-Louis Martinelli, Adrien Hervé Metzger et Bernard Murat, qui devraient remettre leurs premières conclusions vers la mi-décembre.
On peut toutefois regretter le retard avec lequel s'est mise en place cette mission. Il aurait sans doute été préférable que ses travaux soient mieux coordonnés avec ceux de la mission relative au financement du secteur musical, d'autant que le recoupement est important. Elle a abouti à la création du Centre national de la musique. Je propose d'interroger le ministre sur son analyse quant aux perspectives de création d'un éventuel fonds de soutien bénéficiant à la fois à la musique enregistrée, au spectacle musical et au spectacle vivant non musical.
De façon plus générale, je vous propose d'exprimer aussi nos préoccupations quant à l'appréhension par les institutions européennes de la question des aides d'État (avec la réforme du « paquet Monti-Kroes »).
En troisième lieu, il faut trouver les moyens d'un meilleur équilibre entre création et diffusion artistiques.
Les professionnels s'inquiètent d'un relatif effacement de l'artistique face aux demandes socioculturelles... En réalité, il y a un équilibre à trouver entre toutes les missions de service public des structures, ce qui s'avère plus difficile en période de contraintes budgétaires.
Priorité doit être donnée à la structuration des réseaux, avec les salles et les compagnies.
A cet égard, la politique de contractualisation entre l'État et les établissements est positive. Elle doit être incitative, vertueuse et faire l'objet d'une évaluation rigoureuse et partagée. Mais les collectivités territoriales devraient être davantage associées.
D'ailleurs, elles aussi mettent de plus en plus souvent en place des dispositifs incitatifs, en conditionnant leurs subventions au respect de critères de diffusion. Tel est d'ailleurs le cas dans mon département, le Finistère.
J'évoque également, dans mon rapport écrit, la nécessité de mieux valoriser à l'étranger le savoir-faire des professionnels français. Je pense notamment aux arts de la rue et du cirque, dont le langage spécifique est bien adapté à la circulation à l'étranger.
En quatrième lieu, notre groupe de travail s'est penché sur les questions du maillage culturel de la France et des politiques culturelles à l'échelle territoriale, ces dernières ayant fait l'objet de deux rapports récents, dont celui de M. Jérôme Bouet.
Il s'agit de trouver un équilibre entre Paris et les autres régions, et de développer une approche globale de la politique culturelle du territoire, au-delà d'une logique d'équipement.
Je vous rappelle que notre commission s'était prononcée en faveur de l'élaboration de schémas d'organisation des compétences et de mutualisation des services dans le domaine de la culture.
Dans ce contexte, il est utile que le Conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel (CCTDC) ait été réactivé. De même, le dialogue que notre commission a engagé avec la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture (FNCC) sera poursuivi.
Enfin, nous avons jugé nécessaire de légiférer pour lutter contre la vente illicite de billets pour les manifestations culturelles, ou sportives.
C'est pourquoi plusieurs membres de notre groupe de travail, de toutes sensibilités politiques, ont déposé ensemble une proposition de loi à cette fin. Un amendement sur cette question a cependant été adopté par l'Assemblée nationale sur le projet de loi « consommation », dans des termes qui ne semblent pas tout à fait convenir aux professionnels concernés. Nous serons attentifs lorsque ce texte sera examiné au Sénat.
J'en viens maintenant à la présentation des crédits consacrés à l'action n° 1 : « Spectacle vivant » du programme « Création » de la mission « Culture » pour 2012.
Cette action représente 90,5 % des crédits du programme, dont la seconde action, relative aux arts plastiques, sera présentée par Mme Cukierman.
Les crédits concernés s'établissent, avant transferts, à 665 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 719 millions d'euros en crédits de paiement (CP), soit une baisse de 2,37 % des AE et une hausse de 8,37 % des CP par rapport au projet de loi de fiances initial pour 2011, à structure constante.
Cette diminution des autorisations de programme me préoccupe, dans la mesure où elle pourrait limiter les capacités d'intervention du ministère dans les années à venir.
Par ailleurs, je relève que l'importante hausse des crédits de paiement sera pour l'essentiel absorbée par le projet de Philharmonie de Paris. Ses travaux ont été lancés en 2011 et 45 millions d'euros sont prévus à ce titre. Le projet absorbe ainsi près de 81 % des moyens nouveaux d'investissement.
Je vous rappelle que le coût global de l'opération est évalué à 336 millions d'euros, contre 203 millions en première estimation, financé à 45 % par l'État, 45 % par la Ville de Paris et 10 % par la région Île-de-France.
Sans doute fallait-il que notre pays se dote d'une infrastructure digne des grands pays industrialisés en la matière, mais comment a-t-on pu aboutir à un tel dépassement des devis et à une progression aussi chaotique du projet dans un contexte contraint ?
D'autres efforts particuliers sont consacrés au secteur musical.
L'Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique (IRCAM) relève désormais entièrement du programme « Création », pour plus de 5 millions d'euros d'investissement.
Surtout, de nouveaux lieux seront créés en faveur des musiques actuelles. En effet, en avril dernier, le ministre a annoncé sa volonté de porter de 70 à 100 le nombre de Scènes de musiques actuelles (labellisées SMAC), soit au moins une par département d'ici 2015, qu'il s'agisse d'une scène généraliste, ouverte à l'ensemble du champ des musiques actuelles, ou d'un projet en réseau.
2,4 millions d'euros sur trois ans seront consacrés au « plan SMAC » et le plancher minimal de subvention de l'État pour chaque SMAC sera de 75 000 euros.
J'insiste sur la nécessité de veiller à répondre aux réels besoins des territoires. Afin d'atteindre l'objectif consistant à améliorer la diffusion des musiques actuelles, il conviendra de prendre en compte la densité de la population et les spécificités territoriales, notamment dans le cadre des Schémas d'orientation des lieux musicaux (SOLIMA).
La rénovation d'autres structures de création ou de diffusion du spectacle vivant (scènes nationales, centres dramatiques nationaux) sera poursuivie.
Par ailleurs, le ministre a annoncé, le 8 juillet 2011, à Avignon, un « plan d'action en faveur du spectacle vivant » pour un montant de 12 millions d'euros de crédits d'intervention nouveaux sur trois ans, dont 3,5 millions pour 2012 (1,5 million en crédits centraux et 2 millions sur crédits déconcentrés).
L'objectif affiché est de renforcer le soutien de l'État à l'émergence des talents, améliorer la présence des artistes dans les réseaux et labels soutenus par l'État permettant ainsi une meilleure structuration de l'emploi, et affermir son aide au rayonnement international des artistes français.
Si je ne peux que partager les objectifs et thématiques de ce plan, et si j'ai conscience des contraintes budgétaires actuelles, ces crédits nouveaux me semblent cependant bien modestes. Ce plan a d'ailleurs déçu bien des professionnels...
Au total, les crédits de fonctionnement s'élèvent à 346,8 millions d'euros. 19 % sont des crédits centraux, soit 67 millions, en progression de 2,5 % ; l'essentiel est déconcentré au niveau des DRAC, avec 280 millions d'euros, en hausse de 0,7 %. Mais globalement, ces évolutions se traduisent par une diminution en euros constants.
L'objectif est d'accentuer l'effort en faveur des scènes de musiques actuelles et des scènes nationales et d'apporter les moyens nécessaires aux centres nationaux des arts de la rue (CNAR) et aux pôles nationaux des arts du cirque, qui sont devenus des « labels » du ministère en 2010. Selon ce dernier, des crédits seront également dégagés sur cette enveloppe pour renforcer le réseau des structures chorégraphiques tout en maintenant les marges artistiques des centres dramatiques nationaux (CDN). L'aide aux résidences est également renforcée, ce qui n'est pas le cas des aides à l'écriture.
Néanmoins, dans le domaine de la musique, l'effort louable en faveur des musiques actuelles s'accompagne d'une baisse des crédits alloués aux orchestres et ensembles musicaux ainsi qu'aux festivals. Il en est d'ailleurs de même pour les autres types de festivals, l'ensemble de cette enveloppe diminuant de 858 000 euros de crédits, alors même que le nombre de festivals soutenus augmente et qu'ils ont un fort pouvoir d'irrigation culturelle des territoires.
Par ailleurs, mon attention a été attirée sur le redéploiement des crédits qui s'opère au bénéfice des compagnies non conventionnées mais au détriment des compagnies conventionnées. Un équilibre doit être trouvé entre soutien à l'émergence et aide dans la durée. Il n'est certes pas facile ; le risque est toujours de « déshabiller Pierre pour habiller Paul ».
Avec 276,4 millions d'euros au total, investissement et fonctionnement compris, les opérateurs nationaux disposeront de moyens équivalents à ceux de 2011 en euros courants, et donc en baisse en euros constants. C'est pourquoi je crains une nouvelle érosion des marges artistiques.
Ainsi, même si on observe une concentration croissante des crédits sur les opérateurs nationaux, des efforts leur seront demandés.
Cette tendance à la concentration risque de renforcer les difficultés enregistrées en région, compte tenu, en outre, des contraintes budgétaires qui s'imposent aux collectivités territoriales.
Autre sujet d'importance : les conséquences de l'amendement gouvernemental adopté par l'Assemblée nationale en vue de plafonner les ressources affectées aux opérateurs de l'État (article 16 ter du PLF).
Il concerne la taxe sur les spectacles assise sur les recettes de billetterie des 140 premières représentations. Cette taxe contribue au financement de deux organismes pour lesquels les plafonds de recettes à ce titre sont fixés à :
- 23 millions d'euros pour le Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV) ;
- 6,28 millions d'euros pour l'Association pour le soutien du théâtre privé (ASTP).
Par ailleurs, je signale que la subvention de l'État à cet organisme devrait stagner en 2012, à 3,5 millions d'euros, et que celle de la Ville de Paris a baissé de 9,2 % en 2011 ; elle approche 3 millions d'euros.
Cette disposition fragiliserait encore davantage cet établissement. Notre commission des finances a d'ailleurs adopté un amendement tendant, entre autres, à soustraire l'ASTP au plafonnement de l'article 16 ter, qui n'est pas un opérateur de l'État.
En revanche, le taux de TVA « super réduit » de 2,1 % sur les spectacles continuera de s'appliquer dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui.
En conclusion, je donnerai un avis défavorable à l'adoption des crédits consacrés à l'action n° 1 « Spectacle vivant » du programme « Création » de la mission « Culture » pour 2012.