Intervention de David Assouline

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 novembre 2011 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission médias livre et industries culturelles - programmes audiovisuel et presse et audiovisuel extérieur - examen des rapports pour avis

Photo de David AssoulineDavid Assouline, rapporteur pour avis des crédits « Audiovisuel et presse » :

Lors des débats sur la loi du 5 mars 2009 relative au nouveau service public de la télévision, l'opposition parlementaire avait donné l'impression de jouer les Cassandre. Qu'avait-on dit exactement ?

- que la suppression de la publicité sur France Télévisions était irresponsable du point de vue financier et que son budget en serait affecté au premier coup de grisou économique. Mais le Gouvernement était alors convaincu de sa capacité à relancer la croissance ;

- qu'elle n'aurait aucun impact sur la qualité des programmes, tout simplement parce que celle-ci est liée aux obligations posées par décret dans le cahier des charges de la société. Par ailleurs la loi était très lacunaire en matière d'ambition éditoriale ;

- que la transformation en entreprise unique aurait un impact néfaste sur le groupe. En effet la mise en place d'un guichet unique pour les programmes risquait de peser sur la capacité du groupe à innover et à créer des programmes originaux ;

- que la création de taxes était juridiquement hasardeuse et que l'outil de financement de France Télévisions était la redevance ;

- enfin, que le nouveau mode de nomination des présidents de l'audiovisuel public nuirait à leur crédibilité.

Sur l'ensemble de ces points, nos prévisions se sont avérées exactes, voire parfois trop optimistes. Nous n'étions pas des Cassandre, mais des pythies. Car dans quelle situation se retrouve-t-on un peu moins de trois ans plus tard ?

Les deux taxes proposées par le Gouvernement ne valent plus grand chose. Celle sur le chiffre d'affaires publicitaire des chaînes privées a vu son taux raboté et ne rapporte rien. Celle sur les opérateurs télécoms est considérée comme contraire au droit communautaire par la Commission européenne. Le risque est majeur pour l'État de devoir rembourser les sommes perçues et je vous l'annonce : c'est une bombe à retardement pour le prochain gouvernement. Comment donc au final est financée la suppression de la publicité sur France Télévisions ? Par le creusement de la dette... Et je ne parle même pas de la question, totalement pendante, du financement de la suppression totale de la publicité, heureusement repoussée jusqu'en 2016 par notre commission.

Mais a-t-on au moins assisté à une amélioration des programmes ? On peut saluer les efforts accomplis par la nouvelle direction, mais Patrick de Carolis avait déjà bien amorcé le virage éditorial du groupe avant la suppression de la publicité. La réforme n'a donc pas eu d'impact réel.

Pendant ce temps, l'entreprise a connu des bouleversements majeurs, avec la centralisation des responsabilités sous l'ère Carolis puis une nouvelle décentralisation sous l'ère Pflimlin, dont les conséquences sont la mise en place d'une organisation confinant au casse-tête chinois. La grosse fusion a abouti à une grosse confusion.

J'ajouterai que les réformes majeures du global média ou de la mise en place d'une chaîne jeunesse sont encore en chantier. Comme Soeur Anne, je ne vois rien venir.

La raison en est probablement que le financement du groupe est incertain. Le COM de France Télévisions prévoyait une augmentation des crédits de 3,7 % en 2012, il apparaît que les coupes budgétaires prévues par le plan Fillon II empêcheront encore une fois le Gouvernement de tenir sa parole. Plus étonnant encore, un amendement adopté par la majorité de l'Assemblée nationale prévoit que les éventuelles surréalisations de la régie publicitaire de France Télévisions, supérieures aux recettes anticipées par le COM, seraient rendues à l'État. Voilà une incroyable source de démotivation pour la régie finalement taxée à 100 % sur la tranche supérieure de ses gains : on est bien loin du bouclier fiscal pour l'audiovisuel public. Je vous proposerai par conséquent une suppression de l'article rattaché adopté à l'Assemblée nationale.

Bref, trois ans après, France Télévisions est une entreprise largement fragilisée et le bilan de la réforme est très décevant.

Je tiens à souligner l'inquiétude réelle pesant sur le financement de la réforme votée en 2009 et la pérennité du service public de l'audiovisuel. Mais afin d'adopter une attitude constructive dans un contexte budgétaire difficile, je vous proposerai un amendement tendant à apporter 200 millions d'euros de recettes complémentaires via un simple élargissement de l'assiette de la contribution à l'audiovisuel public.

S'agissant des autres groupes de l'audiovisuel public, le Gouvernement n'a rien fait et le bilan est par conséquent plutôt positif. Leur situation est saine en raison du dynamisme de la redevance. La dotation allouée à Radio France s'élève normalement à environ 630 millions d'euros en hausse de 3,8 %, celle d'ARTE à 270 millions d'euros, soit une augmentation de 7,3 % et enfin celle de l'INA à 94 millions d'euros, soit + 2,1 %.

Radio France et Arte maintiennent le cap en matière d'innovation et de créativité éditoriale et nous pouvons saluer leur action.

La suppression de 20 millions d'euros de crédits sur le budget « Médias » dans le plan Fillon II devrait cependant totalement remettre en cause ces hausses. Il faut espérer que nous disposerons d'informations précises, car ces méthodes nous font à mon sens franchir les limites de la sincérité budgétaire et du respect dû au Parlement.

A cet égard, je m'étonne très fortement des pratiques répétées du Gouvernement qui semble se moquer éperdument du vote du Parlement. Je n'ai pas besoin de vous rappeler la suppression de la publicité sur France Télévisions, mise en oeuvre illégalement avant le vote du Parlement. Aujourd'hui, nous avons un CSA qui fait un appel à des candidatures pour attribuer des fréquences qui devraient pourtant être pré-affectées aux fameux canaux bonus que la majorité a votés en 2007. Le seul dépôt d'un projet de loi du Gouvernement sur l'abrogation des canaux bonus semble ainsi avoir force de loi. On se moque de nous et je le regrette.

J'évoquerai enfin par la voie d'un amendement la question de la cession des fréquences obtenues gratuitement. Il n'est en effet à mon sens pas acceptable que des groupes privés fassent des candidatures spéculatives sur des fréquences qu'ils revendent à prix d'or quelques années plus tard.

En ce qui concerne les crédits consentis à la presse, sans surprise, l'heure est à la diminution : le total des aides directes à la presse s'établit à 543 millions d'euros, soit une baisse de plus de 6 % par rapport à 2011. Certes, la mise en oeuvre du plan exceptionnel de soutien public à la presse promis à la suite des États généraux de la presse écrite est arrivée à son terme. Pour autant, le secteur de la presse demeure aujourd'hui toujours aussi vulnérable, et une baisse des aides conjuguée à l'accentuation de la crise cette année pourrait miner tous les efforts de modernisation conduits par les entreprises de presse au cours des trois dernières années.

Je m'interroge sur l'existence d'une véritable stratégie cohérente qui présiderait à l'évolution de ces aides. Je note ainsi que l'aide au portage diminue sensiblement, de près de 34 %, alors même que les quotidiens nationaux s'efforcent de développer le nombre de leurs titres portés et que les marges de progression sont encore importantes.

Dans le même temps, la diminution des aides à la modernisation se poursuit, de - 8 % en 2012, malgré la mise en place par le Gouvernement d'un fonds stratégique pour le développement de la presse dont le montant ronflant de 38 millions d'euros ne fait qu'occulter la baisse des autres aides à la modernisation. A cela, s'ajoute la baisse de l'aide aux quotidiens à faibles ressources publicitaires, qui s'adresse aux journaux d'opinion qui font vivre le pluralisme de notre presse et qui est passée de 13 millions d'euros en 2010 à un peu plus de 9 millions d'euros en 2012.

Contrairement aux annonces du Gouvernement qui entend réformer la gouvernance de nos dispositifs d'aides publiques à la presse afin d'en renforcer l'efficacité, les coupes budgétaires intervenant dans le PLF 2012 n'obéissent à aucune vision stratégique d'ensemble et ne tiennent pas compte des attentes du secteur.

Inutile de se gargariser de verser directement aux éditeurs près de 550 millions d'euros d'aides directes : lorsqu'elles ne font pas l'objet d'un saupoudrage qui les rend inopérantes, les aides directes sont alors distribuées de façon plus ou moins automatique aux mêmes titres et dans des conditions obscures et parfois sans réelles analyse prospective préalable. Aujourd'hui, si l'on veut véritablement accompagner la presse dans sa démarche de modernisation, c'est sur la fiscalité qu'il faut agir, en mettant un terme aux inégalités de traitement entre la presse imprimée et la presse numérique.

C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter un amendement visant à étendre à la presse en ligne le bénéfice du taux de TVA réduit de 2,1 %, jusqu'ici réservé à la presse imprimée, comme nous l'avons fait pour le livre numérique au nom du principe de neutralité technologique. Ce n'est certainement pas en consacrant à peine 20 millions d'euros en aides directes aux services de presse en ligne qu'on réussira à faire émerger un marché dynamique de la presse en ligne. Le seul moyen de ne plus systématiquement favoriser les acteurs existants et d'encourager l'émergence de nouveaux acteurs et d'initiatives diversifiées est d'agir sur la fiscalité dont l'application est neutre.

En ce qui concerne les abonnements de l'État à l'Agence France-Presse (AFP), ceux-ci s'établissent à 117,5 millions d'euros en 2012, conformément à la trajectoire inscrite dans le COM pour la période 2009-2013. Le retour à la sérénité et à la concertation s'impose, en vue de préserver aussi bien l'indépendance rédactionnelle de l'agence que sa santé financière. C'est pourquoi j'appelle à la plus grande transparence du Gouvernement et de la direction de l'AFP sur leurs échanges avec la Commission européenne, en particulier s'agissant des justifications sur le financement public des missions d'intérêt général assurées par l'AFP.

En matière de la presse, la réflexion ne saurait se réduire à une perspective strictement budgétaire. C'est la confiance des lecteurs dans la rigueur et l'honnêteté intellectuelles de leurs journaux et dans la déontologie du métier de journaliste qui conditionne leur fidélité et donc la bonne santé économique du secteur. Or, le Gouvernement n'a eu de cesse d'écarter les vraies questions de la reconnaissance juridique des rédactions et des conditions de leur indépendance, de la limitation de la concentration dans le secteur des médias ou encore des insuffisances flagrantes de la loi sur la protection du secret des sources des journalistes. L'immixtion insidieuse du pouvoir politique dans le travail d'investigation des journalistes constitue une violence insupportable à l'égard de l'indépendance de la presse, parfaitement inacceptable dans un État de droit.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à l'audiovisuel et à la presse de la mission « Médias » et du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».

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