L'histoire récente de l'Audiovisuel extérieur de la France (AEF) est celle d'un terrible gâchis.
La France a construit depuis 30 ans une politique en matière d'audiovisuel extérieur visant à renforcer son influence dans le monde par le rayonnement de sa pensée, de sa culture et de sa langue :
- Radio France Internationale (RFI), tout d'abord, radio polyglotte, dont le rattachement institutionnel a souvent varié au cours du temps, a su construire une identité et conquérir une large audience, notamment en Afrique ;
- TV5 Monde, chaîne multilatérale créée dans les années 1980, a également su séduire un public francophile et francophone dans le monde entier ;
- et la dernière née France 24, chaîne d'information internationale diffusant en trois langues a enfin été lancée en 2006, avec l'ambition de devenir la « CNN à la française ». Si elle n'y est clairement pas parvenue, elle a néanmoins su se développer rapidement et être diffusée dans de très nombreux pays, en français, en anglais, et en arabe.
Votre rapporteure considère que l'existence de trois structures différentes au service de notre action culturelle extérieure constitue indéniablement un atout mais appelle aussi des réponses à trois problématiques :
- celle de la coexistence de ces médias complémentaires, mais aussi potentiellement concurrents ;
- celle de leur gouvernance, avec le défi de faire vivre des médias libres et indépendants au service de notre politique extérieure ;
- et celle de leur financement dans un contexte international très concurrentiel.
Sur ces trois points, je considère que les gouvernements qui se sont succédé depuis bientôt cinq ans ont échoué. Le budget 2012 de l'audiovisuel extérieur de la France en est la preuve.
La réforme mise en place depuis 2008, avec la création de la société de l'audiovisuel extérieur de la France (AEF), holding réunissant RFI, TV5 Monde et France 24, loin d'améliorer la cohérence de la politique audiovisuelle extérieure de la France et la lisibilité de ses orientations stratégiques a au contraire affaibli chacun de ses acteurs.
Loin de constituer un giron accueillant, protecteur et dynamique, elle a engendré des déchirements, des luttes et des scandales à répétition qui ont au final très fortement hypothéqué l'avenir de notre diplomatie audiovisuelle : RFI n'a jamais connu autant de grèves et le fossé entre la direction et les équipes de la radio est béant, TV5 Monde, chaîne multilatérale, s'est sentie délaissée, souvent à raison, et accepte mal ce mariage forcé avec l'AEF, et France 24, l'enfant préféré, semble quant à elle être au bord de l'implosion.
Premier constat, la coexistence des trois médias dans une entité unique n'a pas réussi. Je considère en effet que l'AEF n'est pas parvenue à porter un projet commun clair et ambitieux. Elle a en fait plutôt eu tendance à privilégier France 24, dont les crédits ont régulièrement augmenté sans que sa réussite ne soit démontrée, en raison du manque de fiabilité des mesures d'audience. En revanche, RFI et TV5 Monde ont été les parents pauvres de la holding avec des diminutions de crédits et un plan social très sévère pour RFI.
Deuxième constat, le mode de gouvernance a échoué. Depuis sa création, l'AEF n'est pas parvenue à se mettre d'accord avec l'État sur sa trajectoire financière et n'a donc pas conclu de contrat d'objectifs et de moyens, en toute illégalité, et au mépris des parlementaires. Pendant ce temps, la tutelle a été tout simplement fantomatique : elle a laissé se dégrader la situation consternante que l'on a connue au sein du groupe avec des démissions, des licenciements à répétition et une guerre des chefs. Son manque d'implication a été tel que le Gouvernement a dû missionner l'Inspection générale des finances afin de faire le jour sur la situation financière réelle de l'AEF et la pertinence de ses choix. Point n'est besoin de vous dire que les conclusions de la mission, rendues publiques la semaine dernière, sont préoccupantes : constats d'irrégularités dans la passation de certains contrats, stratégie de développement floue et peu convaincante, dérive financière du groupe...
Troisième point donc, le financement : celui-ci s'est clairement avéré insuffisant pour faire vivre harmonieusement les trois structures.
L'État français ne s'est pas donné les moyens de ses ambitions et un doute sérieux plane sur la capacité des différents acteurs à effectuer leur mission. L'Inspection générale des finances (IGF), dans son étude détaillée, a ainsi fait apparaître une zone d'incertitude budgétaire de près de 55 millions d'euros pour la période 2011-2013.
Après avoir fait ce constat navrant, la question qui se pose est celle de l'avenir de l'audiovisuel extérieur de la France.
Contrairement au souhait exprimé par le président de l'AEF, la dotation globale diminue de 12,3 millions dans le budget 2012, soit une baisse des crédits de 3,8 %. Cette diminution des crédits serait rendue possible grâce aux synergies liées au projet de fusion.
Le constat de l'Inspection générale des finances est formel : l'impact des synergies sera limité, surtout en 2012.
Or le projet de fusion, dont l'impact sera limité, est mené au forceps par la direction et crée une tension très forte chez l'ensemble des personnels rencontrés.
Prenons l'exemple symptomatique du déménagement de RFI. Deux arguments ont été évoqués afin de justifier le déménagement de RFI à proximité de France 24 :
- les économies budgétaires réalisées en matière de loyers grâce au talent de négociation de la direction ;
- et la logique naturelle de rapprochement des équipes amenées à travailler ensemble dans le cadre d'une entreprise unique.
Le premier argument ne tient pas.
Ainsi, selon les calculs de la mission de l'IGF, le déménagement ne se traduira pas par des économies de loyers de 0,9 million d'euros par an, mais au contraire par des surcoûts de 0,5 million d'euros par an. La décision de prendre à bail un plateau supplémentaire de 1 000 m² pourrait porter ces surcoûts à 1 million d'euros par an. Le personnel conteste même la viabilité du bâtiment.
Par ailleurs, le déménagement lui-même aura un coût, qui s'établirait en prévisionnel à 25 millions d'euros selon le rapport IGF, lequel pourrait même être majoré en cas de problème !
Le second argument du rapprochement des équipes est pleinement légitime, mais ne trouve aucune réalité concrète. En effet le nouveau bâtiment sera dédié uniquement à RFI, en contradiction totale avec l'idée de l'entreprise unique de réunir les rédactions de France 24 et de RFI ou leurs personnels techniques.
Bref, ce projet de déménagement est à la fois coûteux et démobilisateur pour les personnels mais est poursuivi parce qu'il marquerait symboliquement le rapprochement des équipes de l'AEF.
D'autres exemples relatifs au plan social envisagé ou encore au coût de l'harmonisation des conventions collectives démontrent encore l'incapacité de l'AEF à définir un projet d'entreprise intéressant et motivant. Ces points sont développés dans le rapport.
Ces interrogations posent à mon sens la question fondamentale de l'avenir de l'AEF : le feuilleton à rebondissements peut-il finir par un « happy end » ou doit-il aboutir à une séparation de ses membres ?
Cette question est aujourd'hui pleinement légitime. Je vous avoue être extrêmement sceptique sur le projet de fusion d'une télévision et d'une radio. Le projet de la holding n'est en outre pas enthousiasmant : même un site Internet commun aux trois structures n'a pas été correctement mis en place.
On est en train d'assister à un mariage forcé entre les trois grands acteurs de notre audiovisuel extérieur et j'ai la conviction qu'avec ce projet de fusion on risque de lâcher la proie, qui est notre rayonnement culturel international, pour l'ombre, à savoir des économies budgétaires improbables et très limitées.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits relatifs à l'audiovisuel extérieur dans la mission « Médias » et le compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».
En conclusion, je vous signale enfin que le rapport contient également des pistes alternatives relatives à l'avenir de RFI, France 24 et TV5. Un rapprochement partenarial de RFI et France 24 avec respectivement Radio France et France Télévisions est envisagé. La réflexion sur TV5 Monde doit quant à elle être engagée avec nos partenaires, mais il me semble qu'il s'agit d'un outil qui fonctionne déjà plutôt bien de manière autonome.