Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Président de la République, en souhaitant qu'un grand débat ait lieu sur l'école, a répondu à l'aspiration d'un grand nombre de nos concitoyens. Il leur a donné la parole ; ce fut un véritable exercice de démocratie directe lorsque un million de nos concitoyens ont pu s'exprimer pour dire ce qu'ils attendaient de l'école et comment ils envisageaient son adaptation aux besoins nouveaux de notre société.
Pour ma part - j'ose le dire -, je suis très heureuse et fière d'avoir participé aux travaux de la commission Thélot qui, en quelque sorte, a balisé le terrain de notre réflexion sur l'école.
Oui, monsieur le ministre, votre projet de loi prépare, pour l'essentiel, l'école des quinze années à venir, avec l'ambition louable d'élever le niveau général de connaissances et le taux de diplômés, et d'attaquer les plaies ouvertes de notre système scolaire : beaucoup trop de jeunes enfants manquant de bases fondamentales, un brevet des collèges démonétisé, des instituts de formation des maîtres souvent inadaptés parce que trop théoriques, etc.
Le coeur de vos propositions permettra à l'école, j'en suis persuadée, d'amener tous les élèves à la réussite, quels que soient leurs talents.
Parmi les nombreux aspects du projet de loi dont la finalité louable est de débloquer l'ascenseur républicain et de sortir d'un élitisme intellectuellement séduisant mais socialement désastreux, je m'attacherai à développer deux points qui, entre autres, reflètent les propos qui ont été recueillis au cours du grand débat : la maîtrise des fondamentaux par un meilleur apprentissage de la lecture et les missions de l'école à l'heure d'une Europe toujours plus présente.
Peut-on, aujourd'hui, se satisfaire du fait que 10 % à 15 % d'enfants ne sachent pas lire en quittant le cours préparatoire ? Peut-on se satisfaire du fait que 10 % des enfants sortent de l'école primaire en ne disposant que de 300 mots de vocabulaire à peine ? Comment expliquer que, dans notre société si bavarde, qui ne cesse de communiquer, il y ait encore tant de jeunes qui ne maîtrisent pas usuellement notre langue après douze années passées sur les bancs de l'école ?
S'agissant de la lecture, vous avez affirmé, monsieur le ministre, qu'elle était la « clef indispensable » pour tout le reste. Je me garderai bien de me prononcer sur les méthodes, dont vous avez d'ailleurs confié l'étude à d'éminents spécialistes. Nous en saurons sûrement davantage dans quelques semaines, quand ils vous remettront leur rapport.
Je me bornerai à poser la question suivante, au risque de me faire taxer de nostalgique de la pédagogie traditionnelle : où sont donc passés les manuels dans de nombreuses écoles primaires ?
Comment découvrir le plaisir du livre quand, dans le primaire, on vous distribue au coup par coup des photocopies plus ou moins bien collées dans des classeurs, bientôt froissées dans le cartable ?
Le manuel scolaire, c'est le premier livre que certains enfants ont la chance d'avoir entre les mains, car nombreux sont ceux qui n'en disposent pas à la maison. L'école leur donne donc l'occasion d'avoir un rapport concret avec la lecture. C'est cela aussi lutter contre les injustices sociales.
Le livre devient alors un outil de liberté, grâce auquel l'enfant développe son autonomie, sa curiosité intellectuelle. C'est aussi et surtout, pour le citoyen en devenir qu'il est, l'outil fondamental de connaissances dont il aura besoin pour discerner le monde social, culturel et politique dans lequel il vit.
On connaît bien évidemment les réticences de certains enseignants face aux manuels, qu'ils accusent d'être des « carcans » réduisant leur liberté pédagogique et amenuisant leur créativité : ce sont des doléances que nous avons largement entendues lors des débats.
Il ne s'agit pourtant pas d'accabler les enseignants, de plus en plus confrontés à l'hétérogénéité des classes, ni de les enfermer dans une pédagogie qu'ils n'auraient pas souhaitée. D'ailleurs, le texte que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, rappelle et insiste sur la liberté pédagogique de chacun des enseignants.
Bien entendu, à l'époque de l'informatique et du web, il faut aussi faire une large part aux outils de demain : je pense à la complémentarité du numérique.
La question des outils pédagogiques ne mériterait-elle pas d'être mieux intégrée dans le cursus des IUFM ? L'éducation nationale ne doit-elle pas aider les enseignants à choisir et à utiliser leurs outils en professionnels, par le biais de formations adaptées ? En effet, face à la profusion et à la diversité des supports qui sont à leur disposition, les enseignants peuvent parfois se sentir déconcertés.
Je souhaite maintenant, monsieur le ministre, que, dans notre réflexion, les missions de l'école se déclinent davantage à l'heure de l'Europe. Comment pourrions-nous, en effet, dissocier la mise en oeuvre de cette loi d'orientation de l'ouverture de l'Europe à de nouveaux membres ? Il faut reconnaître que, depuis une cinquantaine d'années, ont été enregistrées de réelles avancées communautaires, une progression des échanges et de l'équivalence des diplômes, ainsi qu'une mobilité accrue des enseignants. Mais la formation proprement dite de l'élève est et reste nationale.
Si les sciences les plus techniques ne peuvent souffrir aucune contestation internationale, il n'en est pas de même pour les sciences humaines comme l'histoire, la littérature ou l'instruction civique. L'importance accordée par tel ou tel pays aux événements et aux oeuvres pèsera inévitablement sur l'orientation du savoir commun.
C'est maintenant qu'il faut, à travers nos programmes d'enseignement, réfléchir à la formation des futurs citoyens européens. Sinon, nous serons confrontés à une addition de cultures nationales européanisées que tenteront les réflexes identitaires.
Ne faudrait-il pas penser à un accroissement de l'éducation à la citoyenneté européenne dès les plus petites classes, dans le cadre de chaque enseignement ?
Je dis « oui » à la pratique dès l'école primaire d'une langue étrangère, indispensable à la nécessaire mobilité des jeunes, et « oui » au rapprochement des contenus d'enseignement et des systèmes éducatifs, en lien direct avec le processus engagé à Lisbonne.
Traditionnel pilier de la souveraineté nationale, l'école française, tout en confortant son identité, doit se convertir à l'Europe, d'abord dans l'éducation de ses enfants.
En conclusion, une réforme de l'école était une nécessité. Depuis dix ans, notre système est en panne, et c'est une obligation pour nous de sauver chaque année 150 000 jeunes du marasme d'une scolarité sans diplôme.
Monsieur le ministre, nous apprécions votre courage, vous qui êtes confronté au difficile fonctionnement de l'une des plus grandes administrations d'Europe et qui gérez le plus important budget de l'Etat.
Nous sommes à vos côtés sur le chemin de crêtes que vous avez tracé parce que nous voulons, avec vous, redonner toute sa force à l'école, creuset de la République. Il en va de la réussite et de l'épanouissement de nos enfants, qui prendront peut-être un jour notre place dans cet hémicycle. L'un des pères de l'éducation américaine, Horace Mann, n'avait-il pas écrit que les écoles étaient les lignes de fortification de la République ?