Intervention de Virginie Klès

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 octobre 2011 : 1ère réunion
Service citoyen pour les mineurs délinquants — Examen du rapport

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès, rapporteur :

Le titre de cette proposition de loi ne reflète pas totalement son contenu, depuis que le Gouvernement y a introduit, à l'Assemblée nationale, un article 6 concernant l'organisation de la justice pénale des mineurs.

Sur la forme, on nous impose un calendrier très contraint : le texte n'a été voté par les députés que le 12 octobre ! Pourquoi mettre en oeuvre la procédure accélérée ? On s'étonne d'une telle implication du Gouvernement derrière une proposition de loi dont la pertinence est plus que discutable... Manifestement rédigée dans l'urgence, elle entraîne de nombreuses confusions. A titre d'exemple, les représentants de la PJJ que nous avons entendus sont persuadés que les mineurs délinquants placés en EPIDe (Etablissement public d'insertion de la Défense) ne relèveront plus de la justice ; ceux des EPIDe, en revanche, pensent que les jeunes resteront sous l'autorité directe de la PJJ... On ne sait si le texte concerne les mineurs récidivistes, multirécidivistes ou primo-délinquants, si la qualification des crimes ou délits sera prise en compte ou non. La confusion règne également autour du caractère « militaire » du dispositif, sachant que le ministère de la Défense contribuera à hauteur de 2 millions d'euros. D'un côté, on parle de « contrat », de volonté des jeunes à rentrer dans le dispositif, de l'autre, d'une mesure de contrainte imposée par le juge...

L'EPIDe a été créé par ordonnance en août 2005, déjà dans l'urgence : 22 centres ont été ouverts en 24 mois, avec un budget de 95 millions d'euros. Le président de la République, Jacques Chirac, avait annoncé 50 centres en 2008, accueillant 20 000 jeunes, ce qui aurait rendu nécessaire l'affectation à l'EPIDe d'un budget de 500 millions d'euros. On en est loin aujourd'hui : il ne reste plus que 20 centres, avec un budget d'environ 80 millions d'euros pour 2012... En 2007, lors de l'annonce du grand « plan banlieues » du président Sarkozy, l'EPIDe n'était même pas cité parmi les dispositifs de la deuxième chance. En 2009, le Gouvernement annonce que l'EPIDe pourrait accueillir des mineurs non délinquants. Mais les établissements n'y sont nullement préparés, et rien ne bouge. Le contrat d'objectifs et de moyens n'a pu être signé qu'en 2009. Deux mille jeunes par an, c'est l'équivalent d'un lycée ! En 2011, retour de l'EPIDe, cette fois pour les mineurs délinquants, avec cette proposition de loi, donc sans étude d'impact, et qui plus est en procédure accélérée... Les premiers mineurs seraient placés dès février 2012 : difficile d'imaginer que le personnel ait été formé ou recruté d'ici là !

Par ailleurs, le Gouvernement a introduit par amendement un article 6 portant sur la justice pénale des mineurs, pour tenir compte des décisions du Conseil constitutionnel du 8 juillet et du 4 août 2011. Non seulement c'est un cavalier législatif, mais il n'y avait aucune urgence : le Conseil constitutionnel fixe l'échéance au 1er janvier 2013 ! Je doute d'autant plus de l'efficacité de cette mesure qu'elle n'a fait l'objet d'aucune concertation avec les magistrats.

M. Ciotti avait prévu de financer le dispositif par une hausse des droits sur les tabacs et alcools. Le Gouvernement a levé le gage à l'Assemblée nationale, assurant que le financement serait trouvé en interne, à hauteur de 8 millions d'euros : 2 millions d'euros du ministère de la Justice, 2 du ministère de la Défense, 2 du ministère de l'Emploi, et 2 du ministère de la Ville. Or le PLF n'en contient pas trace... La Défense est certes l'un des ministères de tutelle de l'EPIDe, et lui a cédé quelques emprises foncières et immobilières, mais elle ne lui a jamais versé un euro ! Quant à la PJJ, elle voit ses crédits baisser depuis plusieurs années, et perd une centaine d'équivalents temps plein cette année : où trouver 2 millions d'euros pour financer cette nouvelle mission, qui ne concernerait que 200 jeunes par an ? L'EPIDe s'inquiète de ne pas disposer du financement et des emplois nécessaires. Certes, un « bleu » de Matignon prévoit la création de 166 places, pour accueillir 200 jeunes par an - je l'ai vu, mais sera-t-il suivi d'effet ? J'attire votre attention sur le fait que, dans son rapport annuel pour 2011, la Cour des comptes estime que l'État n'a pas donné à l'EPIDe les moyens de fonctionner correctement ; il n'a notamment aucun budget d'investissement.

Sur le fond, ce texte repose sur une analyse très contestable de la délinquance des mineurs. La justice pénale des mineurs s'est beaucoup durcie, pour se calquer de plus en plus sur celle des majeurs : M. Ciotti comme le garde des Sceaux le reconnaissent. L'ordonnance de 1945 précise pourtant qu'un mineur ne peut être considéré comme un adulte, et que l'éducatif doit primer sur le répressif. Pour M. Ciotti, la diversité des réponses serait insuffisante - malgré les nombreuses mesures de milieu ouvert, les centres éducatifs fermés, les 1200 associations, les 300 établissements publics spécialisés dans l'accueil des jeunes délinquants. Le problème, c'est le manque de places, du fait de la baisse des crédits. Mieux vaudrait consacrer ces 8 millions d'euros aux établissements existants !

Selon M. Ciotti, la délinquance des mineurs serait en forte hausse. Certes, le nombre de mineurs mis en cause a augmenté, mais la proportion d'interpellés mineurs dans la délinquance globale a diminué ; en outre, il faut prendre en compte la progression démographique, l'efficacité croissante de la police et de la gendarmerie et une judiciarisation croissante d'incidents qui, autrefois, étaient considérés comme de « simples » incivilités. Le service « citoyen » de M. Ciotti concerne les 16-18 ans, or à cet âge, il est souvent trop tard : il faut intervenir dès le début du décrochage, vers 14 ans.

L'EPIDe repose sur le volontariat : les jeunes majeurs qui font acte de candidature ont connu des galères mais sont animés de la même volonté de s'en sortir. Certains de ces jeunes ont fait des bêtises, mais ont tourné la page. Je les ai rencontrés : ils disent avoir besoin des contraintes, de la rigueur du règlement intérieur, mais aussi avoir trouvé une famille, une écoute, une solidarité. La délinquance, ce n'est pas un état qui vous colle à la peau ; ce sont des actes posés par certains, à un moment de leur parcours.

Les EPIDe obtiennent de très bons résultats : près de 50 % de réinsertion en fin de parcours. C'est gigantesque mais loin des 85% ou 100% cités par ceux qui voudraient y placer tout le monde ! Les EPIDe accueillent quelques délinquants post-sentenciels, qui ont purgé leur peine. L'accueil de jeunes ayant des affaires judiciaires en cours, en revanche, s'est toujours soldé par un échec, et déstabilise toute une promotion. Les jeunes actuellement en EPIDe redoutent que ce ne soit « la zone », et que les éducateurs ne soient accaparés par les nouveaux pensionnaires. Il serait criminel, pour un simple effet d'annonce, de risquer de casser un dispositif qui fonctionne. Ce serait un manque respect envers les personnels et les pensionnaires des EPIDe.

S'agissant de la justice pénale des mineurs, le Conseil constitutionnel a estimé que le juge qui a conduit l'instruction ne peut pas présider la juridiction de jugement...

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