Intervention de Jacques Legendre

Réunion du 15 mars 2005 à 21h30
Avenir de l'école — Discussion générale

Photo de Jacques LegendreJacques Legendre :

... notamment si l'on veut préserver la fonction d'« ascenseur social » de l'école.

Cette pédagogie est-elle efficace ?

Les pays anglo-saxons, qui ont pratiqué avant nous ces méthodes, en sont revenus. Ferons-nous de même ?

Allons-nous au moins laisser aux enseignants le choix des méthodes pédagogiques ? Les IUFM, où ils seront formés, assureront-ils la connaissance de plusieurs méthodes ou persisteront-ils à ne faire connaître que ce qui semble sur le point de devenir une pédagogie officielle ?

Les conseils pédagogiques d'établissement, que vous avez créés, sont sans doute utiles pour assurer une certaine coordination au sein de l'établissement. Mais comment concilier leur existence et le respect de la liberté pédagogique des enseignants ?

Quant à la nation, c'est sur le résultat qu'elle est en droit de juger le choix d'une pédagogie.

Il doit donc être clair pour tous que l'objectif est de permettre au maximum de jeunes l'acquisition des connaissances qui leur seront nécessaires et non de se conformer à telle ou telle idéologie « pédagogiste ».

En France, s'il est un domaine où les résultats ne sont pas satisfaisants - et, là aussi, je ne cherche à polémiquer avec personne -, c'est bien l'apprentissage des langues. D'ailleurs, par deux fois, en 1993 et en 2003, j'ai commis un rapport sur ce sujet, que j'ai soumis au Sénat. Il fut chaque fois adopté à l'unanimité !

Le constat est inquiétant sur deux points.

Premièrement, on constate un resserrement du choix des langues apprises. L'anglais et l'espagnol sont en position très dominante, tandis que recule l'allemand et que nous négligeons les autres grandes langues européennes ou celles des grands ensembles du XXIe siècle, y compris l'arabe.

Deuxièmement, le niveau atteint est tout simplement trop faible.

Votre projet, monsieur le ministre, prévoit des avancées significatives. Ainsi, commencer l'apprentissage d'une langue étrangère en CE1 est un incontestable progrès, et inscrire comme objectif l'augmentation de 20 % du nombre des élèves en allemand rendra à cette langue utile une partie du terrain perdu.

Pour ce faire, nous devons nous doter d'instruments capables d'assurer une véritable diversification du choix des langues. Dans chaque académie, une carte régionale des langues doit être élaborée avec tous les partenaires concernés - parents, écoles, collectivités locales, monde économique - et la continuité des filières doit être assurée.

En outre, il faut que le choix des familles dans le primaire soit précédé d'une véritable information sur les langues et cultures proposées. Il faut également tenir compte du souhait légitime de certains parents de voir proposer à l'école les langues régionales de France.

Et pourquoi ne pas inscrire aussi parmi nos objectifs l'augmentation de 10 % des élèves apprenant l'arabe, rappelant ainsi que cette langue a toute sa place au sein de l'école de la République - et c'est plus important là qu'ailleurs - et que la France entretient avec le monde arabe, où la francophonie est très présente, des relations de dialogue dans le respect et la réciprocité ?

L'école doit assurer à tous une culture générale suffisante. Elle prépare aussi à la vie professionnelle. Mais elle ne peut le faire efficacement que si elle fournit aux familles et aux élèves les moyens d'une orientation et d'une information professionnelles efficaces.

Il est bon que soient encouragés les échanges entre l'école et l'entreprise. Mais l'entreprise, dans cette période de concurrence âpre, n'a sans doute pas pour priorité d'apporter son concours à l'école. Dès lors, ne pourrait-on pas envisager une diversification de la formation et de l'origine professionnelle des conseillers d'orientation ? Ne pourrait-on pas davantage faire appel au service public de l'emploi, qui connaît bien les besoins locaux et nationaux et qui s'occupe de tous ceux qui viennent de sortir du système scolaire ?

L'orientation et l'information sont au coeur de la réussite scolaire. Il est bon, aujourd'hui, de le rappeler. Il n'y aura pas de réforme profonde de l'école si nous ne savons pas mettre en place un système d'orientation et d'information efficace !

Enfin, il me paraît nécessaire de prononcer ce mot qui sème la tempête : baccalauréat !

Il paraît, monsieur le ministre, que vous avez voulu réformer le baccalauréat ? J'avais cru comprendre que vous souhaitiez tout au plus réformer la façon de passer cet examen afin que cette lourde machinerie ampute le moins possible le temps consacré à l'enseignement. C'est une mesure que je peux comprendre. Et le recours au contrôle continu, qui donne déjà des résultats incontestés dans l'enseignement agricole, ne méritait pas le tohu-bohu dont certains se réjouissent !

J'ose dire cependant que cette réforme des modalités de passage du baccalauréat est accessoire. Vous avez choisi de la soumettre à nouveau à débat. Vous avez eu raison !

Mais il est un autre débat, beaucoup plus fondamental, dont nous ne pourrons plus faire longtemps l'économie : c'est celui qui porte sur le rôle du baccalauréat et sur l'articulation entre le second cycle du second degré et l'enseignement supérieur, puisque notre objectif est bien que le maximum de bacheliers aillent dans l'enseignement supérieur.

Quand on veut amener 80 % d'une classe d'âge au bac et 50 % d'une classe d'âge à un diplôme supérieur, on ne peut pas parler de l'école en faisant l'impasse sur ce qui se passe après. Et là, les chiffres sont accablants !

Il y a des causes à ces échecs, à ce « massacre des innocents » dans le premier cycle de l'enseignement supérieur. Elles sont à rechercher non seulement dans l'enseignement supérieur, mais aussi dans le second cycle du second degré.

Cet échec massif est un insupportable gâchis financier et humain, doublé de beaucoup d'hypocrisie sociale, car ceux qui réussissent sont souvent ceux qui savent, avec le bon bac, choisir la bonne orientation. Et tant pis pour les autres ! Cette situation n'est pas admissible.

Ne soyons pas trop fiers de nos objectifs proclamés - les fameux 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat - si c'est pour conduire ensuite tant de bénéficiaires à l'échec.

Monsieur le ministre, cette loi ne réglera pas tous les problèmes, mais elle a le mérite de poser bien des questions et d'apporter - sur le socle des connaissances et compétences indispensables ou sur les langues, par exemple - des réponses intéressantes.

Nous attendons du Gouvernement qu'il poursuive l'action engagée sous votre impulsion, monsieur le ministre, et qu'il améliore en particulier l'articulation entre l'école et l'enseignement supérieur.

Aujourd'hui, malgré les critiques, sachez toutefois que nous sommes à vos côtés.

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