La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt, est reprise à vingt et une heures trente.
Monsieur le ministre, je vous donne acte d'un certain courage pour mener cette réforme...
M. François Fortassin. ... et, sur la forme, d'une simplicité de ton qui tranche quelque peu avec des méthodes que nous avons connues naguère. Il est vrai que le langage ésotérique et le galimatias technocratique semblent avoir disparu. Par exemple, « les apprenants tentant de maîtriser le référentiel bondissant - aléatoire s'il s'agit de rugby - dans un espace interstitiel de liberté » deviendraient sans doute, dans votre bouche, « des élèves jouant au ballon dans la cour de récréation » !
Sourires
C'est incontestablement une bonne chose.
Toujours sur le plan du vocabulaire, j'ai relevé que vous avez souvent fait référence, dans votre discours, à l'école de la République, et même - mais une seule fois - à la laïcité. J'y reviendrai tout à l'heure.
Cela étant, il est incontestable que nous partageons un certain nombre d'idées s'agissant de l'école primaire. En revanche, ...
Sourires
...je m'interroge sur un certain nombre de points.
En effet, si certains principes extrêmement généreux auxquels vous vous êtes référé, comme l'égalité des chances, la mixité sociale, la promotion des mérites et des talents, font certainement l'unanimité, je n'ai pu discerner, monsieur le ministre, comment vous comptiez en définitive vous y prendre pour les mettre en pratique.
En outre, vous avez évoqué le fait religieux, qui doit être enseigné dans les établissements scolaires. Nous n'y voyons bien sûr pas d'inconvénient, mais il serait important, à nos yeux, d'instaurer un enseignement de la laïcité en se fondant sur ses principes mêmes, que l'on peut finalement résumer très simplement ainsi : la laïcité affirme que la religion a un caractère exclusivement privé, que l'école doit être un lieu neutre et que l'Etat doit s'honorer de permettre l'exercice de toutes les religions.
A l'évidence, la laïcité est intimement liée à l'école de la République, cette école à laquelle vous comprendrez que je sois très attaché, mes chers collègues, puisque, comme un certain nombre d'entre vous, j'en suis le produit.
De plus, la laïcité constitue le meilleur socle pour enseigner la tolérance et le droit à la différence.
Je pense donc, monsieur le ministre, que votre réforme devrait mettre très fortement l'accent sur ces principes.
Par ailleurs, je n'ai pas eu le sentiment - mais peut-être n'ai-je pas été assez attentif - que vous affirmiez avec suffisamment de force que l'Etat, même s'il accepte d'autres formes d'enseignement au nom de la tolérance, se devait de remplir sa mission, qui est de défendre l'école de la République, l'école publique.
En tout état de cause, il conviendrait sans doute que l'apprentissage de la citoyenneté et la lutte contre les incivilités soient fondés sur des valeurs profondes, et non pas exprimées au travers d'un langage qu'un certain nombre d'adolescents ne comprennent pas parce qu'ils n'ont pas l'habitude de l'utiliser.
Nous n'allons bien sûr pas nous faire les chantres du « verlan », mais il faut tout de même savoir qu'un certain nombre d'enfants s'ennuient aujourd'hui à l'école tout simplement parce qu'ils ne comprennent pas ou parce qu'ils comprennent mal le langage employé par les membres du corps enseignant. Or on doit aller vers eux, d'une manière ou d'une autre, au travers des valeurs profondes de laïcité que j'ai évoquées.
Vous en avez également appelé, monsieur le ministre, à la restauration de l'autorité. Nous ne pouvons qu'être pleinement d'accord avec vous sur ce point, mais encore faudrait-il définir ce qu'est l'autorité dans un établissement scolaire, car cette notion n'y recouvre peut-être pas tout à fait la même chose que dans d'autres institutions.
A mon sens, l'autorité, c'est avant tout la compétence, et pas seulement la compétence technique : il y a aussi des méthodes qui ne sont pas exclusivement pédagogiques pour faire passer des idées. Cela s'appelle le charisme. A-t-on déjà mesuré si les élèves maîtres, les futurs professeurs, avaient ou non du charisme ?
Peut-être, mon cher collègue, mais il y a des méthodes. C'est en tout cas un réel problème.
J'ai la chance d'avoir, dans mon département, d'excellents chefs d'établissement.
Sans doute ! Toutefois, certains enseignants deviennent chefs d'établissement non parce qu'ils se sentent une vocation pour assumer des responsabilités administratives, mais parce qu'ils s'ennuient devant leurs élèves...
... à partir d'un certain stade de leur carrière. Ils se reclassent alors dans l'administration.
Sourires
Ce n'est certainement pas la meilleure des motivations pour se destiner à remplir des fonctions d'autorité au sein des établissements scolaires.
Cela étant, il s'agit tout de même d'un système de participation et si l'on ne peut, bien sûr, demander à des enfants très jeunes de participer à la vie de l'établissement scolaire, il conviendrait d'écouter attentivement les adolescents, qui sont des préadultes.
Enfin, monsieur le ministre, j'ai le sentiment que les arts plastiques et l'éducation physique risquent d'être les parents pauvres, pour ne pas dire les sacrifiés, de votre réforme.
Or on sait que les arts plastiques et l'éducation physique permettent un mieux-être de l'élève et participent à son éveil. En tant qu'ancien enseignant, j'ai ainsi le souvenir d'élèves qui se sont révélés dans certaines disciplines parce qu'ils étaient devenus bons en sport et qu'ils se sentaient beaucoup mieux dans leur corps.
Cette observation vaut sans doute aussi pour les disciplines artistiques.
Par ailleurs, il est un fait que je ne peux passer sous silence : Mme Belloubet-Frier, rectrice de l'académie de Toulouse et femme au demeurant remarquable, a démissionné. Elle a écrit que sa décision était motivée par « la difficulté de plus en plus certaine à assurer une continuité dans le discours pédagogique [qu'elle a] porté depuis cinq ans et dans la capacité à affirmer une cohérence entre des ambitions affichées et des actes posés concrètement ».
Ce ne sont pas des opposants politiques qui ont fait cette déclaration !
Il est tout de même inhabituel qu'un recteur démissionne. Et, pour avoir côtoyé cette personne dans l'exercice de ma mission de président de conseil général, je puis témoigner qu'elle est très solide. Cette démission doit donc nous amener à nous interroger, monsieur le ministre.
En conclusion, je soulignerai qu'il faudrait peut-être examiner de très près le contenu des programmes. En effet, j'observe que plus on déplore une baisse du niveau des élèves - qui n'est d'ailleurs pas démontrée -, plus les livres scolaires sont d'une difficulté et d'une prétention extrêmes.
Il faut en tirer les conclusions. On ne peut pas demander à des adolescents ou à des jeunes gens de travailler sur des ouvrages qui rebutent les adultes !
Vous le comprendrez donc, monsieur le ministre, je ne peux pas voter votre projet de loi.
Si, au hasard de l'examen des amendements, un certain nombre d'entre eux nous convenaient, nous pourrions, bien entendu, réviser notre position.
M. François Fortassin. Sachez en tout cas, monsieur le ministre, que votre réforme rencontre une forte opposition. Vous pouvez peut-être avoir raison seul contre tous, mais vous devriez néanmoins tenter d'analyser certains de vos torts.
Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais vous parler d'enseignement professionnel, car les socialistes considèrent que cette voie d'enseignement constitue l'un des enjeux essentiels du débat éducatif pour les années à venir...
... et qu'elle n'a pas la place qu'elle devrait avoir dans notre travail législatif.
Auparavant, je dirai un mot du contexte dans lequel se déroulent les débats sur l'éducation en France.
Dans notre pays, école et République vont ensemble depuis la grande Révolution de 1789 et Condorcet. Les Français ont la passion de l'égalité, et c'est à l'école qu'ils confient le plus souvent la réalisation de cette passion.
Toutefois, égalité ne signifie pas nivellement, mais plutôt égalité des droits et des opportunités en proportion des efforts, du mérite et du talent. Il ne faut pas chercher d'autre explication au mouvement actuel de la jeunesse lycéenne, puisqu'il semble parfois que vous ayez du mal, monsieur le ministre, à en saisir le sens.
Alors, bien sûr, nous le savons, l'école ne peut annuler les inégalités que la société reproduit et creuse sans cesse. Je trouverais d'ailleurs vain et désespérant de le lui demander.
Il n'empêche que l'exigence égalitaire a été et reste féconde pour les Français. Elle nous a imposé d'agir en partant de l'idée que chaque jeune est éducable, que chaque jeune est capable du meilleur et que la société tout entière trouve son compte dans le perfectionnement humain de chacun.
Nous avons largement réussi en empruntant cette voie, que d'autres pays n'ont pas choisie : la République éducative a fait réussir la France, la place des Français dans les domaines d'excellence technique et culturelle en atteste. C'est le résultat concret des travaux de notre école.
Si nous avons l'une des économies les plus productives du monde, si nous sommes en tête dans tant de domaines techniques, scientifiques, culturels, c'est grâce à notre école. Ne le perdons jamais de vue !
Dès lors, comment comprendre que les premiers mots de l'exposé des motifs du projet de loi que vous nous soumettez dénigrent cette performance ? Et comment comprendre, mes chers collègues, que tant d'entre vous commencent par une sorte de constat désespérant qui, selon moi, n'a pas de raison d'être ?
Pourquoi dire que le budget de l'éducation ne cesse d'augmenter depuis des années, ce qui est vrai, sans amélioration des résultats concrets, ce qui est faux ?
M. Jean-Luc Mélenchon. En 1989, la loi d'orientation de Lionel Jospin a permis une élévation extraordinaire du niveau d'éducation des Français. La part d'une classe d'âge accédant au niveau du baccalauréat n'a-t-elle pas doublé en dix ans ?
Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Le précédent doublement avait nécessité quatre-vingts années d'efforts ! C'est donc bien que les moyens qui ont été mis en oeuvre ont rencontré le succès.
Le plus remarquable, depuis 1989, ce sont les résultats considérables atteints dans la professionnalisation durable des jeunes et dans l'élévation du niveau de qualification de ceux qui sortent du système éducatif.
Le nombre de bacheliers professionnels n'a-t-il quadruplé ? Le nombre de titulaires de diplômes universitaires technologiques et de brevets de technicien supérieur n'a-t-il pas doublé ? Celui des titulaires de diplômes supérieurs d'études spécialisées n'a-t-il pas triplé ? Quant à la licence professionnelle, que nous avons créée il y a quatre ans, n'enregistre-t-elle pas les résultats en expansion vigoureuse que vous connaissez tous ?
Il y a eu une pause dans le progrès, certes, mais il n'y a pas eu de régression. Pourtant, les années que vous mentionnez comme des années de pause ont également été les années les plus dures, socialement, à maints égards. C'est en effet l'époque à laquelle nous avons à la fois connu un recul démographique et une augmentation du nombre des primo immigrants. Ce sont les années fric, les années strass et paillettes, ...
... au cours desquelles on a laissé croire à la jeunesse que tout pouvait s'acquérir sans effort.
Eh bien, pendant ce temps-là, nous n'avons pas régressé, nous avons continué à maintenir notre niveau de performance.
Enfin, on ne le dit jamais assez, le nombre des élèves qui sortent du système scolaire sans qualification n'a-t-il pas été réduit de plus de 35 % depuis 1989 ?
Certes, l'objectif de 100 % de qualifiés n'est pas encore atteint. Mais citez-moi un seul système éducatif dans le monde qui soit parvenu à 100 % de réussite ! Citez-en un seul qui, pour une population scolaire équivalente à la nôtre, soit parvenu à la capacité de notre système pour qualifier sa jeunesse.
Au total, si nous pouvons penser atteindre notre but, c'est grâce à l'outil éducatif qui nous a déjà permis d'acquérir ces résultats et non en dépit de lui.
Certes, le dénigrement peut être une politique. Je ne vous fais pas de procès d'intention à cet égard, monsieur le ministre : nous verrons bien si c'est la vôtre. Notre crainte est qu'il se passe à propos de l'école ce qui s'est déjà passé avec tant de nos services collectifs. Le dénigrement a en effet préparé les esprits à la fatalité d'un recours élargi aux services marchands.
Nous ne pouvons ignorer la pression qui s'exerce dans ce sens concernant l'éducation à l'échelon international à la lecture des documents publiés par la Banque mondiale, par l'OCDE et par le Fonds monétaire international.
Nous pouvons encore moins l'ignorer si l'on tient compte des analyses des investisseurs financiers qui pointent les 1 400 milliards de dépenses annuelles consenties par les Etats, dans les pays avancés, en faveur de l'éducation. Ceux-là veulent de toutes leurs forces qu'un système par capitalisation, baptisé « responsabilisation individuelle », vienne prendre la place de l'actuel système de financement par répartition, d'une génération sur l'autre, tel qu'il fonctionne à présent.
On connaît exactement les moyens prescrits pour passer de l'un à l'autre de ces systèmes : ils figurent en toutes lettres dans les recommandations des organismes que j'ai cités.
Pour formater un marché des savoirs, il faut d'abord autonomiser toujours plus les établissements scolaires de tous niveaux, notamment sur le plan financier. Il faut ensuite les mettre en compétition en étalonnant leurs résultats. Il faut, enfin et surtout, cantonner les obligations de l'Etat aux seuls âges de la scolarité obligatoire.
A l'aune de ce programme, votre projet de loi est politiquement correct. Je ne suis donc pas étonné que ce soit sur les voies technologiques et professionnelles que se concentre, selon moi, le non-dit le plus flagrant du texte en débat. Ce sont, en effet, les premiers savoirs que le secteur marchand vise.
L'acquisition de qualifications professionnelles est la condition de l'accès au travail, car le niveau des pré-requis techniques et culturels de chaque métier ne cesse de s'élever et le nombre d'activités qui tendent à devenir des métiers, notamment dans l'aide à la personne, ne cesse de s'étendre. Nul ne peut s'en passer et, de fait, ce sont ces formations que le secteur marchand a déjà commencé à investir de toutes les façons possibles.
Actuellement, le secteur public de l'éducation assure la transmission gratuite de ces qualifications. Elles sont certifiées par l'Etat et reconnues dans les conventions collectives, qui leur font correspondre des niveaux de salaire. On comprend donc l'enjeu !
Si l'on juge ce texte d'après les actes que vous avez posés, on peut alors franchement se demander si vous n'êtes pas en train d'abandonner ce secteur du service public. Vous nous direz tout à l'heure ce qu'il en est vraiment de vos intentions...
Ce qui se passe dans l'enseignement professionnel secondaire est parlant. Même si elle est insuffisante, la demande des jeunes en la matière ne cesse d'augmenter. Les inscriptions en lycée professionnel sont en forte hausse, à rebours de la tendance générale de tout le second degré. Au total, les effectifs de jeunes inscrits dans l'enseignement professionnel dépassent aujourd'hui les 710 000 élèves, soit le niveau le plus élevé depuis 1995.
Pourtant, les moyens publics ne cessent de reculer depuis 2002 et plus de 2 000 emplois de professeurs des lycées professionnels sont supprimés dans les budgets de 2004 et de 2005.
La situation s'aggravera avec la chute de 40 % des recrutements de professeurs des lycées professionnels constatée en 2004.
Dans le même temps, vous annoncez que votre loi facilitera la mise en oeuvre du plan Borloo en faveur de l'apprentissage. Or ce plan se propose de ponctionner vers cette voie 150 000 jeunes actuellement scolarisés sous statut scolaire, puisque la classe d'âge est en recul et que l'on veut passer de 350 000 apprentis à 500 000 apprentis.
Ce bilan à grands traits éclaire les impasses que fait le projet de loi sur des questions clefs. Rien n'est dit sur les moyens mis en oeuvre pour augmenter la proportion de bacheliers professionnels parmi les jeunes qui parviennent au niveau du brevet d'études professionnelles mais qui sortent du système pour 50 % d'entre eux.
Rien n'est dit sur la rétribution des périodes en alternance ni, d'une façon générale, sur l'allocation d'études qui est indispensable pour ces jeunes : ce sont eux qui ont le plus besoin de cette aide pour continuer à étudier quand parfois 100 % d'une section d'enseignement professionnel travaille le soir et le week-end pour payer ses études ou pour faire vivre son couple et ses enfants, situation que nombre d'entre vous, élus locaux, connaissez parfaitement bien.
Rien n'est dit sur les moyens à mettre en oeuvre pour rendre réellement possible la transition du bac professionnel vers les classes de l'enseignement supérieur en section de technicien supérieur ou en institut universitaire de technologie, où l'on manque de monde. Je parle ici des moyens pédagogiques de préparation intellectuelle et des moyens matériels de la vie des jeunes.
Rien n'est dit sur le logement des jeunes, qui est pourtant la question clef de la mobilité vers les établissements scolaires professionnalisant, situation qui est ô combien soulignée par les suppressions massives de sections auxquelles vous avez procédé.
Rien n'est dit non plus sur la création de diplômes professionnels européens. Je ne parle pas du licence-master-doctorat, le LMD, qui n'a rien à voir ici sauf à constater la déstructuration des niveaux de qualification délivrés dans l'enseignement supérieur qu'il provoque et dont il ne sera pourtant pas question alors qu'il y a urgence.
Pourtant, le gouvernement de Lionel Jospin avait montré la faisabilité de tels diplômes européens. Pourquoi votre prédécesseur a-t-il abandonné tout cela au ministère du travail et consenti à ce qu'il en soit de même au niveau européen alors que le ministère de l'éducation nationale français en avait pris l'initiative et avait réussi à créer par ce moyen deux diplômes européens ?
Pourquoi n'en dites-vous rien vous-même, monsieur le ministre, vous qui avez déjà dit à plusieurs reprises votre intérêt pour ces questions ?
Pourquoi votre projet de loi n'évoque-t-il pas, même de manière allusive pour que l'on puisse s'y référer, la place des commissions professionnelles consultatives ? Elles sont cruciales dans notre système de certification. : ce sont elles qui fixent le contenu des diplômes professionnels. Pourquoi ne rien dire des moyens de leur modernisation ?
Pourquoi n'y a-t-il ni bilan ni projet concernant le grand répertoire national des diplômes auquel est dorénavant confiée la reconnaissance des certifications dans notre pays et dont la plupart de nos concitoyens ignorent jusqu'à l'existence ?
Pourquoi ne dites-vous rien du regroupement nécessaire sous une même autorité politique des établissements d'enseignement professionnel, aujourd'hui répartis entre divers ministères tels que ceux de l'agriculture, des transports, ou encore entre écoles professionnelles de diverses obédiences ministérielles dont la dispersion et le cloisonnement constituent à la fois un gâchis de moyens et une perte considérable d'opportunités, de transferts de savoir-faire professionnels et de techniques pédagogiques ?
Enfin, pourquoi, dans ce moment de sensibilité si grande à l'exigence laïque, ne dit-on rien de la nécessité d'une laïcité étendue à la protection de l'espace scolaire contre l'intrusion des marques, des logos et des sponsors, ces machines à abrutir et à conditionner l'esprit ? La laïcité n'est pas oeuvre antireligieuse, elle est oeuvre de liberté de l'esprit, de liberté de la conscience, quelles que soient les formes de conditionnement qui s'y opposent.
La liste pourrait être longue de tout ce qui est décisif et qui se trouve abandonné à je ne sais quelle main invisible du marché et de la technocratie réunis, tandis que tant de détails de niveau réglementaire vont encombrer notre discussion.
Pourtant, l'enjeu de la place du service public de l'éducation se joue sur ces questions, dont je conviens qu'elles sont certes très techniques... mais tellement politiques !
C'est la véritable question qui est posée au moment où l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, se positionne progressivement, avec l'Accord général sur le commerce des services, l'AGCS, pour « marchandiser » le secteur éducatif.
La loi de 1989 de Lionel Jospin avait une large ambition pour le service public de l'éducation. Elle englobait tous les aspects du parcours éducatif et qualifiant, et c'est, à mon avis, de cette manière qu'il faut travailler. Elle nous a permis de relever victorieusement les défis des années quatre-vingt-dix, les résultats globaux de notre économie en attestent. Sa dynamique n'est pas épuisée.
Vous, membres de la majorité, qui êtes confrontés au défi du creux démographique et des départs en retraite massifs, que proposez-vous afin de permettre le bond en avant des qualifications que cette situation impose ?
C'est à croire que vous cherchez plutôt à organiser la pénurie de personnels hautement qualifiés dont nous avons besoin. Il est vrai qu'alors le recours - mathématiquement nécessaire - à l'importation de main-d'oeuvre, selon le modèle anglo-saxon, s'imposerait. Vos amis libéraux pourront alors prétendre que la directive Bolkestein est un atout !
Non, décidément, on ne peut pas parler d'école sans parler de modèle de société !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
... quand une réforme émane de la partie droite de l'hémicycle, elle est généralement condamnée, quelles que soient les idées qu'elle développe.
Plusieurs exemples me viennent à l'esprit.
Christian Fouchet, dont beaucoup ont oublié qu'il fut ministre de l'éducation nationale, ...
... ne pouvait pratiquement plus se déplacer dans un établissement scolaire de notre pays sans que sa visite soit considérée comme une provocation. Il se trouve que c'est lui qui avait inventé les collèges d'enseignement secondaire, les CES, et les instituts universitaires de technologie, les IUT. Qui, aujourd'hui, oserait condamner les IUT ?
M. Jacques Legendre. Par ailleurs, il y a trente ans - j'ose le dire, même s'il est dangereux de l'avouer
Sourires
Je connaissais bien M. Haby. La création du collège unique répondait - peut-être trop, d'ailleurs ! - aux théories de MM. Bourdieu et Passeron sur la reproduction sociale au sein de l'école : pour casser le phénomène de « reproduction », ces derniers considéraient qu'il fallait sortir des filières trop rigides du premier cycle du second degré et organiser le collège unique.
Cette mesure, qui aurait dû être favorablement accueillie bien au-delà des rangs de la majorité de l'époque, a provoqué anathème et manifestations, nous sommes plusieurs à pouvoir l'attester sur ces travées.
Monsieur le ministre, ne soyez donc pas étonné d'entendre que votre réforme, à son tour, provoque des oppositions ...
... et qu'elle mériterait d'être renvoyée en commission ou réétudiée à un moment certainement moins favorable.
Mais un autre souvenir m'inquiète considérablement.
Il y vingt-cinq ans, secrétaire d'Etat chargé de la formation professionnelle en collaboration avec M. Beullac, alors ministre de l'éducation nationale, ...
... j'ai dû mettre sur pied un plan décennal de développement de la formation - c'était en 1980 - destiné à faire en sorte que plus un seul jeune ne sorte en 1990 du système scolaire sans une culture générale suffisante et une qualification professionnelle attestée. Eh bien, nous en sommes encore loin !
A l'époque, on parlait de 120 000 jeunes en grave difficulté. Les chiffres sont aujourd'hui toujours du même ordre. Or ces résultats interpellent aussi bien, il faut être honnête, les gouvernements de gauche que de droite ! Ils montrent qu'il était nécessaire qu'un nouveau débat se déroule devant l'Assemblée nationale et le Sénat et que la nation soit saisie de ce problème.
Ceux qui, désinformés, manifestent de bonne foi sans toujours savoir ce qu'il en est, sont justement ceux qui paieront les conséquences des dysfonctionnements et des incapacités de notre système.
En prenant le problème à bras-le-corps, nous ne faisons que notre devoir.
Je ne veux pas dire par là que rien n'a été fait depuis vingt ou trente ans : ainsi, il est vrai que le nombre de bacheliers a augmenté ; je veux simplement dire que le problème le plus grave est celui des jeunes en difficulté, et aucun gouvernement n'a pu véritablement le résorber.
Au demeurant, quand on examine les résultats du baccalauréat, on constate qu'il y a quand même un problème. Ainsi, on dénombrait, certes, 500 000 bacheliers en 2003, dont 268 000 pour le bac général, 149 000 pour le bac technologique et 91 000 pour le bac professionnel. Mais que sont devenus ces bacheliers ensuite ?
Notre objectif, qui est également le vôtre, est bien qu'une grande majorité des bacheliers se dirigent ensuite vers l'enseignement supérieur. Mais là, c'est le massacre : 60 % de ceux qui y accèdent n'obtiennent aucun diplôme ! Nous faisons donc moins bien que nos voisins des Pays-Bas, d'Allemagne ou d'Espagne.
Le dire, ce n'est pas chercher à polémiquer ou s'en prendre à tel ou tel gouvernement, c'est simplement montrer la nécessité à laquelle nous sommes confrontés d'améliorer des résultats insupportables.
Vous vous attachez, monsieur le ministre, à assurer à tous les jeunes la maîtrise d'un « socle commun ». Vous avez raison ! Ce souci est pragmatique et raisonnable. Cependant, il vous vaut deux critiques bien différentes.
Pour les uns, un peu méprisants, ce socle est insuffisant. Cette « culture partagée » - je préfère ce terme - n'est qu'un SMIC culturel. C'est oublier qu'il s'agit d'abord de garantir ce niveau à des jeunes qui, actuellement, ne l'atteignent pas, et de loin ... Comment peut-on réussir sa vie au XXle siècle quand on ne sait pas vraiment lire, écrire et compter ?
Le reproche qui vous est fait est d'autant plus injuste que le brevet, que vous avez entrepris de revaloriser, est là pour sanctionner l'acquisition de cette culture commune. Les objectifs chiffrés que vous prescrivez à l'effort national montrent bien que vous avez l'ambition qu'un maximum de jeunes aillent bien plus loin dans l'acquisition des connaissances.
D'autres constatent que le contenu de ce « socle » ne mentionne pas leur discipline. Ils craignent alors pour son avenir.
Il est pourtant évident qu'un socle ne peut pas tout contenir. Ne pas être inscrit parmi les fondamentaux ne porte pas condamnation de la matière ! Je pense ici aux inquiétudes exprimées par les professeurs des disciplines artistiques et je ne peux pas croire non plus - moi qui suis historien - que l'histoire-géographie ne trouve pas sa place parmi des connaissances sans lesquelles il n'est pas de citoyen ni de « culture humaniste et scientifique permettant l'exercice de la citoyenneté ».
Mais il ne s'agit pas seulement de débattre des contenus, il faut également être très attentif à la pédagogie mise en oeuvre.
En 1975, pour favoriser l'égalité des chances, on a décidé d'admettre tous les jeunes dans un collège unique, avec des classes hétérogènes. Je croyais à l'époque que, s'il était possible de fusionner des sixièmes de type lycée et de type collège, il serait peut-être plus discutable d'adjoindre à la même classe des élèves relevant de ce qu'on appelait alors le « type III ».
Nous savons maintenant que ces classes uniques des collèges n'ont pas donné les résultats escomptés, puisque des dizaines de milliers d'élèves sortent encore du système éducatif sans aucune formation et que les journées d'appel de l'armée recensent encore environ 6 % d'illettrés.
On nous répond maintenant qu'il s'agit pour l'enseignant de pratiquer une « pédagogie différenciée ». Certes ! Mais le professeur pourra-t-il réellement se démultiplier, différencier sa pédagogie ?
Et puis, de quelle pédagogie parle-t-on ? On nous parle d'une pédagogie « centrée sur l'élève ». L'expression est a priori sympathique, et l'on adhère à cette vision. Mais, concrètement, il s'agit de remplacer la leçon de grammaire par « l'observation réfléchie de la langue française ». Les écoliers doivent ainsi « comparer des éléments linguistiques divers pour en dégager les ressemblances et les différences ». Quitte à paraître totalement dépassé - et pour avoir été aussi professeur de français -, je crois qu'une bonne leçon de grammaire et une bonne dictée continuent à ne pas être inutiles, ...
... notamment si l'on veut préserver la fonction d'« ascenseur social » de l'école.
Cette pédagogie est-elle efficace ?
Les pays anglo-saxons, qui ont pratiqué avant nous ces méthodes, en sont revenus. Ferons-nous de même ?
Allons-nous au moins laisser aux enseignants le choix des méthodes pédagogiques ? Les IUFM, où ils seront formés, assureront-ils la connaissance de plusieurs méthodes ou persisteront-ils à ne faire connaître que ce qui semble sur le point de devenir une pédagogie officielle ?
Les conseils pédagogiques d'établissement, que vous avez créés, sont sans doute utiles pour assurer une certaine coordination au sein de l'établissement. Mais comment concilier leur existence et le respect de la liberté pédagogique des enseignants ?
Quant à la nation, c'est sur le résultat qu'elle est en droit de juger le choix d'une pédagogie.
Il doit donc être clair pour tous que l'objectif est de permettre au maximum de jeunes l'acquisition des connaissances qui leur seront nécessaires et non de se conformer à telle ou telle idéologie « pédagogiste ».
En France, s'il est un domaine où les résultats ne sont pas satisfaisants - et, là aussi, je ne cherche à polémiquer avec personne -, c'est bien l'apprentissage des langues. D'ailleurs, par deux fois, en 1993 et en 2003, j'ai commis un rapport sur ce sujet, que j'ai soumis au Sénat. Il fut chaque fois adopté à l'unanimité !
Le constat est inquiétant sur deux points.
Premièrement, on constate un resserrement du choix des langues apprises. L'anglais et l'espagnol sont en position très dominante, tandis que recule l'allemand et que nous négligeons les autres grandes langues européennes ou celles des grands ensembles du XXIe siècle, y compris l'arabe.
Deuxièmement, le niveau atteint est tout simplement trop faible.
Votre projet, monsieur le ministre, prévoit des avancées significatives. Ainsi, commencer l'apprentissage d'une langue étrangère en CE1 est un incontestable progrès, et inscrire comme objectif l'augmentation de 20 % du nombre des élèves en allemand rendra à cette langue utile une partie du terrain perdu.
Pour ce faire, nous devons nous doter d'instruments capables d'assurer une véritable diversification du choix des langues. Dans chaque académie, une carte régionale des langues doit être élaborée avec tous les partenaires concernés - parents, écoles, collectivités locales, monde économique - et la continuité des filières doit être assurée.
En outre, il faut que le choix des familles dans le primaire soit précédé d'une véritable information sur les langues et cultures proposées. Il faut également tenir compte du souhait légitime de certains parents de voir proposer à l'école les langues régionales de France.
Et pourquoi ne pas inscrire aussi parmi nos objectifs l'augmentation de 10 % des élèves apprenant l'arabe, rappelant ainsi que cette langue a toute sa place au sein de l'école de la République - et c'est plus important là qu'ailleurs - et que la France entretient avec le monde arabe, où la francophonie est très présente, des relations de dialogue dans le respect et la réciprocité ?
L'école doit assurer à tous une culture générale suffisante. Elle prépare aussi à la vie professionnelle. Mais elle ne peut le faire efficacement que si elle fournit aux familles et aux élèves les moyens d'une orientation et d'une information professionnelles efficaces.
Il est bon que soient encouragés les échanges entre l'école et l'entreprise. Mais l'entreprise, dans cette période de concurrence âpre, n'a sans doute pas pour priorité d'apporter son concours à l'école. Dès lors, ne pourrait-on pas envisager une diversification de la formation et de l'origine professionnelle des conseillers d'orientation ? Ne pourrait-on pas davantage faire appel au service public de l'emploi, qui connaît bien les besoins locaux et nationaux et qui s'occupe de tous ceux qui viennent de sortir du système scolaire ?
L'orientation et l'information sont au coeur de la réussite scolaire. Il est bon, aujourd'hui, de le rappeler. Il n'y aura pas de réforme profonde de l'école si nous ne savons pas mettre en place un système d'orientation et d'information efficace !
Enfin, il me paraît nécessaire de prononcer ce mot qui sème la tempête : baccalauréat !
Il paraît, monsieur le ministre, que vous avez voulu réformer le baccalauréat ? J'avais cru comprendre que vous souhaitiez tout au plus réformer la façon de passer cet examen afin que cette lourde machinerie ampute le moins possible le temps consacré à l'enseignement. C'est une mesure que je peux comprendre. Et le recours au contrôle continu, qui donne déjà des résultats incontestés dans l'enseignement agricole, ne méritait pas le tohu-bohu dont certains se réjouissent !
J'ose dire cependant que cette réforme des modalités de passage du baccalauréat est accessoire. Vous avez choisi de la soumettre à nouveau à débat. Vous avez eu raison !
Mais il est un autre débat, beaucoup plus fondamental, dont nous ne pourrons plus faire longtemps l'économie : c'est celui qui porte sur le rôle du baccalauréat et sur l'articulation entre le second cycle du second degré et l'enseignement supérieur, puisque notre objectif est bien que le maximum de bacheliers aillent dans l'enseignement supérieur.
Quand on veut amener 80 % d'une classe d'âge au bac et 50 % d'une classe d'âge à un diplôme supérieur, on ne peut pas parler de l'école en faisant l'impasse sur ce qui se passe après. Et là, les chiffres sont accablants !
Il y a des causes à ces échecs, à ce « massacre des innocents » dans le premier cycle de l'enseignement supérieur. Elles sont à rechercher non seulement dans l'enseignement supérieur, mais aussi dans le second cycle du second degré.
Cet échec massif est un insupportable gâchis financier et humain, doublé de beaucoup d'hypocrisie sociale, car ceux qui réussissent sont souvent ceux qui savent, avec le bon bac, choisir la bonne orientation. Et tant pis pour les autres ! Cette situation n'est pas admissible.
Ne soyons pas trop fiers de nos objectifs proclamés - les fameux 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat - si c'est pour conduire ensuite tant de bénéficiaires à l'échec.
Monsieur le ministre, cette loi ne réglera pas tous les problèmes, mais elle a le mérite de poser bien des questions et d'apporter - sur le socle des connaissances et compétences indispensables ou sur les langues, par exemple - des réponses intéressantes.
Nous attendons du Gouvernement qu'il poursuive l'action engagée sous votre impulsion, monsieur le ministre, et qu'il améliore en particulier l'articulation entre l'école et l'enseignement supérieur.
Aujourd'hui, malgré les critiques, sachez toutefois que nous sommes à vos côtés.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme d'un débat national approfondi et d'une large concertation de plus d'un an réunissant plus d'un million de personnes, le rapport de la commission présidée par Claude Thélot avait suscité de grands espoirs et l'attente d'une véritable réforme de notre système éducatif. Une grande loi d'orientation et de programmation, refondant nos politiques éducatives pour les quinze prochaines années, avait été annoncée.
Sur cette priorité qu'est l'éducation de notre jeunesse, je crois que nous souhaitons tous une profonde évolution de notre système éducatif. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'être aujourd'hui déçus par de nombreux points du texte proposé.
Ce dernier est en retrait par rapport aux travaux et aux conclusions de la commission Thélot, dont il faut saluer l'excellent travail. La grande loi sur l'école, annoncée par le Président de la République, ne montre pas, hélas ! suffisamment d'ambition pour construire l'école de demain. Beaucoup le déplorent.
Etait-il nécessaire de passer tant de temps à consulter, à débattre, à mobiliser autant d'énergies, à associer les parents d'élèves pour aboutir à un résultat en demi-teinte ?
Ce préambule étant posé, je voudrais tout de même souligner les éléments positifs de ce projet de loi.
C'est le cas, tout d'abord, du socle commun des connaissances et compétences indispensables, idée reprise du rapport Thélot. Il apparaît en effet utile de définir enfin ce qui doit être acquis par chaque élève en fin de scolarité obligatoire.
Cette question d'une culture commune à tous, d'un noyau dur de connaissances, est récurrente depuis une trentaine d'années. La mise en place du collège unique par la réforme Haby et la massification de l'enseignement ne se sont pas accompagnées d'une nécessaire définition des savoirs et savoir-faire à acquérir par tous les élèves.
Nombreux sont les experts qui ont depuis soulevé en vain le problème, entraînant un dysfonctionnement qui se traduit parfois par un décalage entre professeurs et élèves, quels que soient le sérieux et la compétence des uns et la bonne volonté des autres. C'est là le problème d'un système qui n'a pas su ou n'a pas pu porter la réforme jusqu'à son terme.
Ce socle commun doit être envisagé non pas comme un savoir minimal, mais comme un ensemble de compétences clés et de savoir-faire à acquérir tout au long de la scolarité. En cela, ces savoir-faire sont transversaux à l'ensemble des disciplines enseignées. Les élèves ont besoin, certes, de connaissances, mais aussi de méthodes d'apprentissage. Montaigne ne disait-il pas qu'il vaut mieux une tête bien faite qu'une tête bien pleine ?
Si l'on y réfléchit bien, cette proposition est révolutionnaire. Elle engage à repenser notre système éducatif, construit aujourd'hui sur des disciplines cloisonnées, intégrant peu l'épanouissement personnel des élèves dans ses objectifs.
Je regrette qu'à ce titre le socle n'inclue ni l'éducation artistique et culturelle ni la notion de maîtrise corporelle, car si l'école doit apprendre à penser, elle doit aussi développer la sensibilité et aider l'élève à être en harmonie avec lui-même et le monde.
L'autre aspect positif de ce projet de loi est le renforcement et la généralisation des dispositifs de suivi individualisé des élèves. Je pense ici au programme personnalisé de réussite scolaire, le PPRS, que notre commission propose de rebaptiser « parcours personnalisé », qui va dans le bon sens pour autant que sa présentation veille à ne pas stigmatiser les élèves en difficulté mais à les inscrire dans une démarche positive et valorisante.
L'échec scolaire ne pourra être réduit que si l'on passe d'un enseignement uniforme à un enseignement adapté à chacun. Permettre aux enseignants de repérer très tôt et de traiter en amont les élèves qui connaissent des difficultés d'apprentissage de la lecture ou de l'écriture et qui risquent de décrocher durablement du système scolaire est fondamental.
Il faudra cependant qu'avec ce programme soit réellement donnés aux enseignants les moyens d'enseigner sur la base d'apprentissages individualisés. Il est vrai que, pour l'heure, on ne voit pas très bien comment cela sera possible au quotidien avec des classes hétérogènes de plus de trente élèves généralement et présentant une grande diversité entre eux.
Le Haut conseil de l'éducation aura la délicate tâche de définir les contenus du socle commun et les programmes personnalisés de réussite scolaire, les PPRS.
Si l'objectif d'offrir une qualification et un avenir aux 150 000 jeunes abandonnés aujourd'hui en cours de route est louable et nécessaire, il faut, en corrélation avec ces ambitions, penser à l'évolution, à l'adaptation et à l'attractivité de ce beau et noble métier qu'est l'enseignement. Car une réflexion sur cette question manque cruellement dans le projet de loi d'orientation. Il est en effet regrettable que ce dernier ne définisse pas avec plus de précision les missions des enseignants et les moyens dont ceux-ci disposeront pour les remplir.
Profitons du renouvellement sans précédent des personnels enseignants - prés de la moitié d'entre eux partiront à la retraite dans les années à venir - pour traiter vraiment la question de leur formation. Je pense, bien sûr, à l'incitation des futurs enseignants au travail en équipe, à l'interdisciplinarité, aux pédagogies différenciées ainsi qu'aux relations avec les parents, les associations et les partenaires extérieurs.
Les conseils pédagogiques institués par le texte ne peuvent répondre que partiellement à cette demande.
Par ailleurs, au-delà de la simple réforme structurelle des IUFM, c'est à dire de leur rattachement aux universités tel qu'il est annoncé, pourquoi ne pas faire preuve de pragmatisme et ne pas répondre favorablement à la proposition qui consiste à mieux recruter et mieux préparer les futurs enseignants en basant leur formation sur une alternance « théorie-pratique » accrue, tel que l'UDF l'a fait préciser dans le rapport annexé à l'Assembléenationale ?
Favoriser le plus en amont possible - ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui - la présence des futurs enseignants dans les classes et les établissements les préparerait mieux aux réalités du terrain.
Des dispositifs accompagnant l'entrée dans le métier, avec des modules de « pré-professionnalisation » dès la licence pour ceux qui se destinent au concours, l'allongement de la formation initiale à deux ans, contre huit mois actuellement -cette mesure est réclamée par les directeurs d'IUFM -, et intégrant un concours en deux temps, l'un validant les savoirs disciplinaires, l'autre validant, après formation, les compétences professionnelles, nous semblent des propositions pertinentes.
Il faut aussi repenser la formation continue, élément indispensable pour s'adapter à un monde qui bouge. Les enseignants doivent pouvoir enrichir constamment leur pratique pédagogique. Si l'un des objectifs est, par exemple, la maîtrise des nouvelles technologies de l'information et de la communication, il faut permettre aux enseignants d'actualiser effectivement leurs connaissances dans ce domaine.
Il faut par ailleurs leur permettre de s'ouvrir à de nouvelles perspectives, proposées notamment au moment des évaluations académiques. Je pense ici aux possibilités d'évolution ou de reconversion ; face à l'usure du métier, il faut pouvoir offrir à ceux qui le souhaitent de nouvelles missions et jeter des passerelles vers d'autres métiers.
Enfin, il me paraît important de profiter de la discussion de ce projet de loi pour actualiser certaines fonctions et leur conférer un statut réel : je pense aux psychologues scolaires ainsi qu'aux directeurs d'écoles maternelles et élémentaires.
L'autre élément décevant à mes yeux de ce projet de loi, c'est l'absence de mesures fortes en faveur des zones d'éducation prioritaires.
Alors que la commission Thélot proposait une politique très ambitieuse en faveur de la mixité sociale, je regrette que le texte ne prenne pas suffisamment la mesure de l'enjeu représenté par les élèves socialement et culturellement défavorisés.
Réduire l'échec scolaire nécessite une politique de différenciation maîtrisée - le succès des classes-relais l'a prouvé -, c'est-à-dire une réduction volontariste, grâce à l'allocation de moyens renforcés, des inégalités territoriales et sociales.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas recourir à des procédures spécifiques telles que la constitution d'équipes pédagogiques motivées, stables, et surtout formées, comme le seront, je l'espère, les équipes de réussite éducative ?
Il faut aussi favoriser la nomination d'enseignants aguerris et volontaires et privilégier des pratiques pédagogiques adaptées et innovantes ainsi que la collaboration avec les partenaires de l'école - services sociaux, justice, police -, car ce n'est pas à travers l'école seule que l'on arrivera à remédier au phénomène de la ghettoïsation.
Rapidement évoquées, telles sont les raisons pour lesquelles ce projet de loi, malgré certaines avancées, ne répond pas complètement aux attentes qu'il a suscitées.
Ce texte ayant été, dans un premier temps, présenté comme un projet de loi d'orientation et de programmation, il est dommage que son second volet semble avoir été évincé.
Le texte attendu devait devenir un élément moteur de notre système éducatif, permettant d'adapter les exigences nouvelles de l'enseignement et de la formation à un moment charnière ou près de la moitié des personnels enseignants va être renouvelée.
La philosophie même du texte qui nous est présenté peut poser question puisque ce dernier semble oublier le rôle prépondérant de l'école maternelle. En effet, si le socle des connaissances et compétences indispensables permet de penser à l'école et au collège ensemble, ce qui est positif, la maternelle est singulièrement absente de la réflexion, ce qui surprend lorsque l'on sait que tout se joue avant l'âge de six ans.
En conclusion, ce texte ne semble pas à la hauteur des vrais défis que notre école aura à relever. Il manque d'audace. C'est pourquoi je serai attentive au débat que nous allons avoir et au sort réservé aux amendements que moi-même et mes collègues défendrons.
Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF ainsi que sur quelques travées de l'UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quand un peuple doute de son école, quand trop de ses enfants s'y sentent mal à l'aise, le risque de désordre est puissant pour toute la société.
Certains sourient, avec une indulgence un peu forcée, des manifestations lycéennes. Ils y voient - je pense pour ma part qu'ils se trompent - une sorte de rituel adolescent printanier, comme si les jeunes n'exprimaient pas un réel malaise face à l'école et à sa finalité, comme s'ils n'éprouvaient pas une vraie angoisse à l'idée que leur réussite scolaire - ou leur échec - décidera de leur vie tout entière, comme s'ils ne s'inquiétaient pas du rôle qui leur est assigné dans une société âpre et compétitive, alors que se rapproche le moment de quitter le système scolaire.
Notre responsabilité est d'entendre d'urgence ce qu'ils ont à nous dire, non par « jeunisme » ou par opportunisme politique, mais parce que se jouent là des choses fortes pour notre avenir commun.
Ce malaise, les spécialistes et les évaluateurs, rapport après rapport, en ont pointé les modes d'expression comme autant de symptômes : l'échec, la crise, le retrait.
Alors même qu'elle était en passe d'atteindre les objectifs quantitatifs que lui avait assignés la société française des années soixante, l'école a été secouée par la restructuration profonde de notre modèle de « vivre ensemble ».
Elle a été ébranlée par la crise des modèles anciens d'intégration sociale issus chez nous à la fois de la société industrielle et de la période d'après-guerre. Elle a, du coup, très largement cessé de fabriquer de l'égalité et de la cohésion pour devenir parfois en elle-même un facteur d'aggravation des inégalités. Plutôt que l'incarnation de la fraternité ou du mérite, elle est devenue celle du modèle dominant de la réussite : la compétition pour la survie et le chacun pour soi. Au lieu de liberté et d'enthousiasme pour le savoir, l'école s'est mise à produire la peur de ne pas y arriver.
Qui plus est, en dehors de moments de liberté pédagogique trop rarement arrachés à la dictature des fameux programmes, on s'ennuie trop souvent en classe. On apprend sans comprendre, ou parce qu'on comprend qu'il ne faut pas se poser de questions. On tente d'empiler des savoirs parfois contradictoires sans en saisir les enjeux. On accepte l'autorité parce qu'elle oriente et parce qu'elle sanctionne.
Apprendre à apprendre, de façon personnelle, n'est d'ailleurs pas officiellement un moment d'enseignement, pas plus que la capacité à coopérer, à résoudre des conflits ou à travailler en équipe. Et quand cela existe, on envisage de le supprimer sous d'étranges prétextes budgétaires.
Alors, des milliers de jeunes se retirent du système ou sont écartés du jeu. Ils viennent gonfler la statistique des « perdus pour l'école ». Trop souvent, et compte tenu de la place décidément très excessive qu'occupe toujours la formation initiale dans notre hiérarchie sociale, ils viendront plus tard gonfler les statistiques des exclus et des parias du travail.
Des milliers d'autres, mal orientés, tâtonnent, multiplient les allers-retours et les demi-échecs, le désolant « tir au pigeon » des deux premières années à l'université étant particulièrement édifiant à cet égard.
Bref, les commandes contradictoires auxquelles nous l'avons soumise, la difficulté que nous avons rencontrée à en redéfinir les missions, la crise de nos propres valeurs, ont transformé l'école française en un bateau sans pilote ni boussole, conduit par l'habitude ou la seule logique budgétaire, autrement dit par le propre poids de l'institution.
Le résultat est que la performance de notre système et la productivité de notre dépense nationale pour l'école ont sans doute reculé en Europe et que la sélection sociale scolaire est repartie à la hausse.
Chacun essaie donc de se frayer une voie en contournant le système, en exploitant les opportunités et les échappatoires. Dérogations diverses et cours particulier sont devenus un sport national. Pendant ce temps, les plus fragiles cumulent les facteurs d'échec et les retards.
Au moment où je prononce ces mots, je m'aperçois d'ailleurs qu'ils pourraient s'appliquer à notre système de santé. Comme l'hôpital, l'école s'enorgueillit de ses secteurs hyper-performants, mais elle ne parvient ici ou là à maintenir ses acquis et à cacher sa misère montante que grâce au dévouement de ses centaines de milliers d'agents : ils ont compensé l'empilement des consignes et l'inertie de leur hiérarchie face aux mutations par de l'énergie, du dévouement, de l'inventivité - beaucoup - et même parfois de la débrouille.
Un de nos grands problèmes, monsieur le ministre, est que cette inventivité n'est jamais valorisée, ni reprise, ni intégrée à la réflexion de tout le système.
Dans ces circonstances, ce que nos concitoyens attendent de la politique - et je crois qu'ils ont raison - ce n'est pas qu'elle se défausse, c'est qu'elle indique des lignes, qu'elle redonne du sens, qu'elle propose des priorités.
Hélas ! monsieur le ministre, vous n'avez rien pu, su ou voulu produire de tel et nous allons discuter pendant ces quelques jours d'une réforme qui n'en est pas une. Comme l'a dit de façon cruelle un observateur, le texte qui nous est proposé est un texte « sans foi ni loi ».
Protestations sur les travées de l'UMP.
Sans foi parce vous n'amorcez aucun tournant fort, aucun changement courageux de direction. Votre projet ne provoque d'ailleurs aucun débat intellectuel, il laisse sans voix ceux qui consacrent un peu de passion à ce sujet.
Sans loi parce que vous êtes probablement convaincu que le système est irréformable en raison de ses blocages supposés. Donc, en politique averti qui applique une consigne présidentielle - puisqu'il le faut -, vous avez choisi de « faire comme si ».
Je passe sur les ficelles les plus grosses, les milliards qui s'ajoutent aux milliards, les chiffres qui tombent pile et les colonnes qui s'équilibrent sur le papier : c'est un genre que pratique ce gouvernement avec une rouerie particulière.
Il faut le reconnaître, monsieur le ministre, sur ce terrain, vous n'arrivez pas à la cheville de Jean-Louis Borloo, qui a fait très fort avec la loi dite « de cohésion sociale » !
Mais, dans le secteur de l'éducation, où l'on a supprimé des dizaines de milliers de postes, cela se voit davantage encore.
Je passe sur les instillations hasardeuses et revanchardes, sur les mesures qui sentent l'encre violette : apprentissage de la Marseillaise dans le primaire, note de conduite au brevet, bourses d'excellence pour les pauvres méritants - à moins que ce ne soit pour les méritants pauvres... -, sans oublier le conseil d'utiliser de préférence des méthodes d'apprentissage de la lecture qui ont « prouvé leur efficacité » !
D'autres mesures sont nettement plus douteuses, comme l'obligation faite aux professeurs de remplacer les absences au pied levé, le rétablissement du redoublement sans appel possible...
...alors que nous sommes déjà vice-champions d'Europe en la matière, juste après le Portugal, ou encore la nomination de professeurs de LEP en sixième, sans que rien ne soit dit de l'évolution de leur statut.
Bien d'autres points de votre projet posent problème. Il en est ainsi du traitement alambiqué de la bivalence des enseignants au détour d'une phrase sur la certification complémentaire, ...
... des dispositions qui flirtent un peu hypocritement avec le rétablissement des filières dès la troisième, ou de la désintégration programmée, sans fleurs ni couronnes, des IUFM. Leurs liens et leur synergie avec les universités méritaient pourtant une vraie réflexion !
Mais, ce qui est accablant, c'est de voir qu'au bout des quatre-vingt-dix-neuf pages du document vous n'avez pas voulu aborder les questions de fond. Fallait-il une loi pour définir un « socle commun des connaissances »...
...ou mettre en place le « programme personnalisé de réussite scolaire » ?
Faut-il vraiment sortir de l'ENA pour dire, cent douze ans après la mort de Jules Ferry, que le but de l'école est de permettre à tous de savoir lire, écrire, compter, jargonner en anglais, lire un journal et utiliser une souris d'ordinateur ?
Faut-il avoir enseigné pour comprendre que l'on peut bien signer tous les contrats et tous les programmes que l'on veut, ceux-ci ne seront que des marqueurs stigmatisants de plus si l'on ne se pose pas la question des méthodes éducatives, des formes pédagogiques et, excusez la pédanterie, des processus cognitifs qui sont à l'oeuvre chez tous les élèves ?
Ce que le pays aurait voulu voir débattre, c'est cet ensemble de pistes largement mises en exergue dans la consultation organisée par votre malheureux prédécesseur et dont le rapport de conclusion est désormais soumis dans vos tiroirs à la « critique rongeuse des souris » !
Rien sur le redécoupage des matières et des savoirs pour tenir compte de l'évolution de la connaissance depuis vingt-cinq ans et pour donner une cohérence à nos enseignements.
Rien sur l'organisation des classes et des divisions, sur les rythmes et les temps scolaires pour progresser par cycles en tenant compte des aptitudes d'apprentissage et non plus par simples découpages annuels.
Rien sur la pratique du travail personnel et l'acquisition des méthodes, c'est-à-dire sur le partage des tâches entre les enseignants et les autres producteurs d'éducation dans et en dehors de l'école.
Rien sur les politiques territoriales d'éducation.
Rien sur le traitement différencié des grands lycées de centre-ville et des collèges de banlieue.
Rien sur les mécanismes d'orientation professionnelle pour les plus fragiles, au-delà des stages qui valident des échecs.
Rien non plus sur le sens à donner au métier d'enseignant et sur la recomposition en profondeur des carrières.
Sourires
J'en viens au dernier point de mon intervention, monsieur le ministre, le plus important sans doute : comment gouverner l'école ?
Vous avez sacrifié au rite de la forcément très Haute Autorité, si indépendante qu'elle sera désignée politiquement et qu'elle sera à la fois juge et partie de ses propres attributions.
L'idée même de démocratie scolaire ou de « parlement de l'école » vous terrifie sans doute. L'hypothèse d'un dispositif national et de dispositifs régionaux de copilotage associant enseignants, parents et professionnels de l'éducation capables d'examiner les conditions concrètes de respect des programmes nationaux dans le cadre de procédures décentralisées est sans doute un cauchemar pour vous, tout comme le sont une réforme du rôle des chefs d'établissement, un renforcement de la représentation des élèves, une refonte des inspections.
Monsieur le ministre, je prends donc acte que vous avez décidé d'être prudent et de ne rien troubler, que vous avez préféré n'aborder aucune des questions très sérieuses posées par la commission Thélot, tout en invoquant son travail à tout instant.
Je déplore que vous ayez fait le service minimum en vous contentant de donner quelques signaux à la partie la plus anti-soixante-huitarde de votre électorat et en chargeant la barque des enseignants, invités à colmater les brèches en en faisant toujours plus.
M. Roger Karoutchi s'exclame.
Je me désole que vous n'ayez pas essayé de mobiliser les ressources du changement que sont, par exemple, la montée de nouvelles générations de professeurs, la qualité de nos recherches en sciences de l'éducation, la disponibilité des parents et des élèves.
Il est vrai que nous n'avons ni les mêmes contraintes ni les mêmes points de repère. Vous comprendrez donc que nous ne puissions évidemment accepter ni la lettre ni l'absence d'esprit de ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, principal pilier de notre pays, l'éducation nationale est le socle sur lequel s'est appuyée la République afin d'enseigner et de propager les valeurs qu'elle incarne et qu'elle porte en elle.
En plus de cent ans, l'école a permis d'élever le niveau de connaissance des Français, apparaissant ainsi comme un véritable vecteur d'intégration sociale et culturelle. L'école est le lieu où l'on apprend à vivre en société, dans un milieu encadré. Elle est en cela parfaitement complémentaire de la cellule familiale.
Malheureusement, cette école de la République n'existe plus et son rôle d'« ascenseur social » a quasiment disparu, au détriment des personnes les plus défavorisées. En effet, depuis une vingtaine d'années, notre système n'a pas réussi à se réformer et à s'adapter aux évolutions de la société. Et nous payons aujourd'hui le prix des réformes que nous n'avons pas réussies, ou pas eu le courage de faire lorsque cela était nécessaire.
J'aimerais penser, comme le soulignent certains, que cela est simplement dû à un manque de moyens, qu'il suffirait donc d'augmenter : si cette mesure permettait de sauver notre école et d'assurer l'avenir de nos enfants, aucune majorité, quelle qu'elle soit, ne s'y opposerait.
Mais ce n'est pas vrai, ce n'est pas simplement en augmentant le budget consacré à l'éducation que nous résoudrons le problème. La preuve : en vingt-cinq ans, les moyens ont été multipliés par deux et, en quinze ans, 130 000 enseignants supplémentaires ont été recrutés alors que, dans le même temps, le nombre d'élèves diminuait de 500 000.
La France est l'un des pays au monde qui consacre le plus de moyens à l'éducation, avec plus de 1 500 euros par habitant et par an. Pourtant, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Il s'agit donc d'un problème beaucoup plus complexe que le simple manque de moyens ; un problème qui touche le fonctionnement même de notre système éducatif.
Aussi, je souhaite saluer le courage dont vous faites preuve, monsieur le ministre, en nous présentant ce projet de loi. Il est indispensable, car il répond à une impérieuse nécessité de réformer l'éducation dans notre pays.
Je regrette simplement que, sur un sujet aussi grave qui devrait recevoir l'assentiment de tous et entraîner un débat loin de toute idéologie partisane, certains aient refusé de participer aux discussions, préférant encourager la désinformation à de seules fins politiques.
Les manifestations d'élèves qui se sont succédé illustrent parfaitement la campagne de désinformation qui a été menée. En effet, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux jeunes ces dernières semaines et je n'ai pu que constater leur méconnaissance du texte puisqu'ils évoquaient pêle-mêle la suppression de l'école maternelle, la présence de policiers dans les écoles, le bac par établissement ou par département, la suppression de l'éducation physique et sportive ou des disciplines culturelles, certains, opposés au contrôle continu, continuant d'ailleurs de réclamer le retrait de la réforme du baccalauréat, alors que cette disposition n'est plus à l'ordre du jour.
Je remarque au passage que ces mêmes élèves souhaitaient le maintien des travaux personnels encadrés en terminale, ...
...qui, réalisés tout au long de l'année, sont pris en compte dans la note du baccalauréat dans le cadre, précisément, du contrôle continu ! Voilà un paradoxe qui laisse perplexe.
M. Christian Demuynck. En tous cas, quels qu'ils soient, ceux qui manipulent ces jeunes à des fins politiciennes ne sont dignes d'aucun respect.
Protestations sur les travées du groupe socialiste. - Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Cependant, les revendications de ces jeunes ne doivent pas nous laisser indifférents. En effet, elles sont le reflet de leurs inquiétudes, de leurs craintes de l'avenir et du chômage. II faut entendre, comprendre, aider les jeunes, même si le côté « rebelle » ou la participation à la contestation dans le cadre de manifestations peut agacer.
Pour les aider, il faut leur expliquer ce que pourrait être leur avenir, en leur proposant un système d'orientation efficace. Nous sommes, en effet, un pays extraordinaire où les structures d'orientation sont diverses et multiples : conseillers d'orientation, CIO, points information jeunesse, missions locales, organismes mis en place par les collectivités...
Malgré tout, c'est le parcours du combattant au moment du choix de l'orientation, car aucun document ni personne n'explique les prospectives ou les perspectives d'emploi par filière. Aucune structure n'est capable de donner une information complète, et nous laissons des jeunes s'engager dans des filières qui leur offrent la quasi-certitude d'obtenir un diplôme ouvrant droit au chômage.
Je pense par exemple à tous ces jeunes qui s'engagent dans la filière écologique, qui obtiennent une licence de gestion des ressources environnementales et se retrouvent au chômage parce que personne ne leur a dit qu'ils avaient peu de chance de trouver un emploi à l'issue de leurs études. Et ce qui est valable pour l'environnement l'est aussi pour d'autres filières !
En revanche, dans la fonction publique, il existe des gisements d'emplois considérables. En tant que maire, monsieur le ministre, je peux vous dire que j'ai beaucoup de mal à recruter des cadres responsables des services techniques, des finances, des ressources humaines, ou bien des maîtres nageurs, des policiers municipaux, des plombiers, des menuisiers. Quant à la filière sanitaire et sociale, les difficultés sont telles que nous sommes toujours à la limite des règles de sécurité.
Je pense donc qu'il serait intéressant d'instaurer un livret d'information professionnelle destiné à l'ensemble des élèves et regroupant les perspectives d'emplois de chaque filière. Ce livret pourrait être élaboré par le Haut Conseil de l'éducation, en collaboration avec les organisations professionnelles. II serait mis à jour tous les ans et présenté aux élèves de troisième et de terminale par le personnel des CIO, afin de les aider à faire leur choix.
Je tiens également à saluer le caractère social du projet que vous nous présentez, monsieur le ministre. En effet, l'une des principales mesures du texte vise à majorer le montant des bourses au mérite de 30 % et à en multiplier le nombre par trois, ce qui permettra d'encourager et d'aider les bons élèves dans la suite de leur parcours.
Le programme personnalisé de réussite scolaire est également un bon moyen de venir en aide aux enfants qui ne possèdent pas les connaissances fondamentales, ces derniers pouvant désormais bénéficier d'un soutien scolaire adapté à leurs difficultés.
L'un de nos collègues prétendait tout à l'heure que cette mesure serait sans effet. Je peux pourtant vous dire que l'expérience réalisée dans ma ville avec des jeunes en difficulté et des professeurs volontaires a montré qu'en quelques semaines ces jeunes réussissaient à intégrer le cursus normal de leur formation.
Car, nous le savons bien, un enfant qui ne possède pas les bases suffisantes au début de sa scolarité se sentira mal à l'aise à l'école et y mettra de la mauvaise volonté. Ce sont souvent les élèves en difficulté qui perturbent la classe afin de se faire remarquer et de se distinguer des autres, ce que leurs résultats ne leur permettent pas.
Aussi, si nous voulons éviter de tomber dans un tel écueil, il est primordial de ne pas laisser un enfant en situation d'échec s'enliser sans rien faire. Mais une telle démarche ne peut être réellement efficace que si les évaluations des enseignants font l'objet d'un suivi personnalisé de l'élève.
C'est sur ce point que je tiens à attirer votre attention, monsieur le ministre. En effet, les évaluations, pour être pertinentes, doivent être régulières et prendre en compte l'évolution des résultats de l'élève tout au long de l'année. Oui, l'évaluation est indispensable, comme le souligne le rapport annexé, si nous voulons détecter les enfants en difficulté.
Une telle évaluation est également nécessaire pour les enseignants.
En l'espèce, je pense que la notation des intéressés doit davantage tenir compte du travail qu'ils fournissent et des résultats qu'ils obtiennent avec leurs élèves. En effet, aujourd'hui, les enseignants sont très rarement inspectés et leur note est liée non pas à leur valeur pédagogique mais à leur ancienneté.
Ce système désespère les enseignants de qualité, qui sont, quoi que l'on en dise, très nombreux. Car celui qui reste après les cours, qui élabore un projet, qui reçoit régulièrement les parents, n'est pas mieux noté ni plus reconnu que celui qui se contente d'assurer simplement ses heures.
Il n'est pas non plus de bonne gestion qu'à sept ans de la retraite les professeurs atteignent leur notation maximale, sans perspective d'évolution. Il convient, monsieur le ministre, de changer ce système désespérant, démotivant et injuste : certains d'entre eux m'ont fait part, lors de réunions que j'ai organisées dans mon département, de la perte de motivation qui pouvait se faire jour après de nombreuses années d'enseignement.
En la matière, nous devrions développer des passerelles à l'intérieur de l'éducation nationale, mais aussi avec le reste de la fonction publique, afin de leur donner la possibilité de se réorienter s'ils le désirent. Car, nous le savons, un enseignant qui n'est pas motivé aura davantage de mal à capter l'attention des élèves, à les intéresser, et donc à être un bon pédagogue.
Enfin, je tenais à dire un mot de la multiplication des violences à laquelle nous assistons depuis plusieurs années dans les établissements. Et, en tant qu'élu de Seine-Saint-Denis, je suis particulièrement concerné par ce sujet.
Il est inadmissible que, aujourd'hui, l'école ne soit plus un rempart contre la violence et que les élèves se sentent menacés lorsqu'ils s'y rendent.
Disant cela, je ne fais là que reprendre les mots des chefs d'établissement, des enseignants et des parents d'élèves que j'ai rencontrés lors de l'élaboration du rapport que je vous ai remis, monsieur le ministre, au mois de juin dernier.
Je suis d'ailleurs heureux de constater que le rapport annexé à votre projet de loi prévoit de quintupler le nombre des dispositifs relais qui prennent en charge temporairement les élèves difficiles avant de les réintégrer dans leur cursus habituel.
Cependant, il faudrait compléter cette disposition en augmentant le nombre d'internats dans les établissements, et ce en collaboration avec les collectivités locales concernées. En effet, si nous voulons aider les enfants qui vivent dans un environnement familial difficile, il est indispensable de les extraire de leur milieu pour qu'ils suivent leurs études dans de meilleures conditions.
En conclusion, même s'il est perfectible, comme tous les textes, ce projet de loi est fondamental pour l'avenir de notre école et pour le devenir de nos enfants. Et je tenais une nouvelle fois à vous faire part, monsieur le ministre, de mon soutien total.
Il n'est pas aisé de préparer un projet de loi sur l'école, chacun ayant son idée sur ce qu'il faudrait changer. Les enseignants souhaitent souvent davantage d'autonomie, les parents, eux, désirent être plus associés à l'éducation que reçoivent leurs enfants à l'école.
Nos collègues de l'opposition savent, d'ailleurs, combien il est difficile de rédiger un texte qui satisfasse tout le monde. Ils ont beau critiquer celui que vous nous présentez aujourd'hui, monsieur le ministre, ils étaient confrontés aux mêmes oppositions, aux mêmes craintes, lorsqu'ils étaient au pouvoir.
Ils nous reprochent de ne pas avoir ouvert le débat sur ce thème : pourtant, plus de 26 000 réunions se sont tenues sur l'ensemble du territoire, réunions auxquelles ont participé plus d'un million de Français. Nous ne pouvons donc pas dire qu'il n'y a pas eu de débat ou de discussion : c'est un faux procès.
La gauche nous reproche également de passer en force, en déclarant l'urgence sur ce texte. Pourtant, Lionel Jospin n'a-t-il pas agi de la même façon lorsqu'il était ministre de l'éducation nationale en 1989 ? Je crois décidément que certains ont la mémoire courte !
Protestations sur les travées du groupe socialiste.
Non, ce projet ne met pas l'école en danger. Non, il n'y aura pas de baisse du budget de l'éducation nationale. Au contraire, ses auteurs préparent l'école des vingt prochaines années et se donnent les moyens de leurs ambitions !
Ce projet de loi est indispensable. Quoi qu'il se passe dans la rue, monsieur le ministre, nous savons que nous pouvons compter sur vous pour tenir bon !
Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.
Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, chers collègues, avec l'examen de ce projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école, le Sénat a la possibilité de poursuivre et de concrétiser certaines des orientations du grand débat national organisé à la demande du Président de la République.
De cette consultation sans précédent, nous retiendrons surtout les huit programmes d'action élaborés par la commission Thélot : la refonte de la scolarité obligatoire, les voies de formation au lycée, la définition du projet scolaire par les élèves, la mixité sociale, la capacité d'action des établissements, le métier de professeur, la place des parents et le rôle des partenariats.
Je regrette que les pistes ébauchées par ladite commission n'aient pas été davantage reprises dans le présent projet de loi. Je me réjouis, en revanche, que la « maîtrise d'un socle commun », idée qu'elle avait proposée, figure dans le texte qui nous est soumis.
Grâce à cette nouvelle approche, la collectivité ne fixe plus seulement des taux de réussite, mais invite désormais l'école à délivrer le niveau de connaissances indispensable à la réussite de l'élève, pour sa vie tant personnelle que professionnelle.
Ainsi, aux termes de l'article 6, ce socle comprend la maîtrise de la langue française, des principaux éléments de mathématiques et des nouvelles technologies. Il comprend également la pratique d'au moins une langue étrangère ainsi qu'une culture scientifique et humaniste.
Je suis favorable à cette orientation. Pour autant, il me semble qu'elle pourrait utilement s'ouvrir sur un autre enseignement tout aussi indispensable à l'épanouissement personnel : celui de l'histoire et de la géographie. En effet, comment espérer que chaque individu atteigne un parfait accomplissement dans sa vie citoyenne si l'apprentissage des fondements de notre civilisation n'est pas inscrit officiellement dans le socle des connaissances indispensables ?
Ce point fera l'objet d'un amendement que je vous soumettrai.
Monsieur le ministre, j'axerai mes propos sur la place réservée aux langues vivantes étrangères.
Force est de constater qu'elle est particulièrement choisie. En effet, la définition du socle et le paragraphe consacré à la dimension européenne confirment la détermination de la France à rattraper son retard dans le domaine de la maîtrise des langues, passeport culturel obligatoire pour devenir un individu professionnellement mobile.
Le défi à relever est tout aussi important qu'il est difficile.
Nombreux ont été les cris d'alarme, nombreuses ont été les propositions sans que nous puissions pour autant percevoir de véritables améliorations.
À ce titre, les excellents travaux de notre collègue Jacques Legendre nous éclairent sur les faiblesses récurrentes de notre système éducatif. Interpellé par ces carences, il avait présenté en 1994 un véritable plaidoyer en faveur de la diversification des langues vivantes et de l'efficacité de leur enseignement.
Huit ans après, en dépit d'avancées perceptibles, un nouveau rapport est venu, dans le cadre du grand débat national sur l'école, répondre à une inquiétude qu'il a qualifiée de « renouvelée ».
Le resserrement de l'offre linguistique et l'insuffisante mobilisation en faveur de l'apprentissage des langues étrangères demeurent autant de sujets de préoccupations en France.
Pourtant, ces exigences sont importantes et elles le seront d'autant plus après le prochain élargissement de l'Europe, creuset dans lequel cohabiteront des centaines de millions de citoyens aux moeurs et aux coutumes différentes.
Or seul l'échange oral leur permettra de se découvrir mutuellement, d'échanger leurs savoirs, leurs connaissances, leurs expériences.
Comme le précise une communication de la Commission européenne en date du 24 juillet 2003, « le citoyen doté de bonnes compétences linguistiques est mieux équipé pour profiter de sa liberté de travailler ou d'étudier dans un autre Etat membre ».
Ce plan d'action, qui entend généraliser sur notre territoire l'idée actée à Lisbonne en 2000 d'une Europe de la connaissance, constitue donc une base de propositions permettant à chaque pays membre de prendre des mesures concrètes afin de promouvoir l'apprentissage des langues et la diversité linguistique.
D'importantes similitudes sont d'ailleurs à noter entre ces orientations et les principes d'action affichés dans ce projet de loi.
Au cours de sa scolarité obligatoire, chaque élève suivra ainsi un enseignement de deux langues étrangères. En outre, l'apprentissage de l'une de ces deux langues sera anticipé pour commencer dès le plus jeune âge, puis sera ensuite intensifié au collège par l'appropriation d'une seconde langue, progressivement proposée dès la cinquième ; il sera enfin complété dans le cadre des formations dispensées dans l'enseignement supérieur.
En complément, le rapport annexé fait état de nombreux exemples attestant d'une politique volontariste d'apprentissage linguistique : regroupement des élèves par paliers de compétences, groupes dédoublés en terminale, opérations « école ouverte en langues », développement des sections européennes et internationales, jumelage, correspondant étranger pour chaque collégien, appui aux établissements pour organiser des projets dans le cadre des programmes européens, formation des enseignants.
Cependant, l'expérience m'incite à faire preuve de plus de réserve. En effet, cette litanie d'actions appelle des moyens financiers qui, bien que relevant de la loi de finances, devraient apparaître, tout au moins à titre symbolique, dans ce texte !
Ainsi, derrière chaque proposition se cache souvent une réalité différente. Devons-nous nous réjouir de la multiplication des sections européennes et internationales sans même nous demander si elles ont actuellement les moyens humains et matériels de respecter le cadre imposé ? Je ne le crois pas, monsieur le ministre, mais peut-être me contredirez-vous sur ce point.
Souhaitant vivement l'efficacité tout autant que l'effectivité des actions évoquées dans le rapport annexé au présent projet de loi, je vous proposerai un nouvel amendement visant à réaliser, dans le cadre d'un rapport à remettre au Parlement, une évaluation qualitative et quantitative des programmes actuellement mis en oeuvre.
C'est donc à l'aune de nos débats à venir et de la bienveillance avec laquelle seront étudiés mes amendements...
... et ceux de mon groupe que je me déterminerai sur ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF.)
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l'école est une institution centrale qui pose des défis majeurs puisqu'elle détermine l'avenir de chacun de nos concitoyens comme celui de notre société tout entière.
C'est dans chaque établissement, jour après jour, que l'école se construit. Là réside la difficulté des enjeux, et je salue le travail quotidien des enseignants, du personnel d'encadrement et des personnels techniques.
Pour autant, si cet avenir dépend des enseignants - je souligne au passage la qualité de leur engagement -, il dépend également des décisions prises par les politiques.
Une loi d'orientation se doit de fixer les missions du service public, ses objectifs et les moyens à attribuer pour éduquer et pour former.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté pourrait faire l'unanimité, mais dans un sens négatif ! Pour s'en convaincre, il n'est nul besoin d'écouter la rue, où les lycéens manifestent leur refus, car d'autres protestations s'élèvent chez les parents d'élèves, les enseignants, les élèves et les élus.
Bref, un large consensus apparaît pour rejeter les propositions telles qu'elles sont formulées.
Que peut-on reprocher à ce projet de loi ? Beaucoup !
D'abord, il arrive au pire moment : 85 000 postes manquent dans le secondaire. Dans la petite ville de Château-Chinon, deux postes et demi d'enseignants sont supprimés sur les six suppressions prévues dans la Nièvre ; la perte d'effectif atteint 2 % au collège, soit 10 % de baisse de la dotation globale horaire. En conséquence, la classe de troisième d'insertion a été supprimée.
On a oublié, ou cassé, le plan pluriannuel de recrutement pour la sempiternelle raison de la baisse des effectifs, alors qu'un encadrement plus dense devient impérieusement nécessaire.
Les aides éducateurs, les surveillants sont partis faute de nouveaux contrats ; les infirmières, les assistantes sociales, les médecins, les TOS même, alors que les bâtiments doivent être entretenus, sont, de façon affligeante, en nombre insuffisant.
L'appel au remplacement par d'autres enseignants n'est que la résultante du non-renouvellement des contrats à durée déterminée des professeurs contractuels.
Par ailleurs, faut-il en revenir à cette notion passéiste, que l'on perçoit comme un reproche sous-jacent, de rachat nécessaire par le biais du redoublement ? Le redoublement ne traite que les conséquences et jamais les causes des inégalités !
Faut-il mettre en place une sélection précoce, qui nous éloigne de l'égalité des chances ? De nombreuses propositions contenues dans ce projet de loi semblent procéder d'un tel choix : la réforme du bac, heureusement repoussée, la suppression des TPE en terminale, privant les élèves isolés de passerelles de convergence avec l'université.
A juste titre, l'échec scolaire pèse comme un fléau. Faute de moyens, l'école ne peut adapter son enseignement à certaines catégories d'élèves, ni surtout corriger les inégalités sociales, ressenties douloureusement à l'école. Elle ne peut pas davantage corriger les disparités territoriales qui engendrent aussi des inégalités et affectent la cohésion sociale.
Pour palier l'échec total, vous exigez un socle minimum de connaissances assez restrictif, aux choix limités et fort incomplets. C'est mieux que rien, monsieur le ministre, mais c'est une exigence de niveau CM2 assez peu ambitieuse !
Que peut envisager l'élève ainsi nanti, sinon entrer dans des filières à l'avenir incertain ? Il est vrai que l'on peut espérer, sans trop y croire, que le contrat individuel éducatif viendra apporter une solution salvatrice.
La manifestation de Guéret, mobilisation impressionnante traduisant le mal-être, le mal-vivre de la ruralité, devrait donner à réfléchir : « non » à la suppression des écoles, mais, au-delà, « non » aux disparités d'enseignement pour des élèves qui ont le tort de vivre à la campagne, où manquent les structures périscolaires. Les écoles n'ont-elles pas dû attendre le financement des communes pour être informatisées ? Quelles sources de disparités rencontre l'enseignement dans les zones rurales !
L'école doit apporter à tous le savoir, mais elle doit également développer l'intelligence, la curiosité intellectuelle, former à la citoyenneté, favoriser l'insertion professionnelle. Mais l'école rurale en a-t-elle les moyens ? Peut-on s'instruire et progresser aussi facilement si l'on est moins sollicité, si l'émulation est moindre et si, a fortiori, certaines matières ne sont pas proposées ?
On a parlé tout à l'heure de l'apprentissage des langues, mais l'enseignement musical, qui me tient particulièrement à coeur, est bien oublié. Il ouvre pourtant l'une des portes de la culture, de la citoyenneté et permet une prise de conscience sociale. Toutefois, en France, cet enseignement est essentiellement basé sur la pratique instrumentale, qui est fort coûteuse, avec, en préalable, l'enseignement rébarbatif et rebutant du solfège.
Les écoles de musique que financent les collectivités locales les moins impécunieuses ne sont que source d'échec : sur cent violonistes, un demi à peine fait carrière ! Le vrai enseignement musical doit être, monsieur le ministre, vocal. Mieux que l'instrument, c'est le chant, le chant choral, qui enseigne la musique et lui donne son attrait. §
Les pays de l'Est l'ont compris et affichent de belles réussites. En Hongrie, par exemple, on ne peut être institutrice sans être musicienne et sans avoir été formée au chant choral et une école sur dix est une école musicale.
Le langage musical s'apprend en chantant, tout comme le solfège. Développons l'enseignement musical par la voix, exigeons-le dès l'école primaire. Ce n'est ni impossible ni coûteux.
Quoi qu'il en soit, on ne sent pas, dans le démantèlement programmé des services publics, que l'école rurale ait le vent en poupe, même si les regroupements pédagogiques bénéficient d'une mesure de grâce. Mais pour combien de temps ?
Pourtant, l'école doit avoir un programme unique sans zones d'ombre puisqu'elle est le lieu de tous, un lieu pour tous. L'éducation est un objectif commun, et chaque acteur doit réussir individuellement, avec le soutien des autres. Et, si les professeurs ne sont pas les seuls possesseurs des savoirs puisque la télévision, les ordinateurs, les valeurs marchandes peuvent brouiller les messages, ils restent cependant la référence.
Quant à l'école maternelle, autre maltraitée, elle a une mission spécifique et doit être distincte de l'école élémentaire. On a déjà supprimé les inspecteurs des écoles maternelles, qui se sont fondus dans le groupe des inspecteurs départementaux de l'éducation nationale, les IDEN, première atteinte - mais il y en aura d'autres - à sa spécificité.
L'école maternelle joue dans l'enseignement un rôle original et essentiel que l'on ne prend pas suffisamment en compte. Elle se doit d'ouvrir ses portes aux enfants de deux ans. Et il est à noter que se sont élevées à Guéret des protestations émanant d'habitants de Seine-Saint-Denis, dont les préoccupations semblent les mêmes s'agissant de l'admission tardive des enfants. En effet, n'ouvrir l'école qu'aux enfants âgés de trois ans, c'est leur faire perdre au moins une année et leur imposer un retard qui ne se rattrapera pas.
Prétendre que l'école n'est qu'une simple garderie à deux ans, c'est méconnaître le travail d'éveil intelligent que dispensent les maîtres, ou en faire fi : on sait que tout enfant a un capital cognitif que l'on doit développer entre zéro et six ans. C'est la période la plus fertile.
Il faut soutenir l'enfant dès son jeune âge pour réduire, si on le peut, les inégalités criantes entre les enfants qui sont sollicités par leurs parents et ceux que nourrit seulement une culture de rue ou de télévision.
Dès la maternelle, on doit détecter les difficultés qui apparaissent, ou vont apparaître chez certains élèves et on doit peut-être leur proposer un enseignement différent.
Mettre l'école au coeur de la nation, c'est rassembler les jeunes dans une même citoyenneté et mettre fin au gâchis que représente l'échec scolaire dans une société à la recherche de cohésion sociale.
Cette école, au coeur de la nation, doit être la même partout : ni ghettos urbains ni ghettos ruraux, ni école de l'échec ni école à deux vitesses. C'est tout simplement une référence laïque et, comme le disait Condorcet, ce qu'il faut former, ce sont non pas des virtuoses, mais des hommes et des citoyens. Et qui dit citoyens dit citoyens libres et égaux, citoyens qui ont les mêmes chances. Doivent être ainsi privilégiées la promotion, la prévention et non pas la notion de réparation, pour ne pas dire de rédemption.
Il conviendrait d'aller vers un vaste service public qui offre, en termes de construction scolaire, de recrutement, de formation, les mêmes possibilités à toutes les écoles, l'accès à la culture de façon égalitaire, des activités diverses, artistiques, sportives, toutes éducatrices et formatrices.
Les dispositions introduites par ce projet de loi d'orientation n'apportent des perspectives exaltantes ni pour le monde éducatif ni pour les élèves, en particulier en zone rurale. Certes, des objectifs exigeants sont affichés, mais les moyens d'y parvenir restent flous et contestables. Faute de cohérence, ces objectifs resteront au stade de l'intention.
L'école a besoin d'avoir un cap et des moyens, elle n'a besoin ni d'une orientation élitiste ni de coupes budgétaires. L'école dessine notre avenir, il faut la considérer avec égards et respect, toujours et partout, à tous les âges de la vie scolaire et dans tous les territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le ministre, on a entendu beaucoup de choses, ici et ailleurs ; laissez-moi à mon tour exprimer mon étonnement face aux critiques qui vous ont été adressées.
Jacques Legendre a rappelé tout à l'heure ce qui s'est passé voilà quelque temps, j'allais presque dire quelques décennies. Moi qui ai la chance de pouvoir comparer ce qui se passe aujourd'hui avec ce qui se passait lorsque je n'étais pas encore parlementaire et que j'occupais d'autres fonctions, ...
... je puis vous dire que je suis frappé par la permanence du vocabulaire, des formules, des critiques, ...
M. Adrien Gouteyron. ... et par le refus de l'évolution. C'est assez extraordinaire !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Le monde de l'éducation, ou du moins certains des éléments qui le composent, s'agite beaucoup, mais avance très peu.
Comme vous l'avez dit dans votre propos introductif, monsieur le ministre, je crois qu'il est nécessaire de fixer de temps en temps un cap.
C'est ce qui a été fait, pour ne citer que quelques grandes dates, en 1975 avec la loi Haby, en 1989 avec la loi Jospin, puis cette année avec vous.
Oui, notre pays a besoin que soit fixé un cap, cela correspond à une nécessité sociale. C'est tout l'intérêt de votre projet de loi, monsieur le ministre, et je ne comprends pas, je le répète, les critiques qui ont été émises à votre encontre.
J'observe d'ailleurs que les critiques émanant de certains groupes peuvent être contradictoires. Certains sont d'un optimisme...
... qui m'étonne beaucoup : je pense notamment à notre collègue Jean-Luc Mélenchon, ancien ministre ...
... pour lequel j'ai une grande estime et qui a cité quelques pourcentages, omettant toutefois de les comparer à ceux des autres pays.
Il a évoqué le développement de l'enseignement professionnel et a expliqué que l'effectif ne diminue pas, mais il a oublié d'examiner comment l'effectif se répartit dans les sections. Les élèves se répartissent-ils dans des sections qui débouchent sur un emploi ou, au contraire, les effectifs sont-ils excessifs dans des sections qui ne débouchent sur rien ?
Inversement, Mme Dominique Voynet, ancien ministre elle aussi, nous a dressé tout à l'heure un exposé d'une noirceur absolument effarante.
Ce n'est pas dans ces positions extrêmes que l'on peut trouver la vérité.
Pour ma part, je ne suis pas de ceux qui négligent la voix des jeunes. Quoi qu'on puisse dire des manifestations - et on pourrait beaucoup en dire ! -, je crois qu'elles expriment quelque chose, et quelque chose dont il faut tenir compte. La jeunesse connaît un vrai malaise - pas toute la jeunesse, mais certains jeunes -, ...
Permettez-moi à cet égard une réflexion un peu amusée.
Lorsque j'entends certains des jeunes qui parlent au nom des lycéens, je suis frappé par l'assurance de leur langage, par le caractère stéréotypé et conformiste de leur discours. On croirait entendre des syndicalistes aguerris ou des politiques avertis.
M. Adrien Gouteyron. Voilà au moins une formation dont la qualité ne régresse pas !
Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur les chiffres : nos éminents rapporteurs ont rappelé l'effort considérable consenti par la nation sous tous les gouvernements depuis des décennies. Cet effort, il faut le prendre en compte et s'en réjouir.
Au-delà des chiffres, donc, permettez-moi simplement de faire ici allusion au récent rapport de la Cour des comptes, qui mérite quelques commentaires.
Je constate, cher président Valade, que, lorsque j'avais l'honneur et le bonheur d'occuper la fonction qui est la vôtre aujourd'hui, j'avais présidé une mission - au sein de laquelle siégeait d'ailleurs M. Carle -, dont les conclusions ...
... allaient tout à fait dans le sens que celles de la Cour des comptes, même si les totaux n'étaient pas exactement les mêmes. Et je considère, monsieur le ministre, que l'on aurait tort de ne pas prendre en compte les critiques qui ont été ainsi émises, car ces deux documents méritent une analyse approfondie.
A l'heure où la nation est de plus en plus exigeante sur les moyens qu'elle met à la disposition des services publics - et elle a raison de l'être -, l'intérêt de l'éducation nationale est d'examiner la situation de près et de s'assurer que les moyens mis à sa disposition sont bien utilisés. Si le rapport de la Cour des comptes peut vous y aider, monsieur le ministre, je m'en réjouis.
J'entendais ce matin à la radio la présidente du Haut Conseil à l'intégration parler de l'égalité des chances. Fort bien !
Selon elle, cette égalité progresse. Je considère, je l'avoue, que ses propos sont quelque peu optimistes, comme l'ont été tout à l'heure, je le répète, ceux de Jean-Luc Mélenchon. En effet, selon le rapport du Haut Conseil de l'évaluation de l'école, rendu public au mois de février, 150 000 jeunes sortent du système sans qualification, 15 % des élèves ne maîtrisent pas les connaissances de base, tandis que 10 % des jeunes - ce qui représente, je le précise, 170 000 personnes dans une classe d'âge, ce qui n'est pas rien, mes chers collègues ! - éprouvent des difficultés très graves
Alors, monsieur le ministre, vous proposez, dans votre texte, des solutions fortes. En effet, qui peut sérieusement contester la nécessité de prévoir un socle commun des connaissances ? Qui peut sérieusement contester le programme personnalisé de réussite scolaire, qui tend à répondre à cet objectif ? Qui peut contester la nécessité de procéder à une évaluation ? Qui peut contester la nécessité d'apporter un soutien ? Personne, s'il est de bonne foi !
Qui peut contester la nécessité d'intégrer dans ce texte le respect et la force des valeurs républicaines dans la formation des jeunes ? Personne, s'il est de bonne foi !
Monsieur le ministre, ces mesures vont dans le bons sens. Permettez-moi cependant d'insister sur un point, et je rejoindrai là les propos du rapporteur pour avis de la commission des finances.
M. Longuet, comme M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, a expliqué qu'il fallait personnaliser la pédagogie, ...
... tenir compte des personnes, des élèves.
J'en suis moi aussi tout à fait convaincu, tout comme les enseignants, qui s'appliquent à mettre en place cette pédagogie mais qui le font souvent isolément et, pour ainsi dire, sans avoir suffisamment de repères.
Monsieur le ministre, je pense très sincèrement qu'il faut donner de la souplesse à notre système éducatif - j'insiste sur cet adjectif -, car il est trop systématique, trop rigide.
Il me paraît nécessaire d'engager une expérimentation exigeante, à condition qu'elle soit évaluée et que ses résultats soient exploités et mis à la disposition de l'ensemble des enseignants. Or il en a rarement été ainsi dans le passé.
C'est pourquoi j'ai déposé un amendement dont l'objet, je m'en réjouis, rejoint les intentions de la commission des affaires culturelles.
A l'instar de certains de mes collègues qui y ont fait allusion, monsieur le ministre, je veux moi aussi insister sur la nécessité de constituer des équipes d'enseignants cohérentes, ce qui ne peut que rarement résulter des hasards de mouvements opérés sans autre considération que le seul barème.
Dans le passé ont été créés - et des ministres de toutes tendances y ont pris leur part - des dispositifs permettant de stabiliser les équipes et de les rendre plus cohérentes. Je pense en particulier, pourquoi ne pas le dire, aux possibilités ouvertes en 2001 par Jack Lang afin de favoriser, par voie de circulaire, la stabilité des équipes de direction et des équipes éducatives dans certains établissements.
Plus récemment, une autre circulaire a défini les affectations prioritaires à valoriser. Nous sommes là sur la bonne voie !
C'est pourquoi j'ai déposé un autre amendement - peut-être vous posera-t-il, monsieur le ministre, plus de problèmes que le précédent §- tendant à ouvrir plus largement le dispositif que je viens de décrire en permettant que les enseignants, dans les établissements où ont lieu des expérimentations ainsi que dans les ZEP, puissent être affectés selon des procédures particulières.
Au demeurant, monsieur le ministre, en ce qui concerne les ZEP, je partage le sentiment du rapporteur pour avis, qui a tout à l'heure affirmé préférer les mesures individualisées aux mesures territoriales. Mais il se trouve que les élèves en difficulté sont souvent concentrés dans certains établissements, et que cela justifie des mesures particulières.
Selon les informations dont je dispose - et vous me direz, monsieur le ministre, si elles sont fondées -, les moyens réservés aux établissements situés en ZEP sont accrus de 9 % par rapport à ceux qui sont affectés aux établissements dits « normaux ». Mais, en réalité, si l'on intègre la rémunération des enseignants dans le calcul, on s'aperçoit que les établissements situés en ZEP ne sont pas aussi surdotés qu'on le pense parfois. En effet, dans les établissements de centre-ville, c'est-à-dire dans ceux qui sont socialement favorisés, les enseignants sont plus anciens, donc plus expérimentés.
Ainsi, la surdotation, les moyens supplémentaires ne se comptent pas seulement en postes : ils dépendent aussi et surtout des hommes et des femmes qui les occupent ! Voilà pourquoi j'ai déposé ce second amendement.
Permettez-moi avant de conclure, monsieur le ministre, de citer un souvenir qui est resté très présent dans ma mémoire et qui remonte à l'époque où j'occupais, cher Jacques Valade, la fonction de président de la commission des affaires culturelles. Plusieurs membres de la commission et moi-même avions visité un établissement très difficile du sud de Paris. Or nous y avons rencontré un chef d'établissement qui était un véritable animateur, entouré d'enseignants soudés, capables de définir des objectifs et de se mobiliser pour les atteindre, exigeants mais toujours soucieux de la personnalité des élèves. Cela existe ! C'est possible !
Donnons-nous les moyens de généraliser cet exemple...
Enfin, monsieur le ministre, pour ne pas allonger mon intervention, je ne vous lirai pas la lettre que m'a adressée une enseignante qui est aujourd'hui très découragée : alors qu'elle a toujours été excellemment notée et que ses chefs d'établissement ne tarissent pas d'éloges à son sujet, sa note est aujourd'hui bloquée parce qu'elle ne doit absolument pas dépasser celle de ses collègues plus anciens !
Monsieur le ministre, je partage à cet égard les propos de notre collègue Christian Demuynck. Il faut avoir le courage de résoudre ce problème qui ne relève pas de la loi, mais du règlement, donc de la volonté politique.
Je ne conclurai cependant pas mon propos sur une note pessimiste, car des évolutions sont selon moi possibles. Je vous fais confiance, monsieur le ministre, parce que le discours que vous avez prononcé était profondément républicain. Je suis convaincu que le projet de loi d'orientation que vous nous soumettez contribuera à améliorer la situation et je le voterai avec conviction ! (
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma première observation portera sur la méthode.
Il est vrai que le débat a eu lieu. Il a été riche et nous nous accordons tous à dire qu'il a été utile. De même, le rapport Thélot contenait des avancées significatives, et nous avons tous été intéressés par ce travail.
Vous nous proposez aujourd'hui recourir à la loi. Est-ce un exercice obligé ? Je vous pose la question, monsieur le ministre ! Alors que nous étions dans une dynamique de réflexion positive et qu'il semblait possible de trouver un accord sur de nombreux points, vous avez tout à coup voulu précipiter les choses et recourir à la procédure parlementaire afin d'élaborer une grande loi, dans un contexte difficile qui vient d'être largement décrit.
Je ne suis pas le seul à avoir cette impression. Ainsi, la commission des affaires culturelles a reçu de nombreuses personnalités et toutes se sont étonnées : pourquoi ne pas prendre le temps de la réflexion et se mettre d'accord sur les quelques éléments - ils ne sont pas très nombreux - qui relèvent spécifiquement de la loi ? Vous l'avez d'ailleurs vous-même admis, monsieur le ministre, puisque vous avez déjà retiré de ce texte un certain nombre d'articles.
Cette situation n'est pas nouvelle : face à une crise ou à un problème, on nomme une personnalité d'exception, qui remet un rapport de qualité. Puis vient le temps de la loi, qui fige tout - c'est ce qui risque d'arriver aujourd'hui avec la recherche - et qui referme l'espace d'ouverture que l'on s'était donné. Le moment de réflexion consensuelle que l'on avait su créer cesse alors, tout est terminé. C'est la crispation, les gens sont dans la rue, l'opposition des syndicats est quasi totale, les parents clament leur désaccord...
Cette façon de gouverner ne permet guère de progresser !
Permettez-moi, monsieur le ministre, de penser en cet instant aux responsables de grandes sociétés publiques - la SNCF ou EDF, par exemple -, qui gèrent des centaines de milliers de personnes. Ils dialoguent, cherchent à améliorer les structures, et ils obtiennent des résultats. Pour autant, ils ne réclament pas tous les jours de grandes lois, même si, de temps en temps, des aménagements législatifs s'imposent !
J'ai l'impression qu'ici, avec l'école, on ne s'occupe pas de l'institution. Comment la faire évoluer ? Quelle structure modifier ? Quel système choisir ?
Pour ma part, je m'étonne que soit enclenché un processus législatif accéléré sur une question que tout le monde juge essentielle. Cela crée d'importantes frustrations ! Une telle précipitation était-elle vraiment nécessaire, monsieur le ministre ? On a cité la loi Haby, la loi Jospin, on a dit que ce troisième exercice législatif marquerait une étape considérable dans le processus. Une telle conviction est sympathique, mais je crains que cette étape ne soit inachevée.
Vous annoncez, monsieur le ministre, la création de postes d'infirmières ou l'institution d'heures supplémentaires pour faire de l'accompagnement. C'est formidable ! Mais avec quels budgets ? Au demeurant, de telles mesures nécessitent-elles vraiment une loi ? Ne relèvent-elles pas d'un autre domaine ? Trop de lois tue la loi ! Sur un sujet aussi sensible, il aurait fallu se limiter à des dispositifs strictement législatifs.
J'en viens maintenant au fond.
Nous avons tous entendu de nombreuses personnalités, en commission comme sur le terrain. Comme mes collègues, dans les conseils d'établissement, j'ai rencontré les principaux de collèges ou les proviseurs de lycées. Ils sont respectueux des hiérarchies et connaissent leur sujet. Et je dois admettre qu'ils n'ont pas fait preuve d'un enthousiasme extraordinaire...
Sur l'échec scolaire, par exemple, de nombreux enseignants demandent une évaluation objective. Or, actuellement, personne n'est en mesure de donner des chiffres exacts et de dire si la situation s'est aggravée. Tous les personnels d'éducation regrettent la disparition du Haut Conseil de l'évaluation de l'école au profit du Haut Conseil de l'éducation. Cette institution, à laquelle ils étaient très attachés, permettait pourtant une évaluation des résultats et des comparaisons à l'échelon international.
L'échec scolaire couvre en fait une large gamme de situations et les enseignants s'avouent assez impuissants face à un certain noyau dur qui correspond à des situations critiques, à des conditions familiales tragiques, à une déstructuration de la société, à une population délaissée, celle que nous rencontrons dans nos permanences.
Il faut le dire franchement : les enseignants sont pointés du doigt, mais ils ne peuvent régler ces questions-là seuls ! Or la démission est générale, elle concerne les familles, les institutions, et jusqu'à l'Etat lui-même, dont les interventions de façade se contentent de masquer le vide !
Monsieur le ministre, alors que nous sommes confrontés à une véritable dégradation sociale et économique et que l'extrême pauvreté progresse de façon inquiétante sur certains territoires, vous culpabilisez les enseignants et vous les rendez responsables de l'échec scolaire !
Nous ne mettons pas en cause les enseignants !
Vous ne mettez pas en cause les enseignants, mais ce projet de loi cible constamment l'échec scolaire en sous-entendant la responsabilité des enseignants.
Si ce n'était pas vrai, cher collègue, j'en serais ravi ! Mais telle est bien la réalité et, dans cette question de l'échec scolaire, je voudrais que l'on identifie aussi ce qui ne relève pas de la seule responsabilité des enseignants et que l'on n'impute pas à leur incapacité un problème plus large et vraiment terrifiant.
Car il est trop facile d'isoler une institution et un corps, en l'occurrence celui des enseignants, au milieu d'un désastre social, ...
M. Yves Dauge. ... qui n'est pas général, certes, mais qui est bien visible en certains points du territoire. Même dans ma région, qui n'est pas touchée autant que d'autres, je vois bien l'extrême pauvreté progresser.
Exclamations sur les travées de l'UMP.
Il faut tout de même être réaliste dans cette affaire ! Voilà pourquoi je replace cette question de l'échec scolaire dans son contexte, car vous êtes tous des gens de terrain assez responsables pour comprendre ce que je veux dire.
Des enseignants de grande qualité et au dévouement sans limites m'ont dit qu'ils ne continueraient pas indéfiniment à exercer un métier devenu par trop difficile. Ils ne sont pas tous âgés, comme on pourrait le croire, et ils avaient une ambition ; ils croyaient qu'ils « tiendraient ».
Cette question de l'échec scolaire en appelle une autre, monsieur le ministre : celle du métier. Nous-mêmes, politiques, remettons en cause notre métier. Pourquoi celui d'enseignant ne serait-il pas remis en cause, lui aussi ? Car il ne suffit pas de savoir ; encore faut-il pouvoir, dans sa classe, résister aux diverses pressions et faire face à toutes sortes d'injustices ; il faut être capable d'ouvrir l'école sur le monde extérieur. Aujourd'hui, IUFM ou pas, tous les enseignants affirment n'avoir ni le temps ni les moyens d'apprendre ce métier.
C'est une réalité, monsieur le ministre, qui nous préoccupe tous, indépendamment des clivages politiques.
Je terminerai sur la question des collectivités locales et des territoires pour aborder, monsieur le ministre, le problème de la gestion du système éducatif, les mécanismes de la programmation, la façon dont on gère les équipes pédagogiques, les enseignants, et la manière dont nous, élus, sommes traités par l'institution.
Je dois vous dire, monsieur le ministre, que si les préfets et les sous-préfets se comportaient comme les recteurs et les inspecteurs d'académie, il y aurait vraiment des problèmes en France. Parce que ces gens-là nous ignorent. J'apprécierais d'ailleurs beaucoup que vous nommiez de temps en temps - mais vos prédécesseurs auraient pu le faire avant vous - des personnes issues d'autres milieux, ayant d'autres références que celles de l'éducation. Nos interlocuteurs actuels sont certainement très compétents, mais ils n'ont aucune culture du terrain ; ils ne savent pas ce qu'est un bassin d'emploi ou une revendication d'une collectivité locale.
En d'autres termes, nous sommes ignorés et mis devant le fait accompli ; nous sommes soumis en permanence à des programmations mathématiques qui ignorent présent et avenir. D'ailleurs, monsieur le ministre, pour avoir vous aussi exercé des responsabilités d'élu, vous savez très bien ce qui se passe dans les quartiers urbains en grande difficulté ou dans les zones rurales qui connaissent des fermetures de classes, aujourd'hui de collèges et, demain, de lycées.
Dans mon département, qui n'est pourtant pas très éloigné de la région parisienne, puisqu'il s'agit de l'Indre-et-Loire, on ferme le lycée professionnel de Descartes. Et deux ou trois collèges sont menacés. Mais qui s'en préoccupe, sinon les élus ? Tous les contacts que je peux avoir avec l'éducation nationale n'aboutissent à rien, et depuis des années.
A Nouâtre, commune rurale dont le collège est en péril, il suffirait, pour sauver l'établissement, d'ouvrir un pensionnat de quelques dizaines de places. J'observe d'ailleurs qu'il n'y a aucun pensionnat dans l'enseignement public, en tout cas dans ma région. Cet établissement accueillerait des élèves issus de zones défavorisées, de quartiers difficiles, par exemple de Joué-lès-Tours. Ces enfants seraient ainsi soustraits, pendant la semaine, aux milieux dans lesquels ils sont en train de se perdre. Ils pourraient, à peine à trente kilomètres de chez eux, faire du sport, découvrir la nature, tout en rentrant à la maison le week-end. On créerait ainsi une alternance entre ville et campagne et on sauverait le collège.
Voilà ce que je demande depuis des années, mais je n'ai aucun retour ; je n'ai même pas l'écoute minimale d'un fonctionnaire de l'institution, une institution dont on comprend qu'elle désespère les enseignants eux-mêmes.
Qui s'occupera demain de l'évolution démographique catastrophique amorcée sur une partie importante du territoire ? Personne ! Et l'on ne répondra pas davantage à d'autres questions, tout aussi évidentes, qui se posent. On n'entendra que les cris de révolte des personnes qui se battent contre les fermetures de classes !
Nous sommes dans un système institutionnel qui est incapable de gérer les conflits, d'anticiper quoi que ce soit. La machine est aveugle, monsieur le ministre, et nous aurons beau discuter des cycles, des enseignants, des méthodes pédagogiques, ce sera en pure perte tant que le système continuera à ne pas regarder le monde tel qu'il est, tel qu'il bouge et tel qu'il doit être ouvert sur l'extérieur. C'est regrettable !
Faut-il pour autant une loi ? Je n'en suis pas sûr ! Mais l'on ne peut pas indéfiniment fermer les yeux et aller dans le mur en suscitant la révolte aussi bien des élus locaux que des parents, bref, des citoyens. Car n'oubliez pas que nous sommes dans une démocratie vivante, qui se réveille devant l'épreuve et qui manifeste, associations en tête, pour porter haut ses exigences.
C'est absence totale d'écoute, de compréhension de l'évolution de la société, est insupportable.
Ma conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est que la société civile, la vie démocratique dans nos campagnes comme dans nos villes, est en avance sur les institutions, et sans doute aussi sur la pensée politique !
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup de choses intéressantes ont été dites. Je limiterai donc mon propos à quelques témoignages et à certaines réflexions que m'inspire une carrière d'enseignant.
Dès l'intitulé du projet de loi nous savons qu'il est ici question de l'avenir de l'école. L'école, il est vrai, est importante dans notre société, et je ne la conçois que comme l'école de la réussite, une institution au service des enfants, avec une logique d'efficacité et de résultat. Quant au mot « avenir », je souhaiterais qu'il soit associé à l'avenir de nos enfants, car c'est bien d'eux qu'il s'agit. La nation a un devoir vis-à-vis de ces enfants, qui sont aussi notre avenir, puisqu'ils seront les citoyens de demain, ceux qui feront, si je puis m'exprimer ainsi, « tourner la mécanique ».
Donc, l'enfant est bien l'acteur principal, le personnage central de ce texte.
Pour reprendre le constat du président de la commission des affaires culturelles, quand on examine ces enfants dans leur classe, dans un cours, on s'aperçoit qu'ils sont assez dissemblables : il y en a des grands et des petits ; il y en a des forts et des moins forts ; il y en a qui ont des performances intéressantes en sport, d'autres en d'autres disciplines. Et l'on voit aussi combien l'intelligence est loin de revêtir la même forme. Autrement dit, l'un des problèmes de l'école tient à cette diversité : comment en faire l'école de la réussite pour tous ?
Ces enfants ont tous des qualités, qu'il faut d'abord déceler, puis exploiter pour les valoriser, d'autant que, chacun s'accorde à le dire, le monde dans lequel ces enfants vivent est en constante évolution, tout comme le pays, ses habitants et la société. D'ailleurs, qui pourrait nier que les enfants il y a vingt ans, qui étaient déjà différents des enfants vingt ans auparavant, n'étaient pas comme ceux d'aujourd'hui ?
Il va donc de soi que l'école doit se transformer et s'adapter. Mais, paradoxe de notre pays, la moindre velléité de changement suscite le scepticisme. Nous sommes tous d'accord sur le constat, et je remercie M. le ministre du grand débat national qu'il a ouvert et qui a permis à tous ceux qui le souhaitaient de s'exprimer. Mais l'important est que le constat débouche sur l'action.
Il est facile de dire qu'il faut des moyens nouveaux ; il faut aussi parfois, mes chers collègues, de l'imagination ! Chacun d'entre nous sait, dans la responsabilité qui est la sienne, que ces moyens ne sont pas aussi évidents que cela à trouver.
M. Pierre Martin. En France, c'est à partir de l'âge de six ans que les enfants doivent aller à l'école ; cela s'appelle l'obligation scolaire. Mais cela ne signifie pas qu'ils ont tous envie d'aller à l'école.
Sourires
Pour avoir l'expérience des enfants, je sais qu'ils sont plus nombreux à ne pas avoir envie qu'à avoir envie et, en l'absence d'envie, la réussite n'est pas forcément au rendez-vous. Il faut donc imaginer les éléments qui sont susceptibles de susciter l'envie. Il peut s'agir de locaux adaptés, dans lesquels les enfants se rendent avec plaisir ; ces locaux dépendent des élus. Il faut aussi...
... des parents concernés, des parents intéressés. Il faut également des enseignants qualifiés, ce qui est souvent le cas, mais aussi motivés. Ces conditions étant réunies, les enfants aimeront peut-être aller à l'école. Or aimer aller à l'école, c'est déjà un facteur de réussite.
Mais si le plaisir n'est pas au rendez-vous, si cette envie n'existe pas, il faut trouver pour chaque enfant l'argument mobilisateur. Et là, c'est au maître de jouer son rôle, un rôle important s'il en est, car le maître est le pivot de l'école ; c'est aussi un animateur, un comédien dans sa classe, lui qui doit plaire aux enfants pour les motiver.
Mais les enseignants sont-ils tous aptes à enseigner ? Il me paraît indispensable de poser cette question. A cet égard, je souhaiterais, monsieur le ministre, des inspecteurs sur le modèle de ceux que nous avons connus il y a une quarantaine d'années. Aujourd'hui, ils s'excusent presque de déranger le maître dans sa classe, quand ils ne lui demandent pas purement et simplement au préalable si, ce jour-là, l'inspection est possible.
J'aurais beaucoup à dire sur le sujet, car, comme j'ai pu le constater, les choses ont énormément changé ; on devrait revenir à un peu plus de rigueur.
La formation des maîtres est difficile : il faut leur apprendre à gérer une classe souvent hétérogène, ce qui n'est pas aisé. Inclure cette dimension dans la formation n'est pas évident.
Une chose est sûre, en revanche : le maître est pleinement responsable de la réussite de ses élèves. Il doit remplir la mission de l'école, c'est-à-dire transmettre à tous des savoirs essentiels, en s'appuyant sur le socle de connaissances, dont il doit se servir comme d'un tremplin.
Je prendrai l'exemple de l'apprentissage de la lecture. J'ai entendu dire de tout temps que, si les enfants n'avaient pas appris à lire, c'est parce que la méthode n'était pas bonne. Je considère que la méthode est uniquement un support ; c'est le maître qui demeure responsable de la conduite des opérations.
Permettez-moi, comme aurait pu le faire La Palice, d'énoncer cette vérité : on ne peut pas apprendre à lire sans lire, de même qu'on ne peut pas apprendre à écrire sans écrire. Il est bon de rappeler cette vérité, car elle définit parfaitement la façon dont doit être conduit l'apprentissage pendant le cours préparatoire.
Depuis longtemps, chacun s'accorde à reconnaître que le cours préparatoire est essentiel et qu'il doit être assuré par des maîtres expérimentés. Car un enfant qui a raté son CP risque fort de rater une partie de sa scolarité.
Or que se passe-t-il, bien souvent ? Le chef d'établissement choisit généralement son cours ; il demande, par exemple, à enseigner en CM 2. Et, au dernier arrivé, souvent inexpérimenté, est attribuée la classe dont personne n'a voulu, c'est-à-dire le CP.
Cela étant, le directeur, qui est le capitaine, doit occuper une place stratégique et créer une équipe pédagogique qui non seulement réponde aux besoins des enfants, c'est-à-dire apporte un soutien et fasse preuve de solidarité si nécessaire, mais aussi, et surtout, fasse en sorte que l'enfant gagne. Une telle équipe inspire confiance tant aux enfants qu'aux parents et un climat favorable à la réussite se crée.
Par ailleurs, le maître doit offrir aux enfants une certaine image, ceux-ci ayant un don de mimétisme très développé. Nous avons tous en mémoire un maître de l'école primaire qui nous a laissé un souvenir extraordinaire, qui s'est dévoué et nous a offert le meilleur de lui-même.
Cela montre à quel point les maîtres, par leur philosophie, leur qualité, leur comportement, ont une grande influence sur les élèves.
Les maîtres donnent une chance aux élèves, mais cette chance ne va pas nécessairement les conduire immédiatement à la réussite. Dès lors, il faut leur offrir ce que l'on appelle une « seconde chance ».
J'aimerais aussi que les maîtres tiennent des propos un peu plus élogieux qu'ils ne le font parfois au sujet de certains métiers ; je pense en particulier à l'artisanat.
En tant qu'élus ruraux, nous recevons chaque jour des plaintes d'artisans de nos campagnes déplorant de ne plus trouver de personnel qualifié, car aucun jeune ne veut apprendre le métier. C'est dommage, car certains artisans sont de véritables artistes, dont le travail suscite l'admiration.
Là aussi, il y a une issue ! Pour que ces métiers retrouvent la faveur des jeunes, il conviendrait de promouvoir certains baccalauréats.
Ce qui est sûr, c'est que la réussite scolaire est toujours vécue par le jeune comme un succès.
Monsieur le ministre, certains examens ont été supprimés, alors que l'amour propre des uns et des autres a parfois besoin d'être flatté. Ainsi, il fut un temps où les enfants étaient tout fiers d'avoir obtenu le certificat d'études, leurs parents et leur maître également. Ce sentiment de fierté, il est bon que les élèves l'éprouvent encore de nos jours, car certains termineront leur scolarité sans le moindre succès à un examen.
Les parents ont, eux aussi, un rôle essentiel à jouer. Il faut donc les mobiliser, les associer et, surtout, leur expliquer le parcours de l'enfant. Car nombre d'entre eux, pourtant bien intentionnés et prêts à aider leur progéniture, ne savent pas comment s'y prendre et, parfois, voulant bien faire, font plus de mal que de bien. Il n'est pas question de mettre en place une « école des parents », mais il faut absolument mobiliser les parents.
Je pourrais poursuivre mon propos en évoquant les collèges et les lycées, mais je me bornerai à formuler deux réflexions à cet égard.
Il n'est plus possible de laisser entrer au collège des enfants ne sachant ni lire, ni compter, ni écrire, comme cela se produit encore parfois.
Quant au baccalauréat, faisons en sorte qu'il laisse la porte entrouverte à la poursuite des études, ce qui n'est pas toujours le cas. A tout le moins, l'école doit transmettre les valeurs de la République et permettre à chaque enfant d'avoir une qualification.
Monsieur le ministre, dans votre texte, j'ai trouvé nombre de réponses aux questions que je me posais : la formation des maîtres, une qualification pour tous, la garantie que chaque enfant puisse aller au bout de son ambition, l'accompagnement des élèves en difficulté et un programme personnalisé de réussite scolaire. Je voterai donc ce projet de loi d'orientation.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Tout ça pour ça, monsieur le ministre !
Le 15 septembre 2003, c'est-à-dire voilà un an et demi, jour pour jour, le Premier ministre installait la commission du débat national sur l'avenir de l'école. Dans leur lettre de mission adressée à M. Claude Thélot, président de cette commission, les ministres chargés de l'éducation nationale à cette date écrivaient : « Toutes les forces de la nation doivent pouvoir s'exprimer sur ce sujet fondamental pour l'avenir de notre pays ».
Cette vaste concertation nationale, voulue par le Président de la République, devait - je cite toujours la lettre de mission - « éclairer les principales lignes d'évolution possibles et souhaitables de notre système éducatif pour les dix ou quinze prochaines années » et déboucher « sur un projet de loi d'orientation. »
Avec ce texte, vous avez décidé, monsieur le ministre, que nous en étions au terme du processus. Mais la montagne a accouché d'une souris. La souris, c'est votre projet de loi, monsieur le ministre ! Et voilà qu'en plus vous la faites accoucher aux forceps avec la déclaration d'urgence.
Sourires
Dans votre dispositif législatif, largement extra-législatif d'ailleurs, vous avez manifestement choisi d'ignorer la plupart des recommandations que la commission Thélot vous a remises le 12 octobre dernier, ou de ne retenir que les plus contestables.
Ainsi, dans le long rapport annexé au projet de loi, qui n'a a priori aucune valeur normative, mais qui vise à introduire, dans un dispositif législatif censé assurer l'avenir de l'école de la République, des circulaires ministérielles, un long développement est consacré à la sécurité dans les établissements.
Louable souci que de vouloir « offrir aux élèves un climat de sérénité et de travail propice à leur éducation et à la progression de chacun » ! Pourquoi pas, en effet, octroyer une base légale au règlement intérieur des établissements pour donner à un tel document, qui doit être partagé par toute la communauté éducative, plus de force ?
Cependant, était-il nécessaire, dans l'esprit des mesures prises par Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, de pénaliser ce sanctuaire que doit être un établissement scolaire en transformant en une espèce de délégué du procureur de la République le chef d'établissement, dont vous affirmez, monsieur le ministre, que l'une des fonctions prioritaires est de signaler au Parquet « les infractions pénales en vue de mettre en oeuvre des réponses rapides et adaptées » ?
Tout ça pour ça...
Vous retenez aussi du rapport Thélot la proposition, unanimement rejetée par les syndicats d'enseignants, de faire assurer au personnel pédagogique une présence plus importante dans les établissements, notamment face aux élèves.
Certes, le Gouvernement n'est pas allé jusqu'à intégrer dans son projet de loi une disposition visant directement à accroître la productivité des enseignants. Car n'ayons pas peur des mots : c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'esprit de nombre de parlementaires de la majorité, qui ont dû lire avec satisfaction la note confidentielle de la Cour des comptes, dévoilée, par un heureux hasard, le 11 mars dernier, et concluant, sur la base de méthodes de calcul du temps de travail des enseignants tout à fait erronées, que ceux-ci ne passaient pas assez de temps en classe.
Il est tout de même prévu, à l'article 24 du projet de loi, l'ajout d'une mission aux enseignants - assurer les remplacements de leurs collègues dans le même établissement - dont les conditions de rémunération ne sont pas définies, car sans doute pas prévues.
Au final, le résultat de la concertation nationale voulue par le Président de la République sur l'avenir de l'école est malheureusement très faible : objectivement, il se limite à quelques articles d'un projet de loi modifiant le code de l'éducation.
Et vous n'avez même pas daigné revoir cette copie bâclée quand la quasi-unanimité du Conseil supérieur de l'éducation a rejeté le projet le 16 décembre dernier.
Quant au dialogue social avec les représentants des personnels de l'éducation nationale, il a tourné court : le 22 octobre 2004, lors d'une table ronde à Matignon avec les partenaires sociaux, alors que la commission Thélot venait de vous remettre son rapport, vous déclariez, monsieur le ministre : « L'Education nationale réussit et réussira grâce aux fonctionnaires qui la servent et pour lesquels l'engagement personnel dans le service public est chaque jour fortement vécu. »
Quant à la réforme de l'école, vous vous étiez dit prêt à la « porter » avec les syndicats. Au regard des réactions des principaux syndicats d'enseignants et des personnels de votre administration, vous n'avez pas été, apparemment, très convaincant.
Tout ça pour ça...
Il est vrai que le gouvernement auquel vous appartenez n'a guère pour habitude de dialoguer vraiment : le fait d'avoir interdit, en déclarant l'urgence, à la représentation nationale de disposer du temps nécessaire à une délibération approfondie sur un sujet déterminant pour l'avenir de la nation dans les vingt ans qui viennent le confirme de nouveau.
Les syndicats lycéens ont mis cette déclaration d'urgence sur le compte de votre « peur » de débattre, le syndicat des enseignants - SE-UNSA - estimant, pour sa part, que cette déclaration d'urgence illustrait « l'incapacité politique du Gouvernement à mener le dialogue ».
Je vois, dans ce mépris du Parlement, une certaine infidélité du gouvernement de Jacques Chirac à la volonté du Président de la République, Jacques Chirac, que la réforme de l'école de son quinquennat fasse l'objet d'un consensus national. Ce n'est pas la première fois, d'ailleurs, que celui-ci fait l'inverse de ce qu'il dit ! C'est en quelque sorte une seconde nature.
Ce qui m'étonne un peu plus - et je l'ai constaté à l'occasion du débat sur le projet de loi constitutionnelle - c'est la capacité des parlementaires de droite à « s'asseoir » si allègrement sur leurs fonctions quand un ordre leur est donné : l'urgence est déclarée, un coup de sifflet est donné et l'on se met au garde-à-vous !
Protestations sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Tout ça pour ça...
L'une des dispositions du projet de loi d'orientation manifeste en tout cas une curieuse conception du pluralisme. Il s'agit de la composition du Haut conseil de l'éducation, qui remplace le Conseil national des programmes et le Haut Conseil de l'évaluation de l'école, et dont l'indépendance ne sera nullement garantie.
C'est pourtant ce que souhaitait la commission Thélot !
En effet, les critères sur lesquels seront choisies les personnalités appelées à y siéger ne sont pas précisés. On peut donc craindre le pire !
En tout état de cause, au-delà des acteurs de la communauté éducative, l'ensemble des Français ne peut que s'inquiéter des intentions réelles dissimulées dans ce texte, que l'on soustrait aussi largement à la discussion démocratique.
Que cache votre projet de loi, monsieur le ministre ?
Les objectifs que vous assignez à l'école - conduire 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, 50 % à l'enseignement supérieur, et 100 % à sortir du système éducatif avec une qualification - ne peuvent qu'être partagés par tous les Français.
Si ce projet de loi est adopté, monsieur le ministre, il nous faudra prendre date pour dresser le bilan de son application, afin de vérifier que l'Etat atteint bien ses objectifs. Mais comment le pourra-t-il, alors que, depuis l'arrivée au pouvoir de la droite, les décisions gouvernentales en matière d'éducation ont consisté à supprimer des postes d'aides éducateurs et, concomitamment, à ne pas remplacer 10 000 surveillants ? On dit même qu'il manquera près de 70 000 postes à la rentrée prochaine par rapport à la rentrée 2002.
Afin de privilégier la lutte contre l'échec scolaire lié à l'environnement socio-économique et territorial, lien que les inspections générales de votre ministère jugent, dans leur rapport pour l'année 2004, comme une évidence, la commission Thélot a proposé l'attribution d'une dotation supplémentaire - celle-ci pourrait atteindre jusqu'à 25 % - aux établissements dont les taux d'échec scolaire sont les plus élevés. Vous n'avez pas retenu cette proposition, monsieur le ministre, car vous êtes lucide sur l'évolution de votre budget, et ce alors que les inégalités continuent de progresser de façon préoccupante.
Ainsi, malgré la mise en place des ZEP et l'investissement massif des enseignants, les écarts entre les groupes sociaux sont révélateurs : 68 % des élèves orientés à la fin de la troisième vers un cycle professionnel sont issus des milieux les plus populaires ; 20 % des jeunes d'une classe d'âge quittent le système éducatif sans aucune qualification. La scolarisation en maternelle dès l'âge de deux ans concernait 35 % d'une classe d'âge en 1985. Ce taux n'est plus aujourd'hui que de 28 %. A l'université, les enfants issus des milieux les moins favorisés n'y occupent encore qu'une place marginale.
Quant au redoublement, il est préconisé pour les élèves « faibles » dès le début du primaire, au mépris d'études convergentes dénonçant sa nocivité. Ainsi, 90 % des élèves que l'on fait redoubler au cours préparatoire n'obtiendront jamais le baccalauréat. Le fait que le passage d'une classe à l'autre, au collège et au lycée, ne soit plus automatique à l'intérieur des cycles remet fondamentalement en cause l'organisation des études qui participe à l'égalité des chances.
Dans le même esprit, on voit mal comment la suppression des travaux personnels encadrés, vivement dénoncée par l'Union nationale lycéenne, l'UNL, pourrait contribuer à remédier aux situations d'échec au cours des premières années du cursus universitaire, alors que cette innovation pédagogique permettait justement de favoriser une transition sereine entre le secondaire et le supérieur.
La disparition de nombre d'options destinées à favoriser le travail personnel des élèves dissimule mal le manque de moyens que votre gouvernement a décidé d'octroyer à l'Education nationale. Ce manque de moyens vous contraint à chercher à réaliser des économies partout où vous le pouvez. Cette motivation n'était d'ailleurs sans doute pas totalement étrangère à votre décision d'instaurer, avant d'y renoncer, une forte dose de contrôle continu pour l'obtention du baccalauréat.
Par ailleurs, de toute évidence, l'instauration de mentions au brevet des collèges renforcera, comme le soulignent les organisations lycéennes, l'inégalité et la concurrence entre les établissements, ces tendances risquant d'aggraver le phénomène connu du contournement de la carte scolaire.
Quant à la note de vie scolaire, mesure cohérente avec d'autres dispositions réactionnaires du texte, elle revient à évaluer, de manière tout à fait subjective, le comportement des élèves. Ainsi, trois fois plus de bourses seront désormais attribuées en tant compte du seul mérite des élèves.
Au-delà de la question, essentielle, des moyens que la nation consacre à l'avenir de ses enfants, vous semblez nier les aspirations des collégiens et des lycéens à suivre une formation de haut niveau culturel et éducatif avant d'être orientés dans la perspective de leur seule insertion dans le monde de l'entreprise.
Or l'option de découverte professionnelle créée en classe de troisième et la décision de conditionner l'orientation des collégiens, en fin de troisième, au « projet de l'élève », risquent de confirmer une tendance, vivement souhaitée par le patronat, de professionnaliser le système éducatif en enfermant les jeunes, dès leur adolescence, dans une spécialisation toute tracée.
L'insertion professionnelle directe à l'issue de l'obtention d'un CAP obéit à la même logique. Mais qui dit orientation précoce dit également rupture d'égalité entre les élèves.
Qui plus est, il semble bien, à la lecture de votre texte, monsieur le ministre, que vous ayez fait le choix d'un pilotage managérial de l'école, au même titre qu'un quelconque service public industriel et commercial.
« Le projet de loi est très managérial dans sa conception générale. Depuis Jules Ferry, c'est la première loi où la pédagogie est aussi peu présente et où la culture est clairement entrepreneuriale », ...
...concluait récemment le professeur en sciences de l'éducation Philippe Meirieu.
Continuez à le traiter d'imbécile !
La « contractualisation », qui touche peu à peu tous les domaines de l'action publique, s'appliquera désormais à la relation entre l'élève et sa famille, d'une part, et l'établissement scolaire, d'autre part, au travers de l'instauration du contrat individuel de réussite éducative, le CIRE.
Si la mise en place de dispositifs individualisés de suivi des élèves est plutôt à encourager, le CIRE risque de faire porter à la famille de l'élève la responsabilité de l'échec de celui-ci, permettant ainsi à l'institution scolaire, comme le craint l'UNL, de se dédouaner.
En matière de formation des enseignants, si le rapprochement des IUFM de la vie académique des universités est une mesure positive, celui-ci ne doit pas être motivé par la perspective de réaliser de potentielles économies d'échelle en fusionnant les moyens aujourd'hui affectés en propre aux IUFM avec ceux qui sont octroyés aux unités de formation et de recherche, les UFR.
Il importe que la réforme de la formation des enseignants soit plus globale. Leur cursus doit être cohérent, s'étaler sur trois ans et exclure au maximum les périodes de bachotage liées à la préparation des concours. Mais une telle orientation, essentielle pour assurer un haut niveau de formation à nos maîtres, est impossible sans moyens.
Or les 2 milliards d'euros qu'exigera, de votre propre aveu, monsieur le ministre, l'application du projet de loi ne sont pas budgétisés. Il semblerait qu'il faille, pour les obtenir, du moins dans l'esprit du ministère des finances, redéployer des crédits déjà dédiés à l'enseignement et à la recherche.
Plus généralement, à l'occasion du vote du présent projet de loi d'orientation, le Gouvernement veut insuffler à l'éducation nationale une « culture du résultat ». Les contenus des programmes et des enseignements risquent donc de plus en plus, sous couvert d'intégration à l'Europe de la connaissance et de préservation de la compétitivité de la main-d'oeuvre française et sur fond de globalisation économique, d'obéir à une logique marchande.
Les enseignants, les élèves, les parents d'élèves sont-ils prêts à accompagner et à vivre, ou plutôt à subir, cette évolution ? Les manifestants, qui contestent ce projet de loi depuis maintenant plusieurs semaines, démontrent le contraire. D'ailleurs, votre constance, monsieur le ministre, à ne pas vouloir écouter les lycéens, le mépris affiché pour leur façon d'exprimer leur revendication, ...
...montrent que ce gouvernement se crispe autour d'une conception étroite de la vie démocratique, excluant celles et ceux, pourtant membres à part entière de la collectivité, qui n'ont pas formellement la possibilité de s'exprimer autrement.
Pourtant, les mouvements lycéens sont bien la preuve d'une réelle maturité. On ricane sur leur éclosion tous les cinq ans. N'est-ce pas le rythme de notre respiration démocratique ? Les citoyens n'élisent-ils pas leurs députés tous les cinq ans ? Ces jeunes, auxquels vous demandez, monsieur le ministre, de faire des choix définitifs quant à leur orientation intellectuelle et professionnelle dès leur adolescence ne pourraient-ils pas voir leur citoyenneté reconnue dès l'âge de seize ans ? Mais il s'agit d'un autre débat !
Lorsqu'on exige d'une génération qu'elle soit responsable, il faut en tirer les conséquences et lui donner les moyens d'exercer cette responsabilité !
En définitive, monsieur le ministre, votre projet de loi d'orientation n'est pas à la hauteur des défis que devra relever l'école de la République au cours des vingt ans à venir. La colère de la jeunesse, qui est la première concernée par ce texte, témoigne qu'il n'est pas fait pour elle. Il n'est pas fait pour l'avenir. Quel gâchis !
Tout ça pour ça...
Monsieur le ministre, levez la procédure d'urgence sur ce texte et continuons à discuter sur le fond ! L'urgence est de voter rapidement un collectif budgétaire, afin de réussir une rentrée 2005 qui s'annonce catastrophique.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'étais tout jeune agrégé lorsque fut votée la loi sur l'éducation de 1975. Au sein de l'établissement dans lequel je me trouvais alors, les manifestations, les protestations, la véhémence syndicale se cristallisaient autour des mêmes thèmes qu'aujourd'hui : les enseignants ne sont pas considérés ; on ne sait pas ce que l'on veut faire du système éducatif ; on est loin de la République.
En 1989, j'ai changé d'établissement. La loi d'orientation sur l'éducation de Lionel Jospin a été votée. Les syndicats disaient alors : la preuve que ce texte est un mauvais coup, c'est que l'urgence a été déclarée, que les critères pédagogiques ne sont pas précisément définis et que La République n'apparaît pas dans ce texte .
En 1997, tout nouvel inspecteur général, j'assistais à la réunion de Claude Allègre au cours de laquelle il inaugurait sa formule : il faut absolument « dégraisser le mammouth ». En effet, disait-il, le système éducatif ne fonctionne pas, de nombreux problèmes se posent dans le monde enseignant, les résultats scolaires ne sont pas au rendez-vous, les formules pédagogiques ne sont pas satisfaisantes. Rien ne va ! Il faut que cela change !
Aujourd'hui, monsieur le ministre, on entend les mêmes interrogations : qu'est-ce qui ne va pas dans le système éducatif ? Pourquoi ne défend-on pas la République ? En quoi les valeurs laïques sont-elles contestées ? Et l'on se demande, comme en 1975, comme en 1989, comme en 1997, s'il ne faudrait pas plus de moyens financiers.
La vérité est simple : l'éducation nationale est extraordinairement difficile à réformer. Il est donc inutile, à gauche comme à droite, de se lancer des invectives sur le thème de la destruction du système éducatif. Par pitié, un peu de mesure ! Franchement, notre système éducatif ne mérite ni tant de haine ni tant d'honneur.
Aujourd'hui, le texte que vous nous présentez, monsieur le ministre, est le résultat d'une consultation que tout le monde a acceptée. Sauf erreur de ma part, aucune consultation préalable de l'opinion n'a eu lieu, ni en 1975, ni en 1989, ni en 1997, avant que le texte soit soumis au Parlement.
Où en sommes-nous aujourd'hui ?
Oui, l'école doit changer, parce que le monde change, parce que la France change, parce que la société change ! Et personne ici, pas plus vous, monsieur le ministre, que les parlementaires, notamment ceux de la majorité, ne mettent en cause la qualité de la grande majorité de nos enseignants. Nous disons simplement que le système éducatif doit changer, afin de ne pas être, à un moment ou à un autre, étranglé par son immobilisme.
Du reste, nous avons tous entendu, de la part de nos collègues de gauche, des propos contradictoires. Certains disent que le système éducatif est totalement replié sur lui-même, qu'il refuse d'écouter les élus. D'autres déclarent qu'il ne faut en aucun cas toucher au système éducatif, parce que les enseignants constituent une catégorie à part et que l'éducation doit être un monde protégé. Il n'existe pas de monde protégé ! La France bouge, l'Europe bouge, le monde bouge ! Personne ne peut croire que les jeunes, français ou autres, seront protégés simplement parce qu'ils seront derrière les grilles d'un lycée ou d'un collège. Ils sont face à un monde qui change. Les formes d'éducation ont évolué. Les jeunes sont éduqués non seulement par leurs familles, par les enseignants, mais aussi par les médias, notamment la télévision, et par les voyages.
Aujourd'hui, il faut faire des transformations, mais pas la révolution. Personne ne remet en cause le statut, la qualité, la formation de nos enseignants. Personne ne soutient que le système éducatif actuel doit être voué aux gémonies et que nous allons forcément en trouver un nouveau demain. Simplement, il faut qu'il se transforme ; sinon, il est mort.
Tous les enseignants, tous les parents d'élèves, tous les jeunes que nous rencontrons dans nos permanences, mes chers collègues, nous disent que cela ne va pas. Mais personne ne prétend détenir la solution miracle. Il est en effet très difficile de changer l'éducation nationale, de modifier un système en place depuis des décennies, lourd, replié sur lui-même, sûr de ses valeurs, parfois à juste titre. Mais si ce système n'évolue pas, l'éducation nationale ne parviendra pas à assumer ses responsabilités.
Oui, monsieur le ministre, il faut instaurer un véritable apprentissage des langues étrangères. La France n'est pas un roc isolé au milieu d'une mer ! Il faut également définir un socle de connaissances non pas pour réduire le nombre des matières ou la base des connaissances de nos jeunes, mais pour tenir compte de l'immensité des secteurs qui se créent, des connaissances nouvelles à acquérir. Ce socle fondamental donnera à chaque jeune la possibilité d'acquérir d'autres connaissances. Le dispositif complet permettra d'assurer aux jeunes une formation de qualité et adaptée à leurs aspirations et à leurs besoins.
Si nous voulons aboutir à ce résultat, il faut apporter un soutien personnalisé à chacun. Tout à l'heure, j'ai entendu dire que tripler le nombre de bourses au mérite serait une mesure réactionnaire. Pourtant, nous avons tous reconnu, sur l'ensemble des travées de cette assemblée, que le progrès républicain était dans le travail et dans le mérite, beaucoup plus que dans l'héritage ou la famille. Alors, sachons ce que nous voulons !
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, vise effectivement à transformer le système éducatif. Il rencontre des résistances ici ou là, mais il y en a toujours quand on modifie un système. En tout cas, votre volonté est claire : dans le respect, j'y insiste, de notre système éducatif, des valeurs de la République et de la laïcité, vous souhaitez faire évoluer le système éducatif : une meilleure connaissance des langues étrangères, la définition d'un socle de connaissances, un soutien personnalisé et une approche différente des élèves.
Tout à l'heure, il a été soutenu que ce texte était dépourvu de toute pédagogie. Certains membres de cette assemblée ont été enseignants et ils maîtrisent un certain nombre de domaines de l'éducation. Pensez-vous qu'ils puissent accepter que la pédagogie soit définie dans une loi ? Il est inacceptable de tenir de tels propos !
Monsieur le ministre, vous mettez en place, dans ce projet de loi, les conditions pour que notre système éducatif évolue. Qui le fera évoluer ? Ce seront les parents, les enseignants, les élèves. Pour ma part, je fais confiance au monde éducatif et aux jeunes, même si, aujourd'hui, ils se révoltent un peu face à ce texte. Ils savent très bien que le système doit changer. Enseignants, parents, jeunes et vous, monsieur le ministre, faites changer les choses !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
M. André Lardeux. Monsieur le ministre, à entendre certains orateurs précédents, j'ai l'impression que l'histoire s'accélère brutalement. Pour synthétiser ces propos, on pourrait dire que vous êtes au pouvoir depuis le printemps 2002 et que des élèves entrés à la maternelle au mois de septembre de ladite année ont déjà échoué au baccalauréat.
Sourires
Plus sérieusement, j'apporte mon entier soutien à la démarche que vous avez entreprise pour mettre l'éducation nationale sur la voie de la réforme. Je le fais notamment en tant qu'enseignant avec une bonne trentaine d'années d'expérience en lycée polyvalent d'enseignement général et technologique situé dans un quartier populaire.
La nomenklatura bien pensante, réfugiée dans les beaux quartiers de nos agglomérations, affirme, avec l'aplomb de ceux qui n'ont rien fait, que votre texte serait vide. J'avoue alors ne pas comprendre pourquoi elle a manipulé les manifestations de lycéens de ces dernières semaines, comme on a pu le constater, par exemple, à la une de la presse locale angevine. D'ailleurs, transformer des jeunes en thuriféraires du conservatisme le plus profond, il faut le faire, si je puis dire !
Ces manifestations n'ont rien de spontané, d'autant que l'élément le plus contesté, à savoir la réforme du baccalauréat, après avoir figuré de façon sibylline dans le rapport annexé, fera, comme vous l'avez annoncé, l'objet d'une concertation.
Connaissant le goût pour la lecture du lycéen moyen, que j'ai fréquenté un certain nombre d'années, il y a fort à parier que le nombre de lycéens lecteurs du texte intégral soit fort réduit.
En revanche, les mêmes manifestants ne se préoccupent ni du brevet, ni des CAP, ni des BEP, qui sont tout aussi concernés, ce qui ne peut que m'amener à m'interroger sur le fondement des événements récents.
Monsieur le ministre, j'adhère à vos propositions parce que, pour la première fois depuis longtemps, vous faites prévaloir le bon sens et le pragmatisme sur les dogmatismes idéologiques. Vous nous proposez d'affirmer ce que la nation attend de l'école, à savoir assurer l'avenir des élèves qui lui sont confiés et réconcilier ainsi la nation et l'école. Vous rappelez les exigences fondamentales, notamment l'élévation du niveau de la formation initiale des jeunes Français, et c'est le moins que l'on puisse attendre du système éducatif pour préparer l'avenir du pays.
Vous rappelez que tout citoyen a le droit de demander des comptes à l'école. Vous ne cherchez pas le grand soir, la révolution, dont certains rêvent peut-être, et vous avez raison. D'ailleurs, il y a au moins autant de réformes de l'éducation nationale que de sénateurs dans cette assemblée. Vous placez au coeur des préoccupations les nécessaires remèdes aux échecs de certains élèves et aux inégalités.
Il ne m'est pas possible d'aborder tous les aspects du projet de loi. Aussi, je limiterai mon intervention au niveau des connaissances, à la formation des enseignants et à la réforme des examens.
Il y a péril, car l'école de la République est menacée d'implosion, ballottée par des demandes contradictoires et par les faiblesses de la société. Celle-ci a tendance à incriminer l'ensemble du corps enseignant et vous avez raison de souligner que c'est une erreur : dans leur majorité, les enseignants sont des serviteurs loyaux de la République, mais, dans certains cas, ils sont désenchantés.
En raison des vertus que l'on exige des enseignants, il est peu de parents, de journalistes ou de notables qui seraient capables et dignes d'exercer ce beau métier.
Cette situation engendre des réactions soit de découragement, pour beaucoup, soit hystériques chez une minorité se livrant à une désinformation peu compatible avec les principes de neutralité et de laïcité de l'enseignement public, ainsi qu'avec les exigences de rigueur et d'honnêteté intellectuelle de ceux qui ont la charge de former les jeunes.
De nombreux enseignants sont mal à l'aise face à l'image que l'école leur renvoie. En effet, pour les plus âgés, la génération des anciens combattants de mai 68, c'est à la fois l'effondrement d'une fantasmagorie appuyée sur l'égalitarisme et la volonté d'une pensée et d'un corps uniques qui a montré que massification n'était pas synonyme de démocratisation, et l'effondrement d'une idéologie rousseauiste et naïve croyant que le nec plus ultra de la pédagogie est la spontanéité de l'élève dont l'inné serait porteur de tous les espoirs. Les résultats observés montrent l'inanité de cette illusion et que le slogan « il est interdit d'interdire » a une date de péremption depuis longtemps dépassée.
Pour les plus jeunes enseignants, c'est l'échec de la formation, si par euphémisme on veut l'appeler ainsi, des IUFM, qui ne leur fournissent ni le bagage scientifique nécessaire à l'autorité du savoir ni le bagage pédagogique et technique nécessaire à l'autorité du pouvoir pour affronter des classes de plus en plus rétives et de moins en moins curieuses. C'est le résultat de l'inadaptation des programmes des IUFM et des choix des formateurs, trop souvent là pour échapper à l'enseignement devant les élèves.
Ce désarroi est accentué par un sentiment de déconsidération réel, même s'il est souvent excessif et nourri par une indigestion de réformettes et de déclarations démagogiques.
Aussi, monsieur le ministre, votre proposition d'intégrer les IUFM aux universités est une indispensable mesure de bon sens. Il restera ensuite, et ce ne sera pas le plus aisé, à en écarter tous les Trissotin et autres femmes savantes qui les encombrent. Il faudra aussi faire des efforts pour que les enseignants puissent se reconvertir à d'autres métiers.
Vous avez raison de rappeler que l'on attend beaucoup de l'école, mais que l'on ne peut tout en attendre ; elle ne peut résoudre tous les maux de la société. En effet, les valeurs sur lesquelles elle doit s'appuyer et sur lesquelles vous insistez sont antinomiques avec celles sur lesquelles la société surfe, si tant est que l'on puisse qualifier de « valeur » le laxisme généralisé et la loi du moindre effort. Comment convaincre les jeunes que, pour réussir, il faut travailler, alors qu'ils observent des adultes qui ne pensent qu'à l'organisation de leurs jours de RTT ? Comment convaincre qu'il y a du plaisir dans l'effort et le travail quand les médias étalent le laisser-aller et exaltent l'absence d'effort ?
Aussi, je suis convaincu que les principes sur lesquels vous vous appuyez sont en mesure de remédier à cette situation, qu'ils n'ont rien de passéistes, bien au contraire. Ils peuvent aider à remettre en route l'ascenseur social, à détecter les jeunes talents, souvent négligés par choix égalitariste.
A cet égard, le présent projet de loi a le mérite de ne pas être réservé aux initiés des arcanes du système éducatif. En effet, la massification de l'école a donné un avantage certain à ceux qui savent, ce qui est une source d'inégalités que confirment les résultats aux examens et les orientations prononcées. Aussi, les mesures préconisées me paraissent de nature à redonner confiance dans le système éducatif à tous ceux qui ont besoin de ses services.
D'aucuns affirment que la solution réside dans les moyens. C'est un mythe dont il est difficile de se débarrasser et qui évoque le tonneau des Danaïdes.
Le rapport de la Cour des comptes, même s'il faut le manipuler avec quelque prudence, le rappelle : il n'y a jamais eu autant de moyens. Pourtant, les difficultés comme l'illettrisme ou la violence se sont aggravées. Les problèmes seront donc résolus non pas par une augmentation considérable des moyens, mais par une meilleure utilisation de ceux-ci, puisqu'il semble bien que l'on assiste, depuis une vingtaine d'années, à une inflation des moyens accompagnée de rendements décroissants.
Monsieur le ministre, vous refusez de vous engager dans des réformes gadgets et vous souhaitez redonner de la stabilité à l'école, tout aussi nécessaire aux élèves qu'aux enseignants.
La modernisation et la clarification du système d'orientation que vous proposez s'imposent pour mettre fin à la façon essentiellement négative dont celui-ci fonctionne actuellement. Elles sont nécessaires pour que les élèves trouvent un sens aux efforts qui leur sont demandés. A juste titre, vous suggérez de redonner aux enseignants le rôle central qu'ils n'auraient jamais dû perdre dans le processus d'orientation ; cette mesure exige une formation approfondie, qui leur fait actuellement défaut. En effet, que savent les enseignants du système éducatif dans son ensemble, des entreprises, de l'environnement socioéconomique, etc. ?
Pour que ce dispositif soit efficace, il faut le centrer sur les établissements, qui doivent constituer de véritables communautés de formation et d'éducation. Les chefs d'établissement doivent disposer d'une véritable autorité sur ces communautés et être des managers éducatifs représentant l'Etat quand il s'agit de l'enseignement public.
Cela suppose une révision des modes d'évaluation des différents acteurs. Les inspections des enseignants sont trop rares pour être significatives et pour encourager les progrès.
Pour tout cela, rétablir l'autorité en s'appuyant sur des moyens classiques relève d'un pragmatisme de bon aloi
Pour ce qui est des connaissances, vous proposez de définir des objectifs fondés sur un socle commun. Cette démarche est nécessaire et se situe dans la droite ligne des créateurs de l'obligation scolaire, comme Jules Ferry. Mais la loi ne doit pas tomber dans le travers de vouloir définir les programmes ; certains amendements tendent à montrer que cette tentation existe. L'enseignement doit simplement se concentrer sur ce qui est fondamental et éviter la multiplication des options plus ou moins ésotériques et élitistes, dont le principal objectif est le détournement des contraintes de la carte scolaire.
Je dirai maintenant quelques mots sur le baccalauréat et l'émoi disproportionné que l'évocation de sa modernisation nécessaire a suscité. Il n'y a rien de sacrilège à vouloir réformer ce que d'aucuns qualifient de « monument de ringardise ». On n'y a pratiquement pas touché depuis 1969, au point qu'il n'est devenu trop souvent qu'un assignat dont beaucoup d'étudiants mesurent vite la dévaluation lorsqu'ils s'engagent dans les formations universitaires. C'est trop souvent un passeport pour nulle part !
Introduire le contrôle continu dans l'examen du baccalauréat est une nécessité ; c'est d'ailleurs en partie le cas pour l'éducation physique ou les TPE. Cela a pour but non seulement d'en alléger l'organisation, mais aussi d'en améliorer la valeur. Peut-on, par exemple, concevoir de juger le niveau de langue d'un élève sur une épreuve écrite terminale ou un oral de dix minutes ? Et les exemples sont nombreux.
Votre projet de réforme, monsieur le ministre, doit être soutenu, car il veut réconcilier la nation et son école, avec des objectifs clairs : garantir la liberté pédagogique des enseignants, affirmer leur autorité, récompenser le mérite avec les bourses du même nom - ce qui est simplement de la discrimination positive intelligente -, rappeler la place essentielle du travail, définir le socle de connaissances nécessaires, refuser les gadgets, prendre en compte les difficultés des élèves. Ces mesures de bon sens, auxquelles on n'est plus habitué, sont une garantie de qualité, d'efficacité et de justice.
Après cela, monsieur le ministre, il vous restera à vaincre les forces d'inertie de ceux qui trouvent toujours de bonnes raisons de ne rien faire et à vous opposer au rétropédalage de quelques autres.
Vous répondrez alors à ce que la nation souhaite, pour aller dans le sens de ce qu'écrivait naguère Jacques Julliard.
« En vérité, nous ne sommes pas respectés parce que nous ne nous respectons plus. [...] la France est envahie de bobologues compatissants, de sociologues misérabilistes, [...] de jeunologues à l'écoute. Ecoutez donc un peu moins et tâchez donc de comprendre un peu plus. Ce que ces jeunes attendent de nous, [...] c'est de notre part un peu plus de fierté, un peu plus de croyance dans nos propres valeurs. Il faudrait être à la fois plus ferme et plus généreux, quand nous sommes complaisants et égoïstes. Il faudrait, envers les jeunes, sortir de ce cercle vicieux où tout leur est permis parce que rien ne leur est proposé. »
Monsieur le ministre, je suis convaincu que vos propositions sont là pour répondre à ces défis. C'est pourquoi je voterai sans crainte la réforme que vous nous proposez.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviens plus en tant que militant de l'éducation que comme sénateur. En 1986 j'ai été élu député. J'étais donc membre de l'opposition lorsque M. Jospin, alors ministre de l'éducation, nous présenta son projet de loi d'orientation en 1989. J'ai étudié le texte, sur lequel j'ai déposé deux amendements : le premier visait à indiquer qu'il s'agissait d'une priorité nationale ; le second prévoyait le rattrapage, dans les cinq ans à venir, de l'écart existant, en matière d'encadrement, entre les départements d'outre-mer et la métropole. Ce n'est pas tout à fait réalisé, mais c'est en bonne voie !
Lorsque j'ai annoncé à mes collègues que j'allais voter cette loi, car elle n'était pas si mauvaise que cela, il m'a été répondu ceci : « quand on appartient à l'opposition, on ne vote pas une loi de la majorité ». Je me suis alors permis de faire une réflexion de bon sens : « l'école de mon pays, comme la force de dissuasion et la défense, ne devrait pas faire l'objet d'un enjeu politicien ». Puis, j'ai voté la loi. Je ne le regrette pas, parce que cela a permis de faire évoluer les choses dans le bon sens.
Ce soir, l'opposition campe sur ses positions idéologiques : elle fait un procès d'intention à une loi courageuse que vous êtes en train de mettre en place, monsieur le ministre ; elle dénigre ce texte comme si nous étions réunis ici, pendant quatre jours, pour supprimer le service public, laïque et gratuit de l'éducation, pour faire le procès des élèves, des parents et des enseignants.
Tel n'est pas notre intention, ni celle du Gouvernement, ni celle du Président de la République, qui souhaitait cette loi, et encore moins celle de la majorité qui vous soutient, monsieur le ministre ! Nous sommes venus exprimer notre reconnaissance aux enseignants, car ils travaillent dans des conditions difficiles.
Lorsque vous êtes un instituteur frais émoulu de l'IUFM et que votre classe compte vingt-deux nationalités différentes, eh bien ! vous avez d'abord peur de rentrer dans la classe ; ensuite, vous craignez de vous faire agresser à la sortie. Vous n'avez pas la reconnaissance de vos aînés, alors que vous trimez pour faire réussir les élèves.
Nous ne faisons pas le procès des enseignants, des parents ou des enfants ! Nous essayons de nous frayer un chemin pour apporter une solution à ces jeunes. Tel est l'objet du présent projet de loi et c'est la raison pour laquelle je le soutiens.
Certains disent que, si l'ascenseur social est bloqué, c'est la faute de l'école. Ce n'est pas vrai !
Il est minuit passé, heure propice au rêve, alors faisons un rêve ensemble : nous avons une école idéale ; tout le monde réussit et en sort bachelier. Pour autant, tout le monde aura-t-il un emploi ? Non, la file d'attente des chômeurs diplômés à l'ANPE va simplement augmenter !
Pendant les mois de discussion qui ont précédé l'examen de votre projet de loi, monsieur le ministre, comme beaucoup de sénateurs, j'ai reçu des lycéens, des parents, des enseignants. Je leur ai demandé s'ils avaient lu le projet de loi. Certains d'entre eux étaient gênés, car ils ne l'avaient ni lu ni étudié. Au fil des jours, les manifestations s'estompent et la compréhension s'installe, en dehors des slogans que l'on a entendus ce soir, parce que les gens admettent que ce n'est pas l'école qui bloque l'ascenseur social : c'est la société de libre-échange, imposée par des puissances financières extérieures à l'Europe, en Asie ou sur le continent américain, qui est en train de démanteler des pans entiers de notre circuit de production. Dès lors, les personnels qualifiés ne trouvent plus d'emploi dans notre pays. Ce n'est pas l'école qui va résoudre ce problème ; c'est une Europe politique forte, que nous voulons construire au fil des ans. Donnons à l'école sa part de mérite et de responsabilité, et à la politique la sienne !
Il ne faut pas exploiter la crainte, justifiée, des jeunes, des enseignants et des parents en faisant un faux procès à ce projet de loi. Chacun constatera, dans les mois à venir, que l'on ne souhaite pas la fin du service public.
Aux termes de la loi, lorsqu'un enfant rencontrera une difficulté, on n'attendra pas qu'il rentre en sixième sans savoir ni lire, ni écrire ni compter : on interviendra dès la découverte du problème et on l'aidera à remettre le pied à l'étrier ! On offrira à chaque élève un socle commun de connaissances. On admet qu'un élève ne puisse pas soulever cent kilogrammes, on admet qu'il ne puisse pas courir comme Marie-Josée Perec ou jouer au football comme Zinedine Zidane, mais on n'admet pas qu'il n'ait pas les mêmes capacités intellectuelles que d'autres. On dispense à toute une classe les mêmes connaissances et, si l'un des élèves trébuche, on le considère comme un âne ! Le projet de loi a au moins le mérite de donner à chacun sa chance !
Je ne vois pas en quoi on exécute le service public, laïque et gratuit de l'éducation lorsqu'on fournit aux enfants en difficulté les moyens de s'intégrer, au fur et à mesure, au cursus et de réussir.
Par ailleurs, monsieur le ministre, j'ai déposé un amendement tendant à ce que l'orientation soit enseignée.
Je ne veux choquer personne, mais, jusqu'à présent, l'école est un peu trop la propriété du milieu enseignant. L'école est le miroir de la société ! Alors, faisons rentrer la société dans l'école ; organisons des rencontres entre le monde du travail et les enfants, qui, demain, mettront leurs compétences au service du pays ; invitons les boulangers, les maçons, les pâtissiers, les mécaniciens, les médecins, les ingénieurs dans les collèges et les lycées. Ce sont eux les vrais conseillers d'orientation ! Ce sont eux qui éveilleront les vocations, qui donneront le goût à l'apprentissage d'un métier à notre jeunesse.
Je souhaite que cette loi soit audacieuse, afin que tombent les murs des lycées et des collèges et que pénètre dans l'école le monde du travail. Si nous y parvenons, au lieu de s'engager dans des voies de garage, les jeunes se lanceront dans des cursus qui correspondent à leur vocation.
Enfin, si l'école moderne n'est pas une caserne où tout le monde doit mesurer un mètre soixante et exécuter un travail identique pendant le même temps, alors elle contribuera à relever le défi de la société Si on éveille la vocation de chaque enfant en lui demandant le métier qu'il rêve d'exercer un jour et qu'on lui donne les moyens de s'acheminer vers ce métier, des miracles se produiront.
A la Réunion, il n'y a ni pétrole ni minerai ; la seule richesse, ce sont les jeunes. Monsieur le ministre, en 1946, date de la départementalisation, on comptait trente bacheliers. Grâce au miracle de l'égalité, de la liberté et de la fraternité, valeurs que seule notre République peut dispenser, alors que la population triplait, le nombre de bacheliers passait à plus de deux mille.
Des problèmes subsistent, que ma collègue de la Réunion a évoqués, par exemple un retard dans l'encadrement. On n'a pas pu réaliser en cinquante ans ce que vous avez accompli en deux siècles ! Toutefois, en cinquante ans, l'école a fait des miracles : elle a offert une voie d'intégration sociale à des familles qui vivaient dans la misère.
La pire des injustices, selon Socrate, c'est de traiter de la même manière des personnes qui se trouvent dans des situations différentes. Selon la région, le quartier, les facultés intellectuelles données par le bon Dieu, les jeunes sont dissemblables.
Monsieur le ministre, votre projet de loi, que je voterai avec espoir, a le mérite de faire du sur-mesure : on passera du moule unique à l'école de la vocation. En étant audacieux, en provoquant la rencontre entre le monde du travail et les désirs professionnels de notre jeunesse, on fera émerger une société de progrès, de liberté, d'éducation, de travail et de dignité.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Applaudissements sur les travées de l'UMP.
Mes chers collègues, M. le ministre l'a dit et c'est vrai : avec le texte qui nous est soumis, la nation a rendez-vous avec son école.
Aujourd'hui, plus de deux siècles après que Condorcet a construit son premier projet sur l'instruction publique, des centaines de milliers d'élèves ne maîtrisent pas leur langue maternelle et, chaque année, ils sont 80 000 à ne savoir réellement ni lire, ni écrire, ni compter à leur entrée en sixième. Chaque année, pas moins de 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, ni qualification reconnue.
Ces données suffisent, à l'évidence, à traduire la situation de malaise endémique dans laquelle se trouve l'école, pourtant premier facteur de cohésion et premier lieu d'intégration dans notre société, et elles montrent l'ampleur des défis que cette dernière doit relever.
Si l'éducation nationale n'obtient pas les résultats que l'on est en droit de lui demander, alors elle est en péril, comme l'est aussi l'avenir de la nation et de la République.
A la hauteur des enjeux, le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, engage une profonde transformation de notre système éducatif et fixe à celui-ci de nouveaux objectifs pour les années à venir : assurer la réussite de tous les élèves ; renforcer la qualité du service public de l'éducation ; ouvrir davantage l'école sur les exigences du monde extérieur.
Votre texte est le résultat d'un long processus de maturation, marqué par un large débat, étalé sur près d'une année, au cours de laquelle plus d'un million de Français ont pris la parole pour dire leurs espérances et leurs attentes. Ayant participé - comme nombre d'entre vous, mes chers collègues -à ce débat dans le XVe arrondissement de Paris, je tiens à témoigner ici de sa très grande richesse.
Après avoir consulté la communauté scolaire de mon arrondissement, j'ai constaté la justesse de bien des orientations contenues dans le projet de loi, même si, bien sûr, des questions restent en suspens.
Aussi, monsieur le ministre, je veux particulièrement vous féliciter pour la méthode employée, qui, loin des discours convenus, est faite de discussion avec tous, d'écoute de chacun, de décisions lucides et courageuses prises dans l'intérêt général.
En présentant ce projet de loi, vous refusez l'inaction coupable, vous luttez résolument contre les inégalités et vous défendez sans relâche les valeurs républicaines.
Notre école a relevé le défi de la démocratisation et de la massification, mais, il faut le reconnaître, depuis plus de dix ans, les résultats stagnent. Dans ces conditions, il est primordial de faire évoluer le système, ce qui implique d'agir à la fois sur les structures, sur les hommes et sur les stratégies.
S'agissant des structures, le projet de loi renvoie avec justesse au projet d'école et au conseil des maîtres dans le premier degré, comme il renvoie au projet d'établissement et au conseil de classe dans le second degré. Cependant, il ne consacre pas un exact parallélisme des formes, les écoles n'ayant pas le statut d'établissement public local d'enseignement.
Or la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales permet de créer des établissements publics locaux d'enseignement primaire. Sans nul doute, la création d'EPLE du premier degré qui regrouperaient plusieurs écoles favoriserait une gestion plus souple des personnels, donc une meilleure utilisation des compétences. La globalisation des moyens permettrait également de mieux répartir ce qui relève du périscolaire. Aussi serait-il opportun, monsieur le ministre, que des dispositions réglementaires traduisent cette orientation.
Le statut d'EPLE du premier degré devrait être accompagné de celui de chef d'établissement pour le directeur.
En effet, l'absence de statut pour les directeurs d'école rend difficile l'affirmation de leur autorité auprès de leurs collègues, en particulier lorsqu'il s'agit de mettre en place les réformes pédagogiques. Si, à la tête d'un EPLE du premier degré, se trouvait un directeur ayant statut de chef d'établissement non seulement l'autorité qui manque tellement aujourd'hui se trouverait renforcée, mais l'inspecteur d'académie aurait un seul interlocuteur et l'inspecteur de l'éducation nationale n'aurait plus besoin d'assumer de tâche administrative ; il retrouverait alors tout naturellement son rôle de conseiller pédagogique.
Cette expérience mériterait d'être tentée à Paris, d'autant qu'elle ouvrirait le chemin d'un renforcement de l'accompagnement pédagogique et d'une véritable politique d'encadrement, chemin qui reste aujourd'hui largement fermé.
Sur un autre plan, je tiens à insister sur la nécessité de maintenir les moyens attribués aux directeurs d'écoles, tels les logements de fonction, pour leur permettre d'exercer pleinement les missions qui leur sont confiées. Une menace existe sur ce point.
Au-delà de l'exemple du premier degré, c'est l'ensemble de la politique d'encadrement de notre pays en matière d'éducation nationale qui mérite d'être renouvelée, afin que les enseignants trouvent enfin les aides et les conseils pédagogiques cohérents qu'ils attendent. Le temps est peut-être venu de redéfinir la mission des corps d'inspection et de réaffirmer leur vocation pédagogique.
Beaucoup plus largement, même si, je tiens à le souligner, ils ne se résignent pas, il convient que les enseignants jouissent, aussi bien dans la société qu'au plus haut niveau de la hiérarchie, de la considération et de la confiance aptes à les mobiliser autour de leur ambition, qui est également la nôtre : assurer la réussite de tous les élèves.
Mais la communauté scolaire, ce sont aussi les parents d'élèves. L'éducation n'est-elle pas d'abord de la responsabilité des parents ? Il est bon de préciser que les familles concourent à la réussite des missions de l'école.
En ce qui concerne le fonctionnement des conseils, je le dis de façon incidente, mais j'y insiste, il serait vivement souhaitable que soit mieux respectée la circulaire du 3 mai 2001 précisant que les temps de représentation des parents dans l'établissement doivent être compatibles avec leur temps de travail.
Les hommes mettent en oeuvre des stratégies. Pour traiter les problèmes de l'école, la logique quantitative a désormais atteint ses limites ; d'autres l'ont dit avant moi. En vingt-cinq ans, les moyens ont été multipliés par deux et, en quinze ans, 130 000 enseignants supplémentaires ont été recrutés tandis que le nombre d'élèves baissait de 500 000 !
Dès lors, il importe de dissocier l'évaluation des élèves de celle des moyens et d'évaluer la performance des établissements à l'aune des résultats des élèves. C'est pourquoi la démarche d'évaluation doit être impérativement accompagnée d'une politique contractuelle entre chaque académie et les établissements, comme cela est d'ailleurs mentionné dans le rapport annexé, en référence à la loi organique relative aux lois de finances.
Si l'expérimentation du statut d'EPLE du premier degré et de celui de chef d'établissement pour les directeurs a, conformément à mes voeux, lieu à Paris, cette politique contractuelle s'appliquera de facto à ces écoles et leur permettra de répondre ainsi aux critiques fortes qui leur sont adressées dans le rapport de septembre 2004 des inspections générales sur l'évaluation de l'enseignement dans l'académie de Paris.
La principale singularité parisienne tient au fait que, sur l'initiative de Jacques Chirac, alors maire de Paris, des professeurs de la Ville de Paris, dits PVP, participent à l'enseignement maternel et primaire aux côtés des maîtres de l'enseignement public. Mais, aujourd'hui, si la mission des inspections générales a reconnu « la qualité de l'enseignement dispensé par les PVP », elle a déploré « l'absence trop fréquente de coordination » avec les maîtres, « l'effet déresponsabilisant de la multiplication des enseignants » et « les graves dysfonctionnements qui en résultent parfois ».
La politique contractuelle entre l'académie et les établissements apporterait sans doute une solution à de telles insuffisances. Le lien évaluation-résultats que cette politique obligerait à tisser serait d'autant plus utile que, si l'on en croit le rapport, il a été constaté que « l'académie de la capitale de la France n'enregistrait pas, globalement, les bons résultats scolaires que l'on aurait attendus ».
Enfin, l'orientation, chacun le reconnaît, est l'un des points faibles de notre institution scolaire. Alors que le redoublement ne peut constituer qu'un moyen de dernier recours, une meilleure orientation s'impose, comme d'ailleurs s'impose une mobilisation plus forte du mouvement associatif pour le soutien scolaire.
Celui-ci devrait être conçu en étroite complémentarité avec le « programme personnalisé de réussite scolaire », que le rapporteur propose judicieusement de rebaptiser « parcours personnalisé de réussite éducative ».
Cette notion de personnalisation est fort pertinente, s'agissant aussi bien des élèves perturbant gravement le déroulement des classes, qui seront pris en charge par les dispositifs relais que vous allez multiplier, monsieur le ministre, que des élèves en situation de handicap, scolarisés dans des unités pédagogiques d'intégration, dont le nombre sera considérablement augmenté, ce qui est extrêmement important, même s'il importe de ne surtout pas renoncer à scolariser ces élèves dans les établissements normaux, moyennant un accompagnement individualisé.
En ce qui concerne les élèves qui rencontrent des difficultés avec l'institution scolaire, faut-il, monsieur le ministre, préférer l'intégration de la note de vie scolaire dans le brevet plutôt que d'en faire un indicateur de socialisation depuis la classe de sixième ?
Parce qu'il convient aujourd'hui de prendre en considération la dimension européenne de l'éducation et le problème de l'orientation tout au long de la vie, un regroupement des personnels de l'éducation nationale chargés de l'information et de l'orientation des élèves et du monde professionnel pourrait utilement être envisagé et organisé au sein d'un grand service d'orientation et d'information.
La réunion de ces personnels au sein d'une même structure constituerait un progrès certain, au-delà de la simple « coopération » évoquée dans le rapport annexé.
Monsieur le ministre, votre projet de loi est un texte de bon sens qui vise à redresser une situation compromise. Nous partageons pleinement votre détermination à le mettre en oeuvre.
Garantir l'acquisition par chaque élève d'un socle commun de connaissances et de compétences, loin d'instaurer un minimum éducatif, constitue la condition de l'accès à une citoyenneté réfléchie et à la culture universelle non pas, comme l'aurait dit Jules Ferry, pour « embrasser tout ce qu'il est possible de savoir », mais pour « apprendre tout ce qu'il n'est pas permis d'ignorer » : c'est une disposition de bon sens.
Dépasser l'opposition stérile des savoirs et de la pédagogie, c'est encore du bon sens.
Garantir le remplacement des professeurs absents, symboles pour les élèves et leurs parents d'un blocage inadmissible de l'institution scolaire, et éviter ainsi les classes sans professeurs, mais aussi, je le dis incidemment en référence aux dysfonctionnements révélés récemment dans la gestion des personnels, les professeurs sans classe, c'est toujours du bon sens.
Développer massivement l'enseignement des langues vivantes, c'est plus que du bon sens : c'est une impérieuse nécessité dans l'Europe que nous voulons.
Tripler les bourses accordées aux bons élèves et les prolonger dans l'enseignement supérieur, c'est aussi plus que du bon sens : c'est briser les barrières sociales.
Par conséquent, monsieur le ministre, c'est non seulement sans réserves, mais aussi avec conviction que je voterai ce projet de loi lucide et ambitieux, que vous défendez avec énergie et talent pour la seule cause qui vaille : l'avenir de nos enfants !
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenant à cette heure tardive dans la discussion générale, je ne vais ni énumérer toutes les qualités de ce projet de loi, que je soutiens, ni indiquer les éléments qui fondent ma conviction ; je bornerai mon propos à un constat, un souvenir, une remarque et une suggestion.
S'agissant du constat, il est temps que nos concitoyens découvrent que le monde qui les entoure est de plus en plus compétitif et complexe, et que la formation des jeunes doit tenir compte de ses exigences.
Tout ce que l'on peut raconter à propos de l'histoire, par exemple à l'occasion de commémorations comme celle du centenaire de la naissance de Jean-Paul Sartre, ou sur la proximité du mois de mai, n'a pas grand sens au regard du problème auquel nous sommes confrontés : trop de jeunes sortent du système éducatif sans aucune formation, ce qui est source de chômage, de mauvaise insertion et de violence.
J'en viens au souvenir, monsieur le ministre. En 1975, j'étais au gouvernement et je discutais avec René Haby de ce fameux texte que certains intervenants ont évoqué. J'ai eu, avec René Haby, un grand débat financier sur la question de savoir s'il convenait de prévoir, dans le budget de 1976, une provision en vue d'améliorer le statut des chefs d'établissement. Or je me souviens qu'à la suite de la discussion de ce texte en conseil des ministres il avait été décidé de consacrer une provision importante - il s'agissait de plusieurs centaines de millions de francs de l'époque - à l'amélioration du statut, de la reconnaissance et des rémunérations des directeurs d'école et des chefs d'établissement.
Quelque temps plus tard, alors que je demandais à René Haby de m'indiquer les mesures d'application de cette décision, il m'a répondu qu'il avait rencontré avec les organisations syndicales des difficultés telles qu'il avait consacré cet argent à d'autres actions. Voilà trente ans, monsieur le ministre, que le mécanisme perdure !
Je constate, avec plaisir, que votre texte comporte un certain nombre d'éléments qui favoriseront cette amélioration du statut des directeurs d'école et des chefs d'établissement. Mais c'est encore insuffisant : nous ne parviendrons à redresser l'ensemble de notre système qu'en donnant aux directeurs d'école et aux chefs d'établissement des pouvoirs de notation pour assurer la cohésion de leurs équipes. Votre texte va dans ce sens. Je constate que, trente ans plus tard, ce sont les mêmes qui nous expliquent qu'il ne peut y avoir de primus inter pares, de gens qui commandent, et que nous devons adopter un dispositif totalement égalitaire. Je le déplore, car ce n'est pas dans ces conditions que nous pourrons améliorer le fonctionnement de notre système scolaire.
Ma remarque concerne les travaux dirigés. J'ai interrogé des lycéens qui participaient à des manifestations sur leurs inquiétudes eu égard à ce projet de loi, en dehors de la question du baccalauréat. Ils m'ont répondu qu'ils ne comprenaient pas pourquoi on prévoyait de supprimer les travaux dirigés en terminale. Pour avoir étudié le texte, je leur ai fait valoir qu'à partir du moment où l'on mettait en place un parcours personnalisé de manière à aider les élèves dès qu'ils rencontraient des problèmes, que ce soit dans l'enseignement primaire, au collège, ou au lycée, il était difficile de conserver tout le système.
Les travaux dirigés permettent de former un certain nombre de jeunes au dialogue, à la recherche personnelle et à la discussion, autant de qualités insuffisamment développées dans les parcours scolaires. Monsieur le ministre, quel sort comptez-vous réserver, dans les réformes futures, à cet aspect du travail des enseignants ?
J'en arrive à ma suggestion. Celle-ci part d'une constatation, qui m'a été inspirée par mes fonctions de maire. Exerçant ces fonctions depuis trente-quatre ans, j'ai quelque expérience des sujets relatifs à l'enseignement. Et j'ai eu la chance, dans les deux villes qui m'ont confié leur administration, d'y avoir un corps enseignant de très grande qualité. J'ai toujours constaté que les circulaires ministérielles, les fameux « bulletins officiels », l'accumulation de divers documents étaient une composante très importante, sinon du mécontentement, du moins de l'irritation permanente des membres du corps enseignant.
Les technologies de communication sont aujourd'hui beaucoup plus développées : nous disposons d'internet, d'extranet, voire de blog, dernière modalité permettant d'avoir une conversation libre sur ordinateur. La très grande majorité des enseignants actuels sont compétents, dévoués - tous nos collègues l'ont dit -, mais ils sont quelque peu désorientés par l'évolution de la société et les efforts qui leur sont demandés pour régler des problèmes que ni la police, ni la justice, ni les pouvoirs publics locaux ou nationaux ne parviennent à résoudre. Tous ces enseignants seraient heureux que vous, le numéro un de l'énorme pyramide à laquelle ils appartiennent, puissiez leur parler tranquillement Si vous preniez l'habitude, toutes les semaines ou tous les quinze jours, de vous adresser soit aux directeurs d'école, soit aux proviseurs, soit aux principaux, soit aux animateurs, soit aux personnels qui travaillent dans les ZEP pour leur exposer les problèmes que vous rencontrez, les orientations que vous prévoyez et les objectifs de la réforme que vous proposez au Parlement, vous casseriez le système actuel, un peu opaque, ces relations tayloriennes qui existent entre le ministre, son cabinet, les inspecteurs généraux, les recteurs, les inspecteurs d'académie et autres.
Monsieur le ministre, en vous entretenant directement, au moyen des mécanismes modernes, avec les personnels de base, à condition, bien entendu, de le faire régulièrement, en instillant un peu plus d'humanité et de considération dans vos rapports avec l'ensemble de ceux qui forment actuellement les enfants, vous accompagneriez parfaitement la réforme courageuse que vous avez lancée, et que je voterai sans aucune réserve.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, étant le dernier intervenant, je ne reprendrai pas ce qui a été dit excellemment par de nombreux orateurs précédents, en particulier par le président de la commission, Jacques Valade, et par les deux rapporteurs, Jean-Claude Carle et Gérard Longuet.
Monsieur le ministre, à l'évidence, nous partageons l'analyse qui figure dans l'exposé des motifs et les objectifs que vous assignez à ce projet de loi. Je formulerai donc simplement quelques réflexions.
Notre système scolaire s'articule autour de quatre niveaux d'enseignement : la maternelle, l'enseignement primaire, l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur. Je m'exprimerai sur le contenu de ces différentes strates.
Vous proposez, à juste titre, monsieur le ministre, de développer l'enseignement des langues étrangères et de commencer cet apprentissage dès l'école primaire. Au risque de vous surprendre, je serais partisan de le prévoir plus en amont encore, c'est-à-dire dès la maternelle.
En effet, je suis toujours surpris de voir la quantité de connaissances que les tout jeunes enfants peuvent « engranger » en peu d'années. Ainsi, des jeunes qui ne savent ni écrire ni compter peuvent, dès l'âge de cinq ou six ans, quasiment tenir une conversation avec des adultes. Cet apprentissage précoce pourrait constituer la meilleure solution : d'abord, peu d'enseignants sont formés pour assurer cette mission ; ensuite, il faut, au niveau élémentaire, consacrer l'essentiel du temps à ce que Jean-Claude Carle a souvent appelé « les fondamentaux », c'est-à-dire le socle de base qui comprend l'apprentissage de la lecture et de l'écriture ; enfin, un élève de maternelle, pour peu que la démarche soit adaptée, ce qui suppose qu'elle soit ludique et attractive, sera plus réceptif à l'apprentissage des langues.
Vous voulez, monsieur le ministre - et nous vous approuvons - faire en sorte que le socle de base de connaissances - la lecture, l'écriture et le calcul - soit nettement plus solide.
Pour autant, monsieur le ministre, tous les jeunes n'accéderont pas à l'enseignement supérieur : certains prendront assez rapidement une autre orientation. Dans ces conditions - cela vous paraîtra peut-être rétrograde - ne faudrait-il pas valider les acquis, par exemple en réinstaurant le certificat d'études primaires ou en validant des études antérieures ? Car le jeune qui entrera en apprentissage n'aura aucune validation de ses années d'études faute d'avoir pu passer son brevet.
Vous avez, monsieur le ministre, manifesté votre volonté de redonner à l'apprentissage sa vraie place : vous souhaitez en faire une filière adaptée et plus attrayante pour un certain nombre de jeunes. Il est vrai que l'apprentissage peut, pour certains, représenter une nouvelle chance, mais il faudrait pouvoir y accéder plus tôt, c'est-à-dire à partir de quatorze ans.
Je me permettrai de vous faire part d'une expérience que j'ai engagée en Seine-Maritime, voilà quelques années.
Le collège Georges Braque, situé sur les hauteurs de Rouen, est incendié. Je me rends le matin sur les lieux : je rencontre la principale et je prends rendez-vous quelques jours plus tard pour suivre les travaux avec les services concernés. A la date convenue, arrivé devant l'établissement, j'engage la conversation avec quatre ou cinq jeunes attroupés devant le portail. Ils me demandent qui je suis et ce que je viens faire. Je leur réponds que je suis le président du conseil général et que je viens voir l'avancement des travaux de leur collège. J'interroge ensuite l'un d'eux sur ce qu'il aimerait faire dans la vie. Il me répond : « je voudrais être mécanicien ». Je lui demande s'il souhaiterait apprendre la mécanique dans son collègue. Il me dit : « j'en rêve ! ». Je rappelle que ce collège est situé dans l'un des secteurs des plus difficiles de la banlieue rouennaise et qu'il connaît un taux d'échec très élevé.
J'ai donc fait part à la principale de cette conversation en lui demandant si elle serait prête à tenter une expérimentation dans son collège, afin que ces jeunes qui rencontrent des difficultés puissent y apprendre un métier. Elle m'a objecté qu'il lui fallait auparavant obtenir l'accord de l'inspecteur d'académie, du recteur. J'ai donc téléphoné à ces derniers, lesquels m'ont répondu qu'il fallait également avoir l'accord du ministre.
Trois mois plus tard, les accords sont obtenus, mais on demande si je suis prêt à contribuer financièrement à ce projet. J'accepte de faire un essai. Après plusieurs réunions avec le recteur, l'inspecteur d'académie, les professeurs et les principaux du collègue, un programme est établi.
Quelle n'a pas été ma surprise, monsieur le ministre, de recevoir la visite en Seine-Maritime de l'actuel Premier ministre le premier week-end de Pentecôte, après sa nomination, pour s'informer sur les expérimentations qui avaient été engagées. Il a pu entendre, dans l'hôtel de ville de Rouen où étaient rassemblés les intervenants, deux témoignages de jeunes. Une jeune fille, en particulier, a souligné que le collège ne l'intéressait pas, mais que l'expérimentation qui lui avait été proposée comprenant un tiers temps de formation classique, une formation d'apprentissage au collège et un stage pratique en entreprise, lui avait permis d'obtenir un CAP et de trouver un emploi. Le témoignage de l'autre jeune était analogue.
Il me semble que nous devrions nous appuyer sur de telles démarches pour pouvoir donner une nouvelle chance à ces jeunes. C'est une bonne expérience.
Il ne s'agit pas d'un problème d'argent ou d'enseignants ; ces derniers sont dévoués et de grande qualité. C'est le système scolaire qui n'est plus adapté et il importe de le changer.
Il faut redonner leur chance à un maximum de jeunes, en particulier aux 150 000 ou 160 000 qui sortent chaque année du système scolaire sans diplôme et aux 80.000 qui en sortent quasiment illettrés. Je suis quelque peu surpris d'entendre qu'il ne faut pas délibérer à cet égard. Qu'allons-nous faire de ces jeunes ? Monsieur le ministre, c'est à cela que nous voulons travailler avec vous, pour que, demain, un maximum d'entre eux puissent être des citoyens responsables et pleinement épanouis dans leur vie personnelle, leur vie familiale et leur vie professionnelle.
Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. M. André Lejeune applaudit également.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation des protocoles d'application de la convention alpine du 7 novembre 1991 dans le domaine de la protection de la nature et de l'entretien des paysages, de l'aménagement du territoire et du développement durable, des forêts de montagne, de l'énergie, du tourisme, de la protection des sols et des transports.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 245, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention sur le transfèrement des personnes condamnées.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 246, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation du protocole modifiant la convention portant création d'un office européen de police (convention Europol) et le protocole sur les privilèges et imunités d'Europol, des membres de ses organes, de ses directeurs adjoints et de ses agents.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 247, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de la convention sur la cybercriminalité et du protocole additionnel à cette convention, relatif à l'incrimination d'actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 248, distribué et renvoyé à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale, relatif aux aéroports.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 249, distribué et renvoyé à la commission des affaires économiques et du Plan.
J'ai reçu de Mme Gélita Hoarau une proposition de loi relative au personnel techniciens, ouvriers, de service dans la région et le département de la Réunion et tendant à modifier la loi du 13 août 2004 relative aux Libertés et responsabilités locales.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 243, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. Robert Bret une proposition de résolution, présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne en application de l'article 73 bis du règlement, sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès au marché des services portuaires (n° E-2744).
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 244, distribuée et renvoyée à la commission des affaires économiques et du Plan, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les droits des personnes à mobilité réduite lorsqu'elles font des voyages aériens.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2840 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'information des passagers du transport aérien sur l'identité du transporteur aérien effectif et la communication des informations de sécurité par les Etats membres.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2841 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 3605/93 en ce qui concerne la qualité des données statistiques dans le contexte de la procédure concernant les déficits excessifs.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2842 et distribué.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd'hui, mercredi 16 mars 2005, à quinze heures et le soir :
Suite de la discussion du projet de loi (n° 221, 2004-2005), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, d'orientation pour l'avenir de l'école.
Rapport (n° 234, 2004-2005.) fait par M. Jean-Claude Carle, au nom de la commission des affaires culturelles.
Avis (n° 239, 2004-2005.) de M. Gérard Longuet au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré.
Projet de loi portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique (n° 172, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mardi 22 mars 2005, à dix-sept heures
Délai limite pour le dépôt des amendements : mardi 22 mars 2005, à dix-sept heures.
Projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale (n° 208, 2004-2005) ;
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale : mercredi 23 mars 2005, à dix-sept heures ;
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 23 mars 2005, à seize heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
La séance est levée le mercredi 16 mars 2005, à une heure vingt.