Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme d'un débat national approfondi et d'une large concertation de plus d'un an réunissant plus d'un million de personnes, le rapport de la commission présidée par Claude Thélot avait suscité de grands espoirs et l'attente d'une véritable réforme de notre système éducatif. Une grande loi d'orientation et de programmation, refondant nos politiques éducatives pour les quinze prochaines années, avait été annoncée.
Sur cette priorité qu'est l'éducation de notre jeunesse, je crois que nous souhaitons tous une profonde évolution de notre système éducatif. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'être aujourd'hui déçus par de nombreux points du texte proposé.
Ce dernier est en retrait par rapport aux travaux et aux conclusions de la commission Thélot, dont il faut saluer l'excellent travail. La grande loi sur l'école, annoncée par le Président de la République, ne montre pas, hélas ! suffisamment d'ambition pour construire l'école de demain. Beaucoup le déplorent.
Etait-il nécessaire de passer tant de temps à consulter, à débattre, à mobiliser autant d'énergies, à associer les parents d'élèves pour aboutir à un résultat en demi-teinte ?
Ce préambule étant posé, je voudrais tout de même souligner les éléments positifs de ce projet de loi.
C'est le cas, tout d'abord, du socle commun des connaissances et compétences indispensables, idée reprise du rapport Thélot. Il apparaît en effet utile de définir enfin ce qui doit être acquis par chaque élève en fin de scolarité obligatoire.
Cette question d'une culture commune à tous, d'un noyau dur de connaissances, est récurrente depuis une trentaine d'années. La mise en place du collège unique par la réforme Haby et la massification de l'enseignement ne se sont pas accompagnées d'une nécessaire définition des savoirs et savoir-faire à acquérir par tous les élèves.
Nombreux sont les experts qui ont depuis soulevé en vain le problème, entraînant un dysfonctionnement qui se traduit parfois par un décalage entre professeurs et élèves, quels que soient le sérieux et la compétence des uns et la bonne volonté des autres. C'est là le problème d'un système qui n'a pas su ou n'a pas pu porter la réforme jusqu'à son terme.
Ce socle commun doit être envisagé non pas comme un savoir minimal, mais comme un ensemble de compétences clés et de savoir-faire à acquérir tout au long de la scolarité. En cela, ces savoir-faire sont transversaux à l'ensemble des disciplines enseignées. Les élèves ont besoin, certes, de connaissances, mais aussi de méthodes d'apprentissage. Montaigne ne disait-il pas qu'il vaut mieux une tête bien faite qu'une tête bien pleine ?
Si l'on y réfléchit bien, cette proposition est révolutionnaire. Elle engage à repenser notre système éducatif, construit aujourd'hui sur des disciplines cloisonnées, intégrant peu l'épanouissement personnel des élèves dans ses objectifs.
Je regrette qu'à ce titre le socle n'inclue ni l'éducation artistique et culturelle ni la notion de maîtrise corporelle, car si l'école doit apprendre à penser, elle doit aussi développer la sensibilité et aider l'élève à être en harmonie avec lui-même et le monde.
L'autre aspect positif de ce projet de loi est le renforcement et la généralisation des dispositifs de suivi individualisé des élèves. Je pense ici au programme personnalisé de réussite scolaire, le PPRS, que notre commission propose de rebaptiser « parcours personnalisé », qui va dans le bon sens pour autant que sa présentation veille à ne pas stigmatiser les élèves en difficulté mais à les inscrire dans une démarche positive et valorisante.
L'échec scolaire ne pourra être réduit que si l'on passe d'un enseignement uniforme à un enseignement adapté à chacun. Permettre aux enseignants de repérer très tôt et de traiter en amont les élèves qui connaissent des difficultés d'apprentissage de la lecture ou de l'écriture et qui risquent de décrocher durablement du système scolaire est fondamental.
Il faudra cependant qu'avec ce programme soit réellement donnés aux enseignants les moyens d'enseigner sur la base d'apprentissages individualisés. Il est vrai que, pour l'heure, on ne voit pas très bien comment cela sera possible au quotidien avec des classes hétérogènes de plus de trente élèves généralement et présentant une grande diversité entre eux.
Le Haut conseil de l'éducation aura la délicate tâche de définir les contenus du socle commun et les programmes personnalisés de réussite scolaire, les PPRS.
Si l'objectif d'offrir une qualification et un avenir aux 150 000 jeunes abandonnés aujourd'hui en cours de route est louable et nécessaire, il faut, en corrélation avec ces ambitions, penser à l'évolution, à l'adaptation et à l'attractivité de ce beau et noble métier qu'est l'enseignement. Car une réflexion sur cette question manque cruellement dans le projet de loi d'orientation. Il est en effet regrettable que ce dernier ne définisse pas avec plus de précision les missions des enseignants et les moyens dont ceux-ci disposeront pour les remplir.
Profitons du renouvellement sans précédent des personnels enseignants - prés de la moitié d'entre eux partiront à la retraite dans les années à venir - pour traiter vraiment la question de leur formation. Je pense, bien sûr, à l'incitation des futurs enseignants au travail en équipe, à l'interdisciplinarité, aux pédagogies différenciées ainsi qu'aux relations avec les parents, les associations et les partenaires extérieurs.
Les conseils pédagogiques institués par le texte ne peuvent répondre que partiellement à cette demande.
Par ailleurs, au-delà de la simple réforme structurelle des IUFM, c'est à dire de leur rattachement aux universités tel qu'il est annoncé, pourquoi ne pas faire preuve de pragmatisme et ne pas répondre favorablement à la proposition qui consiste à mieux recruter et mieux préparer les futurs enseignants en basant leur formation sur une alternance « théorie-pratique » accrue, tel que l'UDF l'a fait préciser dans le rapport annexé à l'Assembléenationale ?
Favoriser le plus en amont possible - ce qui n'est pas toujours le cas aujourd'hui - la présence des futurs enseignants dans les classes et les établissements les préparerait mieux aux réalités du terrain.
Des dispositifs accompagnant l'entrée dans le métier, avec des modules de « pré-professionnalisation » dès la licence pour ceux qui se destinent au concours, l'allongement de la formation initiale à deux ans, contre huit mois actuellement -cette mesure est réclamée par les directeurs d'IUFM -, et intégrant un concours en deux temps, l'un validant les savoirs disciplinaires, l'autre validant, après formation, les compétences professionnelles, nous semblent des propositions pertinentes.
Il faut aussi repenser la formation continue, élément indispensable pour s'adapter à un monde qui bouge. Les enseignants doivent pouvoir enrichir constamment leur pratique pédagogique. Si l'un des objectifs est, par exemple, la maîtrise des nouvelles technologies de l'information et de la communication, il faut permettre aux enseignants d'actualiser effectivement leurs connaissances dans ce domaine.
Il faut par ailleurs leur permettre de s'ouvrir à de nouvelles perspectives, proposées notamment au moment des évaluations académiques. Je pense ici aux possibilités d'évolution ou de reconversion ; face à l'usure du métier, il faut pouvoir offrir à ceux qui le souhaitent de nouvelles missions et jeter des passerelles vers d'autres métiers.
Enfin, il me paraît important de profiter de la discussion de ce projet de loi pour actualiser certaines fonctions et leur conférer un statut réel : je pense aux psychologues scolaires ainsi qu'aux directeurs d'écoles maternelles et élémentaires.
L'autre élément décevant à mes yeux de ce projet de loi, c'est l'absence de mesures fortes en faveur des zones d'éducation prioritaires.
Alors que la commission Thélot proposait une politique très ambitieuse en faveur de la mixité sociale, je regrette que le texte ne prenne pas suffisamment la mesure de l'enjeu représenté par les élèves socialement et culturellement défavorisés.
Réduire l'échec scolaire nécessite une politique de différenciation maîtrisée - le succès des classes-relais l'a prouvé -, c'est-à-dire une réduction volontariste, grâce à l'allocation de moyens renforcés, des inégalités territoriales et sociales.
Pourquoi, dans ce cas, ne pas recourir à des procédures spécifiques telles que la constitution d'équipes pédagogiques motivées, stables, et surtout formées, comme le seront, je l'espère, les équipes de réussite éducative ?
Il faut aussi favoriser la nomination d'enseignants aguerris et volontaires et privilégier des pratiques pédagogiques adaptées et innovantes ainsi que la collaboration avec les partenaires de l'école - services sociaux, justice, police -, car ce n'est pas à travers l'école seule que l'on arrivera à remédier au phénomène de la ghettoïsation.
Rapidement évoquées, telles sont les raisons pour lesquelles ce projet de loi, malgré certaines avancées, ne répond pas complètement aux attentes qu'il a suscitées.
Ce texte ayant été, dans un premier temps, présenté comme un projet de loi d'orientation et de programmation, il est dommage que son second volet semble avoir été évincé.
Le texte attendu devait devenir un élément moteur de notre système éducatif, permettant d'adapter les exigences nouvelles de l'enseignement et de la formation à un moment charnière ou près de la moitié des personnels enseignants va être renouvelée.
La philosophie même du texte qui nous est présenté peut poser question puisque ce dernier semble oublier le rôle prépondérant de l'école maternelle. En effet, si le socle des connaissances et compétences indispensables permet de penser à l'école et au collège ensemble, ce qui est positif, la maternelle est singulièrement absente de la réflexion, ce qui surprend lorsque l'on sait que tout se joue avant l'âge de six ans.
En conclusion, ce texte ne semble pas à la hauteur des vrais défis que notre école aura à relever. Il manque d'audace. C'est pourquoi je serai attentive au débat que nous allons avoir et au sort réservé aux amendements que moi-même et mes collègues défendrons.