Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l'école est une institution centrale qui pose des défis majeurs puisqu'elle détermine l'avenir de chacun de nos concitoyens comme celui de notre société tout entière.
C'est dans chaque établissement, jour après jour, que l'école se construit. Là réside la difficulté des enjeux, et je salue le travail quotidien des enseignants, du personnel d'encadrement et des personnels techniques.
Pour autant, si cet avenir dépend des enseignants - je souligne au passage la qualité de leur engagement -, il dépend également des décisions prises par les politiques.
Une loi d'orientation se doit de fixer les missions du service public, ses objectifs et les moyens à attribuer pour éduquer et pour former.
Le projet de loi qui nous est aujourd'hui présenté pourrait faire l'unanimité, mais dans un sens négatif ! Pour s'en convaincre, il n'est nul besoin d'écouter la rue, où les lycéens manifestent leur refus, car d'autres protestations s'élèvent chez les parents d'élèves, les enseignants, les élèves et les élus.
Bref, un large consensus apparaît pour rejeter les propositions telles qu'elles sont formulées.
Que peut-on reprocher à ce projet de loi ? Beaucoup !
D'abord, il arrive au pire moment : 85 000 postes manquent dans le secondaire. Dans la petite ville de Château-Chinon, deux postes et demi d'enseignants sont supprimés sur les six suppressions prévues dans la Nièvre ; la perte d'effectif atteint 2 % au collège, soit 10 % de baisse de la dotation globale horaire. En conséquence, la classe de troisième d'insertion a été supprimée.
On a oublié, ou cassé, le plan pluriannuel de recrutement pour la sempiternelle raison de la baisse des effectifs, alors qu'un encadrement plus dense devient impérieusement nécessaire.
Les aides éducateurs, les surveillants sont partis faute de nouveaux contrats ; les infirmières, les assistantes sociales, les médecins, les TOS même, alors que les bâtiments doivent être entretenus, sont, de façon affligeante, en nombre insuffisant.
L'appel au remplacement par d'autres enseignants n'est que la résultante du non-renouvellement des contrats à durée déterminée des professeurs contractuels.
Par ailleurs, faut-il en revenir à cette notion passéiste, que l'on perçoit comme un reproche sous-jacent, de rachat nécessaire par le biais du redoublement ? Le redoublement ne traite que les conséquences et jamais les causes des inégalités !
Faut-il mettre en place une sélection précoce, qui nous éloigne de l'égalité des chances ? De nombreuses propositions contenues dans ce projet de loi semblent procéder d'un tel choix : la réforme du bac, heureusement repoussée, la suppression des TPE en terminale, privant les élèves isolés de passerelles de convergence avec l'université.
A juste titre, l'échec scolaire pèse comme un fléau. Faute de moyens, l'école ne peut adapter son enseignement à certaines catégories d'élèves, ni surtout corriger les inégalités sociales, ressenties douloureusement à l'école. Elle ne peut pas davantage corriger les disparités territoriales qui engendrent aussi des inégalités et affectent la cohésion sociale.
Pour palier l'échec total, vous exigez un socle minimum de connaissances assez restrictif, aux choix limités et fort incomplets. C'est mieux que rien, monsieur le ministre, mais c'est une exigence de niveau CM2 assez peu ambitieuse !
Que peut envisager l'élève ainsi nanti, sinon entrer dans des filières à l'avenir incertain ? Il est vrai que l'on peut espérer, sans trop y croire, que le contrat individuel éducatif viendra apporter une solution salvatrice.
La manifestation de Guéret, mobilisation impressionnante traduisant le mal-être, le mal-vivre de la ruralité, devrait donner à réfléchir : « non » à la suppression des écoles, mais, au-delà, « non » aux disparités d'enseignement pour des élèves qui ont le tort de vivre à la campagne, où manquent les structures périscolaires. Les écoles n'ont-elles pas dû attendre le financement des communes pour être informatisées ? Quelles sources de disparités rencontre l'enseignement dans les zones rurales !
L'école doit apporter à tous le savoir, mais elle doit également développer l'intelligence, la curiosité intellectuelle, former à la citoyenneté, favoriser l'insertion professionnelle. Mais l'école rurale en a-t-elle les moyens ? Peut-on s'instruire et progresser aussi facilement si l'on est moins sollicité, si l'émulation est moindre et si, a fortiori, certaines matières ne sont pas proposées ?
On a parlé tout à l'heure de l'apprentissage des langues, mais l'enseignement musical, qui me tient particulièrement à coeur, est bien oublié. Il ouvre pourtant l'une des portes de la culture, de la citoyenneté et permet une prise de conscience sociale. Toutefois, en France, cet enseignement est essentiellement basé sur la pratique instrumentale, qui est fort coûteuse, avec, en préalable, l'enseignement rébarbatif et rebutant du solfège.
Les écoles de musique que financent les collectivités locales les moins impécunieuses ne sont que source d'échec : sur cent violonistes, un demi à peine fait carrière ! Le vrai enseignement musical doit être, monsieur le ministre, vocal. Mieux que l'instrument, c'est le chant, le chant choral, qui enseigne la musique et lui donne son attrait. §
Les pays de l'Est l'ont compris et affichent de belles réussites. En Hongrie, par exemple, on ne peut être institutrice sans être musicienne et sans avoir été formée au chant choral et une école sur dix est une école musicale.
Le langage musical s'apprend en chantant, tout comme le solfège. Développons l'enseignement musical par la voix, exigeons-le dès l'école primaire. Ce n'est ni impossible ni coûteux.
Quoi qu'il en soit, on ne sent pas, dans le démantèlement programmé des services publics, que l'école rurale ait le vent en poupe, même si les regroupements pédagogiques bénéficient d'une mesure de grâce. Mais pour combien de temps ?
Pourtant, l'école doit avoir un programme unique sans zones d'ombre puisqu'elle est le lieu de tous, un lieu pour tous. L'éducation est un objectif commun, et chaque acteur doit réussir individuellement, avec le soutien des autres. Et, si les professeurs ne sont pas les seuls possesseurs des savoirs puisque la télévision, les ordinateurs, les valeurs marchandes peuvent brouiller les messages, ils restent cependant la référence.
Quant à l'école maternelle, autre maltraitée, elle a une mission spécifique et doit être distincte de l'école élémentaire. On a déjà supprimé les inspecteurs des écoles maternelles, qui se sont fondus dans le groupe des inspecteurs départementaux de l'éducation nationale, les IDEN, première atteinte - mais il y en aura d'autres - à sa spécificité.
L'école maternelle joue dans l'enseignement un rôle original et essentiel que l'on ne prend pas suffisamment en compte. Elle se doit d'ouvrir ses portes aux enfants de deux ans. Et il est à noter que se sont élevées à Guéret des protestations émanant d'habitants de Seine-Saint-Denis, dont les préoccupations semblent les mêmes s'agissant de l'admission tardive des enfants. En effet, n'ouvrir l'école qu'aux enfants âgés de trois ans, c'est leur faire perdre au moins une année et leur imposer un retard qui ne se rattrapera pas.
Prétendre que l'école n'est qu'une simple garderie à deux ans, c'est méconnaître le travail d'éveil intelligent que dispensent les maîtres, ou en faire fi : on sait que tout enfant a un capital cognitif que l'on doit développer entre zéro et six ans. C'est la période la plus fertile.
Il faut soutenir l'enfant dès son jeune âge pour réduire, si on le peut, les inégalités criantes entre les enfants qui sont sollicités par leurs parents et ceux que nourrit seulement une culture de rue ou de télévision.