Intervention de Jean-Patrick Courtois

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 juin 2010 : 1ère réunion
Réforme des collectivités territoriales — Examen du rapport et du texte de la commission en deuxième lecture

Photo de Jean-Patrick CourtoisJean-Patrick Courtois, rapporteur :

L'Assemblée nationale a apporté des modifications nombreuses et parfois substantielles au texte issu des délibérations du Sénat. Le texte transmis à la Haute assemblée en deuxième lecture compte ainsi 97 articles, contre 40 dans le projet de loi initial et 67 dans le texte soumis à l'Assemblée nationale en première lecture : les députés ont adopté trente articles additionnels et en ont supprimé six ; ils ont, en outre, adopté 15 articles conformes.

Ce faisant, et tout en tenant compte des travaux du Sénat, dont elle a conservé l'esprit dans de nombreux domaines, l'Assemblée nationale a opéré plusieurs innovations d'importance.

Je précise que les commissions des finances et de la culture sont saisies pour avis : elles se réuniront le 23 juin prochain. La délégation aux droits des femmes et à l'égalité entre les femmes et les hommes s'est prononcée sur les dispositions électorales et leur impact sur la parité politique. La délégation aux collectivités territoriales est intervenue sur certaines des questions soulevées par le projet de réforme : la mutualisation des moyens entre les collectivités et le mode de scrutin pour l'élection des conseillers territoriaux.

En première lecture, le Sénat avait globalement respecté la logique du texte qui lui était proposé, tout en introduisant de nombreuses modifications afin de mettre davantage l'accent sur la liberté des collectivités territoriales et sur l'accroissement de leur capacité à exercer leurs compétences pour renforcer la qualité du service public.

Il avait souhaité tout à la fois donner nettement son accord à la création des conseillers territoriaux et encadrer le mode de scrutin applicable à leur élection. La Haute assemblée avait ainsi adopté un amendement de notre collègue Nicolas About combinant un scrutin uninominal afin d'« assurer la représentation des territoires » et un scrutin proportionnel pour garantir « l'expression du pluralisme politique et la représentation démographique », ainsi que la parité.

Approuvant sans réserve l'objectif affiché d'achever et de rationaliser la carte de l'intercommunalité, la Haute assemblée a voulu en conforter le succès par une plus grande prise en compte de la cellule de base de notre démocratie locale que constitue la commune. Elle a voulu dégager des solutions pragmatiques et consensuelles afin d'adapter la composition des organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre à la mise en place, à partir de mars 2014, d'une élection des délégués des communes-membres au suffrage universel direct. Elle a créé un système où le nombre et la répartition des sièges pourraient être fixés librement par les communes-membres des communautés de communes et d'agglomération par un accord à la majorité qualifiée simple et où 10 % de sièges supplémentaires pourraient, dans un second temps, être créés et librement répartis selon la même majorité et avec l'accord de la ville-centre. Enfin, le Sénat a augmenté le nombre maximal de vice-présidents pouvant être élus par chaque conseil communautaire par rapport au texte du Gouvernement.

Constatant que la décentralisation est aujourd'hui parvenue à l'âge de la maturité, le Sénat a encadré les pouvoirs conférés au préfet pour modifier la carte intercommunale, tout d'abord dans les procédures d'achèvement et de rationalisation de la carte des EPCI à fiscalité propre et des syndicats, puis pour la simplification de la procédure de fusion des EPCI dont l'un au moins est à fiscalité propre, en exigeant l'accord de l'organe délibérant au rattachement d'une commune à un établissement public de coopération intercommunale par le préfet.

La Haute assemblée a encadré le dispositif de suppression des communes isolées, des enclaves et des discontinuités territoriales, qui entrera en vigueur au terme du processus d'achèvement et de rationalisation de la carte de l'intercommunalité, en prévoyant l'accord de l'EPCI au rattachement, assorti d'une clause de sauvegarde pour le préfet avec l'intervention de la commission départementale de la coopération intercommunale (CDCI).

Pour faciliter la recomposition des structures syndicales, elle a adopté des amendements permettant de recourir plus largement, pour les syndicats intercommunaux et les syndicats mixtes, ouverts ou fermés, aux mécanismes de fusion, de dissolution ou de substitution.

Elle a créé un collège des syndicats au sein de la CDCI et doté celle-ci d'un pouvoir d'auto-saisine.

Le Sénat a rétabli la majorité qualifiée et les conditions démographiques en vigueur pour les transferts de compétences après la création d'un EPCI et pour la détermination de l'intérêt communautaire. Par ailleurs, il a ouvert la possibilité pour les collectivités territoriales de passer des conventions de gestion commune de services publics et de mettre en oeuvre cette gestion par le biais de mutualisations.

Il a validé, dans le respect de l'autonomie communale, le principe d'un EPCI plus intégré, la métropole, afin d'accroître sa capacité à rayonner au niveau européen. Souhaitant concilier la nécessité de favoriser le développement des métropoles et celle de préserver la gestion de proximité, la Haute assemblée a maintenu au maire sa compétence en matière d'autorisations d'urbanisme, introduit la notion d'intérêt métropolitain pour le transfert des équipements et supprimé le transfert obligatoire de l'ensemble de la fiscalité des communes à la métropole, en rendant le transfert de la dotation globale de fonctionnement (DGF) communale à celle-ci simplement facultatif.

En première lecture, le Sénat a approuvé le dispositif proposé des pôles métropolitains tout en précisant leur régime juridique - clarification et élargissement de ses champs d'intervention, abaissement du double seuil de création à 300 000 habitants pour la population totale du périmètre et à 150 000 habitants pour celle de l'EPCI membre le plus peuplé, et détermination du mode de répartition des sièges au sein de l'organe délibérant du pôle pour tenir compte du poids démographique de chacun de ses membres.

En première lecture, par réalisme, le Sénat a consenti, tout en s'avouant sceptique sur ses effets, à l'introduction d'un nouveau dispositif de fusion des communes. Il l'a toutefois assorti de plusieurs garanties dont la consultation des électeurs dans tous les cas en appréciant les résultats au niveau de chaque commune, et le droit de la commune nouvelle de choisir son EPCI de rattachement. Par ailleurs, le Sénat a supprimé la dotation particulière des communes nouvelles, qui aurait été prélevée sur la DGF des autres collectivités territoriales.

Confirmant le souci exprimé par votre commission, le Sénat a apporté de nouvelles garanties aux procédures de regroupement des départements et des régions. De tels regroupements ne pourraient intervenir qu'avec l'accord de chacun des territoires concernés et celui de leur population, recueilli par un référendum organisé selon les modalités prévues pour les référendums locaux. Par ailleurs, le Sénat a introduit deux nouvelles procédures de regroupement : la première permettrait à un département d'être rattaché à une région qui lui est limitrophe, la seconde autoriserait une région et les départements qui la composent à solliciter du législateur, avec l'accord de leurs populations respectives, le droit de fusionner dans une collectivité unique.

Le Sénat a également modifié les principes devant encadrer la répartition des compétences entre les collectivités territoriales. Ainsi, il a supprimé la référence à la « part significative du financement » assurée par le maître d'ouvrage, cette disposition étant trop imprécise.

L'Assemblée nationale a respecté l'économie générale du texte du Sénat, qu'elle a cependant assouplie sur plusieurs points et complétée de façon substantielle dans ses volets « conseillers territoriaux » et « compétences ».

Elle a fixé, en détail, le mode d'élection des futurs conseillers territoriaux. Contrairement au texte du Sénat, qui était dénué de valeur prescriptive et se limitait à fixer des grands principes, le nouvel article 1er A et les articles additionnels adoptés par les députés avant et après l'article 1er sont pleinement normatifs.

Tout d'abord, par analogie avec le mode de scrutin applicable à l'élection des actuels conseillers généraux, l'Assemblée nationale a prévu un scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour l'élection des conseillers territoriaux, avec un seuil de passage au second tour à 12,5 % des inscrits.

Ensuite, les députés ont fixé la répartition des conseillers territoriaux par département et par région. Cette répartition répondrait à deux objectifs fondamentaux : chaque département serait administré par au moins 15 conseillers territoriaux ; le nombre de conseillers territoriaux attribué à chaque département ne pourrait s'écarter de plus de 20 % par rapport à la moyenne régionale, sauf pour quatre départements.

Conscients que le mode de scrutin retenu pouvait avoir des effets pervers sur la présence des femmes dans les conseils généraux et régionaux, les députés ont adopté deux dispositifs visant à favoriser la parité : ils ont prévu que les conseillers territoriaux dont le siège serait vacant « pour quelque cause que ce soit » seraient remplacés par une personne de sexe opposé ; ils ont mis en place des pénalités financières à l'encontre des partis politiques présentant un nombre insuffisant de femmes aux élections des conseillers territoriaux.

En matière d'intercommunalité, les principes dégagés par le Sénat ont été, dans l'ensemble, conservés par l'Assemblée nationale. Celle-ci a largement maintenu le système créé par le Sénat pour déterminer le nombre et la répartition des sièges au sein des conseils communautaires.

Elle a précisé les critères de composition du collège « EPCI à fiscalité propre » au sein de la CDCI sur la base des caractéristiques départementales, et aménagé le contenu du schéma départemental de la coopération intercommunale.

Les députés ont adopté le dispositif retenu par le Sénat pour fixer le processus temporaire d'achèvement et de rationalisation des intercommunalités en l'amendant sur plusieurs points : limitation du droit de veto accordé à la commune la plus peuplée à celle dont la population représente au moins un tiers de la population totale concernée en 2012 ; suppression de la faculté accordée à la commune la plus peuplée de s'opposer aux fusions en 2013 ; anticipation de la date d'achèvement du processus - du 31 décembre 2013 au 30 juin 2013.

Pour simplifier la procédure de fusion entre intercommunalités, les députés ont attribué un rôle actif à la CDCI, qui pourra modifier le projet de périmètre à la majorité des deux tiers de ses membres. La condition requise au niveau de chaque EPCI pour décider de la fusion a été abaissée au tiers des conseils municipaux regroupés dans chacun des établissements à fusionner. L'Assemblée nationale a dispensé le nouvel établissement résultant d'une fusion d'EPCI, dont une communauté urbaine, du respect du seuil démographique en vigueur au moment de la fusion.

Elle a complété le dispositif des pôles métropolitains et a habilité les pôles frontaliers à déroger à la condition démographique exigée de l'EPCI membre le plus peuplé à condition qu'il soit limitrophe d'un État étranger en l'abaissant ainsi à plus de 50 000 habitants. Les députés ont encadré la répartition des sièges dans l'assemblée délibérante entre un minimum fixé à un siège et un maximum de 50 % du total des sièges.

L'Assemblée nationale a adopté une série de modifications ponctuelles en matière d'intercommunalité : dérogation temporaire, durant un an, au principe de continuité territoriale pour la création d'une métropole, à la double condition que l'enclave soit constituée de plusieurs communes elles-mêmes regroupées dans un EPCI à fiscalité propre ; suppression de la catégorie des communautés d'agglomération nouvelle (CAN) aujourd'hui inexistantes ; assouplissement de la procédure de transformation d'un syndicat d'agglomération nouvelle en communauté d'agglomération ou en communauté de communes ; extension du champ des délégations de signature opérées par le président de l'EPCI au profit du directeur général ou du directeur général adjoint.

Elle a modifié les compétences et le régime financier des métropoles et des communes nouvelles.

Le volet des compétences métropolitaines a été essentiellement renforcé dans ses composantes départementale et régionale. D'abord par le transfert de plein droit des compétences relatives aux zones d'activités et à la promotion à l'étranger du territoire et de ses activités économiques : dans le texte sénatorial, ces compétences étaient en tout état de cause transférées de plein droit à la métropole au terme d'un délai de dix-huit mois en cas de refus d'une demande en ce sens de la métropole. Ensuite par le transfert conventionnel, d'une part, de l'action sociale en faveur des personnes âgées et de l'aide sociale à l'enfance, qui complètent le bloc social existant et, d'autre part, de certaines compétences en matière touristique, culturelle et sportive.

L'Assemblée nationale a prévu un régime financier plus intégré par le transfert automatique de la taxe foncière sur les propriétés bâties des communes-membres à la métropole. Par ailleurs, elle a facilité le transfert de la DGF en prévoyant qu'il pouvait être approuvé à la majorité qualifiée. Elle a également apporté quelques modifications au régime financier des communes nouvelles, notamment en prévoyant que ces nouvelles collectivités percevraient les montants versés au titre du fonds de compensation de la taxe professionnelle l'année même des investissements, comme les communautés de communes et d'agglomération.

Elle a allégé la procédure de création d'une commune nouvelle en prévoyant un accord unanime des communes et en supprimant, par coordination, la consultation de la population. En revanche, les députés ont supprimé le dispositif de retour à l'autonomie d'une commune associée en considérant que le droit en vigueur permettait déjà de procéder à des « défusions ».

L'Assemblée nationale a marqué son accord avec les modifications apportées par le Sénat sur les procédures de regroupement des départements et des régions en procédant à l'harmonisation des procédures.

La perspective d'un nouveau projet de loi de clarification des compétences apparaissant de plus en plus incertaine, la commission des lois de l'Assemblée a adopté un amendement de complète réécriture de l'article 35. Elle a, ce faisant, préservé la possibilité de compétences partagées et de délégations de compétences. En outre, sa rédaction reprend la notion d'« intérêt départemental » - ou régional - justifiant l'intervention des collectivités lorsque la loi est muette, et permet l'exercice par tous les niveaux de collectivité de compétences en matière de culture, de tourisme et de sport.

Par ailleurs, en matière de financements croisés - aux articles 35 ter et quater -, elle a soumis la part de financement apportée par la collectivité maître d'ouvrage à un « plancher », fixé à un niveau variable en fonction de l'importance de la population. En outre, elle a prévu des règles de limitation des cumuls de financements, qui toutefois ne s'appliqueront plus si la région et les départements adoptent ensemble un schéma d'organisation de leurs compétences.

L'Assemblée a, en outre, procédé à des innovations ponctuelles. En particulier, afin de tenir compte de la situation particulière des élus de Guadeloupe, elle a réintroduit une habilitation à légiférer par ordonnance pour adapter les dispositions relatives aux conseillers territoriaux aux régions et départements d'outre-mer.

Je vous propose de retenir les dispositions de l'Assemblée nationale conformes à l'esprit qui nous a guidés en première lecture. En revanche, je vous soumettrai la modification de celles qui s'en écartent ainsi que de certains des compléments apportés au texte par les députés.

Votre rapporteur a noté avec satisfaction l'économie générale des dispositions prévues pour parachever le paysage intercommunal, qu'il s'agisse d'en proposer de nouvelles formes pour adapter les structures à la diversité des territoires - métropoles, pôles métropolitains -, d'en développer et simplifier les processus ou d'en achever et rationaliser la carte. Toutefois, je vous proposerai de revenir à la rédaction du Sénat en ce qui concerne le régime financier des métropoles.

En outre, je vous propose de valider les grandes orientations des dispositions relatives aux conseillers territoriaux, mais de mieux prendre en compte les besoins des élus locaux.

Tout d'abord, il me semble opportun de confirmer la mise en place du mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours, choisi par l'Assemblée nationale. En effet, les auditions que j'ai menées ont fait apparaître que les élus locaux, et notamment les élus départementaux, étaient favorables à ce mode de scrutin et ne comprendraient pas qu'il soit remis en cause. Ce choix répond également à la nécessité de doter les futurs conseillers territoriaux d'une légitimité locale et d'une assise territoriale claires et fortes.

Toutefois, il me semble nécessaire d'indiquer dès maintenant que le tableau de répartition des conseillers territoriaux présente un problème de taille : dans une quinzaine de départements, il fait varier le nombre d'élus du conseil général de plus de 30 %, à la hausse ou à la baisse, par rapport à la situation actuelle. Cette modification brutale de la taille des assemblées départementales risque de déstabiliser la démocratie locale -notamment en cas de baisse substantielle des effectifs- et de provoquer l'incompréhension des habitants des départements concernés.

Cet impératif doit néanmoins être concilié avec un principe constitutionnel absolument fondamental, à savoir l'égalité devant le suffrage. Ce principe implique que, au niveau de la région, la voix des citoyens de tous les départements ait un poids similaire. Or, la conciliation de ces deux nécessités est complexe et fragile, puisqu'elle impose de faire le calcul du ratio « nombre d'élus par habitant » dans toutes les régions et dans tous les départements, et de s'assurer qu'une éventuelle modification du nombre de conseillers territoriaux dans un département ne fasse pas dériver le ratio constaté dans ce département par rapport à la moyenne régionale. Et je dois dire que, au vu du peu de temps qui sépare la fin des travaux de l'Assemblée et le passage du présent texte devant la commission, je n'ai pas eu le temps de parvenir à un résultat satisfaisant.

Dès lors, je propose à la commission d'affirmer, dès maintenant, qu'elle fera tout son possible pour éviter que les effectifs d'un conseil général varient de plus de 30 % à l'occasion de la création des conseillers territoriaux, et de prévoir qu'un amendement en ce sens sera déposé en vue de la séance publique.

Je vous proposerai également d'assouplir l'encadrement des financements croisés, notamment en prévoyant des dérogations plus larges pour la rénovation urbaine ainsi que les monuments protégés, et en supprimant l'interdiction de cumul de financements entre 2012 et 2015.

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