Intervention de Jean-Hervé Lorenzi

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 février 2011 : 1ère réunion
Loi de finances rectificative sur la fiscalité du patrimoine — Table ronde d'économistes

Jean-Hervé Lorenzi :

Je voudrais pour commencer insister sur deux points. Tout d'abord, comme beaucoup d'économistes, je ne suis pas un spécialiste de la fiscalité, mais j'ai l'occasion de réfléchir à ces questions dans le cadre de plusieurs groupes de travail. Je suis notamment membre du groupe de la Cour des Comptes qui réalise le rapport sur la convergence entre la France et l'Allemagne. J'ai également lu avec grand intérêt l'ouvrage de M. Piketty et de ses deux collègues, Camille Landais et Emmanuel Saez.

Tout cela donne l'impression que toute approche de la réforme fiscale par la seule réforme de la fiscalité du patrimoine est une absurdité intellectuelle. J'ai pu, en particulier, le constater avec le groupe de la Cour des Comptes : le regard sur une fiscalité étrangère nous amène forcément à considérer l'ensemble des sujets. Si je suis convaincu qu'il n'y aura pas de grande réforme fiscale en 2011, je crois qu'il faut surtout éviter de traiter dans la précipitation un sujet aussi complexe et important pour notre économie.

Deuxièmement, en ce qui concerne la dimension comparative, je tiens à souligner que rien ne dit que l'Allemagne soit le modèle à suivre en matière de fiscalité du patrimoine. En effet, ce pays se distingue fortement des autres États membres de l'Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) dans ce domaine. Il faut donc être prudent et comparer des cas semblables, et non pas des situations totalement différentes. Nous sommes en effet dans un rapport de 1 à 4 en ce qui concerne la taxation du patrimoine. La focalisation sur la convergence avec l'Allemagne n'a donc pas grand sens.

Troisièmement, pour les économistes, un débat existe depuis deux siècles sur la relation entre la croissance et la fiscalité d'un pays. En la matière, l'OCDE donne volontiers des recettes toutes faites. Par exemple, la fiscalité sur la consommation serait ce qu'il y a de mieux. C'est un vrai débat. Il n'existe pas de solution miracle, mais ce sujet mérite une réforme fiscale d'urgence.

En la matière, j'ai un point de vue personnel. Je ne suis pas un « déclinologue », et, sur le fond, j'estime que la société française est très dynamique, et que la fiscalité peut permettre de tirer fortement la croissance. Cependant, nous sommes confrontés à un problème macroéconomique complexe. En effet, d'un côté, nous devons réduire notre dette, ce qui implique une diminution de nos dépenses annuelles de l'ordre de 30 à 40 milliards d'euros. Cela risque d'être particulièrement compliqué dans le cadre des exercices 2012 et 2013. De l'autre côté, nous devons dégager parallèlement 30 à 40 milliards d'euros d'investissements complémentaires, de long terme, destinés à se substituer aux activités que nous avons perdues depuis quatre ou cinq ans sous la forme de transferts dans les pays émergents.

Ce constat m'amène à formuler deux observations.

Premièrement, la fiscalité du patrimoine ne m'intéresse pas au titre des débats sur la suppression ou non du bouclier fiscal et de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) - je relève d'ailleurs que les 4 milliards d'euros de l'ISF ne sont qu'une goutte d'eau parmi les 850 milliards de prélèvements obligatoires - mais sur la façon dont elle peut permettre d'allonger l'épargne afin que cette dernière puisse être disponible pour des investissements plus risqués de long terme. La question est donc de savoir quelle fiscalité pourrait résoudre ce problème crucial. Le deuxième problème est de savoir comment investir dans des activités risquées. A cet égard, je pense que l'un des handicaps majeurs de nos pays est l'aversion au risque, qui ne s'arrangera pas avec le vieillissement de la population. La clé de la réforme consiste donc, à mon avis, à se concentrer sur l'allongement de la fiscalité de l'épargne, à savoir les flux du patrimoine, et de faire en sorte que l'État prenne en charge une part du risque sur les investissements de long terme. C'est en effet de cela que nous aurons besoin pour investir dans les années à venir.

Deuxièmement, une large partie de notre croissance insuffisante provient de la difficulté que nous avons à fournir des emplois aux jeunes. Il y a urgence à résoudre ce problème. Au-delà de la question du marché du travail et du contrat de travail unique, j'estime qu'il faut fluidifier les transferts intergénérationnels. Une dizaine de milliards d'euros descendent de la génération N à la génération N+2 aujourd'hui, chiffre très insuffisant. Cela signifie que la réforme de la fiscalité du patrimoine devrait se focaliser sur les différences de taxation entre les successions et les donations. Si l'on ne résout pas ce problème, les gens continueront à toucher leur héritage à un âge relativement avancé. Pour cela, deux logiques peuvent se mettre en place : favoriser le viager et rééquilibrer la taxation des successions par rapport aux donations, afin de faire en sorte que de l'argent revienne vers les générations plus jeunes, au moment où elles en ont le plus besoin.

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