Je partage certains points de vue de mes collègues, mais j'ai également des points de divergence. Sur les points communs, je voudrais dire tout d'abord qu'aborder la réforme fiscale sous le seul angle de la taxation du patrimoine est évidemment réducteur. On peut néanmoins procéder à une première étape d'une réforme globale dès 2011, à condition de l'inscrire dans une direction d'ensemble cohérente.
Cette première remarque établie, je voudrais insister sur les nécessités et l'urgence d'une réforme globale de notre système fiscal. Je pense en effet que nous sommes à la veille d'une crise historique des finances publiques françaises, comparable à celle qui secoua la fin de l'Ancien régime. Je rappelle au passage que les révolutions politiques ont bien souvent comme origine une crise des finances publiques... Notre déficit structurel atteint 6 % du produit intérieur brut (PIB), soit 120 milliards d'euros. C'est dire l'ampleur de l'effort qui nous attend.
Deuxièmement, un point qui n'a été que peu évoqué, et qui est pour moi central, est que nous sommes membres d'une Union européenne qui est un champ clos de concurrence fiscale et sociale. D'un point de vue économique et stratégique, je considère que l'avenir de la France est menacé à court terme, ce qui ne signifie pas que nous n'ayons pas beaucoup de potentiel. Cette menace vient pour une minorité de la compétition en provenance de la Chine. Mais la grande majorité de notre problème de compétitivité globale provient de la concurrence interne à l'Union européenne, qui vide notre pays de sa substance productive. En conséquence, toute réforme fiscale d'ensemble devra avoir pour objectif prioritaire de refonder un système productif français fonctionnant dans un contexte européen, en gardant à l'esprit que le point clé de l'équité est que chacun ait un emploi.
Troisièmement, je voudrais dire que lorsqu'on se lance dans une réforme fiscale, il faut bien sûr prendre en compte le contexte. Nous ne sommes plus dans l'économie agricole de la fin du XVIIIème siècle ou dans l'économie industrielle fermée des années 1980. Je rappelle à cet égard que le contrôle des changes n'a été supprimé qu'en 1990 ! Aujourd'hui, nous évoluons dans ce que j'appellerais l'économie entrepreneuriale de la connaissance. D'après une étude du Conservatoire nationale des arts et métiers (CNAM), sur l'ensemble des outils technologiques que nous utilisons quotidiennement, aucun n'est fabriqué en France. Nous avons raté, sur le plan de la production, la révolution technologique du numérique, nous sommes en train de rater celle des biotechnologies, et l'on s'affaiblit dans les nanotechnologies. Comment peut-on espérer rester une grande puissance industrielle si l'on ne se dote pas des moyens de remettre l'entrepreneur au coeur de la reconstruction de notre système productif ?
Ces éléments sont cruciaux, parce que si l'on aborde de façon étroite la réforme fiscale, avec notamment un biais moral, en proclamant que l'on va faire payer telle catégorie sociale, notamment les riches, on court à l'échec. Il faut donc rétablir une plus grande équité dans notre système, car celui-ci est devenu un « gruyère » et il est vrai que les plus hauts revenus, ceux du premier centile, ont un taux de fiscalité plus faible que le deuxième centile supérieur, qui a lui-même une fiscalité inférieure au troisième centile. Ensuite, la tendance s'inverse, et les taux de fiscalité baissent. Il faut donc corriger le fait que les premier et second centiles ont des taux de fiscalité plus faibles. Cela peut se faire dans le cadre d'une réforme globale qui doit concerner simultanément l'impôt sur les sociétés (IS), la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), l'impôt sur le revenu (IR), l'ISF, la contribution sociale généralisée (CSG) et la cotisation famille de 5,4 % sur les salaires.
De mon point de vue, sur le plan de la compétitivité économique, il faut donc sonner l'alarme et agir dès aujourd'hui, sans attendre 2013.
La réforme de la fiscalité du patrimoine ne peut donc constituer que la première étape d'une réforme d'ensemble de la fiscalité française. Si elle est bien abordée comme telle, plusieurs remarques et pistes peuvent être formulées. S'agissant de la suppression du bouclier fiscal, je souligne le risque de délocalisation d'une partie du patrimoine national, en tout cas de certains entrepreneurs qui sont des acteurs clés pour la reconstruction du système productif français. Cette éventualité doit nous conduire à réfléchir à la nature de l'impôt de solidarité sur la fortune, qui, au vu des débats actuels, ne devrait pas être supprimé à court terme. Parallèlement, il convient de redéfinir les taux de cet impôt qui a été créé dans un contexte de forte inflation, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui. Or le taux de rendement du capital doit être pris en compte dans la définition de la fiscalité du patrimoine. Les trois principaux éléments du capital en France et dans le monde aujourd'hui sont les actions, les obligations et l'immobilier. L'immobilier parisien a un rendement net compris entre 2 % et 2,5 %, le capital obligataire et les dividendes représentent un revenu après impôt de 2,5 % et 3 %. Dans cette perspective, si l'ISF devait être maintenu, sa nouvelle structure pourrait être la suivante :
- d'une part, un impôt qui ne s'applique qu'aux patrimoines d'une valeur supérieure à trois millions d'euros. Ce seuil permet d'éviter les débats récurrents sur les modalités de prise en compte de la résidence principale ou sur l'imposition des classes moyennes qui résident dans les grandes villes en France ;
- d'autre part, un impôt organisé autour de deux tranches d'imposition : la première au taux de 0,5 % pour les patrimoines dont la valeur est comprise entre 2 et 20 millions d'euros (ou entre 3 et 30 millions d'euros), une seconde tranche au taux de 0,75 % pour les patrimoines évalués à plus de 20 ou 30 millions d'euros.
Cette architecture permettrait de ramener la fiscalité du patrimoine à un tiers ou un quart du rendement moyen du capital, ce qui semble correct. La question réside dans le financement de ce dispositif dont le coût peut être évalué entre 1,2 et 1,5 milliard d'euros par rapport au produit net de l'ISF, qui est actuellement de 3,2 milliards d'euros.
Deux mesures centrées sur les détenteurs de très hauts patrimoines me semblent pouvoir compenser le différentiel. La première concernerait le relèvement de deux points du taux marginal d'imposition de l'impôt sur le revenu qui passerait de 41 % à 43 %. Cette hausse serait applicable aux foyers fiscaux dont le revenu net global est supérieur à 100 000 euros par part. La seconde mesure consisterait à revoir les droits de mutation à titre onéreux lorsque la valeur de la transaction immobilière est supérieure à 600 millions d'euros.
Dans le cadre d'une réforme fiscale globale, j'estime que les principaux leviers de réforme sont la contribution sociale généralisée et la taxe sur la valeur ajoutée. Au niveau européen, on constate, depuis les premières mesures prises par l'Allemagne, un mouvement d'augmentation de la TVA pour financer une diminution du taux de l'impôt sur les sociétés. Le pays qui représentera le mieux à court terme le système fiscal européen sera la Finlande, avec un taux de la TVA relevé à 23 %, afin de permettre une baisse de l'impôt sur les sociétés, baisse éventuellement ciblée sur les bénéfices mis en réserve. En effet, n'oublions pas, comme le rappelait précédemment Christian Noyer, que le niveau des prêts octroyés aux petites et moyennes entreprises (PME) constitue un réel problème économique en France, qui peut en partie être résolu par l'augmentation de fonds propres de ces entreprises afin de réduire l'aversion des banques particulièrement attentives au ratio d'endettement sur fonds propres.
En conclusion, ma préférence n'est pas une réforme partielle de l'ISF. Toutefois, si celle-ci doit être faite, il conviendrait de supprimer les principaux défauts de cet impôt. Dans le cadre d'une réforme plus globale qui s'impose à notre pays, l'ISF à vocation à être supprimé au profit d'une tranche supérieure de l'IR. Ce remplacement n'interdit pas de maintenir sous une forme différente le principe de l'ISF-PME qui permet d'apporter un financement à certaines entreprises, en le liant à la nouvelle tranche supérieure de l'IR.