Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 23 juin 2010 : 2ème réunion
Orientation des finances publiques — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Je suis honoré de cette audition commune consacrée à la présentation du rapport 2010 sur la situation et les perspectives des finances publiques établi par la Cour des comptes pour laquelle je suis accompagné de Christian Babusiaux et Rolande Ruellan, présidents de chambre, ainsi que d'autres collègues. Ce rapport, établi conformément à l'article 58-3° de la LOLF, complète le rapport sur les résultats et l'exécution du budget de l'État et l'acte de certification de ses comptes, que j'ai présentés à la commission des finances le 26 mai dernier, ainsi que l'acte de certification des comptes du régime général de sécurité sociale, qui a été rendu public hier et que j'exposerai à la commission des affaires sociales le 6 juillet prochain.

Pour en résumer les conclusions, la dégradation très sérieuse de nos finances publiques en 2009 et au début de 2010 n'est pas encore irréversible si la France s'attelle dès maintenant à une action de redressement forte, crédible et durable. Si le mal qui atteint nos finances publiques est chronique, ce dont témoignent les précédents rapports de la Cour, la maladie a franchi un nouveau stade. Il y a urgence à la traiter, sauf à hypothéquer notre indépendance et notre souveraineté.

Avant de décrire les perspectives, arrêtons-nous quelques instants sur les exercices 2009 et 2010.

En 2009, notre déficit et notre endettement publics ont atteint un niveau sans précédent depuis l'après-guerre. Le déficit public s'est élevé à 7,5 % du PIB, en raison d'un accroissement des dépenses publiques de 3,7 % en volume et d'une baisse du produit des prélèvements obligatoires de plus de 5 % par rapport à 2008. Si l'on exclut les mesures liées à la crise - soit le plan de relance de 7 milliards, le remboursement anticipé de TVA aux collectivités pour un coût de moins de 1 milliard et un accroissement de 4 milliards des allocations chômage -, le rythme d'augmentation des dépenses publiques est de 2,4 %, un chiffre bien supérieur à celui de 1% prévu dans la loi de programmation. En outre, les charges d'intérêt payées au titre de la dette ont fortement diminué du fait de la baisse des taux. Autrement dit, ce sont les dépenses courantes, hors intérêts de la dette, hors investissement, et hors mesures de relance et d'assurance chômage, qui ont progressé de 3,7 % en volume. L'année 2009 a donc été marquée par un « phénomène de décompensation », un relâchement des efforts de maîtrise des dépenses publiques dans tous les secteurs, dont s'était inquiété Philippe Séguin devant vous l'an dernier. Quant à la baisse des recettes, majoritairement attribuable à la récession et, dans une moindre mesure, au volet fiscal du plan de relance, elle est également la conséquence de baisses pérennes de prélèvements obligatoires, telle la diminution du taux de TVA sur la restauration, et des hausses de recettes affectées aux organismes de protection sociale ou aux collectivités territoriales. Le coût net de ces mesures nouvelles a aggravé le déficit public de 2,5 milliards en 2009. Du côté des dépenses comme des recettes, la crise n'explique donc qu'une partie de la dégradation de nos finances publiques. Pour dresser un diagnostic précis du mal, il est nécessaire de procéder à de savants calculs, sur la base d'une prévision de croissance potentielle. Le chiffrage de la Cour ne prend pas en compte les mesures de relance, considérées comme non pérennes, contrairement à la Commission européenne qui retient, en conséquence, un niveau de déficit structurel sensiblement plus élevé que le nôtre. D'après nos calculs, le déficit structurel est de 5 % du PIB en 2009, contre 3,9 % en 2008, la crise et les mesures de relance expliquant seulement un tiers du déficit global.

Je ne reviens pas sur la forte augmentation du déficit public de 4,2 points de PIB, principalement attribuable à l'État et à ses divers organismes d'administration centrale, que j'avais évoquée à l'occasion de la présentation du rapport sur les résultats et l'exécution budgétaire de l'État.

L'année 2009 aura également été marquée par une forte hausse des déficits sociaux du fait d'une croissance des dépenses de 4,5 %, après une augmentation de 3,1 % en 2008, conjuguée à une diminution des recettes due à la baisse en valeur de la masse salariale privée de 1,3 %. Ce déficit atteint 20,3 milliards d'euros, auxquels il faut ajouter 3,2 milliards de déficit pour le fonds de solidarité vieillesse. En 2009, les quatre branches du régime général sont dans le rouge. L'assurance maladie, avec un solde négatif de plus de 10 milliards, est responsable de la moitié du déficit d'ensemble des branches. L'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) a été à nouveau dépassé de 700 millions en 2009, du fait d'une sous-estimation des dépenses hospitalières et de la réalisation incomplète des économies prévues en loi de financement. Le déficit de la branche retraite continue de se creuser pour atteindre 7,2 milliards, confirmant la tendance observée depuis 2005, malgré une croissance moins vive des prestations servies grâce au ralentissement des départs anticipés. La branche famille enregistre également un déficit important de 1,8 milliard, alors qu'elle était proche de l'équilibre en 2008. Quant à l'assurance chômage qui avait dégagé d'importants excédents en 2007 et 2008, elle est redevenue déficitaire en 2009 avec un résultat négatif de plus de 1 milliard.

Dans ce panorama, les collectivités territoriales se distinguent : leur déficit, qui a diminué de plus de 3 milliards en 2009, représente désormais 0,3 % du PIB, contre 0,4 % en 2008. Leurs recettes ont progressé plus fortement que leurs dépenses, grâce aux remboursements anticipés de TVA qui n'ont guère relancé l'investissement. Leurs dépenses de fonctionnement ont décéléré sensiblement par rapport aux années précédentes, sauf pour les intercommunalités. Néanmoins, ces évolutions positives masquent l'aggravation de la situation financière de nombreux départements, victimes d'un effet de ciseau entre le dynamisme des dépenses sociales et la faible progression de leurs recettes.

Plus préoccupant, le déficit primaire, c'est-à-dire hors charges d'intérêts de la dette, est passé de 0,5 % en 2008 à 5,1 % du PIB en 2009. Dans ces conditions, il est impossible de stabiliser l'endettement en pourcentage du PIB, la France devant emprunter pour payer les intérêts de la dette et une partie des dépenses courantes hors intérêt. C'est le fameux effet boule de neige décrit par Philippe Séguin l'an dernier. La dette au sens du traité de Maastricht a augmenté en une seule année de plus de dix points de PIB. Elle représente 78,1 % du PIB, soit presque 1 500 milliards. La dette publique est portée à près de 80 % par l'État et les organismes qui lui sont rattachés, dont l'endettement a progressé de 135 milliards en 2009. La dette sociale a augmenté, pour sa part, de 31 milliards, si l'on tient compte des 24 milliards de découvert de trésorerie de l'agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) fin 2009. Au total, avec les déficits transférés à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) et non amortis, la dette sociale atteint près de 150 milliards, soit quasiment le niveau de la dette locale qui s'établit à 157 milliards. Toutefois, la dette sociale est profondément anormale, les cotisations devant couvrir les prestations, quand la dette locale, elle, résulte d'investissements et a pour contrepartie des actifs.

Pour mieux comprendre l'état de nos finances publiques, recourons à des comparaisons internationales. Notre position, défavorable l'an dernier, l'est restée. Notre déficit et notre dette publics ont augmenté dans les mêmes proportions que dans les autres pays européens, malgré une récession moins violente et un plan de relance d'une ampleur plus limitée. Plus inquiétant : le décrochage de la France par rapport à l'Allemagne. Notre déficit public, inférieur à celui constaté outre-Rhin entre 2002 et 2005, est supérieur de plus de quatre points de PIB en 2009. De même, notre déficit structurel est supérieur de quatre points de PIB à celui de l'Allemagne en 2009 quand la différence était d'un point en 2006. Quant à l'écart entre les soldes primaires français et allemand, il dépasse pour la troisième année consécutive les trois points de PIB, un niveau jamais atteint. Notre dette publique qui était inférieure à celle de l'Allemagne jusqu'à fin 2007, lui est désormais supérieure de cinq points. D'aucuns considèrent que ces écarts croissants tiennent à une gestion trop restrictive des finances publiques en Allemagne. Pour autant, la dégradation de notre position en Europe est également patente lorsque l'on nous compare à l'Italie : notre déficit public comme notre solde structurel sont supérieurs depuis trois ans à ceux de l'Italie, même si notre dette reste inférieure.

Pour 2010, le Gouvernement annonce une nouvelle dégradation : le déficit et la dette publics atteindraient respectivement 8 % et 83,7 % du PIB. Cette évolution s'explique par une croissance de 1,7 % des dépenses publiques en volume, hors relance et allocations chômage, soit un niveau bien supérieur à l'objectif de 0,6 % retenu pour la période 2011-2013 ; et par une insuffisante sécurisation des recettes résultant, entre autres, de la réforme de la taxe professionnelle. Dès lors, le déficit structurel atteindra 5,7% du PIB, soit une hausse de 100 milliards. L'ensemble des administrations publiques sera concerné en 2010, même si les organismes sociaux seront les plus affectés en raison du faible dynamisme de la masse salariale. En retenant les hypothèses du Gouvernement, le déficit du régime général sera proche de 27 milliards, dont la moitié proviendra de l'assurance maladie, auquel il faut ajouter le déficit du fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui s'établira à 4,3 milliards ; celui de l'assurance chômage atteindra 10 milliards. Le déficit budgétaire de l'État sera de 152 milliards -un record. La prévision d'un fort rebond de recettes fiscales nettes apparaît volontariste au regard de la précédente récession de 1993, qui s'était traduite par une élasticité des recettes fiscales sensiblement inférieure à l'évolution du PIB pendant trois ans. Dans ce contexte, l'augmentation de près de 12 milliards de recettes fiscales fin avril 2010 doit être interprétée avec une grande précaution. Elle traduit d'abord le contrecoup des mesures de relance de début 2009. Ce déficit record est surtout la conséquence de la réforme de la taxe professionnelle d'un coût net de 12,7 milliards et des 35 milliards de dépenses d'investissements d'avenir. Certes, les investissements d'avenir auront un faible impact en 2010 sur le déficit et l'endettement publics au sens de Maastricht. En effet, les 35 milliards, déposés auprès du Trésor, seront versés, pour partie, par tranches de 4 à 5 milliards chaque année sur une période de quatre ans, sans être inclus dans la norme de dépenses. Le reste de cette somme, non consomptible, donnera lieu au versement d'intérêts de 600 millions par an qui seront, eux, intégrés dans la norme de dépense, ce qui accroîtra d'autant l'effort nécessaire de réduction des dépenses courantes de l'État. Pour autant, ce programme d'investissement augmentera la dette de 19 milliards en 2014, sans compter la charge cumulée des intérêts de plus de 11 milliards durant la période 2010-2020.

L'année 2010 sera probablement marquée par une nouvelle dégradation de la capacité d'autofinancement des collectivités, et en particulier des départements du fait de la forte croissance des dépenses sociales. Leur besoin de financement progressera dans un contexte d'incertitudes sur l'évolution du cadre institutionnel et financier des collectivités et de baisse des remboursements de la TVA.

Résultat : le déficit public de la France restera plus élevé que celui des pays de la zone euro et de l'Union européenne, supérieur de trois points de PIB à celui de l'Allemagne. La dette publique sera dans les moyennes communautaires, mais son déficit structurel continuera d'être plus élevé.

Le futur n'est pas davantage rassurant. Les conditions d'un retour à un déficit public de 3 % du PIB, objectif affiché par le Gouvernement, sont loin d'être assurées à ce jour. Le programme de stabilité adressé à la Commission est fondé sur une croissance de 2,5 % par an entre 2011 et 2013. Le Gouvernement a, en effet, privilégié un scénario de rattrapage rapide des pertes de production, plus favorable que les scénarios du rapport Cotis-Champsaur. L'élasticité des recettes semble surévaluée tandis que l'objectif de progression des dépenses, de 0,6 % par an, paraît très ambitieux. Comment dégager 45 milliards d'économie, et beaucoup plus sur les dépenses primaires pour compenser la hausse des charges d'intérêt, au vu des décisions qui font suite à la publication du Livre blanc sur la défense nationale ou encore de l'accroissement des dépenses fiscales prévues au titre du Grenelle de l'environnement ? En outre, il sera difficile à l'État de diminuer de 1 à 2 points le rythme des dépenses des administrations locales et sociales, faute de leviers efficaces pour les réguler.

A moyen terme, la soutenabilité des finances publiques de la France n'apparaît pas assurée. Si l'on retient une croissance de 2,25 %, soit le scénario bas du Gouvernement, le déficit public et la dette dépasseront en 2013 respectivement 6 % et 93 % de la richesse nationale. Le redressement de nos finances publiques est désormais un impératif. Il faut un traitement immédiat, continu et massif de nos déséquilibres financiers pour réussir à faire atterrir cet avion gros porteur qu'est la France, lancé à pleine vitesse, sur une piste qui se réduit à mesure que notre endettement devient de moins en moins supportable.

Parmi les causes de déséquilibres financiers qui menacent à court terme la soutenabilité des finances publiques figurent les retraites avant la mise en oeuvre des mesures récemment annoncées par le Gouvernement. Le rôle de la Cour n'est pas de prendre parti sur celles-ci, mais de mesurer leur impact. Le chiffrage du besoin de financement par le conseil d'orientation des retraites (COR), à l'horizon 2050, est de 114 milliards pour l'ensemble des régimes de retraite, selon le scénario le plus pessimiste, soit 3 % du PIB. La réforme aura un effet structurel à long terme, c'est-à-dire à l'horizon 2020. Pour autant, ces calculs ne tiennent pas compte des charges d'intérêts au titre des déficits cumulés des régimes, supérieures en 2050 à 114 milliards. Les mesures annoncées par le Gouvernement réduiront relativement peu le déficit à court terme alors que la moitié du problème de financement des retraites se pose dès maintenant. Le déficit hors intérêts, de 1,7 % du PIB en 2010 selon le COR, doit être traité par des mesures d'impact immédiat pour enrayer l'effet boule de neige des intérêts de la dette.

En outre, les comparaisons internationales montrent que la France devra faire un effort de redressement équivalent aux autres pays européens pour compenser la situation initiale plus dégradée de ses finances publiques. La réforme des seules retraites ne suffira pas à traiter un problème financier global, qui appelle des mesures continues et vigoureuses de l'État, des organismes sociaux et des collectivités. Depuis des années, il y a un décalage permanent entre les dépenses et les recettes publiques : les dépenses ne sont couvertes qu'à hauteur de 86 % en 2009 et les recettes de l'État couvrent à peine plus de la moitié de ses dépenses nettes. Le Gouvernement a annoncé des mesures d'approche pour réduire la progression des dépenses fiscales, des dépenses d'intervention ou des dépenses de fonctionnement de l'État et de ses opérateurs. La diminution du déficit structurel de 1 point de PIB chaque année sur la période 2011-2013, soit 20 milliards par an, à laquelle il s'est engagé devant le Conseil de l'Union européenne, devra être impérativement tenue. Il revient au Gouvernement et au Parlement de décider des modalités de cet ajustement budgétaire, difficile, mais non impossible comme l'ont prouvé de nombreux pays.

Si la Cour n'a pas pour rôle de mettre au point un programme qui engagerait des choix collectifs, elle est fondée, de par la mission d'assistance qui lui est confiée par la Constitution, à identifier les termes du débat, le niveau des efforts à accomplir et à proposer des pistes de réflexion. Il convient d'abord de déterminer la part respective que doivent jouer la hausse des recettes et la réduction des dépenses dans le redressement. Pour la Cour, l'effort doit porter prioritairement sur la dépense publique, dont les effets sont plus durables pour la consolidation des comptes publics. Cela implique une politique, plus ambitieuse que celle de la révision générale des politiques publiques, consistant à réexaminer l'ensemble des dépenses publiques, et notamment les plus coûteuses : les prestations sociales, qui représentent le tiers des dépenses publiques, les rémunérations, qui en constituent le quart, mais également les dépenses d'assurance maladie, dont le déséquilibre est tout aussi fort que celui des retraites. De telles réformes structurelles nécessitent, au préalable, une réflexion sur le bien-fondé et l'efficacité de l'intervention publique afin de ne pas dégrader la qualité du service rendu. La Cour entend prendre toute sa part dans la revue générale des programmes, conformément à sa nouvelle mission constitutionnelle.

Les réformes structurelles ayant un impact budgétaire souvent très progressif, il faut dès à présent mettre l'accent sur les dépenses d'intervention. Depuis de trop nombreuses années, nous avons pris la mauvaise habitude de tenir un guichet ouvert pour des publics sans cesse plus nombreux. L'insuffisante sélection de la dépense publique conduit à un saupoudrage, que la Cour a déjà souligné en matière d'aides personnelles au logement ou au développement des entreprises. En attendant, il faudra prendre des mesures à effet rapide, quitte à ce qu'elles soient temporaires. Ainsi, pourrions-nous gager toute nouvelle dépense publique de manière à ce que la satisfaction des nouveaux besoins soit strictement réalisée par redéploiement. Il serait en effet paradoxal de vouloir à la fois réduire la vitesse à l'atterrissage, tout en appuyant en même temps sur la manette des gaz. De même, n'attendons pas d'atteindre le bout de piste pour actionner les freins ! La Cour propose une « boîte à outils » pour consolider rapidement les comptes publics. En matière de dépenses de personnel, les réductions d'effectifs ayant des limites inévitables, la prochaine négociation salariale pluriannuelle dans la fonction publique sera déterminante : la hausse de 1 % de la valeur du point de la fonction publique représente 1,8 milliard en année pleine. D'autres pays ont déjà pris des décisions de gel, voire même de baisse des rémunérations des hauts fonctionnaires ou de l'ensemble des fonctionnaires. Toutefois, l'alignement progressif des cotisations retraite de la fonction publique sur le régime général, annoncé par le Gouvernement, pèsera déjà sur l'évolution des rémunérations versées.

Ramener les comptes de la sécurité sociale à l'équilibre en 2013 nécessitera également un cocktail de mesures à effet rapide et de réformes structurelles, pesant de manière équitable sur les assurés, les bénéficiaires d'allocations et les professionnels de santé. La réforme des retraites annoncée par le Gouvernement contribuera à ralentir la croissance des pensions avec un relèvement de l'âge d'ouverture des droits. Mais l'indexation des pensions continuera d'entretenir le dynamisme de ces dépenses, comme la revalorisation des prestations légales qui accroît la progression des prestations familiales. En matière de maladie, nous pourrions envisager la baisse du prix des médicaments, une plus grande sélectivité des admissions au régime des affections de longue durée ou une non-revalorisation des actes et consultations au-delà de ce qui a été déjà décidé.

Il faut également agir sur les recettes en cessant impérativement de consentir des baisses d'impôt et en limitant la progression des dépenses fiscales qui ont augmenté à périmètre constant de plus de 5 % par an depuis 2000, et même de 8,5 % chaque année depuis 2004. Ces deux phénomènes sont, en effet, la cause principale du déficit structurel. Une hausse ciblée des prélèvements obligatoires est inévitable. Elle devra passer, en priorité, par un réexamen des dépenses fiscales et des niches sociales. Ce sera une mesure d'équité. De nombreux dispositifs ont été retirés depuis quelques années des dépenses fiscales, sans que les explications apportées ne convainquent totalement. Les critères d'ancienneté et de généralité manquent de pertinence sans compter qu'ils ne sont pas utilisés de manière cohérente. Leur chiffrage, exercice difficile, progressera via une meilleure utilisation des déclarations fiscales et un croisement plus fréquent avec des données statistiques. Cet effort ne devra pas se limiter aux 6 milliards annoncés par le Gouvernement à horizon 2013, qui correspondent à la hausse moyenne des dépenses fiscales chaque année, mais porter sur 10 milliards en application de la règle posée par la loi de programmation qui limite la durée de vie des dépenses fiscales créées à partir de 2009 à quatre ans. Il faudra compléter cet examen des dépenses fiscales par un abaissement du plafond global des avantages fiscaux au titre de l'impôt sur le revenu qui a été instauré en 2009 ou une réduction forfaitaire de tous les crédits et réductions d'impôts -le fameux coup de rabot. Si de telles mesures sont décidées, elles devront s'appliquer de manière systématique et uniforme et, en priorité, aux réductions et crédits d'impôts.

Quant au retour à l'équilibre des comptes sociaux, il passera par un apport de nouvelles recettes qu'il faut d'abord rechercher dans un réexamen systématique des exonérations de cotisations et des réductions d'assiette. On pourra agir, en particulier, sur les dispositifs d'entreprise, comme l'intéressement ou la protection sociale complémentaire, générateurs de fortes inégalités entre les salariés. Enfin, il faudra rapidement transférer à la Cades la dette accumulée de l'ACOSS au titre de la maladie, ce qui imposera sans doute de combiner un relèvement du taux de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et un allongement de la durée de vie de la dette sociale, à condition qu'elle soit remboursable dans un délai maximum de dix à quinze ans.

Pour conclure, la France, dont les finances publiques étaient déjà fortement dégradées, est entrée en 2009 dans une récession jamais connue depuis la seconde guerre mondiale si bien qu'elle ne pourrait pas faire face aujourd'hui à un éventuel retournement conjoncturel ou à une nouvelle crise financière sans craindre les réactions de ses créanciers. Les marges de manoeuvre de l'État se trouvent progressivement réduites par l'effet boule de neige de notre endettement. Plus nous attendrons, plus les efforts à réaliser seront importants parce qu'il faudra payer les charges d'intérêts de notre dette. Le coût de l'inaction est supérieur à celui des mesures immédiates. La dette a augmenté de près de quinze points de PIB entre fin 2007 et fin 2009, ce qui génère chaque année des charges d'intérêts supplémentaires de 10 milliards au taux d'intérêt théorique de 3,5 %, soit l'équivalent des deux tiers des aides personnelles au logement versées à plus de 6 millions de personnes. Il faut donc engager la consolidation des comptes publics dès 2011. Voilà le principal message de la Cour, dont j'ai bon espoir qu'il sera entendu.

Ce message, loin d'être pessimiste, oblige à plus de lucidité sur les efforts à accomplir et les nombreux atouts dont la France dispose pour rétablir sa situation financière. Engageons-nous dans cette voie pour donner à tous la conviction d'un effort collectif, partagé et équitable. C'est à cette condition que nous pourrons parer aux comportements d'épargne de précaution, défavorables à la croissance, et conforter la confiance des créanciers dans notre pays.

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