Intervention de André Lardeux

Réunion du 15 mars 2005 à 21h30
Avenir de l'école — Discussion générale

Photo de André LardeuxAndré Lardeux :

Plus sérieusement, j'apporte mon entier soutien à la démarche que vous avez entreprise pour mettre l'éducation nationale sur la voie de la réforme. Je le fais notamment en tant qu'enseignant avec une bonne trentaine d'années d'expérience en lycée polyvalent d'enseignement général et technologique situé dans un quartier populaire.

La nomenklatura bien pensante, réfugiée dans les beaux quartiers de nos agglomérations, affirme, avec l'aplomb de ceux qui n'ont rien fait, que votre texte serait vide. J'avoue alors ne pas comprendre pourquoi elle a manipulé les manifestations de lycéens de ces dernières semaines, comme on a pu le constater, par exemple, à la une de la presse locale angevine. D'ailleurs, transformer des jeunes en thuriféraires du conservatisme le plus profond, il faut le faire, si je puis dire !

Ces manifestations n'ont rien de spontané, d'autant que l'élément le plus contesté, à savoir la réforme du baccalauréat, après avoir figuré de façon sibylline dans le rapport annexé, fera, comme vous l'avez annoncé, l'objet d'une concertation.

Connaissant le goût pour la lecture du lycéen moyen, que j'ai fréquenté un certain nombre d'années, il y a fort à parier que le nombre de lycéens lecteurs du texte intégral soit fort réduit.

En revanche, les mêmes manifestants ne se préoccupent ni du brevet, ni des CAP, ni des BEP, qui sont tout aussi concernés, ce qui ne peut que m'amener à m'interroger sur le fondement des événements récents.

Monsieur le ministre, j'adhère à vos propositions parce que, pour la première fois depuis longtemps, vous faites prévaloir le bon sens et le pragmatisme sur les dogmatismes idéologiques. Vous nous proposez d'affirmer ce que la nation attend de l'école, à savoir assurer l'avenir des élèves qui lui sont confiés et réconcilier ainsi la nation et l'école. Vous rappelez les exigences fondamentales, notamment l'élévation du niveau de la formation initiale des jeunes Français, et c'est le moins que l'on puisse attendre du système éducatif pour préparer l'avenir du pays.

Vous rappelez que tout citoyen a le droit de demander des comptes à l'école. Vous ne cherchez pas le grand soir, la révolution, dont certains rêvent peut-être, et vous avez raison. D'ailleurs, il y a au moins autant de réformes de l'éducation nationale que de sénateurs dans cette assemblée. Vous placez au coeur des préoccupations les nécessaires remèdes aux échecs de certains élèves et aux inégalités.

Il ne m'est pas possible d'aborder tous les aspects du projet de loi. Aussi, je limiterai mon intervention au niveau des connaissances, à la formation des enseignants et à la réforme des examens.

Il y a péril, car l'école de la République est menacée d'implosion, ballottée par des demandes contradictoires et par les faiblesses de la société. Celle-ci a tendance à incriminer l'ensemble du corps enseignant et vous avez raison de souligner que c'est une erreur : dans leur majorité, les enseignants sont des serviteurs loyaux de la République, mais, dans certains cas, ils sont désenchantés.

En raison des vertus que l'on exige des enseignants, il est peu de parents, de journalistes ou de notables qui seraient capables et dignes d'exercer ce beau métier.

Cette situation engendre des réactions soit de découragement, pour beaucoup, soit hystériques chez une minorité se livrant à une désinformation peu compatible avec les principes de neutralité et de laïcité de l'enseignement public, ainsi qu'avec les exigences de rigueur et d'honnêteté intellectuelle de ceux qui ont la charge de former les jeunes.

De nombreux enseignants sont mal à l'aise face à l'image que l'école leur renvoie. En effet, pour les plus âgés, la génération des anciens combattants de mai 68, c'est à la fois l'effondrement d'une fantasmagorie appuyée sur l'égalitarisme et la volonté d'une pensée et d'un corps uniques qui a montré que massification n'était pas synonyme de démocratisation, et l'effondrement d'une idéologie rousseauiste et naïve croyant que le nec plus ultra de la pédagogie est la spontanéité de l'élève dont l'inné serait porteur de tous les espoirs. Les résultats observés montrent l'inanité de cette illusion et que le slogan « il est interdit d'interdire » a une date de péremption depuis longtemps dépassée.

Pour les plus jeunes enseignants, c'est l'échec de la formation, si par euphémisme on veut l'appeler ainsi, des IUFM, qui ne leur fournissent ni le bagage scientifique nécessaire à l'autorité du savoir ni le bagage pédagogique et technique nécessaire à l'autorité du pouvoir pour affronter des classes de plus en plus rétives et de moins en moins curieuses. C'est le résultat de l'inadaptation des programmes des IUFM et des choix des formateurs, trop souvent là pour échapper à l'enseignement devant les élèves.

Ce désarroi est accentué par un sentiment de déconsidération réel, même s'il est souvent excessif et nourri par une indigestion de réformettes et de déclarations démagogiques.

Aussi, monsieur le ministre, votre proposition d'intégrer les IUFM aux universités est une indispensable mesure de bon sens. Il restera ensuite, et ce ne sera pas le plus aisé, à en écarter tous les Trissotin et autres femmes savantes qui les encombrent. Il faudra aussi faire des efforts pour que les enseignants puissent se reconvertir à d'autres métiers.

Vous avez raison de rappeler que l'on attend beaucoup de l'école, mais que l'on ne peut tout en attendre ; elle ne peut résoudre tous les maux de la société. En effet, les valeurs sur lesquelles elle doit s'appuyer et sur lesquelles vous insistez sont antinomiques avec celles sur lesquelles la société surfe, si tant est que l'on puisse qualifier de « valeur » le laxisme généralisé et la loi du moindre effort. Comment convaincre les jeunes que, pour réussir, il faut travailler, alors qu'ils observent des adultes qui ne pensent qu'à l'organisation de leurs jours de RTT ? Comment convaincre qu'il y a du plaisir dans l'effort et le travail quand les médias étalent le laisser-aller et exaltent l'absence d'effort ?

Aussi, je suis convaincu que les principes sur lesquels vous vous appuyez sont en mesure de remédier à cette situation, qu'ils n'ont rien de passéistes, bien au contraire. Ils peuvent aider à remettre en route l'ascenseur social, à détecter les jeunes talents, souvent négligés par choix égalitariste.

A cet égard, le présent projet de loi a le mérite de ne pas être réservé aux initiés des arcanes du système éducatif. En effet, la massification de l'école a donné un avantage certain à ceux qui savent, ce qui est une source d'inégalités que confirment les résultats aux examens et les orientations prononcées. Aussi, les mesures préconisées me paraissent de nature à redonner confiance dans le système éducatif à tous ceux qui ont besoin de ses services.

D'aucuns affirment que la solution réside dans les moyens. C'est un mythe dont il est difficile de se débarrasser et qui évoque le tonneau des Danaïdes.

Le rapport de la Cour des comptes, même s'il faut le manipuler avec quelque prudence, le rappelle : il n'y a jamais eu autant de moyens. Pourtant, les difficultés comme l'illettrisme ou la violence se sont aggravées. Les problèmes seront donc résolus non pas par une augmentation considérable des moyens, mais par une meilleure utilisation de ceux-ci, puisqu'il semble bien que l'on assiste, depuis une vingtaine d'années, à une inflation des moyens accompagnée de rendements décroissants.

Monsieur le ministre, vous refusez de vous engager dans des réformes gadgets et vous souhaitez redonner de la stabilité à l'école, tout aussi nécessaire aux élèves qu'aux enseignants.

La modernisation et la clarification du système d'orientation que vous proposez s'imposent pour mettre fin à la façon essentiellement négative dont celui-ci fonctionne actuellement. Elles sont nécessaires pour que les élèves trouvent un sens aux efforts qui leur sont demandés. A juste titre, vous suggérez de redonner aux enseignants le rôle central qu'ils n'auraient jamais dû perdre dans le processus d'orientation ; cette mesure exige une formation approfondie, qui leur fait actuellement défaut. En effet, que savent les enseignants du système éducatif dans son ensemble, des entreprises, de l'environnement socioéconomique, etc. ?

Pour que ce dispositif soit efficace, il faut le centrer sur les établissements, qui doivent constituer de véritables communautés de formation et d'éducation. Les chefs d'établissement doivent disposer d'une véritable autorité sur ces communautés et être des managers éducatifs représentant l'Etat quand il s'agit de l'enseignement public.

Cela suppose une révision des modes d'évaluation des différents acteurs. Les inspections des enseignants sont trop rares pour être significatives et pour encourager les progrès.

Pour tout cela, rétablir l'autorité en s'appuyant sur des moyens classiques relève d'un pragmatisme de bon aloi

Pour ce qui est des connaissances, vous proposez de définir des objectifs fondés sur un socle commun. Cette démarche est nécessaire et se situe dans la droite ligne des créateurs de l'obligation scolaire, comme Jules Ferry. Mais la loi ne doit pas tomber dans le travers de vouloir définir les programmes ; certains amendements tendent à montrer que cette tentation existe. L'enseignement doit simplement se concentrer sur ce qui est fondamental et éviter la multiplication des options plus ou moins ésotériques et élitistes, dont le principal objectif est le détournement des contraintes de la carte scolaire.

Je dirai maintenant quelques mots sur le baccalauréat et l'émoi disproportionné que l'évocation de sa modernisation nécessaire a suscité. Il n'y a rien de sacrilège à vouloir réformer ce que d'aucuns qualifient de « monument de ringardise ». On n'y a pratiquement pas touché depuis 1969, au point qu'il n'est devenu trop souvent qu'un assignat dont beaucoup d'étudiants mesurent vite la dévaluation lorsqu'ils s'engagent dans les formations universitaires. C'est trop souvent un passeport pour nulle part !

Introduire le contrôle continu dans l'examen du baccalauréat est une nécessité ; c'est d'ailleurs en partie le cas pour l'éducation physique ou les TPE. Cela a pour but non seulement d'en alléger l'organisation, mais aussi d'en améliorer la valeur. Peut-on, par exemple, concevoir de juger le niveau de langue d'un élève sur une épreuve écrite terminale ou un oral de dix minutes ? Et les exemples sont nombreux.

Votre projet de réforme, monsieur le ministre, doit être soutenu, car il veut réconcilier la nation et son école, avec des objectifs clairs : garantir la liberté pédagogique des enseignants, affirmer leur autorité, récompenser le mérite avec les bourses du même nom - ce qui est simplement de la discrimination positive intelligente -, rappeler la place essentielle du travail, définir le socle de connaissances nécessaires, refuser les gadgets, prendre en compte les difficultés des élèves. Ces mesures de bon sens, auxquelles on n'est plus habitué, sont une garantie de qualité, d'efficacité et de justice.

Après cela, monsieur le ministre, il vous restera à vaincre les forces d'inertie de ceux qui trouvent toujours de bonnes raisons de ne rien faire et à vous opposer au rétropédalage de quelques autres.

Vous répondrez alors à ce que la nation souhaite, pour aller dans le sens de ce qu'écrivait naguère Jacques Julliard.

« En vérité, nous ne sommes pas respectés parce que nous ne nous respectons plus. [...] la France est envahie de bobologues compatissants, de sociologues misérabilistes, [...] de jeunologues à l'écoute. Ecoutez donc un peu moins et tâchez donc de comprendre un peu plus. Ce que ces jeunes attendent de nous, [...] c'est de notre part un peu plus de fierté, un peu plus de croyance dans nos propres valeurs. Il faudrait être à la fois plus ferme et plus généreux, quand nous sommes complaisants et égoïstes. Il faudrait, envers les jeunes, sortir de ce cercle vicieux où tout leur est permis parce que rien ne leur est proposé. »

Monsieur le ministre, je suis convaincu que vos propositions sont là pour répondre à ces défis. C'est pourquoi je voterai sans crainte la réforme que vous nous proposez.

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