Intervention de Jean-Paul Virapoullé

Réunion du 15 mars 2005 à 21h30
Avenir de l'école — Discussion générale

Photo de Jean-Paul VirapoulléJean-Paul Virapoullé :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'interviens plus en tant que militant de l'éducation que comme sénateur. En 1986 j'ai été élu député. J'étais donc membre de l'opposition lorsque M. Jospin, alors ministre de l'éducation, nous présenta son projet de loi d'orientation en 1989. J'ai étudié le texte, sur lequel j'ai déposé deux amendements : le premier visait à indiquer qu'il s'agissait d'une priorité nationale ; le second prévoyait le rattrapage, dans les cinq ans à venir, de l'écart existant, en matière d'encadrement, entre les départements d'outre-mer et la métropole. Ce n'est pas tout à fait réalisé, mais c'est en bonne voie !

Lorsque j'ai annoncé à mes collègues que j'allais voter cette loi, car elle n'était pas si mauvaise que cela, il m'a été répondu ceci : « quand on appartient à l'opposition, on ne vote pas une loi de la majorité ». Je me suis alors permis de faire une réflexion de bon sens : « l'école de mon pays, comme la force de dissuasion et la défense, ne devrait pas faire l'objet d'un enjeu politicien ». Puis, j'ai voté la loi. Je ne le regrette pas, parce que cela a permis de faire évoluer les choses dans le bon sens.

Ce soir, l'opposition campe sur ses positions idéologiques : elle fait un procès d'intention à une loi courageuse que vous êtes en train de mettre en place, monsieur le ministre ; elle dénigre ce texte comme si nous étions réunis ici, pendant quatre jours, pour supprimer le service public, laïque et gratuit de l'éducation, pour faire le procès des élèves, des parents et des enseignants.

Tel n'est pas notre intention, ni celle du Gouvernement, ni celle du Président de la République, qui souhaitait cette loi, et encore moins celle de la majorité qui vous soutient, monsieur le ministre ! Nous sommes venus exprimer notre reconnaissance aux enseignants, car ils travaillent dans des conditions difficiles.

Lorsque vous êtes un instituteur frais émoulu de l'IUFM et que votre classe compte vingt-deux nationalités différentes, eh bien ! vous avez d'abord peur de rentrer dans la classe ; ensuite, vous craignez de vous faire agresser à la sortie. Vous n'avez pas la reconnaissance de vos aînés, alors que vous trimez pour faire réussir les élèves.

Nous ne faisons pas le procès des enseignants, des parents ou des enfants ! Nous essayons de nous frayer un chemin pour apporter une solution à ces jeunes. Tel est l'objet du présent projet de loi et c'est la raison pour laquelle je le soutiens.

Certains disent que, si l'ascenseur social est bloqué, c'est la faute de l'école. Ce n'est pas vrai !

Il est minuit passé, heure propice au rêve, alors faisons un rêve ensemble : nous avons une école idéale ; tout le monde réussit et en sort bachelier. Pour autant, tout le monde aura-t-il un emploi ? Non, la file d'attente des chômeurs diplômés à l'ANPE va simplement augmenter !

Pendant les mois de discussion qui ont précédé l'examen de votre projet de loi, monsieur le ministre, comme beaucoup de sénateurs, j'ai reçu des lycéens, des parents, des enseignants. Je leur ai demandé s'ils avaient lu le projet de loi. Certains d'entre eux étaient gênés, car ils ne l'avaient ni lu ni étudié. Au fil des jours, les manifestations s'estompent et la compréhension s'installe, en dehors des slogans que l'on a entendus ce soir, parce que les gens admettent que ce n'est pas l'école qui bloque l'ascenseur social : c'est la société de libre-échange, imposée par des puissances financières extérieures à l'Europe, en Asie ou sur le continent américain, qui est en train de démanteler des pans entiers de notre circuit de production. Dès lors, les personnels qualifiés ne trouvent plus d'emploi dans notre pays. Ce n'est pas l'école qui va résoudre ce problème ; c'est une Europe politique forte, que nous voulons construire au fil des ans. Donnons à l'école sa part de mérite et de responsabilité, et à la politique la sienne !

Il ne faut pas exploiter la crainte, justifiée, des jeunes, des enseignants et des parents en faisant un faux procès à ce projet de loi. Chacun constatera, dans les mois à venir, que l'on ne souhaite pas la fin du service public.

Aux termes de la loi, lorsqu'un enfant rencontrera une difficulté, on n'attendra pas qu'il rentre en sixième sans savoir ni lire, ni écrire ni compter : on interviendra dès la découverte du problème et on l'aidera à remettre le pied à l'étrier ! On offrira à chaque élève un socle commun de connaissances. On admet qu'un élève ne puisse pas soulever cent kilogrammes, on admet qu'il ne puisse pas courir comme Marie-Josée Perec ou jouer au football comme Zinedine Zidane, mais on n'admet pas qu'il n'ait pas les mêmes capacités intellectuelles que d'autres. On dispense à toute une classe les mêmes connaissances et, si l'un des élèves trébuche, on le considère comme un âne ! Le projet de loi a au moins le mérite de donner à chacun sa chance !

Je ne vois pas en quoi on exécute le service public, laïque et gratuit de l'éducation lorsqu'on fournit aux enfants en difficulté les moyens de s'intégrer, au fur et à mesure, au cursus et de réussir.

Par ailleurs, monsieur le ministre, j'ai déposé un amendement tendant à ce que l'orientation soit enseignée.

Je ne veux choquer personne, mais, jusqu'à présent, l'école est un peu trop la propriété du milieu enseignant. L'école est le miroir de la société ! Alors, faisons rentrer la société dans l'école ; organisons des rencontres entre le monde du travail et les enfants, qui, demain, mettront leurs compétences au service du pays ; invitons les boulangers, les maçons, les pâtissiers, les mécaniciens, les médecins, les ingénieurs dans les collèges et les lycées. Ce sont eux les vrais conseillers d'orientation ! Ce sont eux qui éveilleront les vocations, qui donneront le goût à l'apprentissage d'un métier à notre jeunesse.

Je souhaite que cette loi soit audacieuse, afin que tombent les murs des lycées et des collèges et que pénètre dans l'école le monde du travail. Si nous y parvenons, au lieu de s'engager dans des voies de garage, les jeunes se lanceront dans des cursus qui correspondent à leur vocation.

Enfin, si l'école moderne n'est pas une caserne où tout le monde doit mesurer un mètre soixante et exécuter un travail identique pendant le même temps, alors elle contribuera à relever le défi de la société Si on éveille la vocation de chaque enfant en lui demandant le métier qu'il rêve d'exercer un jour et qu'on lui donne les moyens de s'acheminer vers ce métier, des miracles se produiront.

A la Réunion, il n'y a ni pétrole ni minerai ; la seule richesse, ce sont les jeunes. Monsieur le ministre, en 1946, date de la départementalisation, on comptait trente bacheliers. Grâce au miracle de l'égalité, de la liberté et de la fraternité, valeurs que seule notre République peut dispenser, alors que la population triplait, le nombre de bacheliers passait à plus de deux mille.

Des problèmes subsistent, que ma collègue de la Réunion a évoqués, par exemple un retard dans l'encadrement. On n'a pas pu réaliser en cinquante ans ce que vous avez accompli en deux siècles ! Toutefois, en cinquante ans, l'école a fait des miracles : elle a offert une voie d'intégration sociale à des familles qui vivaient dans la misère.

La pire des injustices, selon Socrate, c'est de traiter de la même manière des personnes qui se trouvent dans des situations différentes. Selon la région, le quartier, les facultés intellectuelles données par le bon Dieu, les jeunes sont dissemblables.

Monsieur le ministre, votre projet de loi, que je voterai avec espoir, a le mérite de faire du sur-mesure : on passera du moule unique à l'école de la vocation. En étant audacieux, en provoquant la rencontre entre le monde du travail et les désirs professionnels de notre jeunesse, on fera émerger une société de progrès, de liberté, d'éducation, de travail et de dignité.

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