Mes chers collègues, M. le ministre l'a dit et c'est vrai : avec le texte qui nous est soumis, la nation a rendez-vous avec son école.
Aujourd'hui, plus de deux siècles après que Condorcet a construit son premier projet sur l'instruction publique, des centaines de milliers d'élèves ne maîtrisent pas leur langue maternelle et, chaque année, ils sont 80 000 à ne savoir réellement ni lire, ni écrire, ni compter à leur entrée en sixième. Chaque année, pas moins de 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme, ni qualification reconnue.
Ces données suffisent, à l'évidence, à traduire la situation de malaise endémique dans laquelle se trouve l'école, pourtant premier facteur de cohésion et premier lieu d'intégration dans notre société, et elles montrent l'ampleur des défis que cette dernière doit relever.
Si l'éducation nationale n'obtient pas les résultats que l'on est en droit de lui demander, alors elle est en péril, comme l'est aussi l'avenir de la nation et de la République.
A la hauteur des enjeux, le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, engage une profonde transformation de notre système éducatif et fixe à celui-ci de nouveaux objectifs pour les années à venir : assurer la réussite de tous les élèves ; renforcer la qualité du service public de l'éducation ; ouvrir davantage l'école sur les exigences du monde extérieur.
Votre texte est le résultat d'un long processus de maturation, marqué par un large débat, étalé sur près d'une année, au cours de laquelle plus d'un million de Français ont pris la parole pour dire leurs espérances et leurs attentes. Ayant participé - comme nombre d'entre vous, mes chers collègues -à ce débat dans le XVe arrondissement de Paris, je tiens à témoigner ici de sa très grande richesse.
Après avoir consulté la communauté scolaire de mon arrondissement, j'ai constaté la justesse de bien des orientations contenues dans le projet de loi, même si, bien sûr, des questions restent en suspens.
Aussi, monsieur le ministre, je veux particulièrement vous féliciter pour la méthode employée, qui, loin des discours convenus, est faite de discussion avec tous, d'écoute de chacun, de décisions lucides et courageuses prises dans l'intérêt général.
En présentant ce projet de loi, vous refusez l'inaction coupable, vous luttez résolument contre les inégalités et vous défendez sans relâche les valeurs républicaines.
Notre école a relevé le défi de la démocratisation et de la massification, mais, il faut le reconnaître, depuis plus de dix ans, les résultats stagnent. Dans ces conditions, il est primordial de faire évoluer le système, ce qui implique d'agir à la fois sur les structures, sur les hommes et sur les stratégies.
S'agissant des structures, le projet de loi renvoie avec justesse au projet d'école et au conseil des maîtres dans le premier degré, comme il renvoie au projet d'établissement et au conseil de classe dans le second degré. Cependant, il ne consacre pas un exact parallélisme des formes, les écoles n'ayant pas le statut d'établissement public local d'enseignement.
Or la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales permet de créer des établissements publics locaux d'enseignement primaire. Sans nul doute, la création d'EPLE du premier degré qui regrouperaient plusieurs écoles favoriserait une gestion plus souple des personnels, donc une meilleure utilisation des compétences. La globalisation des moyens permettrait également de mieux répartir ce qui relève du périscolaire. Aussi serait-il opportun, monsieur le ministre, que des dispositions réglementaires traduisent cette orientation.
Le statut d'EPLE du premier degré devrait être accompagné de celui de chef d'établissement pour le directeur.
En effet, l'absence de statut pour les directeurs d'école rend difficile l'affirmation de leur autorité auprès de leurs collègues, en particulier lorsqu'il s'agit de mettre en place les réformes pédagogiques. Si, à la tête d'un EPLE du premier degré, se trouvait un directeur ayant statut de chef d'établissement non seulement l'autorité qui manque tellement aujourd'hui se trouverait renforcée, mais l'inspecteur d'académie aurait un seul interlocuteur et l'inspecteur de l'éducation nationale n'aurait plus besoin d'assumer de tâche administrative ; il retrouverait alors tout naturellement son rôle de conseiller pédagogique.
Cette expérience mériterait d'être tentée à Paris, d'autant qu'elle ouvrirait le chemin d'un renforcement de l'accompagnement pédagogique et d'une véritable politique d'encadrement, chemin qui reste aujourd'hui largement fermé.
Sur un autre plan, je tiens à insister sur la nécessité de maintenir les moyens attribués aux directeurs d'écoles, tels les logements de fonction, pour leur permettre d'exercer pleinement les missions qui leur sont confiées. Une menace existe sur ce point.
Au-delà de l'exemple du premier degré, c'est l'ensemble de la politique d'encadrement de notre pays en matière d'éducation nationale qui mérite d'être renouvelée, afin que les enseignants trouvent enfin les aides et les conseils pédagogiques cohérents qu'ils attendent. Le temps est peut-être venu de redéfinir la mission des corps d'inspection et de réaffirmer leur vocation pédagogique.
Beaucoup plus largement, même si, je tiens à le souligner, ils ne se résignent pas, il convient que les enseignants jouissent, aussi bien dans la société qu'au plus haut niveau de la hiérarchie, de la considération et de la confiance aptes à les mobiliser autour de leur ambition, qui est également la nôtre : assurer la réussite de tous les élèves.
Mais la communauté scolaire, ce sont aussi les parents d'élèves. L'éducation n'est-elle pas d'abord de la responsabilité des parents ? Il est bon de préciser que les familles concourent à la réussite des missions de l'école.
En ce qui concerne le fonctionnement des conseils, je le dis de façon incidente, mais j'y insiste, il serait vivement souhaitable que soit mieux respectée la circulaire du 3 mai 2001 précisant que les temps de représentation des parents dans l'établissement doivent être compatibles avec leur temps de travail.
Les hommes mettent en oeuvre des stratégies. Pour traiter les problèmes de l'école, la logique quantitative a désormais atteint ses limites ; d'autres l'ont dit avant moi. En vingt-cinq ans, les moyens ont été multipliés par deux et, en quinze ans, 130 000 enseignants supplémentaires ont été recrutés tandis que le nombre d'élèves baissait de 500 000 !
Dès lors, il importe de dissocier l'évaluation des élèves de celle des moyens et d'évaluer la performance des établissements à l'aune des résultats des élèves. C'est pourquoi la démarche d'évaluation doit être impérativement accompagnée d'une politique contractuelle entre chaque académie et les établissements, comme cela est d'ailleurs mentionné dans le rapport annexé, en référence à la loi organique relative aux lois de finances.
Si l'expérimentation du statut d'EPLE du premier degré et de celui de chef d'établissement pour les directeurs a, conformément à mes voeux, lieu à Paris, cette politique contractuelle s'appliquera de facto à ces écoles et leur permettra de répondre ainsi aux critiques fortes qui leur sont adressées dans le rapport de septembre 2004 des inspections générales sur l'évaluation de l'enseignement dans l'académie de Paris.
La principale singularité parisienne tient au fait que, sur l'initiative de Jacques Chirac, alors maire de Paris, des professeurs de la Ville de Paris, dits PVP, participent à l'enseignement maternel et primaire aux côtés des maîtres de l'enseignement public. Mais, aujourd'hui, si la mission des inspections générales a reconnu « la qualité de l'enseignement dispensé par les PVP », elle a déploré « l'absence trop fréquente de coordination » avec les maîtres, « l'effet déresponsabilisant de la multiplication des enseignants » et « les graves dysfonctionnements qui en résultent parfois ».
La politique contractuelle entre l'académie et les établissements apporterait sans doute une solution à de telles insuffisances. Le lien évaluation-résultats que cette politique obligerait à tisser serait d'autant plus utile que, si l'on en croit le rapport, il a été constaté que « l'académie de la capitale de la France n'enregistrait pas, globalement, les bons résultats scolaires que l'on aurait attendus ».
Enfin, l'orientation, chacun le reconnaît, est l'un des points faibles de notre institution scolaire. Alors que le redoublement ne peut constituer qu'un moyen de dernier recours, une meilleure orientation s'impose, comme d'ailleurs s'impose une mobilisation plus forte du mouvement associatif pour le soutien scolaire.
Celui-ci devrait être conçu en étroite complémentarité avec le « programme personnalisé de réussite scolaire », que le rapporteur propose judicieusement de rebaptiser « parcours personnalisé de réussite éducative ».
Cette notion de personnalisation est fort pertinente, s'agissant aussi bien des élèves perturbant gravement le déroulement des classes, qui seront pris en charge par les dispositifs relais que vous allez multiplier, monsieur le ministre, que des élèves en situation de handicap, scolarisés dans des unités pédagogiques d'intégration, dont le nombre sera considérablement augmenté, ce qui est extrêmement important, même s'il importe de ne surtout pas renoncer à scolariser ces élèves dans les établissements normaux, moyennant un accompagnement individualisé.
En ce qui concerne les élèves qui rencontrent des difficultés avec l'institution scolaire, faut-il, monsieur le ministre, préférer l'intégration de la note de vie scolaire dans le brevet plutôt que d'en faire un indicateur de socialisation depuis la classe de sixième ?
Parce qu'il convient aujourd'hui de prendre en considération la dimension européenne de l'éducation et le problème de l'orientation tout au long de la vie, un regroupement des personnels de l'éducation nationale chargés de l'information et de l'orientation des élèves et du monde professionnel pourrait utilement être envisagé et organisé au sein d'un grand service d'orientation et d'information.
La réunion de ces personnels au sein d'une même structure constituerait un progrès certain, au-delà de la simple « coopération » évoquée dans le rapport annexé.
Monsieur le ministre, votre projet de loi est un texte de bon sens qui vise à redresser une situation compromise. Nous partageons pleinement votre détermination à le mettre en oeuvre.
Garantir l'acquisition par chaque élève d'un socle commun de connaissances et de compétences, loin d'instaurer un minimum éducatif, constitue la condition de l'accès à une citoyenneté réfléchie et à la culture universelle non pas, comme l'aurait dit Jules Ferry, pour « embrasser tout ce qu'il est possible de savoir », mais pour « apprendre tout ce qu'il n'est pas permis d'ignorer » : c'est une disposition de bon sens.
Dépasser l'opposition stérile des savoirs et de la pédagogie, c'est encore du bon sens.
Garantir le remplacement des professeurs absents, symboles pour les élèves et leurs parents d'un blocage inadmissible de l'institution scolaire, et éviter ainsi les classes sans professeurs, mais aussi, je le dis incidemment en référence aux dysfonctionnements révélés récemment dans la gestion des personnels, les professeurs sans classe, c'est toujours du bon sens.
Développer massivement l'enseignement des langues vivantes, c'est plus que du bon sens : c'est une impérieuse nécessité dans l'Europe que nous voulons.
Tripler les bourses accordées aux bons élèves et les prolonger dans l'enseignement supérieur, c'est aussi plus que du bon sens : c'est briser les barrières sociales.
Par conséquent, monsieur le ministre, c'est non seulement sans réserves, mais aussi avec conviction que je voterai ce projet de loi lucide et ambitieux, que vous défendez avec énergie et talent pour la seule cause qui vaille : l'avenir de nos enfants !