Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenant à cette heure tardive dans la discussion générale, je ne vais ni énumérer toutes les qualités de ce projet de loi, que je soutiens, ni indiquer les éléments qui fondent ma conviction ; je bornerai mon propos à un constat, un souvenir, une remarque et une suggestion.
S'agissant du constat, il est temps que nos concitoyens découvrent que le monde qui les entoure est de plus en plus compétitif et complexe, et que la formation des jeunes doit tenir compte de ses exigences.
Tout ce que l'on peut raconter à propos de l'histoire, par exemple à l'occasion de commémorations comme celle du centenaire de la naissance de Jean-Paul Sartre, ou sur la proximité du mois de mai, n'a pas grand sens au regard du problème auquel nous sommes confrontés : trop de jeunes sortent du système éducatif sans aucune formation, ce qui est source de chômage, de mauvaise insertion et de violence.
J'en viens au souvenir, monsieur le ministre. En 1975, j'étais au gouvernement et je discutais avec René Haby de ce fameux texte que certains intervenants ont évoqué. J'ai eu, avec René Haby, un grand débat financier sur la question de savoir s'il convenait de prévoir, dans le budget de 1976, une provision en vue d'améliorer le statut des chefs d'établissement. Or je me souviens qu'à la suite de la discussion de ce texte en conseil des ministres il avait été décidé de consacrer une provision importante - il s'agissait de plusieurs centaines de millions de francs de l'époque - à l'amélioration du statut, de la reconnaissance et des rémunérations des directeurs d'école et des chefs d'établissement.
Quelque temps plus tard, alors que je demandais à René Haby de m'indiquer les mesures d'application de cette décision, il m'a répondu qu'il avait rencontré avec les organisations syndicales des difficultés telles qu'il avait consacré cet argent à d'autres actions. Voilà trente ans, monsieur le ministre, que le mécanisme perdure !
Je constate, avec plaisir, que votre texte comporte un certain nombre d'éléments qui favoriseront cette amélioration du statut des directeurs d'école et des chefs d'établissement. Mais c'est encore insuffisant : nous ne parviendrons à redresser l'ensemble de notre système qu'en donnant aux directeurs d'école et aux chefs d'établissement des pouvoirs de notation pour assurer la cohésion de leurs équipes. Votre texte va dans ce sens. Je constate que, trente ans plus tard, ce sont les mêmes qui nous expliquent qu'il ne peut y avoir de primus inter pares, de gens qui commandent, et que nous devons adopter un dispositif totalement égalitaire. Je le déplore, car ce n'est pas dans ces conditions que nous pourrons améliorer le fonctionnement de notre système scolaire.
Ma remarque concerne les travaux dirigés. J'ai interrogé des lycéens qui participaient à des manifestations sur leurs inquiétudes eu égard à ce projet de loi, en dehors de la question du baccalauréat. Ils m'ont répondu qu'ils ne comprenaient pas pourquoi on prévoyait de supprimer les travaux dirigés en terminale. Pour avoir étudié le texte, je leur ai fait valoir qu'à partir du moment où l'on mettait en place un parcours personnalisé de manière à aider les élèves dès qu'ils rencontraient des problèmes, que ce soit dans l'enseignement primaire, au collège, ou au lycée, il était difficile de conserver tout le système.
Les travaux dirigés permettent de former un certain nombre de jeunes au dialogue, à la recherche personnelle et à la discussion, autant de qualités insuffisamment développées dans les parcours scolaires. Monsieur le ministre, quel sort comptez-vous réserver, dans les réformes futures, à cet aspect du travail des enseignants ?
J'en arrive à ma suggestion. Celle-ci part d'une constatation, qui m'a été inspirée par mes fonctions de maire. Exerçant ces fonctions depuis trente-quatre ans, j'ai quelque expérience des sujets relatifs à l'enseignement. Et j'ai eu la chance, dans les deux villes qui m'ont confié leur administration, d'y avoir un corps enseignant de très grande qualité. J'ai toujours constaté que les circulaires ministérielles, les fameux « bulletins officiels », l'accumulation de divers documents étaient une composante très importante, sinon du mécontentement, du moins de l'irritation permanente des membres du corps enseignant.
Les technologies de communication sont aujourd'hui beaucoup plus développées : nous disposons d'internet, d'extranet, voire de blog, dernière modalité permettant d'avoir une conversation libre sur ordinateur. La très grande majorité des enseignants actuels sont compétents, dévoués - tous nos collègues l'ont dit -, mais ils sont quelque peu désorientés par l'évolution de la société et les efforts qui leur sont demandés pour régler des problèmes que ni la police, ni la justice, ni les pouvoirs publics locaux ou nationaux ne parviennent à résoudre. Tous ces enseignants seraient heureux que vous, le numéro un de l'énorme pyramide à laquelle ils appartiennent, puissiez leur parler tranquillement Si vous preniez l'habitude, toutes les semaines ou tous les quinze jours, de vous adresser soit aux directeurs d'école, soit aux proviseurs, soit aux principaux, soit aux animateurs, soit aux personnels qui travaillent dans les ZEP pour leur exposer les problèmes que vous rencontrez, les orientations que vous prévoyez et les objectifs de la réforme que vous proposez au Parlement, vous casseriez le système actuel, un peu opaque, ces relations tayloriennes qui existent entre le ministre, son cabinet, les inspecteurs généraux, les recteurs, les inspecteurs d'académie et autres.
Monsieur le ministre, en vous entretenant directement, au moyen des mécanismes modernes, avec les personnels de base, à condition, bien entendu, de le faire régulièrement, en instillant un peu plus d'humanité et de considération dans vos rapports avec l'ensemble de ceux qui forment actuellement les enfants, vous accompagneriez parfaitement la réforme courageuse que vous avez lancée, et que je voterai sans aucune réserve.