Intervention de Philippe Dallier

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 27 octobre 2010 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2011 — Mission ville et logement et articles 98 et 99 - examen du rapport spécial

Photo de Philippe DallierPhilippe Dallier, rapporteur spécial :

La mission « Ville et logement » avait une cohérence forte à ses débuts, qu'elle a progressivement perdue en grande partie. Si elle a gagné en cohérence avec le rattachement du programme 177, « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » qui permet de traiter l'hébergement avec le logement, elle est devenue mission interministérielle, et elle est actuellement gérée par deux secrétaires d'État rattachés eux-mêmes à deux ministres de tutelle différents. Cet éclatement a des conséquences sur les agences, opérateurs au titre de la mission, et plus spécialement sur la principale d'entre elle, l'agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), qui relève toujours du secrétaire d'État à la ville, mais dont les ressources sont fournies par Action logement, l'ancien 1 %, qui est du ressort du secrétariat d'Etat au logement. Il a aussi des conséquences sur la capacité éventuelle à transférer des crédits d'un programme à l'autre, d'autant plus que l'équilibre initial entre deux programmes « ville » et deux programmes « logement » a été rompu au profit du logement.

La plus grande partie des crédits de la mission relève d'une logique de guichet. Dans le projet de budget pour 2011, ses moyens atteignent 7,646 milliards d'euros en autorisations de programme et 7,606 milliards en crédits de paiement. Sur ce total, 5,277 milliards en AE et CP, soit 69 %, sont destinés aux aides personnelles au logement, auxquelles l'État contribue à travers la subvention d'équilibre versée au Fonds national d'aide au logement (FNAL). Si l'on ajoute les dépenses obligatoires des autres programmes, comme les remboursements des exonérations de charges sociales en zone franche urbaine sur le programme politique de la ville, soit 222 millions, on arrive à un pourcentage de 72 % de crédits relevant de dépenses obligatoires. Il reste donc une marge de manoeuvre très étroite de crédits qui constituent des variables d'ajustement, très sensibles aux évolutions de la politique budgétaire, dans un sens comme dans l'autre. C'est pourquoi la mission « Ville et logement » est d'autant plus affectée par la fin du plan de relance qu'elle en a été l'une des grandes bénéficiaires avec la mobilisation de 315 millions de crédits de paiement supplémentaires.

C'est une mission pour laquelle les dépenses fiscales comptent plus que les dépenses budgétaires. Elles s'élèvent à plus de 12 milliards d'euros, en progression de 5,8 % par rapport à 2010. J'ai dénombré 68 dépenses fiscales rattachées à la mission, mais seules 40 font l'objet d'une estimation. L'insuffisance quantitative de l'évaluation se double, parfois, d'approximations méthodologiques. Je l'ai constaté, par exemple, sur l'évaluation de la dépense fiscale liée à l'amendement que j'avais cosigné avec Serge Dassault instituant un dégrèvement partiel de taxe d'habitation en faveur des personnes de condition modeste relogées dans le cadre d'un projet conventionné au titre du programme ANRU. Cette dépense a été très surestimée, à 25 millions d'euros.

La tendance, constatée depuis plusieurs exercices, à la hausse, de la dépense fiscale pourrait toutefois s'inverser à partir de 2011, en raison du « rabotage » des niches fiscales et de la refonte des aides à la propriété, avec le nouveau prêt à taux zéro « PTZ » dit « universel ». Plusieurs dépenses fiscales du domaine du logement sont concernées par la réduction de l'avantage en impôt procuré par certaines niches prévue par l'article 58 du projet de loi de finances, comme le « Scellier » ou le régime de l'investissement des loueurs en meublé non professionnels.

Le projet de loi de finances inclut également, dans son article 56, un dispositif de simplification des aides à l'accession à la propriété, avec un prêt à taux zéro renforcé ayant vocation à se substituer au dispositif actuel de prêt à zéro pour cent, au crédit d'impôt sur les intérêts d'emprunts et au Pass-foncier. Bien que le coût global du nouveau dispositif en régime de croisière soit estimé à 2,6 milliards par an, et que les anciens dispositifs continuent à produire des effets jusqu'en 2016, cette réforme procurerait, à compter de 2012, une économie fiscale importante, évaluée à 2,5 milliards en 2018.

Quelles sont, dans ce contexte, les principales tendances du projet de budget 2011 ? En premier lieu, une baisse des crédits de la mission, conforme à l'objectif de réduction des déficits publics et à la trajectoire de la programmation pluriannuelle. Cette diminution, de 0,6 % en autorisations d'engagement et de 2,5 % en crédits de paiement, est acquise par des économies sur les aides personnelles au logement, le retour au droit commun des exonérations de charges sociales dans les zones franches urbaines et la débudgétisation d'une partie des crédits de paiement destinés au logement locatif social, dont nous reparlerons. Pour les aides au logement, les économies sont obtenues essentiellement par la suppression de la rétroactivité sur trois mois du versement des aides. S'agissant de l'APL aux étudiants, dont le Gouvernement avait envisagé la suppression, avant de revenir sur cette décision, il est difficile de savoir quelle hypothèse a été retenue pour les estimations de dépenses.

En second lieu, le recours à des financements extrabudgétaires prend une ampleur croissante dans la gestion de la mission « Ville et logement » et cela a des conséquences sur la place du Parlement dans l'examen du budget.

Le projet de budget pour 2011 prévoit une progression exceptionnelle des ressources sur fonds de concours dont le contrôle échappe nécessairement à l'appréciation des assemblées. Leur montant estimé atteint au total 13,130 millions d'euros en autorisations de programme et 93,130 millions en crédits de paiement. Ces fonds de concours, une nouveauté, sont donc la clé de l'équilibre du financement du programme 135 « Développement et amélioration de l'offre de logement » pour 2011. Ils permettent ainsi d'annuler l'écart entre AE et CP sur la « ligne fongible» des aides à la pierre par un apport de 80 millions d'euros en CP ; de pallier l'absence de crédits budgétaires pour financer la lutte contre l'habitat indigne, dont l'ANAH pourrait, encore cette année, se révéler dans l'incapacité d'assurer la charge à la place de l'État et que l'agence reverse ainsi au budget ; enfin, d'atténuer la baisse des dépenses de fonctionnement de l'administration centrale du logement, finançant ainsi des actions en principe destinées à la communication sur la Garantie des risques locatifs.

Quelques sujets méritent une attention particulière. J'observe tout d'abord que, malgré la poursuite du rebasage à la hausse de certaines dotations concernant l'hébergement d'urgence, les dépenses dans ce domaine sont encore trop systématiquement sous-évaluées. C'était le cas, l'année dernière, pour les nuitées hôtelières. J'avais mis en garde, lors de l'examen du budget 2010, contre l'irréalisme d'une dotation calculée sur la baisse de plus de 40 % du nombre de places financées. Je constate heureusement que le projet de budget 2011 est revenu sur cet objectif et prévoit un doublement des capacités, actant un retour à un nombre de nuitées sensiblement égal à celui qui a été constaté pour 2009, c'est-à-dire 13 000 places quotidiennes pour un coût de 62 millions d'euros.

Mais l'insincérité des estimations budgétaires reste vraie pour l'aide alimentaire. D'abord, pour la part qui est destinée à la mise en oeuvre locale par les services déconcentrés chargés de la cohésion sociale. Les dépenses réellement engagées ne sont connues qu'une fois exécutées et sont, depuis plusieurs années, très supérieures aux crédits délégués. Ensuite, en ce qui concerne les crédits centraux. Le plan de relance avait conforté des montants, pour les exercices 2009 et 2010, à hauteur respectivement de 20 millions d'euros puis 11,2 millions. La dotation inscrite pour 2011, qui se stabilise au niveau des dotations initiales des années précédentes, est donc assurément insuffisante.

De manière générale, le projet de budget pour 2011 ne semble pas être en mesure d'assurer le financement satisfaisant des actions prévues par le programme 177, après la fin du plan de relance. Je pense donc que la trajectoire retenue pour les trois prochaines années, qui est celle d'une réduction progressive des crédits budgétaires qui diminueraient de 7,34 %, n'est pas réaliste.

Le second sujet est celui des conséquences financières de l'instauration du droit au logement opposable qui deviennent significatives du fait des condamnations de l'État. Dans les deux premières années de son entrée en vigueur, la loi Dalo a eu des conséquences budgétaires limitées au financement du fonctionnement des commissions de médiation et de l'instruction des dossiers. Les montants budgétés étaient restés globalement stables, à environ 5 millions d'euros. Dans le projet de budget 2011, ils diminuent à 4,7 millions en application de la règle d'une contraction des crédits de fonctionnement de 10 % sur trois ans dont 5 % dès 2011. J'observe que pour 2011, la stabilité des dépenses de fonctionnement des commissions sera obtenue grâce au maintien à six mois du délai dérogatoire d'instruction des dossiers dans les grandes agglomérations qui a été confirmé par le ministre Benoist Apparu que j'ai interrogé sur ce point. Mais en 2012, compte tenu de l'ouverture du Dalo à l'ensemble des demandeurs de logements sociaux non satisfaits dans les délais dits « normalement longs », il ne sera pas réaliste d'envisager une stabilisation des moyens des commissions de médiation et, a fortiori, une baisse.

L'application du Dalo entraîne également des dépenses liées à son contentieux - paiement des astreintes, frais de justice, condamnations pour engagement de la responsabilité de l'État. Lorsque la demande de logement est recevable et qu'elle n'est pas satisfaite au bout de six mois, l'État peut être condamné à payer une astreinte dont le produit est versé aux Fonds régionaux d'aménagement urbain. Je m'étais préoccupé, en 2010, de l'absence de prise en compte des risques propres au droit au logement opposable et du maintien de la dotation pour frais de contentieux à un niveau de 700 000 euros. Les bilans les plus récents font état d'une progression très rapide du montant des condamnations prononcées contre l'État. Le total des astreintes liquidées est passé de 72 860 euros en 2009 à 6,731 millions au 30 septembre 2010 et devrait dépasser 10 millions en année pleine. Une inscription budgétaire spécifique au contentieux Dalo, à hauteur de 9,3 millions en AE-CP, a donc été introduite par le projet de budget pour 2011 et vient s'ajouter à la dotation de 700 000 euros prévue pour les autres contentieux de l'habitat. Elle sera juste suffisante.

Autre sujet de préoccupation, le financement des contrats urbains de cohésion sociale (CUCS) me semble menacé par l'indécision dont fait preuve le Gouvernement concernant la révision de la géographie prioritaire de la politique de la ville. Les crédits destinés aux actions territorialisées de la politique de la ville sont en baisse de 8 % et même de 28 % pour ce qui est de l'ingénierie des CUCS. Ces mesures d'économie auront nécessairement des conséquences au niveau local, dans la définition des enveloppes départementales qui devront intégrer des critères plus sélectifs. Sur le terrain, il sera difficile d'expliquer ces restrictions puisqu'il n'y a pas eu de décision politique. On se trouve dans une situation où c'est l'opérateur de l'État en ce domaine, l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSE), qui est amené à appliquer de facto une révision de sa géographie prioritaire d'intervention, laquelle, par ailleurs, est retardée depuis près de deux ans pour la globalité de la politique de la ville et repoussée à 2012.

J'en termine par la mesure centrale du projet de budget pour 2011, qui est la création d'un prélèvement sur les ressources financières des organismes HLM, fondé sur leur assujettissement à la contribution sur les revenus locatifs (CRL), et destiné à compenser la baisse des crédits d'aide à la pierre et à supporter la bosse des paiements de l'ANRU. Il est en effet prévu de confier à la caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) la gestion d'un fonds, alimenté par la CRL versée par les organismes de logement social, qui ne seraient plus exonérés de ce prélèvement à partir de 2011. Le produit attendu de cette mesure serait, en 2011, de 340 millions d'euros redistribués, pour 80 millions, vers le financement des aides à la pierre, et à hauteur de 260 millions, à l'ANRU. Le Gouvernement présente cette mesure comme un outil de mutualisation et de péréquation des ressources financières entre organismes HLM, mais également comme devant contribuer à la maîtrise des finances publiques grâce à la suppression d'une niche fiscale instituée à leur profit. Je considère que cette présentation est, par plusieurs aspects, abusive et trompeuse.

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