Cet exposé général sera bref, car je réserve la substance de mon intervention pour l'examen des articles.
La programmation pluriannuelle des finances publiques repose sur trois types de documents : les programmes de stabilité, qui résultent des engagements européens de la France, et dont nous avons voté une douzaine depuis la fin des années 1990 sans jamais les respecter ; les programmations triennales, créées par l'article 50 de la LOLF et figurant dans le rapport économique, social et financier annexé au PLF - il y en a eu neuf depuis le PLF pour 2003 - ; et, en vertu de l'article 34 de la Constitution et depuis la dernière révision, les lois de programmation des finances publiques, elles aussi indicatives, dont la première concernait les années 2009 à 2012.
La différence entre la programmation et l'exécution du solde public peut être représentée par un schéma « en crête iroquoise ». Les prévisions du présent projet de loi se confondent avec celles du dernier programme de stabilité et les prolongent : l'objectif est de parvenir à un solde public de - 2 % du produit intérieur brut en 2014 et, selon le ministre du budget, à l'équilibre en 2016. Dans le passé, les programmations n'ont jamais été respectées, en premier lieu parce qu'elles se fondaient sur des hypothèses de croissance excessivement optimistes, de l'ordre de 2,5 %, voire 3 % par an dans le cas des « scénarios hauts ». Or, depuis le début du siècle, la croissance n'a été supérieure à 3 % qu'en 2000, à 2,5 % en 2000 et 2004, et la croissance moyenne annuelle s'est élevée à 1,6 %. Les hypothèses de croissance ne sont souvent que des effets d'annonce : même s'il est important d'indiquer sa confiance dans l'économie, des hypothèses trop optimistes faussent les prévisions relatives aux comptes publics.
En second lieu, le rythme de croissance des dépenses publiques a toujours été sous-estimé, en général à 1 % alors que l'exécution réelle montre une progression moyenne de 2,4 %. Le projet de loi de programmation prévoit une augmentation annuelle de 0,6 %, contre 1,1 % dans le précédent.
Demain sera-t-il à l'image d'hier ? Espérons que non. Le présent projet de loi s'inscrit dans le contexte d'une réforme de la gouvernance des finances publiques. Le Président de la République a réuni deux conférences sur le déficit, un groupe de travail a été mis en place sous la présidence de Michel Camdessus - en faisaient partie des experts et des praticiens, parmi lesquels le président socialiste de la commission des finances de l'Assemblée nationale, et les discussions y ont été exceptionnellement constructives - et cette année, pour la première fois, le débat d'orientation des finances publiques a donné lieu à un vote du Parlement. En Europe, les Allemands ont révisé leur constitution pour fixer un objectif en termes de solde structurel ; une réforme du calendrier de transmission à la Commission européenne des programmes de stabilité est à l'ordre du jour - c'est le projet de « semestre européen » -, la Commission a formulé des propositions de règlements et de directive et le groupe animé par M. Van Rompuy va conclure ses travaux. La crise économique, le creusement des déficits publics et la crise des dettes souveraines au printemps dernier nous placent à la croisée des chemins.
Quel est dans ce contexte le rôle de la commission des finances du Sénat ? Elle peut participer à l'élaboration d'une doctrine. Le président Arthuis et moi-même avons adressé à M. Camdessus une contribution qui sera annexée au rapport de la commission : nous y exprimons des convictions non pas idéologiques mais opératoires. Parmi nos objectifs, il y a d'abord la revalorisation de nos institutions démocratiques : le programme de stabilité, qui nous engage, ne devrait plus être du seul ressort de l'exécutif, mais être soumis au Parlement et donner lieu à un vote. Les trajectoires pluriannuelles doivent être crédibles : notre sécurité et notre souveraineté sont en jeu, car que reste-t-il de la souveraineté d'un pays réduit à être le spectateur de l'emballement et du renchérissement de sa dette faute de crédibilité ? Il est inutile de jeter l'opprobre sur les thermomètres de la bonne santé financière des Etats : nous devrions plutôt faire en sorte que continue à s'afficher une température rassurante de 37°... Enfin, dans un souci de cohérence, il faut s'attacher à ce que les lois de finances et de financement de la sécurité sociale respectent les objectifs des lois de programmation : le Premier ministre a repris la proposition d'instaurer à cet effet une hiérarchie des normes.
Deux règles contraignantes doivent être établies : une règle de sincérité, disposant que les trajectoires pluriannuelles doivent être bâties en fonction d'hypothèses économiques prudentes, et une règle de responsabilité, selon laquelle l'exécutif est tenu pour responsable des mesures qui dépendent de lui, qu'il s'agisse du niveau des dépenses ou du montant des mesures nouvelles en recettes.
Le présent projet de loi comporte plusieurs innovations louables : l'Ondam est exprimé en milliards d'euros et non plus en pourcentage d'évolution ; les opérateurs de l'Etat ne pourront plus recourir à l'emprunt ; enfin une norme de mesures nouvelles sur les prélèvements obligatoires est fixée en milliards d'euros : 10 milliards en 2011, puis 3 milliards chaque année entre 2012 et 2014. Je m'interroge en revanche sur la suppression de la limitation à quatre ans des nouvelles niches, rétablie il est vrai par l'Assemblée nationale. D'autre part, étant donné que les députés ont voté le gel en valeur des niches fiscales et sociales, il est possible de supprimer la règle de gage des niches nouvelles, moins contraignante.
Je relève en outre que certaines préconisations de la commission des finances et du rapport Camdessus n'ont pas été suffisamment entendues : on peut douter de la prudence des hypothèses macro-économiques qui fondent ce projet de loi, et aucun instrument n'est mis en place pour piloter en temps réel l'exécution budgétaire et réagir en cas de dérapage.
Comme le ministre François Baroin, j'estime nécessaire de consolider la gouvernance des finances publiques. L'Etat ne perçoit qu'une part très minoritaire des prélèvements obligatoires. Le rapport Camdessus recommande de regrouper au moins les parties relatives aux recettes des lois de finances et de financement de la sécurité sociale : dans la plupart des autres pays le financement des régimes sociaux est assuré par le budget de l'Etat. Le système actuel est opaque : le financement de la Cades est inscrit cette année dans le projet de loi de finances, mais les modifications proposées par les députés impliquent des coordinations en loi de financement de la Sécurité sociale ...
Quant au niveau des prélèvements obligatoires, le Gouvernement prévoit qu'il atteindra 43,9 % du PIB en 2014 comme en 2006, en raison de l'augmentation spontanée du taux de prélèvements pour près de 1 point et de mesures nouvelles pour 1,4 point. Nous avons bâti un autre scénario moins pessimiste : si la croissance est de 2 % chaque année au lieu de 2 % en 2011 et 2,5 % les années suivantes, les prélèvements obligatoires devraient se stabiliser autour de 43,2 % en 2014, ce qui correspond au niveau de 2004.