Intervention de Jean-Michel Charpin

Mission commune d'information sur la notion de centre de décision économique et les conséquences qui s'attachent, dans ce domaine à l'attractivité du territoire national — Réunion du 18 octobre 2006 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Michel Charpin directeur général de l'institut national de la statistique et des études économiques insee

Jean-Michel Charpin :

a tout d'abord indiqué que si l'INSEE travaille essentiellement sur les comptes sociaux des sociétés recensées dans le fichier SUSE (système unifié de statistiques d'entreprises), la statistique publique s'intéresse depuis longtemps aux groupes d'entreprises, qu'elle identifie depuis les années 1980 au moyen d'une enquête destinée à repérer les liens capitalistiques entre sociétés, dans la mesure où les comptes consolidés des groupes ne constituent pas, actuellement, une source d'information pertinente. L'INSEE identifie donc et mentionne dans ses publications les groupes étrangers opérant en France, ceux dont le centre de décision est installé à l'étranger. La détermination de la nationalité d'un groupe apparaît dans la plupart des cas comme une évidence, alors que la fixation ex ante d'une liste de critères de nationalité poserait des problèmes difficiles. Le seul cas douteux est celui d'EADS, dont les publications de l'INSEE indiquent qu'il s'agit d'un groupe considéré comme français par convention. A l'exception de ce cas, la détermination pragmatique de la nationalité des groupes ne pose pas de problème. S'il fallait dresser une liste de critères, la propriété du capital n'en serait pas l'élément le plus pertinent.

a ensuite évoqué plusieurs publications récentes de l'INSEE intéressant le sujet de la nationalité des entreprises. Près de deux millions de Français travaillent dans des groupes étrangers, a-t-il indiqué. Ce chiffre est supérieur à ceux de l'Allemagne, du Royaume-Uni et des Pays-Bas, et a augmenté de 80 % en dix ans. Des informations ont aussi été publiées sur la ventilation des entreprises étrangères par nationalité - les Etats-Unis figurent au premier rang, suivis par l'Allemagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas - ainsi que sur la répartition par secteur de la valeur ajoutée produite par les groupes étrangers. Autre information fournie par les publications récentes : les groupes étrangers ne se distinguent pas des groupes français en ce qui concerne la part des effectifs affectés à la recherche, aux études et à l'informatique. On constate par ailleurs que les emplois de management, les emplois de gestion et ceux liés à la stratégie de l'entreprise se développent principalement dans le pays où le centre de décision est installé. Enfin, les délocalisations ont touché dans l'industrie 13.500 emplois en moyenne annuelle de 1995 à 2001.

Evoquant la dimension politique du problème de la nationalité des entreprises, M. Jean-Michel Charpin a estimé qu'il ne s'agissait ni d'un débat archaïque ni spécifiquement français, qui a eu un rôle important lors de la dernière campagne présidentielle aux Etats-Unis. En outre, il n'existe pas de règles universelles de gestion, comme le montrent les travaux de Philippe d'Iribarne en matière de management des entreprises, qui identifient, entre autres spécificités, l'influence en France d'une « logique de l'honneur ».

a aussi noté que la forte présence d'étrangers dans le capital des entreprises françaises cotées en bourse suscite la crainte d'un passage des entreprises concernées sous contrôle étranger, ce qui débouche sur des interrogations concernant le rôle de l'Etat face à ce risque.

Pour autant, la définition d'une politique « nationaliste » de l'entreprise ne serait pas souhaitable, dans la mesure où elle entrerait en contradiction avec le droit européen si des dispositifs de protection contre les investissements étrangers visaient les entreprises européennes, dans la mesure où elle favoriserait la dissémination d'un esprit de repli dans les entreprises françaises, dans la mesure aussi où d'autres pays pourraient prendre des mesures de rétorsion défavorables à la compétitivité des entreprises françaises, dans la mesure enfin où les groupes français, déresponsabilisés par la certitude de bénéficier de la protection de l'Etat, auraient tendance à ne pas se prémunir efficacement contre les tentatives de prise de contrôle. Il importe essentiellement, en définitive, que les groupes se préoccupent eux-mêmes de la stabilité de leur actionnariat.

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