Au cours d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a tout d'abord entendu la communication de M. Bruno Retailleau sur les aspects économiques du projet de loi n° 269 (2005-2006) relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information.
a d'abord souhaité faire trois précisions :
- il a rappelé que le projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information avait pour objet de transposer la directive communautaire 2001/29/CE du 22 mai 2001 ;
- il a ensuite évoqué le compromis, qu'il a jugé équilibré, auquel avait abouti l'Assemblée nationale, assurant à la fois la protection du droit d'auteur, la liberté de l'internaute et une réponse pénale graduée à l'accès illicite aux oeuvres disponibles en ligne ;
- enfin, il a souligné la dimension économique évidente de ce texte, d'une part parce que les oeuvres de l'esprit visées n'étaient pas seulement artistiques et, d'autre part, parce qu'étaient en jeu l'économie globale des industries culturelles et le développement du secteur informatique.
Il a alors présenté le principe général qui sous-tendait le texte et qui avait déjà pu être invoqué par Beaumarchais : la personnalisation du droit d'auteur, c'est-à-dire le droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à tous, de tout auteur sur son oeuvre.
Il a jugé que ce principe avait, fort opportunément, justifié le rejet de la licence globale fondée sur une rémunération collective des oeuvres téléchargées.
Il a expliqué que ce principe de personnalisation du droit d'auteur trouvait une traduction technique en deux temps : d'une part, par l'instauration de mesures techniques visant à protéger l'oeuvre -dites mesures techniques de protection ou MTP- d'autre part, par la protection juridique de ces MTP, qu'il a définies comme tout moyen technique permettant de limiter l'usage de l'oeuvre et, notamment, d'en conditionner l'accès à l'acquittement de droits.
Ne remettant nullement en cause la légitimité de la protection juridique -d'ailleurs consacrée par la directive communautaire de 2001- des MTP, dont le contournement est passible d'amendes, M. Bruno Retailleau a jugé que le principe général de personnalisation du droit d'auteur ainsi que sa traduction technique et juridique ne pouvaient être entendus de manière absolue. Il a rappelé qu'il convenait en effet de prendre aussi en compte :
- le droit pour l'utilisateur de lire librement l'oeuvre acquise licitement ;
- l'équilibre concurrentiel des marchés informatique et industriel ;
- la stratégie de sécurité économique de la France, dont les systèmes d'information sont menacés par l'insertion de logiciels espions associés aux mesures de protection des oeuvres.
Il a indiqué que la clef résidait dans le concept d'interopérabilité, qu'il a présenté comme la juste contrepartie des MTP. Il a défini l'interopérabilité comme la possibilité, pour deux systèmes différents, de communiquer entre eux, ce qui, en pratique, permettait de lire toute oeuvre sur tout matériel ou logiciel.
Il a ensuite tenu à écarter deux fausses idées : l'une apparentant la promotion de l'interopérabilité au collectivisme, alors même que ce concept ne porte pas atteinte à la propriété intellectuelle, mais rend simplement possible le dialogue entre systèmes ; l'autre dénonçant l'anti-américanisme des partisans de l'interopérabilité, alors même que le magazine américain Wired avait salué l'initiative de l'Assemblée nationale en faveur de l'interopérabilité en déclarant que « la France sauvait la civilisation ».
Puis M. Bruno Retailleau a présenté les effets positifs de l'interopérabilité, laquelle garantit une plus large diffusion des oeuvres, permet de lutter contre la pratique des ventes liées et les dérives monopolistiques et soutient le développement économique du secteur des logiciels libres, dont le marché a crû en France de 46 % en 2004 (contre 7 % pour le logiciel propriétaire), de grandes entreprises françaises telles Thalès, Renault ou Airbus recourant largement aux logiciels libres.
Après avoir fait observer que l'amendement garantissant une interopérabilité de principe avait été voté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, il a estimé que, sur cette question essentielle, sa position divergeait de celle adoptée par la commission des affaires culturelles du Sénat.
Il s'est, en effet, prononcé pour l'inscription, dans la loi, d'une interopérabilité de principe, qui serait garantie, comme l'avait d'ailleurs suggéré le Gouvernement à l'Assemblée nationale, par le Conseil de la concurrence auquel les députés avaient finalement préféré le tribunal de grande instance. Estimant que la proposition de la commission des affaires culturelles de créer une nouvelle autorité administrative indépendante ne pouvait être soutenue en raison du foisonnement de telles autorités, il a insisté sur la nécessité d'imposer l'interopérabilité et de prévoir, en ultime recours, la possibilité de recourir à la décompilation. Il a également insisté sur l'importance d'un accès gratuit à l'interopérabilité, sous réserve de la prise en charge des « frais logistiques » correspondant aux frais d'impression, de stockage et de transport du support physique sur lequel seraient transmises les informations essentielles. Dans cette optique, il a considéré que les informations essentielles à l'interopérabilité n'étaient pas le code source de la mesure technique et n'avaient donc pas de coût propre pour l'auteur des MTP.
Après avoir brièvement évoqué la nécessité de préserver l'exception pour copie privée, notamment afin de préserver un mode de financement du spectacle vivant, il a abordé la question des logiciels dits « espions ». Il a considéré qu'il convenait de conserver, sur ce sujet, l'article 7 bis adopté par l'Assemblée nationale pour interdire les mesures techniques de protection intégrant ce type de logiciels permettant le contrôle à distance de plusieurs fonctionnalités ou l'accès à des données personnelles.
Invoquant le respect impératif de la liberté individuelle et les enjeux en termes d'intelligence économique, il a déclaré que, contrairement à la proposition de la commission des affaires culturelles du Sénat, il lui paraissait opportun de soumettre à déclaration préalable et à contrôle l'importation, le transfert, la fourniture ou l'édition de tels logiciels et d'assujettir l'utilisation de ces logiciels à la loi du 6 janvier 1978 relative à l'information, aux fichiers et aux libertés. En outre, il a fait observer que la direction centrale de la sécurité des systèmes d'information (DCSSI) possédait un réel savoir-faire en matière de surveillance de ces logiciels « espions ».
Enfin, M. Bruno Retailleau a fait part d'une dernière divergence qu'il avait avec la commission des affaires culturelles concernant l'article 12 bis du texte relatif aux logiciels de téléchargement. Il a jugé que, s'il était légitime de lutter contre les téléchargements illégaux, il convenait de maintenir hors du champ de la répression les logiciels permettant des échanges de fichiers « pair à pair » destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération des droits d'auteur. En effet, a-t-il rappelé, il ne faut pas confondre la technique du « pair à pair » et les éventuelles utilisations illicites qui peuvent en être faites.