Au cours d'une seconde séance, tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, sur le projet de loi n° 315 (2005-2006) de programme relatif à la gestion durable des matières et des déchets radioactifs.
Estimant que ce texte, adopté par l'Assemblée nationale le 12 avril dernier, marquait une étape décisive vers une solution sûre et de très long terme pour tous les déchets radioactifs grâce à l'implication des établissements de recherche, de leurs évaluateurs et des parlementaires investis sur ce sujet, M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a entamé son intervention en observant que, comme toute industrie, l'industrie nucléaire produisait des déchets, qu'il convenait de gérer avec la plus grande rigueur compte tenu de leur caractère radioactif.
Soulignant que, pour toutes les nations ayant choisi l'énergie nucléaire, la recherche des solutions de gestion à long terme de ces déchets était nécessaire, il a rappelé qu'en France avaient été produits des déchets depuis quarante ans, que pour 85 % du volume de ceux-ci, des solutions définitives de stockage en surface existaient déjà sur des sites exploités par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) dans les départements de la Manche et de l'Aube, et que les 15 % restants, concentrant 99,9 % de la radioactivité, étaient entreposés de façon sûre à La Hague (Manche), Marcoule (Gard) et Cadarache (Bouches-du-Rhône), dans des installations de surface n'ayant pour autant pas été conçues pour stocker définitivement ces déchets, dont la radioactivité peut durer des centaines de milliers d'années.
Il a précisé que, pour définir des solutions de gestion à long terme des déchets de haute activité et à vie longue, seuls, trois axes de recherches scientifiques apparaissaient possibles, une fois écartés l'envoi dans l'espace et l'injection dans les failles de subduction :
- la séparation des différents produits contenus dans les combustibles usés et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue, technique actuellement étudiée à Marcoule visant à réduire le volume et la toxicité des déchets en séparant les éléments les plus toxiques et à vie longue et en les transformant en éléments radioactifs à durée de vie plus courte ;
- le stockage, irréversible ou réversible, des déchets en couche géologique profonde, étudié notamment grâce au laboratoire de Bure, à la limite des départements de la Meuse et de la Haute-Marne, dans une couche géologique vieille de 150 millions d'années, profonde et stable ;
- le conditionnement et l'entreposage de longue durée en surface.
a ensuite indiqué que, pour établir le projet de loi, le gouvernement s'était non seulement appuyé sur les résultats de ces recherches, mais aussi sur les rapports des établissements de recherche et sur les avis rendus par les organismes indépendants ayant évalué ces études. Il a ainsi cité les rapports synthétisant les études et les résultats acquis par le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et l'ANDRA, qui lui ont été remis le 30 juin dernier, ainsi qu'à son collègue chargé de la recherche, M. François Goulard, observant que ces recherches avaient été soumises à une évaluation continue de la Commission nationale d'évaluation (CNE) créée par la loi « Bataille » de 1991, confrontées aux meilleures connaissances acquises au niveau international, puisque des revues avaient été organisées sous l'égide de l'OCDE, et soumises à un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Il a également souligné l'apport très précieux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, notamment au travers des recommandations faites dans le cadre de son dernier rapport sur le sujet, adopté en mars 2005 sous la présidence de M. Henri Revol. Il a aussi indiqué que le Gouvernement avait complété ces éléments par un débat public, organisé d'une façon qu'il a jugée remarquable par la Commission nationale du débat public au dernier trimestre 2005, qui avait permis à nos concitoyens de s'informer sur ce sujet et d'exprimer leurs préoccupations et au Gouvernement d'être éclairé en lui apportant un « panorama des arguments ». Enfin, il a rappelé que le Conseil économique et social avait exprimé le 15 mars dernier un avis sur le projet de loi de programme.
Puis abordant les principaux objectifs et dispositions de ce texte, M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a indiqué qu'en premier lieu, il instituait un plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Après avoir précisé que ce plan inclurait non seulement les déchets de haute activité et à vie longue mais aussi, comme le recommandaient de nombreux participants au débat public, toutes les autres substances radioactives issues des activités nucléaires, telles les sources scellées utilisées dans la radiographie industrielle ou la médecine, les déchets issus des activités militaires, les résidus des mines d'uranium et même les anciens paratonnerres au radium, il a énuméré les trois principes essentiels sur lesquels il s'appuierait :
- afin de rechercher la réduction de la quantité et de la nocivité des déchets, les combustibles nucléaires usés issus des centrales électriques seront traités pour être recyclés dans des centrales ;
- les déchets ne pouvant être recyclés seront conditionnés dans des matrices robustes et stables et entreposés temporairement en surface ;
- enfin, après entreposage, ceux des déchets ultimes ne pouvant pas être stockés définitivement en surface ou en faible profondeur seront placés dans un stockage en couche géologique profonde, qui devra être réversible pendant une première période.
Ainsi, soulignant qu'il relevait de la responsabilité de l'actuelle génération, qui bénéficie ici et maintenant de l'énergie nucléaire, de définir des solutions sûres et de long terme pour tous les déchets radioactifs, il a estimé que ce plan national, en combinant le traitement des combustibles usés, le conditionnement et l'entreposage en surface pour refroidissement des déchets et enfin leur stockage géologique réversible, préparait efficacement l'avenir.
Il a ajouté que le projet de loi confirmait par ailleurs l'interdiction de stocker en France des déchets étrangers et renforçait la législation sur le sujet en encadrant le traitement des combustibles usés en provenance de l'étranger par des accords intergouvernementaux fixant, au cas par cas en fonction des contraintes techniques liées au traitement et au transport des substances, des délais limités pour l'entreposage de ces matières et des déchets qui en sont issus après traitement, et en créant un régime de contrôles et de sanctions qui n'avait pas été prévu en 1991.
Puis M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a observé qu'en deuxième lieu, le texte fixait un programme de recherches et de travaux pour mettre en oeuvre le plan national, ce programme étant assorti d'un calendrier tenant compte du degré de maturité respectif des trois axes retenus. Il a ainsi précisé :
- que l'entreposage était déjà une réalité industrielle même si on pouvait encore l'améliorer ;
- que si le stockage dans la couche géologique avait été reconnu par les évaluateurs comme « faisable » et « incontournable », il faudrait quelques années à l'Andra pour compléter les études, choisir un site précis et déposer une demande d'autorisation de construction ;
- que la transmutation restait un objectif de plus long terme, puisqu'il faudrait développer une nouvelle génération de réacteurs nucléaires pour pouvoir aller encore plus loin dans le recyclage des combustibles et la réduction des déchets ultimes, un prototype devant être mis en service vers 2020, conformément aux objectifs fixés par le Président de la République au début de l'année.
Il a ainsi observé que, tirant un bilan des quinze années de recherche scientifique réalisée sur les trois axes complémentaires qu'il n'y avait pas lieu d'opposer puisque chacun avait son utilité, même si ce n'était pas au même moment ou pour les mêmes déchets, le projet de loi fixait des orientations pour la poursuite des recherches et études jusqu'à la réalisation d'installations.
Abordant ensuite le troisième volet de ce texte, M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a indiqué qu'il renforçait l'évaluation indépendante des recherches, l'information du public et la concertation sur ce sujet en prévoyant des procédures particulièrement complètes. Il a précisé que la commission nationale d'évaluation, qui continuerait de rendre chaque année un rapport public sur le programme de recherche, voyait son indépendance réaffirmée, sa composition élargie et ses prérogatives renforcées. Il a ajouté que le comité local d'information et de suivi (CLIS) serait maintenu, mais qu'il devrait s'adresser plus que par le passé au grand public, sa mission étant précisée à cet égard, sa présidence confiée au président du conseil général et son financement rendu indépendant des producteurs de déchets.
Il a poursuivi en relevant que le projet de loi prévoyait par ailleurs que le stockage pourrait être autorisé par décret, après avis de l'ASN, débat et enquête publics et avis des collectivités territoriales concernées, soulignant au passage qu'aucune autre installation industrielle ne faisait l'objet d'une procédure aussi complète. Il a précisé que la décision effective de construction d'un centre de stockage ne pourrait intervenir que lorsque toutes les conditions de sûreté et de consultation prévues auraient été remplies, des entreposages sûrs continuant d'ici là d'accueillir les déchets, et que, dans l'hypothèse où les études menées dans les prochaines années mettraient en évidence une difficulté technique, ces entreposages continueraient de jouer leur rôle pendant le temps nécessaire. Assurant qu'en tout état de cause, les évaluations indépendantes, l'information et la concertation seraient poursuivies et renforcées pour permettre à chacun de se faire son opinion et de s'assurer de la sûreté des solutions proposées, il a indiqué avoir souhaité que le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs et l'inventaire national de ces substances soient régulièrement mis à jour, transmis au Parlement et rendus publics, ajoutant que l'Assemblée nationale avait décidé d'aller encore plus loin en prévoyant un nouveau rendez-vous parlementaire pour fixer les conditions de réversibilité d'un stockage géologique avant qu'une autorisation individuelle ne puisse être accordée.
Enfin, M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a relevé qu'en dernier lieu, le projet de loi créait les outils nécessaires pour financer la gestion des déchets. Après avoir souligné que deux taxes additionnelles sur les exploitants d'installations nucléaires financeraient les recherches sur la gestion des déchets radioactifs et les actions de développement économique dans les départements concernés, il a indiqué que, pour financer le démantèlement et la gestion des déchets, les industriels du nucléaire, au premier rang desquels EDF, devraient constituer des provisions, affecter dès maintenant les actifs nécessaires à la couverture de ces provisions et les gérer en toute sécurité. Observant que le coût prévisionnel de la gestion des déchets était déjà compris dans le prix de l'électricité, ce coût représentant 10 euros sur les 600 euros de la facture annuelle moyenne d'électricité d'un foyer, il a estimé que, bien gérées, les sommes ainsi collectées pourraient financer, le moment venu, les charges de long terme. Il a précisé que le dispositif proposé, qui instituait des fonds dédiés et sécurisés à la fois chez les producteurs de déchets (EDF, AREVA, CEA) et chez le gestionnaire des déchets (ANDRA), permettrait de garantir le financement du démantèlement et de la gestion des déchets sans procéder à un transfert prématuré à l'Etat de ces charges, et donc des risques financiers.
En conclusion, après avoir affirmé qu'il n'avait pas l'intention de mettre en oeuvre la procédure d'urgence déclarée sur le texte, qu'il espérait voir adopté définitivement avant la fin de l'été 2006 conformément au souhait exprimé par le Président de la République dans ses voeux aux forces vives de la Nation, M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, a fait part de sa conviction que le projet de loi permettra d'apporter une solution au problème des déchets radioactifs en fixant le cadre, les étapes et les moyens de leur gestion, et que, si le travail de l'Assemblée nationale avait déjà permis de l'améliorer en profondeur, celui du Sénat permettrait de le bonifier encore.
Estimant indispensable que le sujet des déchets radioactifs, qui concerne chacun en tant que consommateur d'électricité et en tant que citoyen attentif à la protection de la santé et de l'environnement, soit abordé sans tabou et que tous puissent s'en informer et en discuter, il a signalé qu'un site Internet dédié comportant tous les éléments et contributions ayant aidé à l'élaboration du projet de loi était ouvert ( www.loi-dechets-radioactifs.industrie.gouv.fr). Puis rappelant que l'industrie nucléaire procurait des avantages importants à la France en réduisant sa dépendance vis-à-vis des énergies fossiles importées, en produisant 80 % de son électricité à un coût compétitif et en participant à la maîtrise de ses émissions de gaz à effets de serre (l'émission de CO2 par habitant est inférieure de 40 % à celle des Allemands ou des Danois), il a estimé qu'avec cette loi, le Gouvernement proposait au Parlement, en toute responsabilité et dans une perspective de développement durable, de gérer les conséquences de l'électricité produite par la filière nucléaire dans la transparence vis-à-vis du public et sans reporter les questions sur les générations futures. Relevant qu'il appartenait aux scientifiques de trouver des solutions sûres et aux experts indépendants de les évaluer, il a enfin considéré que la loi permettrait à l'Etat de prendre les décisions en veillant à l'information du public et à la concertation.
A la suite de cet exposé, le ministre délégué a répondu aux questions des commissaires.