Lors du vote de la loi pénitentiaire, les présidents About et Hyest avaient souhaité la création d'un groupe de travail sur les malades mentaux ayant commis des infractions. Le rapport que nous avions établi avec Gilbert Barbier, Christiane Demontès et Jean-René Lecerf a été plutôt bien accueilli par les milieux judiciaire et sanitaire. Nous avons décidé d'en tirer les conséquences en déposant une proposition de loi pour les dispositions à caractère législatif concernant le code pénal et le code de procédure pénale, le reste concernant les autorités sanitaires.
Cette proposition part d'un constat accablant : 10 % des détenus souffrent de troubles psychiatriques très graves, et ce chiffre n'inclut pas les personnes souffrant de troubles du comportement du fait de la détention ou en raison d'addictions. Le code de procédure pénale prévoit pourtant une expertise, obligatoire en matière criminelle, facultative et moins complète en matière correctionnelle. Les personnes déclarées pénalement irresponsables peuvent être placées en hôpital psychiatrique sous le régime de l'hospitalisation d'office, celles dont la responsabilité est altérée encourent une sanction pénale dont la juridiction fixe les conditions et la durée. Cependant, les psychiatres préfèrent souvent ne pas conclure à une irresponsabilité totale, et les jurys tendent à aggraver les peines en considérant que la société sera protégée plus longtemps : malgré son gros casier, le kleptomane ne subira pas la même aggravation que le délinquant sexuel.
Avec la proposition de loi, l'atténuation de la responsabilité sera un facteur d'allègement du quantum de peine encourue ; en contrepartie, on renforce les obligations de soins pendant et après l'exécution de la peine.
Le principe de l'atténuation de responsabilité a été posé par un arrêt de la Cour de cassation de 1885 puis, en 1905, par la circulaire Chaumié, du nom du garde des sceaux de l'époque. L'évolution de la psychiatrie a conduit à repérer des gradations dans l'atténuation de la responsabilité. L'article 122-1 du nouveau code pénal distingue l'irresponsabilité, en cas d'abolition du discernement, de l'atténuation de responsabilité, en cas d'altération du discernement. Cela aurait dû limiter le nombre de malades mentaux en prison. La personne déclarée irresponsable ne doit en effet pas être jugée. On se rappelle d'ailleurs la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté, rapportée par Jean-René Lecerf et améliorée à son initiative par le Sénat. L'altération du discernement devrait quant à elle entraîner une diminution de la durée de la peine, comme l'avait naguère souligné votre rapporteur Marcel Rudloff. Or ce n'est pas le cas, et Jean-François Burgelin, alors procureur général près la Cour de cassation, avait souligné ce paradoxe en 2005. Le Conseil constitutionnel l'a pourtant rappelé à propos de la loi du 10 août 2007 relative à la lutte contre la récidive : la juridiction peut toujours, sur le fondement de l'article 122-1 du nouveau code pénal, prononcer une peine inférieure aux peines planchers prévues.
Nous proposons que dans le cas où le discernement est altéré, le quantum de la peine encourue soit réduit d'un tiers. On peut discuter de ce choix, mais cette proposition a été rédigée par quatre parlementaires, avec un souci d'équilibre, dans l'esprit qui prévaut au Sénat et dont l'expérience montre qu'il permet d'avancer. Le pouvoir d'appréciation du juge n'est pas réduit pour autant : une peine encourue de 30 ans sera ramenée à 20 ans pour les malades mentaux comme elle l'est à 15 ans pour les mineurs. Dans la limite de ce plafond, le juge décidera de la durée de la peine la plus appropriée.
Qu'est-il aujourd'hui prévu pour cette population dont j'ai souligné le nombre ? Il y a bien des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) mais, dans la réalité, la prise en charge médicale n'est pas toujours satisfaisante. C'est ainsi que faute de SMPR dans ma région, les présidents de cours d'assises demandent en vain une place dans celui de Dijon. Le manque de psychiatres rend encore plus difficile la prise en charge des malades mentaux.
Mme Bachelot a proposé une profonde réforme des soins sans consentement dans le projet de loi sur l'hospitalisation d'office qu'elle a déposé en mai dernier et qui fait aujourd'hui l'objet d'une lettre rectificative afin de rajouter un article prévoyant l'intervention du judiciaire dans les quinze jours de l'hospitalisation d'office, conformément à la récente jurisprudence du Conseil constitutionnel. Michel Dreyfus-Schmidt avait envisagé cette hypothèse, mais nous l'avions écartée en raison de ses difficultés de mise en oeuvre. Ce que nous proposons, et qui devra être combiné avec les dispositions envisagées par le projet de loi, rendra le dispositif de soins plus opérant. Il reviendra au législateur d'adapter le dispositif et de procéder aux coordinations nécessaires.
Les observations formulées lors des auditons m'ont inspiré quelques amendements. L'on m'a ainsi fait observer qu'un examen médical serait nécessaire pour éclairer la juridiction avant un sursis avec mise à l'épreuve ou une libération.
On nous a reproché de ne pas respecter la liberté du juge. On avait entendu la même chose pour l'excuse de minorité.
Les obligations de soins peuvent apparaître trop contraignantes, et les psychiatres considèrent que l'incitation à se soigner constitue en soi une thérapeutique. Je veux bien entendre cet argument, mais il n'en est pas moins paradoxal qu'une personne condamnée ne soit pas obligée de se soigner alors même que l'on considère qu'une hospitalisation d'office, un placement en UMD voire en chambre de contention sont dans l'intérêt de la personne. On reconnaîtrait que son raisonnement est altéré et on se contenterait de lui conseiller de bien se soigner en la laissant faire ce qu'elle veut ? Peut-être plus contraignantes, ces mesures sont dans l'intérêt de la personne, de la société et de l'administration pénitentiaire.