L'ordonnance du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs prolongeait la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : je vous renvoie à l'excellent rapport d'information de MM. Cointat et Frimat, « Droits et libertés des communes de Polynésie française : de l'illusion à la réalité ».
Le régime communal fête en Polynésie son quarantième anniversaire. Jusqu'en 1971, le territoire ne comptait que quatre communes, Papeete, Uturora, Faa'a et Pirae, instituées en 1890, 1931 et 1965. La loi du 24 décembre 1971 relative à la création et à l'organisation des communes sur le territoire de la Polynésie française en a ajouté 44 autres. Les 48 communes actuelles ont été gérées sous le régime de la tutelle de l'Etat jusqu'à l'ordonnance du 5 octobre 2007, qui leur a étendu les dispositions des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales. Les communes polynésiennes n'avaient pas bénéficié des lois de décentralisation successives, et leur régime juridique et financier divergeait de plus en plus du droit commun. Il a fallu attendre 2007 pour que la décentralisation, initiée un quart de siècle plus tôt, bénéficie aux communes polynésiennes sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution.
L'ordonnance du 5 octobre 2007 a actualisé le droit applicable notamment en matière de démocratie locale, de gestion des services publics locaux et de règles budgétaires et comptables. Le régime juridique local sera parachevé avec la substitution à la tutelle du contrôle a posteriori de leurs actes administratifs et budgétaires, au plus tard le 1er janvier 2012. Depuis les dernières élections municipales de 2008, les communes peuvent anticiper la mise en place du nouveau mode de validité de leurs actes ; le contrôle a posteriori s'applique depuis le 1er janvier 2009 dans les communes des Marquises, et 37 des 48 communes ont à ce jour saisi cette faculté.
Les compétences communales relèvent de deux catégories : la première concerne les matières pour lesquelles les communes sont seules compétentes dans le cadre des règles édictées par l'Etat et par la Polynésie française ; de la seconde relèvent les compétences partagées avec la collectivité d'outre-mer.
Cependant, comme le soulignaient nos collègues Christian Cointat et Bernard Frimat, les communes polynésiennes sont handicapées par la grande faiblesse de leurs ressources propres, contraire au principe de libre administration. Les redevances de service public représentent tout au plus 10 % de leurs ressources. La dépendance financière est plus forte pour les petites communes, qui dépendent parfois à 99 % des transferts, mais les grandes communes en souffrent également : elle est de 60 % à Papeete.
N'oublions pas que les 48 communes sont réparties sur 118 îles constituant 4 200 km2 de terres émergées, dispersées sur 4 millions de km2 dans le Pacifique-Sud. Trois communes seulement comptent plus de 20 000 habitants.
Le développement de la coopération est freiné par la répartition des compétences entre la collectivité d'outre mer et les communes, et par la quasi-absence de fiscalité communale.
Il est donc nécessaire de mettre en place rapidement la fonction publique communale, afin de permettre aux communes de disposer de compétences stables et aux agents de bénéficier d'un statut qui leur offre des parcours professionnels valorisants.
A ce jour, les agents des 48 communes, de leurs groupements et de leurs établissements publics administratifs, au nombre de 4 547, sont recrutés sur des contrats de droit privé et soumis à des règles très hétérogènes : application du code du travail polynésien, adhésion à la convention collective des agents non fonctionnaires communaux, statuts communaux. Dès 1994, le législateur avait adopté le principe d'un statut des agents locaux « adapté à la situation particulière des communes du territoire, et notamment à leurs capacités budgétaires », mais celui-ci n'a jamais vu le jour.
L'ordonnance du 4 janvier 2005 porte « statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs ». Elle doit être complétée et précisée par des décrets et des arrêtés du haut-commissaire de la République pour qu'enfin les collectivités puissent créer les emplois qui leur sont nécessaires. Les arrêtés du haut-commissaire porteront sur la composition et le fonctionnement des organismes paritaires, le fonctionnement du centre de gestion et de formation, le temps de travail des agents, les statuts particuliers des cadres d'emplois de la fonction publique communale, les emplois réservés et la rémunération des agents. L'ordonnance, complétée par la loi du 21 février 2007, définit les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires et le cadre général de l'organisation de la fonction publique communale en s'inspirant du statut de la fonction publique territoriale. Elle règle la situation des personnels en place en prévoyant les conditions de leur intégration. Les cinq premiers chapitres concernent respectivement la position statutaire des fonctionnaires, leurs droits et obligations, les organismes particuliers de la fonction publique communale - Conseil supérieur de la fonction publique des communes de la Polynésie française, etc. -, l'accès aux emplois, les carrières ; le sixième comprend diverses dispositions transitoires et finales.
L'ordonnance règle la situation des agents actuellement en poste, qui pourront intégrer la fonction publique communale en deux étapes, par la transformation de leur contrat de droit privé en un contrat à durée indéterminée de droit public, puis par l'intégration dans les cadres d'emplois après inscription sur une liste d'aptitude établie par l'autorité de nomination. Mais faute de textes réglementaires d'application, les cadres d'emplois n'ont toujours pas été mis en place.
Le statut communal est obsolète, car depuis la publication de l'ordonnance, le droit général de la fonction publique a évolué. La loi du 2 février 2007 de modernisation de la fonction publique et celle du 19 février 2007 relative à la fonction publique territoriale ont favorisé la formation professionnelle et l'expérience professionnelle des agents ; la loi du 3 août 2009 a facilité la mobilité des fonctionnaires à l'intérieur et entre chacune des trois fonctions publiques ; enfin la loi du 5 juillet 2010 s'est attachée à moderniser le dialogue social.
Notre collègue Richard Tuheiava a souhaité étendre l'essentiel de ces évolutions aux futurs agents communaux de Polynésie française.
La proposition de loi poursuit deux objectifs : tenir compte des difficultés apparues lors de la concertation préalable entre le haut-commissaire, les représentants des communes et les organisations syndicales locales, et rapprocher le statut des fonctionnaires communaux de Polynésie française du droit en vigueur dans les autres fonctions publiques.
Elle prévoit d'abord d'assouplir le recrutement de non-titulaires dans les communes situées sur des îles isolées, qui ne bénéficient pas du développement du tourisme et où les communes sont les principaux employeurs, palliant l'absence d'entreprises locales. L'article 3 encadre le droit de grève en instituant un service minimum limité aux services dont l'interruption pourrait «porter une atteinte grave à l'intérêt public ». L'article 9 harmonise le régime des congés accordés aux fonctionnaires avec celui en vigueur localement.
La proposition de loi modifie le régime des carrières sur plusieurs points. L'article 8 pérennise l'entretien professionnel annuel. En supprimant la promotion au choix par inscription sur une liste d'aptitude après avis de la commission administrative paritaire, l'article 7 restreint les voies de la promotion interne au concours et à l'examen professionnel. L'article 9 introduit le congé pour validation des acquis de l'expérience. L'article 10 supprime le principe de parité avec les indemnités allouées aux fonctionnaires de la collectivité d'outre-mer pour la détermination par l'organe délibérant de la commune, du groupement ou de l'établissement public, du régime indemnitaire de ses agents. L'article 11 harmonise l'âge légal de départ à la retraite entre les fonctionnaires et les contractuels. L'article 2 ouvre l'accès à la fonction publique communale aux agents titulaires de l'Etat, de la territoriale et de l'hospitalière par la voie du détachement ou de la mise à disposition.
Le texte modifie également les dispositions régissant le centre de gestion et de formation de la fonction publique communale de la Polynésie française, établissement public local à caractère administratif créé par l'ordonnance du 4 janvier 2005, qui remplit tout à la fois le rôle d'un centre départemental de gestion et celui d'une délégation du centre national de la fonction publique territoriale. L'article 4 facilite la perception des cotisations dues au centre. L'article 5, compte tenu de la suppression du régime de tutelle des collectivités polynésiennes, étend aux actes du centre le contrôle de légalité a posteriori. L'article 6 assoit la compétence du centre en matière de concours, et l'article 14 l'autorise à établir les listes d'aptitude pour l'intégration dans les cadres d'emplois des agents actuellement en poste.
La proposition de loi vise à adapter la procédure d'intégration dans les cadres d'emplois des agents actuellement en poste au retard apporté à la mise en place de la fonction publique communale. En premier lieu, l'article 13 propose d'ouvrir les futurs cadres d'emplois aux agents en fonction, non pas à la date de publication de l'ordonnance, mais au 1er janvier 2011. L'article 15 réduit le délai d'ouverture des emplois par les collectivités et établissements de six à trois ans à compter de la publication des statuts particuliers et stabilise la rémunération des agents n'optant pas pour le statut de fonctionnaire. L'article 16 précise les conditions financières de l'intégration.
Enfin, l'article 12 institue un statut pour les collaborateurs du cabinet du maire.
J'adhère à la logique de la proposition de loi : actualiser le statut de la fonction publique communale tout en prévoyant des adaptations pour tenir compte des spécificités locales. Il me semble nécessaire de poursuivre ce toilettage. Tout en encadrant les pouvoirs du haut-commissaire pour fixer les matières et programmes des concours de recrutement, je souhaite rapprocher ce régime du droit commun de la fonction publique, en prévoyant plutôt la consultation du Conseil supérieur de la fonction publique des communes de Polynésie française avant que le haut-commissaire ne rende sa décision. Il me paraît également souhaitable de rétablir la promotion au choix comme voie de promotion interne, tout en la soumettant à une condition de valeur et d'expérience professionnelles et à l'avis de la commission administrative paritaire. Je vous proposerai aussi d'autoriser le recrutement direct sur des emplois fonctionnels limitativement déterminés, conformément à la loi du 26 janvier 1984.
En ce qui concerne les contractuels, tout en conservant l'assouplissement prévu par la proposition de loi, je souhaite aligner leur régime sur le droit commun en permettant le recrutement d'un non titulaire pour remplacer un fonctionnaire autorisé à exercer ses fonctions à temps partiel ou effectuant un service civil, et en conditionnant le recrutement sur des emplois permanents d'encadrement aux besoins des services ou à la nature des fonctions.
Afin de limiter les disparités dans le déroulement de la carrière, je proposerai d'expérimenter la procédure d'évaluation des fonctionnaires, qui prendrait la forme d'un entretien annuel d'évaluation, conformément aux trois lois statutaires de 1984 et 1986. La possibilité de révoquer un détachement devrait être accordée non seulement à l'administration d'accueil, mais aussi à l'administration d'origine et au fonctionnaire concerné.
En ce qui concerne la parité des régimes indemnitaires, l'article 10, qui permet à une collectivité de fixer sans limite le régime indemnitaire de ses agents, me paraît inapproprié ; je préférerais maintenir le principe de parité en faisant référence aux indemnités allouées aux agents de l'Etat plutôt qu'à ceux de la collectivité d'outre-mer.
Les limites apportées au droit de grève doivent être fixées par le législateur. Le service minimum ne concernerait que les fonctionnaires dont le concours est indispensable à la satisfaction des besoins essentiels de la population.
Pour tenir compte du retard apporté à la mise en place de la fonction publique communale, il convient de réexaminer la date de « glaciation» du périmètre des personnels susceptibles d'accéder aux cadres d'emplois. Depuis la publication de l'ordonnance de 2005, les collectivités ont recruté plus de 1 320 agents qu'il serait injuste de priver de ce droit. C'est pourquoi je vous propose de ne geler ces effectifs qu'à la date de publication du décret d'application de l'ordonnance.
Je partage le souci de l'auteur de la proposition de loi d'harmoniser l'établissement des listes d'aptitude des agents ayant vocation à intégrer un des nouveaux cadres d'emplois. Cependant, je vous propose de maintenir la compétence de l'autorité de nomination telle que fixée par l'ordonnance, en 1'encadrant par la consultation d'une commission spéciale placée auprès du centre de gestion et de formation et composée paritairement de représentants des collectivités et des personnels.
Tout en maintenant le système prévu par l'article 16 de la proposition de loi, je souhaite simplifier le régime financier de l'intégration en prévoyant une seule indemnité différentielle qui compenserait tout à la fois la disparité des rémunérations et la différence résultant des compléments.
Je vous propose donc d'adopter cette proposition de loi sous réserve du vote de mes amendements. Je remercie M. Tuheiava et les élus polynésiens qui se sont livrés à un travail d'analyse très technique, dans le double objectif d'aligner le régime de la fonction publique communale de Polynésie française sur le droit commun et de prendre en compte les spécificités locales. Je salue leur éthique et leur rigueur.
Sans doute faudrait-il mettre en place des échanges entre les fonctionnaires territoriaux de la métropole et ceux de Polynésie, pour des projets ciblés concernant par exemple la fourniture en eau, l'assainissement ou le développement durable.
- Présidence de M. Jean-Jacques Hyest, président -