J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport, ainsi que mes propositions d'amendement, sur la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 26 janvier dernier. Je souhaite au préalable vous remercier, Monsieur le Président, mes chers collègues, de m'avoir désigné rapporteur sur ce texte. Il s'agit en effet d'une grande première pour moi.
J'en suis d'autant plus honoré qu'il s'agit du premier texte de fond consacré à l'outre-mer depuis la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) du 27 mai 2009. Depuis mai 2009, les dispositions concernant l'outre-mer ont d'ailleurs trop souvent figuré à la fin des textes soumis au Parlement et, la plupart du temps, renvoyées à des ordonnances. La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) en est la meilleure illustration.
Avant de vous présenter le contenu de cette proposition de loi, je souhaite le replacer dans son contexte, à savoir la grave crise du logement que connaissent nos outre-mer. Le constat est en effet unanime :
- le comité de suivi du droit au logement opposable (DALO) a comparé, dans son deuxième rapport annuel de 2008, la situation des départements d'outre-mer (DOM) à celle de l'Ile de France. Il indiquait que « au même titre que la région Île-de-France, les DOM méritent de faire l'objet d'une attention particulière (...) compte tenu (...) de l'ampleur des besoins de logement non satisfaits » ;
- notre ancien collègue Henri Torre a rédigé, au nom de la commission des Finances, deux excellents rapports sur la situation du logement en outre-mer. Dans son premier rapport de 2006, il indiquait qu'une politique ambitieuse était indispensable dans ce domaine car « les conditions de vie dans certaines zones rappellent (...) clairement les pays sous-développés, et sont indignes de la République ».
Cette grave crise comprend plusieurs volets.
Tout d'abord : une grave pénurie de logements sociaux. En 2008, on comptait dans les quatre DOM, près de 166 000 personnes en attente d'un logement social, soit près de 10 % de la population totale.
Les constructions sont nettement insuffisantes : comme l'ont souligné nos collègues Éric Doligé et Marc Massion dans leur rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2011, le nombre de constructions financées en 2009 s'est élevé à un peu plus de 6 000, alors qu'il en faudrait... près de 45 000 par an !
La situation de la Guyane est particulièrement alarmante : on y compte 13 000 demandes de logement social, pour un parc locatif social de 11 000 logements.
Deuxième volet de cette crise : la persistance de nombreux logements insalubres.
D'après les données figurant dans les rapports de notre collègue Henri Torre, on comptait en 1998 plus de 26 % de logements insalubres dans les DOM, contre moins de 8 % en métropole. En 2003, le constat est le même : les logements insalubres représentent près du quart du parc immobilier ultramarin.
La situation est là aussi particulièrement dramatique en Guyane : en 2005, on comptait dans ce département, 13 % des logements sans électricité, 20 % sans eau potable, 27 % sans baignoire ni douche intérieures ou 63 % sans raccordement à l'égout...
Troisième aspect de cette crise : l'habitat informel, qui constitue outre-mer un phénomène de grande ampleur.
Par « habitat informel », on désigne les constructions irrégulières, de qualité très diverse : aux Antilles et à La Réunion, entre 30 et 40 % des maisons individuelles auraient ainsi été construites sans permis. En Guyane, sous l'effet de l'immigration clandestine, 30 % des constructions existantes sont illicites et près de 50 % des constructions nouvelles le sont.
Différents dispositifs législatifs sont intervenus au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la LODEOM, afin de relancer la production de logements sociaux. Aucune initiative législative n'a par contre été prise récemment en matière de logement insalubre et informel : c'est tout l'intérêt de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Ce texte est issu des travaux de notre collègue député Serge Letchimy, député de la Martinique, qui s'est vu confier par le Gouvernement, en avril 2009, la rédaction d'un rapport sur la résorption de l'habitat insalubre dans les DOM.
Dans son rapport remis en septembre 2009, il a effectué plusieurs constats :
- tout d'abord, il estime à près de 150 000 le nombre de personnes visant dans les quatre DOM dans quelques 50 000 locaux insalubres, généralement informels. C'est un chiffre très important : rapporté à la population métropolitaine, cela représente près de 6 millions de personnes ;
- il souligne que l'habitat informel est « accepté » localement : l'occupation peut être très ancienne et nombre des occupants s'estiment, de bonne foi, propriétaires. Nombre d'entre eux paient d'ailleurs la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ;
- le principal apport du rapport est de montrer que les dispositifs mis en place au niveau national afin de lutter contre l'habitat insalubre sont inadaptés à la réalité ultramarine, caractérisée par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti. Les opérations de résorption de l'habitat insalubre (RHI) sont ainsi partiellement inefficaces dans les DOM : en Martinique, aucune opération n'a pu être engagée au cours des quatre dernières années. Les outils de police administrative en matière de péril ou d'insalubrité sont également inadaptés car ils s'adressent à des propriétaires de constructions légales ;
- enfin, Serge Letchimy relève que les acteurs locaux ont pris des initiatives à la limite de la légalité. Un exemple frappant : de nombreux aménageurs versent aujourd'hui, dans le cadre d'opérations d'aménagement, une indemnité aux occupants sans titre, après évaluation des constructions par les services des domaines. Seul le service guyanais refuse ainsi d'évaluer les constructions édifiées sans droit ni titre.
En conclusion de son rapport, Serge Letchimy formule quatorze propositions : la présente proposition de loi tend à permettre la mise en oeuvre de plusieurs d'entre elles.
J'en viens au contenu de la proposition de loi.
La section 1, c'est-à-dire les articles 1 à 6, s'applique aux DOM mais aussi aux départements métropolitains.
Elle vise à permettre le versement d'une aide financière aux occupants sans titre, dans le cadre d'opérations d'aménagement ou pour des raisons de sécurité liées aux risques naturels.
Initialement figurait dans le texte la notion d'« indemnité pour perte de jouissance ». Pour des raisons de constitutionnalité, notamment afin de ne pas porter atteinte au droit de propriété, les députés ont substitué à cette notion celle d'aide financière.
Les différents cas d'occupation sans titre sont visés :
- l'occupation de la propriété d'une personne publique (article 1) ;
- l'occupation de la propriété d'une personne privée (article 2) ;
- le cas des personnes donnant à bail des locaux à usage d'habitation édifiés sans droit ni titre sur la propriété d'une personne publique ou privée (article 3).
Le versement de l'aide financière est très encadré :
- cette aide ne peut être versée que dans le cadre d'une opération d'aménagement ou de la réalisation d'équipements publics rendant nécessaire la destruction des locaux ;
- il ne s'agit que d'une faculté et non pas d'une obligation pour la personne publique à l'origine de l'opération ;
- les occupants doivent justifier de l'occupation des locaux depuis plus de 10 ans et n'avoir fait l'objet d'aucune procédure d'expulsion pendant cette période ;
- pour le cas des logements, ces derniers doivent constituer une résidence principale.
La proposition de loi précise que le relogement des occupants évincés est assuré par la personne publique à l'origine de l'opération ou par son concessionnaire (sauf dans les cas des bailleurs sans titre).
L'article 5 prévoit qu'aucune indemnité ne peut être versée aux bailleurs sans titre dont les locaux sont visés par un arrêté d'insalubrité ou de péril : il s'agit ainsi d'exclure les « marchands de sommeil » du bénéfice de l'aide.
L'article 6 permet enfin le versement d'une aide financière aux occupants sans titre de logements situés dans une zone exposée aux risques naturels. L'aide est alors prise en charge par le fonds de prévention des risques naturels majeurs, c'est-à-dire le « fonds Barnier ».
J'en viens à la section 2, qui n'est applicable que dans les DOM et à Saint-Martin :
- l'article 7 introduit la notion d'habitat informel dans la définition de l'habitat indigne qui figure dans la « loi Besson » de 1990. Les plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) prévoiront le repérage de l'habitat informel. Les députés ont d'ailleurs précisé que ce repérage serait effectué dans un délai de 18 mois ;
- les articles 8 à 10 visent à adapter à l'habitat informel présent outre-mer les dispositifs existant en matière de police de l'insalubrité. L'article 8 permet ainsi au préfet d'instituer un périmètre d'insalubrité adapté à l'état des diverses constructions situées dans les secteurs d'habitat informel. L'article 9 autorise le préfet à prendre des arrêtés d'insalubrité à l'encontre de personnes ayant mis à dispositions aux fins d'habitation des locaux édifiés sans droit ni titre. L'article 10 permet au maire de prendre des arrêtés de péril à l'encontre de personnes ayant édifié des locaux sans droit ni titre ;
- l'article 12 précise les sanctions pénales applicables aux bailleurs sans titre qui méconnaîtraient leurs obligations résultant des arrêtés pris en application des articles 8 à 10 ;
- l'article 13 permet la création de groupements d'intérêt public (GIP) outre-mer pour conduire les actions nécessaires au traitement des quartiers d'habitat dégradé ;
- l'article 15 vise à permettre la réalisation d'opérations de RHI dans la zone des cinquante pas géométriques de Mayotte.
La section 3 est, enfin, elle aussi applicable dans les DOM et en métropole.
L'article 16 vise à simplifier et accélérer les procédures en cas d'abandon manifeste de parcelles ou d'immeubles.
Signe du soutien du Gouvernement, l'article 17, qui constituait le gage de la proposition de loi, a été supprimé par les députés, à l'initiative du Gouvernement.
Au terme de mes travaux, des auditions que j'ai effectuées et des contributions écrites qui m'ont été transmises, j'estime que ce texte constitue une avancée importante pour l'outre-mer.
Il s'agit certes d'un texte très dérogatoire. À la première lecture, certaines de ses dispositions peuvent apparaître étonnantes, voire choquantes. Voici quelques éléments de réponse aux interrogations que vous avez peut-être, et que j'avais moi-même au début de mes travaux :
- verser une aide financière à des occupants sans droit ni titre afin qu'ils libèrent les terrains qu'ils occupent donc illicitement peut paraître étonnant. L'objectif du texte est d'adapter le droit à une situation de fait qui, comme je l'ai dit précédemment, perdure parfois depuis plusieurs décennies ;
- le versement de cette aide devrait permettre de débloquer les opérations de RHI qui sont au point mort aujourd'hui dans les DOM et ainsi apporter une réponse aux nombreuses situations d'insalubrité existant outre-mer ;
- verser une aide financière aux bailleurs sans titre, comme le prévoit l'article 3, peut gêner. L'intérêt de cette disposition est plus clair quand on constate que dans certains quartiers d'habitat informel, on compte près de 50 % de locataires ! Par ailleurs, l'article 5 devrait permettre d'exclure les « marchands de sommeil » du bénéfice de cette aide.
Au vu de l'enjeu, j'espère donc que la commission soutiendra unanimement ce texte.
Pour autant, permettez moi de vous faire part de quelques craintes quant à l'efficacité des dispositifs prévus par ce texte. Je pense en effet que ce texte ne se suffit pas à lui-même :
- ce texte ne pourra être pleinement efficace que si la situation financière des collectivités territoriales ultramarines est assainie.