Je demande à M. Georges Patient de nous présenter son rapport sur la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, en le remerciant pour le travail qu'il a effectué.
J'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui mon rapport, ainsi que mes propositions d'amendement, sur la proposition de loi portant dispositions particulières relatives aux quartiers d'habitat informel et à la lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer, adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 26 janvier dernier. Je souhaite au préalable vous remercier, Monsieur le Président, mes chers collègues, de m'avoir désigné rapporteur sur ce texte. Il s'agit en effet d'une grande première pour moi.
J'en suis d'autant plus honoré qu'il s'agit du premier texte de fond consacré à l'outre-mer depuis la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) du 27 mai 2009. Depuis mai 2009, les dispositions concernant l'outre-mer ont d'ailleurs trop souvent figuré à la fin des textes soumis au Parlement et, la plupart du temps, renvoyées à des ordonnances. La loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche (LMAP) en est la meilleure illustration.
Avant de vous présenter le contenu de cette proposition de loi, je souhaite le replacer dans son contexte, à savoir la grave crise du logement que connaissent nos outre-mer. Le constat est en effet unanime :
- le comité de suivi du droit au logement opposable (DALO) a comparé, dans son deuxième rapport annuel de 2008, la situation des départements d'outre-mer (DOM) à celle de l'Ile de France. Il indiquait que « au même titre que la région Île-de-France, les DOM méritent de faire l'objet d'une attention particulière (...) compte tenu (...) de l'ampleur des besoins de logement non satisfaits » ;
- notre ancien collègue Henri Torre a rédigé, au nom de la commission des Finances, deux excellents rapports sur la situation du logement en outre-mer. Dans son premier rapport de 2006, il indiquait qu'une politique ambitieuse était indispensable dans ce domaine car « les conditions de vie dans certaines zones rappellent (...) clairement les pays sous-développés, et sont indignes de la République ».
Cette grave crise comprend plusieurs volets.
Tout d'abord : une grave pénurie de logements sociaux. En 2008, on comptait dans les quatre DOM, près de 166 000 personnes en attente d'un logement social, soit près de 10 % de la population totale.
Les constructions sont nettement insuffisantes : comme l'ont souligné nos collègues Éric Doligé et Marc Massion dans leur rapport spécial sur le projet de loi de finances pour 2011, le nombre de constructions financées en 2009 s'est élevé à un peu plus de 6 000, alors qu'il en faudrait... près de 45 000 par an !
La situation de la Guyane est particulièrement alarmante : on y compte 13 000 demandes de logement social, pour un parc locatif social de 11 000 logements.
Deuxième volet de cette crise : la persistance de nombreux logements insalubres.
D'après les données figurant dans les rapports de notre collègue Henri Torre, on comptait en 1998 plus de 26 % de logements insalubres dans les DOM, contre moins de 8 % en métropole. En 2003, le constat est le même : les logements insalubres représentent près du quart du parc immobilier ultramarin.
La situation est là aussi particulièrement dramatique en Guyane : en 2005, on comptait dans ce département, 13 % des logements sans électricité, 20 % sans eau potable, 27 % sans baignoire ni douche intérieures ou 63 % sans raccordement à l'égout...
Troisième aspect de cette crise : l'habitat informel, qui constitue outre-mer un phénomène de grande ampleur.
Par « habitat informel », on désigne les constructions irrégulières, de qualité très diverse : aux Antilles et à La Réunion, entre 30 et 40 % des maisons individuelles auraient ainsi été construites sans permis. En Guyane, sous l'effet de l'immigration clandestine, 30 % des constructions existantes sont illicites et près de 50 % des constructions nouvelles le sont.
Différents dispositifs législatifs sont intervenus au cours des dernières années, notamment dans le cadre de la LODEOM, afin de relancer la production de logements sociaux. Aucune initiative législative n'a par contre été prise récemment en matière de logement insalubre et informel : c'est tout l'intérêt de la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui.
Ce texte est issu des travaux de notre collègue député Serge Letchimy, député de la Martinique, qui s'est vu confier par le Gouvernement, en avril 2009, la rédaction d'un rapport sur la résorption de l'habitat insalubre dans les DOM.
Dans son rapport remis en septembre 2009, il a effectué plusieurs constats :
- tout d'abord, il estime à près de 150 000 le nombre de personnes visant dans les quatre DOM dans quelques 50 000 locaux insalubres, généralement informels. C'est un chiffre très important : rapporté à la population métropolitaine, cela représente près de 6 millions de personnes ;
- il souligne que l'habitat informel est « accepté » localement : l'occupation peut être très ancienne et nombre des occupants s'estiment, de bonne foi, propriétaires. Nombre d'entre eux paient d'ailleurs la taxe d'habitation et la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) ;
- le principal apport du rapport est de montrer que les dispositifs mis en place au niveau national afin de lutter contre l'habitat insalubre sont inadaptés à la réalité ultramarine, caractérisée par une dissociation entre la propriété du sol et la propriété du bâti. Les opérations de résorption de l'habitat insalubre (RHI) sont ainsi partiellement inefficaces dans les DOM : en Martinique, aucune opération n'a pu être engagée au cours des quatre dernières années. Les outils de police administrative en matière de péril ou d'insalubrité sont également inadaptés car ils s'adressent à des propriétaires de constructions légales ;
- enfin, Serge Letchimy relève que les acteurs locaux ont pris des initiatives à la limite de la légalité. Un exemple frappant : de nombreux aménageurs versent aujourd'hui, dans le cadre d'opérations d'aménagement, une indemnité aux occupants sans titre, après évaluation des constructions par les services des domaines. Seul le service guyanais refuse ainsi d'évaluer les constructions édifiées sans droit ni titre.
En conclusion de son rapport, Serge Letchimy formule quatorze propositions : la présente proposition de loi tend à permettre la mise en oeuvre de plusieurs d'entre elles.
J'en viens au contenu de la proposition de loi.
La section 1, c'est-à-dire les articles 1 à 6, s'applique aux DOM mais aussi aux départements métropolitains.
Elle vise à permettre le versement d'une aide financière aux occupants sans titre, dans le cadre d'opérations d'aménagement ou pour des raisons de sécurité liées aux risques naturels.
Initialement figurait dans le texte la notion d'« indemnité pour perte de jouissance ». Pour des raisons de constitutionnalité, notamment afin de ne pas porter atteinte au droit de propriété, les députés ont substitué à cette notion celle d'aide financière.
Les différents cas d'occupation sans titre sont visés :
- l'occupation de la propriété d'une personne publique (article 1) ;
- l'occupation de la propriété d'une personne privée (article 2) ;
- le cas des personnes donnant à bail des locaux à usage d'habitation édifiés sans droit ni titre sur la propriété d'une personne publique ou privée (article 3).
Le versement de l'aide financière est très encadré :
- cette aide ne peut être versée que dans le cadre d'une opération d'aménagement ou de la réalisation d'équipements publics rendant nécessaire la destruction des locaux ;
- il ne s'agit que d'une faculté et non pas d'une obligation pour la personne publique à l'origine de l'opération ;
- les occupants doivent justifier de l'occupation des locaux depuis plus de 10 ans et n'avoir fait l'objet d'aucune procédure d'expulsion pendant cette période ;
- pour le cas des logements, ces derniers doivent constituer une résidence principale.
La proposition de loi précise que le relogement des occupants évincés est assuré par la personne publique à l'origine de l'opération ou par son concessionnaire (sauf dans les cas des bailleurs sans titre).
L'article 5 prévoit qu'aucune indemnité ne peut être versée aux bailleurs sans titre dont les locaux sont visés par un arrêté d'insalubrité ou de péril : il s'agit ainsi d'exclure les « marchands de sommeil » du bénéfice de l'aide.
L'article 6 permet enfin le versement d'une aide financière aux occupants sans titre de logements situés dans une zone exposée aux risques naturels. L'aide est alors prise en charge par le fonds de prévention des risques naturels majeurs, c'est-à-dire le « fonds Barnier ».
J'en viens à la section 2, qui n'est applicable que dans les DOM et à Saint-Martin :
- l'article 7 introduit la notion d'habitat informel dans la définition de l'habitat indigne qui figure dans la « loi Besson » de 1990. Les plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) prévoiront le repérage de l'habitat informel. Les députés ont d'ailleurs précisé que ce repérage serait effectué dans un délai de 18 mois ;
- les articles 8 à 10 visent à adapter à l'habitat informel présent outre-mer les dispositifs existant en matière de police de l'insalubrité. L'article 8 permet ainsi au préfet d'instituer un périmètre d'insalubrité adapté à l'état des diverses constructions situées dans les secteurs d'habitat informel. L'article 9 autorise le préfet à prendre des arrêtés d'insalubrité à l'encontre de personnes ayant mis à dispositions aux fins d'habitation des locaux édifiés sans droit ni titre. L'article 10 permet au maire de prendre des arrêtés de péril à l'encontre de personnes ayant édifié des locaux sans droit ni titre ;
- l'article 12 précise les sanctions pénales applicables aux bailleurs sans titre qui méconnaîtraient leurs obligations résultant des arrêtés pris en application des articles 8 à 10 ;
- l'article 13 permet la création de groupements d'intérêt public (GIP) outre-mer pour conduire les actions nécessaires au traitement des quartiers d'habitat dégradé ;
- l'article 15 vise à permettre la réalisation d'opérations de RHI dans la zone des cinquante pas géométriques de Mayotte.
La section 3 est, enfin, elle aussi applicable dans les DOM et en métropole.
L'article 16 vise à simplifier et accélérer les procédures en cas d'abandon manifeste de parcelles ou d'immeubles.
Signe du soutien du Gouvernement, l'article 17, qui constituait le gage de la proposition de loi, a été supprimé par les députés, à l'initiative du Gouvernement.
Au terme de mes travaux, des auditions que j'ai effectuées et des contributions écrites qui m'ont été transmises, j'estime que ce texte constitue une avancée importante pour l'outre-mer.
Il s'agit certes d'un texte très dérogatoire. À la première lecture, certaines de ses dispositions peuvent apparaître étonnantes, voire choquantes. Voici quelques éléments de réponse aux interrogations que vous avez peut-être, et que j'avais moi-même au début de mes travaux :
- verser une aide financière à des occupants sans droit ni titre afin qu'ils libèrent les terrains qu'ils occupent donc illicitement peut paraître étonnant. L'objectif du texte est d'adapter le droit à une situation de fait qui, comme je l'ai dit précédemment, perdure parfois depuis plusieurs décennies ;
- le versement de cette aide devrait permettre de débloquer les opérations de RHI qui sont au point mort aujourd'hui dans les DOM et ainsi apporter une réponse aux nombreuses situations d'insalubrité existant outre-mer ;
- verser une aide financière aux bailleurs sans titre, comme le prévoit l'article 3, peut gêner. L'intérêt de cette disposition est plus clair quand on constate que dans certains quartiers d'habitat informel, on compte près de 50 % de locataires ! Par ailleurs, l'article 5 devrait permettre d'exclure les « marchands de sommeil » du bénéfice de cette aide.
Au vu de l'enjeu, j'espère donc que la commission soutiendra unanimement ce texte.
Pour autant, permettez moi de vous faire part de quelques craintes quant à l'efficacité des dispositifs prévus par ce texte. Je pense en effet que ce texte ne se suffit pas à lui-même :
- ce texte ne pourra être pleinement efficace que si la situation financière des collectivités territoriales ultramarines est assainie.
La mission commune d'information sur la situation des DOM avait ainsi évoqué « la situation globalement très préoccupante des communes des DOM ».
Ce texte prévoit que la personne publique à l'origine de l'opération d'aménagement prendra en charge l'aide financière et assurera le relogement des occupants évincés. Au final, ces dépenses figureront dans le bilan des opérations de RHI, opérations financées au moins à 80 % par l'État. Or les communes ultramarines ont toutes les peines du monde à financer leur participation de 20 % ! C'est notamment le cas de ma commune de Mana...
ce texte me paraît ensuite formaté pour les Antilles. Je m'interroge donc sur son applicabilité en Guyane. Un seul exemple : le texte n'exclut pas les étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l'aide financière. Or, en Guyane, la majeure partie des occupants sans titre sont des étrangers en situation irrégulière. Face à un tel risque d'« appel d'air », il est indispensable que la lutte contre l'immigration clandestine soit renforcée en Guyane ;
enfin, ce texte doit s'intégrer dans une politique ambitieuse en matière de logement social outre-mer, qui n'existe pas pour l'heure. La proposition de loi fixe en effet des règles en matière de relogement des occupants sans titre évincés (section 1) ou concernés par des mesures de police (section 2). Or comment assurer leur relogement dans le contexte de grave pénurie que j'évoquais tout à l'heure ?
Ces observations ne remettent en rien en cause l'opportunité de cette proposition de loi et mon soutien à ce texte. J'estime seulement que ce texte est un des éléments d'un puzzle dont certaines pièces restent encore manquantes aujourd'hui.
Nous examinerons tout à l'heure une quarantaine d'amendements que je vous proposerai d'adopter : il s'agit pour l'essentiel d'amendements de précision, de clarification ou d'encadrement des dispositifs prévus par le texte.
Je souhaite dès à présent évoquer un amendement important, qui tend à limiter le champ d'application de la section 1 à l'outre-mer.
Lors de son audition par notre commission la semaine dernière, la ministre de l'outre-mer a estimé que le respect du principe d'égalité impliquait que la section 1 soit applicable sur l'ensemble du territoire national.
Je ne partage pas son point de vue :
le principe d'égalité n'implique pas d'appliquer les mêmes règles à tous : il implique, comme l'affirme une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, que les mêmes règles s'appliquent dans des situations identiques.
Il n'a en effet jamais empêché le Parlement d'adopter des dispositifs - notamment fiscaux - en faveur de régions confrontées à une situation spécifique : les zones de montagne, les zones franches urbaines ou l'outre-mer, avec les dispositifs de défiscalisation !
le premier alinéa de l'article 73 de la Constitution dispose que « dans les départements et régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités ».
Sur l'interprétation de cette disposition constitutionnelle, j'ai consulté des juristes et le ministère de la Justice. La Chancellerie m'a ainsi indiqué : « il convient de démontrer que la problématique d'occupation sans droit ni titre dans les DOM est « caractéristique » par rapport aux départements métropolitains pour limiter le champ d'application de l'intégralité de la loi aux DOM ».
À mes yeux, la spécificité est claire et résulte du caractère massif de l'habitat informel existant outre-mer. Comme je l'indiquais tout à l'heure, près de 150 000 personnes sont concernées, ce qui, rapporté à la population métropolitaine, correspondrait à près de 6 millions de personnes ;
enfin, en réponse à l'argument de la ministre soulignant que la section 1 portait sur une aide financière, je rappelle que certaines aides sociales ont été mises en place au cours des dernières années spécifiquement pour les outre-mer.
Un seul exemple : le revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA). Suite aux évènements sociaux de 2009 en outre-mer, le Gouvernement a décidé la mise en place de ce dispositif spécifique aux DOM : l'État verse ainsi une prestation dont le montant peut aller jusqu'à 100 euros bruts par mois pour une durée de travail de 35 heures par semaine.
Voici donc, Monsieur le Président, mes chers collègues, les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance avant que nous ne passions à l'examen des amendements. Ce texte constitue une avancée importante pour l'outre-mer. J'espère que notre commission exprimera unanimement son soutien à ce texte.
La section 1 vise à accorder, sous certaines conditions, une aide financière aux occupants sans titre de locaux visés par une opération d'aménagement. Certains collègues craignaient que cette disposition soit également appliquée en France métropolitaine.
Qu'en est-il des dispositions visant à simplifier la procédure en matière d'abandon manifeste ?
S'agissant des articles 8 à 10, le ministère de la justice souhaitait que le tribunal de grande instance soit saisi lorsque le préfet ou le maire prescrit une démolition et que le constructeur ne l'effectue pas. Êtes-vous favorable à la rédaction proposée sur ce point par l'Assemblée nationale, qui nous convient dans l'ensemble même si elle n'est pas parfaite ?
Je propose en effet d'en rester à la rédaction de l'Assemblée nationale.
Nous allons à présent examiner les amendements.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 3 bis est supprimé.
Fixation de l'aide financière -
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article5 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 6 bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 8 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 9 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 10 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 11 est adopté sans modification.
L'article 12 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 13 est adopté sans modification.
L'article 14 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 15 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 16 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
L'article 17 demeure supprimé.
La commission adopte à l'unanimité l'ensemble de la proposition de loi telle qu'elle ressort de ses travaux.
Je souhaite vous communiquer tout d'abord le résultat du vote émis hier par la commission sur la candidature de M. Jean-Paul Bailly au poste de président du groupe La Poste, en application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
Sur 31 suffrages exprimés, il y a eu 18 voix pour et 13 voix contre.
Nous allons entendre notre collègue Ladislas Poniatowski présenter son rapport sur l'avenir de la filière photovoltaïque. L'enjeu est considérable. La réflexion de notre collègue est empreinte de pragmatisme et trace des pistes pour les années qui viennent.
Le 9 décembre dernier, le Gouvernement a déclaré un moratoire de trois mois sur la conclusion de contrats d'achat de l'électricité produite par les installations photovoltaïques. Cette décision a suscité bien des inquiétudes. La table ronde du 9 mars tombait à pic, puisque c'était le jour même de l'expiration du moratoire et quelques jours après la publication des nouveaux arrêtés. Elle a réuni, autour du directeur de l'énergie, des représentants des organisations professionnelles - le Syndicat des énergies renouvelables, Enerplan et la Fédération française du bâtiment -, le directeur du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles (Liten) et des représentants de deux entreprises importantes du secteur. Le message que nous voulions faire passer a été entendu : le Sénat est à l'écoute des professionnels du secteur, et il veut voir plus loin que cette nouvelle réglementation, imaginer l'avenir de la filière.
L'Union européenne demande à la France de porter la part des énergies renouvelables à 23 % de sa consommation d'énergie finale brute en 2020, sans préciser quelles doivent être les parts respectives de la biomasse, de la géothermie, de l'éolien, du photovoltaïque et de l'hydraulique. Les 27 pays européens se sont vu assigner des objectifs tenant compte de leur situation initiale.
C'est le Grenelle de l'environnement qui a précisé la part de chaque source d'énergie dans le mix énergétique. Pour le photovoltaïque, un double objectif a été fixé : 1 100 mégawatts-crête d'installations photovoltaïques en 2012 ; 5 400 mégawatts-crête en 2020. Des tarifs assez avantageux ont été mis en place pour rattraper notre retard sur l'Allemagne et l'Espagne.
Mais on a assisté à un emballement. La puissance installée fin 2010 était déjà de 973 MW, dont 90 % en métropole et 10 % outre-mer. Cette croissance ne donne qu'une faible idée des projets en cours de développement à la fin de l'année 2010, qui représentaient une puissance totale de 6 400 MW. L'objectif de 2020 - 5400 MW - était déjà dépassé !
L'électricité photovoltaïque a des coûts de production particulièrement élevés. Ce n'est qu'en 2020 qu'on atteindra peut-être en France la « parité réseau », c'est-à-dire le moment où cette électricité sera rentable sans soutien public. La France n'est pas le sud de l'Italie, où les projets s'autofinancent grâce à un ensoleillement plus fort ; elle ne peut compter que sur des innovations technologiques.
En outre, le raccordement de l'électricité photovoltaïque peut dans certains cas perturber le réseau de distribution : l'architecture des réseaux et leur dimensionnement, en France, n'ont pas été prévus pour intégrer des installations de production d'électricité au niveau local, mais pour couvrir tout le territoire. On projette par exemple de construire un grand champ de panneaux photovoltaïques dans les Landes ; la première tranche représente à elle seule 150 MGW, dans un département où l'on consomme peu d'électricité. ERDF devra consentir un investissement important pour raccorder le site au réseau !
Le soutien public, par le biais d'un tarif d'achat avantageux, est-il justifié ? Oui bien sûr, si l'on tient compte des avantages environnementaux du photovoltaïque et des investissements nécessaires pour faire progresser cette technologie encore jeune. Mais ce soutien a un coût, et c'est le consommateur qui paie via la contribution au service public de l'électricité (CSPE) : 30 % de son produit est affecté à l'achat d'électricité provenant des énergies renouvelables. Il faudra un jour discuter de l'augmentation récurrente de la CSPE : c'est un baudet que l'on charge sans trop y regarder ! Un parc photovoltaïque de 1 mégawatt (MW) représente une charge de 560 millions d'euros chaque année sur la facture des consommateurs, pendant une durée de 20 ans...
La décision du Gouvernement était donc indispensable. Mais alors que MM. Charpin et Trink, à qui a été confiée une mission de concertation, disent avoir procédé à de nombreuses auditions, les professionnels ont le sentiment de ne pas avoir été entendus. Selon eux, 25 000 emplois sont menacés. Mais je rappelle que l'installation de panneaux occupe à elle seule 20 000 personnes, quand le reste de la filière - création et production - en emploie moins de 5000.
Les arrêtés du 4 mars définissent une cible de 500 MW par an pour les nouveaux projets. Beaucoup de professionnels disent qu'il en faudrait 800 pour que la filière survive ; nous pourrons éventuellement rectifier le tir lors de la revoyure, en 2012. S'agissant des petites toitures - dont certaines n'étaient pas concernées par le moratoire -, la trajectoire prévue est de 100 MW pour les toitures résidentielles et de 100 MW pour les non résidentielles. Le tarif d'achat baisse d'ores et déjà de 20 %. Pour ce qui est des centrales au sol et des grandes toitures de plus de 100 kW, le tarif d'achat est remplacé par des appels d'offres, avec un objectif de 140 MW pour les grandes toitures et de 160 MW pour les centrales au sol. Ces appels d'offres seront simplifiés pour les installations de moins de 250 kW. Enfin une garantie bancaire sera exigée pour les installations de plus de 9 kW, afin d'éliminer les projets purement spéculatifs déposés par des bureaux d'études.
Quel fut le sort réservé aux dossiers en attente lors de l'annonce du moratoire ? Sur 6 400 MW, 3 250 ont été suspendus : il s'agit des projets les plus récents, qui pourront être redéposés dans le nouveau cadre réglementaire. Restent 3 150 MW qui bénéficieront de l'ancien tarif, à supposer qu'ils soient installés avant 18 mois ; ils s'ajouteront aux 500 MW annuels. Pendant une semaine, avant le moratoire, des projets ont été déposés sans qu'ERDF réponde ; ceux-là font l'objet d'un contentieux porté devant le Conseil d'Etat.
Y a-t-il place en France pour une filière photovoltaïque ? Nous avons manqué le train de l'éolien, pouvons-nous gagner ce nouveau pari ? Le premier problème est d'abord technologique. Le silicium domine actuellement le marché, mais la technique des couches minces se développe rapidement ; quelques entreprises exploitent d'autres technologies qui en sont encore largement au stade de la recherche-développement. Entre ces techniques, le choix n'est pas simple, mais nous appartient-il ? Parmi les panneaux solaires installés dans le monde, 36 % le sont en Allemagne, 26 % en Espagne, 15 % au Japon, 8 % aux Etats-Unis, 1 % seulement en France. Avons-nous les moyens de développer une filière industrielle ? La Chine, de son côté, réussit l'exploit de fabriquer 25 % des panneaux alors que 1 % seulement sont installés dans ce pays. La Norvège s'en sort bien, avec deux ou trois entreprises dynamiques.
J'évoquerai rapidement cinq pistes pour développer la filière française. Tout d'abord, il nous faut des champions industriels, et à cet égard je me félicite du rachat par EDF de la totalité du capital de sa filiale EDF-Énergies nouvelles : espérons que l'entreprise adoptera une politique non plus exclusivement commerciale, mais industrielle.
La réglementation doit être stable afin d'offrir de la visibilité, non seulement aux industriels et aux installateurs, mais aussi au monde financier, car un projet photovoltaïque demande un gros investissement initial, qui se rapproche de 1 million d'euros pour les toitures industrielles et agricoles.
La constitution d'un marché national peut aider au lancement d'une filière. Mais pour cela il faut rassurer, et dire que nous continuerons à subventionner ce type d'électricité.
La notion d' «intégré au bâti » est une spécificité française, sur laquelle il faut s'appuyer. Les panneaux intégrés à la toiture au lieu d'être surimposés bénéficient d'un tarif d'achat de l'électricité nettement plus avantageux ; leur installation est plus complexe et plus coûteuse, mais cette technique est plus satisfaisante au plan architectural et esthétique.
Afin de nous protéger de la concurrence venue de Chine ou d'ailleurs, nous pourrions aussi recourir aux certifications et aux labels, pour les installateurs comme pour les produits. Mais cela ne suffira pas.
Autour la table ronde, nous avons rencontré des gens amers, mais malgré tout optimistes, parce qu'ils connaissent les atouts de notre pays. Accompagnons-les dans leurs efforts de recherche-développement et encourageons la constitution de champions industriels français, afin de développer la filière française en amont comme en aval. Nous avons eu le 9 mars un débat d'une grande qualité, et les professionnels ont apprécié que les sénateurs soient attentifs à leurs préoccupations.
La table ronde fut en effet très intéressante. Je remercie Ladislas Poniatowski pour son travail approfondi et ses propositions de bon sens. Il a bien montré quelle était la position de la France par rapport à ses concurrents.
Que l'ancien tarif d'achat ait donné lieu à des dérives, qu'il ait fallu rectifier le tir, chacun s'accorde à le dire. Mais qui était à l'origine de ces dérives ? J'ai quelques idées là-dessus...
L'Agence internationale de l'énergie estime qu'en 2050, un quart de l'électricité produite dans le monde sera d'origine solaire. La question est de savoir si la France sera partie prenante de cette évolution. Pour développer une filière nationale, il faut d'abord s'appuyer sur le marché domestique. Or l'objectif de 500 MW par an et de 5400 MW à l'horizon 2020 me semble un peu faiblard... L'Allemagne produira 55 000 MW en 2020 !
Que le tarif d'achat ait baissé de 20 %, soit. Ce qui me gêne, c'est que les professionnels manquent de visibilité. Le tarif sera ajusté trimestriellement en fonction de la diminution des coûts de production, estimée à 10 % par an, et du volume des projets. Or ce dernier critère est ambigu et entretient l'incertitude.
En outre, la procédure administrative est trop lourde. Le rapporteur a eu raison de rappeler que 30 % seulement du produit de la CSPE était affecté au rachat d'électricité provenant des énergies renouvelables, et non la totalité comme on l'entend dire.
Je reconnais des évolutions positives, comme l'inclusion de critères environnementaux et industriels dans le cahier des charges, pour lutter contre les friches industrielles et protéger les espaces agricoles et forestiers : je suis un défenseur des énergies renouvelables, mais je considère que l'on ne peut pas tout faire n'importe où. Je me réjouis également de l'obligation de recycler les panneaux, et des garanties demandées pour s'assurer de la viabilité des projets.
Je m'interroge en revanche sur le soutien apporté à la recherche-développement. Face à l'intensification de la concurrence, il faut réduire les coûts de fabrication et améliorer la performance énergétique des panneaux. Or nous avons pris du retard quant aux futures générations de produits, aux dispositifs de suivi du soleil et au stockage de l'énergie produite.
Je suis l'élu d'un des départements les plus ensoleillés de France et j'ai eu à m'occuper du photovoltaïque. Le rapport fait par notre collègue est constructif et visionnaire. Mais nous rencontrons des porteurs de projets inquiets, voire désespérés : il y a un an, ils avaient monté leur projet en comptant sur sa rentabilité et sont aujourd'hui désarmés par la rétroactivité des mesures prises par le Gouvernement. J'ai reçu dix-sept personnes qui ont l'impression d'avoir été trahies, et doivent à présent soit abandonner leur projet, soit revoir son montage financier. Pour les agriculteurs, il n'y a pas que les fruits rouges ou le tourisme ! Peut-on changer les règles en cours de route ? Gouverner, n'est-ce pas prévoir ? ERDF a même bloqué des dossiers déposés en arguant que ses agents avaient trop de travail : des innocents ont été pénalisés. Il ne faut pas le prendre à la légère, nos paysans parlent avec leur coeur et le sujet est grave.
Merci de cet éclairage. Mais je ne suis pas sûr que nous n'ayons eu affaire qu'à des innocents...
Elégante litote, monsieur le président, mais certains porteurs de projets se retrouvent réellement dans une situation très difficile.
Peut-on avoir accès aux travaux de l'Institut national de l'énergie solaire (INES)? Les appels à manifestation d'intérêt (AMI) lancés dans le cadre des investissements d'avenir ne concernent-ils que les industriels français ?
Je félicite le rapporteur pour la rigueur de son propos. Je me contenterai de quelques observations sur l'outre-mer. Je suis membre d'une commission sur le photovoltaïque en outre-mer qui doit rendre un rapport le 30 juin à M. Baroin et Mme Penchard. Ces territoires bénéficient de tarifs attractifs et de mesures de défiscalisation issues de la loi organique pour le développement économique en outre-mer (LODEOM), mais on ne peut nier un effet d'aubaine, qui a conduit à la multiplication des projets. Tous semblent avoir été validés à l'ancien tarif, et la liste d'attente est considérable.
La politique énergétique de Saint-Barthélemy, comme de toute petite île, consiste à la fois à maîtriser sa consommation et à oeuvrer pour son autonomie énergétique. Nous dépendons d'EDF. Or les coûts de production de l'électricité sont incommensurablement supérieurs à ceux de la métropole. Fort heureusement, nous bénéficions de la solidarité nationale par le biais de la péréquation. Après le vote de la LODEOM, des investisseurs sont venus chez nous pour construire des centrales photovoltaïques, mais EDF a fait barrage : l'entreprise exigeait que la collectivité raccorde les nouvelles centrales au réseau à moyenne tension, ce qui n'est pas facile sur une île volcanique ; en outre, la consommation moyenne journalière étant de 18 à 20 MW, EDF répondait à ceux qui voulaient construire des centrales produisant 5 MW que les jours où il n'y aurait pas de soleil, elle refuserait d'absorber, mais délesterait. Imaginez un peu la situation un 31 décembre ! Ce serait la fin du tourisme !
Pourquoi ne pas mettre en place une politique tarifaire différenciée ? Puisque l'électricité produite par EDF à Saint-Barthélémy lui coûte 80 centimes par kWh, pourquoi l'entreprise ne rachèterait-elle pas l'électricité photovoltaïque à 40 centimes par kWh ? La collectivité avait accepté de financer le projet d'une association qui avait demandé la mise à disposition d'un bâtiment public : sur la base d'un tarif d'achat de 40 centimes par kWh, il devait être amorti en 17 années et demie. Mais à 12 centimes par kWh, il faudra 70 ans ! Entretemps, il aura fallu changer plusieurs fois de panneaux... Le projet n'est donc pas rentable. L'assemblée où je siège maintient une politique de défiscalisation en faveur des énergies renouvelables, mais elle a besoin de garanties.
Merci de m'avoir invité à cette réunion, en tant que membre du groupe d'études de l'énergie. La table ronde sur le photovoltaïque a eu lieu quelques jours avant la catastrophe de Fukushima. Or on n'entend en France que les apologistes du nucléaire. Tous les autres pays s'efforcent de rééquilibrer leur panier énergétique : le charbon est polluant et on n'en trouve pas partout ; il ne faut pas trop compter sur le pétrole et le gaz, comme l'illustre l'actualité - le prix du baril a augmenté de 20 % depuis le 9 mars - ; le nucléaire pose des problèmes de sécurité. L'Allemagne a décidé d'arrêter ses centrales ; les Allemands sont-ils tous aveugles ? Les Etats-Unis sont loin d'avoir repris tambour battant leur politique nucléaire : ils exploitent à présent du gaz de schiste, dans des conditions il est vrai hasardeuses. Au Japon, où les experts nucléaires étaient naguère convaincus de la sécurité des installations, on s'interroge. En France, il faudra mieux surveiller les centrales vieillissantes, ce qui coûtera plus cher ; l'EPR et les centrales de nouvelle génération sont peu compétitives car trop onéreuses, comme l'illustrent nos déconvenues dans le Golfe. L'électricité nucléaire est-elle bon marché ? Ce sera de moins en moins vrai.
Dans ces conditions, pouvons-nous ne pas nous soucier des énergies renouvelables ? La France n'arrive pas à faire émerger des filières industrielles : la géothermie a été stérilisée en région parisienne par les groupes pétroliers et gaziers ; dans le domaine solaire, l'Etat a multiplié les âneries : en accordant des primes ahurissantes, il faisait jusque récemment du photovoltaïque l'affaire la plus lucrative du siècle, et le système ne tenait pas debout. Mais les professionnels disent qu'ils sont capables de mettre sur le marché un kWh à 21 centimes, soit moins que le prix du kWh vendu aux particuliers en Italie ou en Espagne ! Il existe donc une marge de progression importante. Le marché de l'électricité n'est plus strictement national : il s'est interconnecté. Ce serait une erreur de ne pas favoriser le décollage de la filière photovoltaïque française.
La production est jusqu'à présent infinitésimale, et pèse faiblement sur la CSPE, comme l'a justement dit M. Courteau. Il faudra au moins quarante ans pour sortir du nucléaire, mais en attendant il faudra vivre. Comment ? Le débat doit être ouvert et sans dogmatisme. Chaque fois que je le pourrai, comme aujourd'hui dans un article paru dans Sud-ouest, je plaiderai pour un rééquilibrage de notre panier énergétique. On entend souvent dire que l'éolien et le solaire sont des énergies aléatoires. Mais l'électricité hydraulique dont on peut contrôler le débit représente aujourd'hui 8 % de la consommation électrique. On pourrait se fixer le même objectif pour l'éolien et le solaire, car les barrages pourraient servir de système de stockage pour cette énergie : un autre modèle économique est possible. Sortons du tout-nucléaire, et cessons de perdre de nouveaux marchés industriels. J'étais chez Photowatt à Bourgoin-Jallieu : les responsables se désolent qu'il n'y ait pas de marché du photovoltaïque en France, ce qui empêche l'émergence d'une filière.
Je souhaite que le Sénat ait une vision très ouverte de la question. Ne cédons pas aux pressions d'EDF et du lobby nucléaire, mais oeuvrons pour l'intérêt général.
M. le rapporteur a parlé de la production actuelle dans différents pays. Mais quels sont ceux qui ont programmé le plus d'investissements pour l'avenir ?
Oui, cher Claude Belot, nous avons besoin d'un débat ouvert et sans dogmatisme. Est-il trop tard pour construire en France une filière éolienne ? Lors du Grenelle, on a entendu dire que la filière photovoltaïque n'était pas « écoresponsable », en raison de l'énergie nécessaire pour fabriquer et détruire les panneaux : qu'en est-il ? Etait-il responsable de la part de l'Etat de soutenir massivement cette filière avant sa stabilisation ? Enfin, pourquoi ne pas privilégier les projets dont le raccordement au réseau est le plus facile ?
Merci à la commission d'avoir pris l'initiative d'une table ronde.
Je serai plus mesuré et plus bref que M. Belot, mais je rejoins entièrement son propos. La décision gouvernementale, au-delà même de sa brutalité, demeure une erreur stratégique dramatique. Elle nous ramène à la fin des années soixante, quand il fut mis fin au programme de recherche sur l'énergie solaire mené par l'AFME, ancêtre de l'Ademe, alors que nous étions alors numéro un dans le photovoltaïque, au motif que la filière était incertaine et requérait des développements importants... Ce manque de vision à moyen terme, cette instabilité de la réglementation sont impardonnables lorsque l'on fait appel à l'investissement privé pour faire émerger une filière : on ne joue pas avec cela. Combien d'entreprises se sont trouvées en difficulté, contraintes de licencier et se demandant comment sauver l'essentiel pour redémarrer ? Nous en avons tous vu se tourner vers nous, élus. Dans la production de panneaux, entre les mains des Chinois et des Allemands, on est en train de passer à la deuxième génération : cela nous mettait en situation d'ancrer une filière française.
Je ne vois rien, dans vos cinq propositions de conclusion, qui ait trait à la recherche et au développement. C'est là un manque cruel : il serait bon d'approfondir la réflexion sur les incitations qui pourraient être portées par l'Ademe, ou par l'Institut national de l'énergie solaire, sur un possible fléchage du crédit d'impôt recherche en faveur de la filière photovoltaïque et de la filière bois, son complément, pour l'énergie issue de la biomasse.
Il faut nous préparer à un débat public nécessaire, et rapidement. Car je ne suis pas persuadé, à la différence de certains, que l'échéance présidentielle soit le meilleur moment pour mener un tel débat.
Je ne partage pas l'avis de M. Belot. Personne ne conteste la nécessité de disposer d'une panoplie de ressources. Chacun de nous, à son échelon de responsabilité, essaie de mener une politique de diversification - éolien, photovoltaïque, biomasse - et cela dans des conditions de plus en plus difficiles : entre le dépôt du dossier par le maire et le permis de construire, il se passe sept ans minimum pour ouvrir un chantier d'éoliennes. Et ce n'est qu'un exemple.
Le choix nucléaire serait en train de reculer dans le monde ? Mais en dehors de l'Allemagne, où le sujet a toujours été très sensible, tous les autres pays vont continuer de commander des centrales - l'Italie, l'Afrique du Sud, les pays d'Europe centrale, la Norvège...
Il est vrai que les moteurs diesel destinés à suppléer une défaillance électrique pour assurer le refroidissement, qu'impose Areva, sont onéreux, mais il n'y a rien de pire que les centrales à bas coût. Les responsables de Tepco ont reconnu leur légèreté. Heureusement que les Français sont là pour les accompagner.
L'énergie demeurera, pour les quarante ans à venir, nucléaire. Il faut mettre le prix dans la sécurité. Cela suppose recherche, innovation, transparence, pour assurer ce que l'on doit aux pays émergents, qui en ont besoin.
- Présidence de M. Gérard César, vice-président -
Si ce rapport témoigne bien d'une chose, c'est de la mauvaise gestion liée à l'ouverture du marché à la concurrence. Les prix d'achat ont été fixés de telle sorte qu'ils n'ont pas permis à la filière photovoltaïque d'émerger. Le moratoire est un aveu d'incurie, la preuve que le gouvernement n'a rien vu venir. Pourtant, le développement du photovoltaïque n'est pas une idée née d'hier. Il y avait déjà des milliers de dossiers en 2009 : il était déjà clair que l'on allait au mur. La politique d'ouverture à la concurrence n'a fait que provoquer une bulle financière et s'est réduite à un effet d'aubaine. Elle a de surcroît importé une pollution que l'on ne sait pas comment traiter, et dont le coût n'est pas répercuté sur le prix d'achat de l'électricité. L'arrêt de Super Phénix est dans la même veine.
Alors que nous avons besoin, en France, d'une recherche en amont, portée par les producteurs, on a stoppé la recherche sur le photovoltaïque.
Les cinq points qui concluent le rapport ne tracent pas de voie d'avenir pour la filière. Il eût fallu émettre des préconisations, au-delà du rapport Charpin, pour construire une vraie filière fondée sur la recherche et le développement. Nous avons le potentiel, dans la région grenobloise, et ailleurs.
Le moratoire imposé par le décret du 9 décembre, outre qu'il est rétroactif, pose d'énormes problèmes économiques sur le terrain, aux opérateurs comme aux collectivités. Ce dossier a été mal géré : le prix d'achat est parti de trop haut, à plus de 60 centimes ; il a fallu le ramener à 52 puis à 42 centimes.
Aujourd'hui, la situation est dramatique pour la filière. Sancoins, dans le Cher, ville qui abrite le premier marché aux bestiaux international, compte 35 000 mètres carrés de toiture. Un projet a été déposé le 2 ou le 3 décembre. Il permettait de soutenir l'économie d'un territoire mis à mal par la crise de l'élevage en mettant en place un marché mieux valorisé. Le projet a été refusé en vertu du moratoire du 9 décembre. Il était couplé, de surcroît, à un projet lié à la filière élevage. Aujourd'hui, on nous dit qu'il faut lancer un appel d'offres, sur la base du nouveau tarif, à 12 centimes. Mais on sait bien qu'aucun opérateur n'est capable de le faire : il faut déjà un million et demi pour désamianter la toiture, et le syndicat doit encore financer le projet lié à la filière élevage. C'est ainsi que l'on saborde un projet d'intérêt général.
Il aurait été bon de faire preuve d'un peu de discernement. Une commission aurait dû être chargée d'étudier les projets à repêcher. Car à côté de projets purement spéculatifs, il en est d'intérêt général, portés par les collectivités.
Je rappelle que le document qui vous a été présenté n'est pas un rapport à part entière, fruit d'un travail de fond émaillé de nombreuses auditions, mais seulement le compte rendu d'une table ronde.
Le moratoire, nous pouvons tous en témoigner, a provoqué bien des remous dans les entreprises et les collectivités, choquées par la brutalité de la décision. J'ai donc suggéré au président Emorine d'organiser cette rencontre, pour montrer aux acteurs que le Parlement est à l'écoute et engager une réflexion sur la filière.
MM. Courteau, Boyer, Pointereau et Daunis ont déploré la brutalité de la décision. Notre production restait limitée à 200 MW. Pour rattraper nos voisins, qui sont à plusieurs milliers, au nord comme au sud, on a fixé des tarifs très attractifs, parmi les plus élevés d'Europe, mais sans fixer de quotas, si bien que tout le monde s'est rué : là a résidé l'erreur du gouvernement. Alors que l'objectif du Grenelle est de parvenir à 5 400 MW en dix ans, en un an, les projets déposés représentaient à eux seuls 6 400 MW ! Là est le problème. D'autant que ce sont les consommateurs qui payent les investissements, via la CSPE.
Un bémol à ce constat, cependant : les projets engagés et donc les dépenses réelles ne représentent que 1 000 MW par an. Seront assurés 3 100 MW, auxquels s'ajoutent les 500 MW par an sur lesquels s'est engagé le gouvernement.
Il est vrai qu'il eut été préférable de corriger plus tôt, ainsi que l'a fait remarquer Roland Courteau, que je remercie d'avoir précisé que la CSPE ne soutient pas que les énergies nouvelles, mais aussi d'autres dépenses, comme le tarif aménagé outre-mer ou celui de la Corse.
Sur la cible, la filière dit qu'avec 800 MW, on s'en sort, sans sacrifier l'emploi. J'ai tenté d'obtenir 800 MW du gouvernement. La date de revoyure, fixée à 2012, doit permettre de se rapprocher de cet objectif.
La protection des espaces agricoles est assurée : on n'a plus le droit d'y faire du photovoltaïque au sol, pour lequel les friches industrielles doivent être privilégiées.
Si je n'ai pas abordé la question de la recherche et du développement, qui seule assurera des projets durables, j'y consacre une partie de mon compte rendu, où je reprends ce qu'ont évoqué les intervenants : l'Ines fait un bon travail, ses subventions doivent être maintenues ; le problème majeur à résoudre, qui lèvera bien des difficultés, est celui du stockage de l'électricité. Nous avons vu en Savoie un centre, cofinancé par l'Ines et le CEA, qui fait un très intéressant travail : il permet aux véhicules de passer de 100 à 300 kilomètres d'autonomie.
Si le département de Jean Boyer n'est pas le plus ensoleillé de France, il n'est pas mal loti, comme il apparaît sur la carte annexée, où l'on voit aussi que c'est le sud-est qui bénéficie de l'ensoleillement maximum. Le syndicat des énergies renouvelables estime qu'il faudra seulement cinq ans aux projets d'installations dans ce dernier secteur pour atteindre le seuil de rentabilité, sans obligation de rachat.
Il est vrai, monsieur Boyer, qu'ERDF a tardé à valider les projets. Cela tient au coût du raccordement : il faut quelquefois plusieurs dizaines de milliers d'euros pour renforcer le réseau. Il est vrai, également, que les agriculteurs ne méritent pas que l'on soulève chez eux de faux espoirs.
Il est prévu, Elisabeth Lamure, de réserver les appels à manifestation d'intérêt aux projets français.
Je connais bien l'outre-mer, M. Magras. Y installer des centrales au fioul, comme celle que j'ai vue en Martinique, n'est pas idéal. Le photovoltaïque y est beaucoup plus intéressant. Mais il n'y a, là encore, qu'un seul interlocuteur, EDF. Au point que Bruxelles reproche à la France de reconstituer un monopole outre-mer...
Je ne partage pas le pessimisme de Claude Belot sur les énergies renouvelables. Nous irons bien au-delà de nos besoins. Les engagements du Grenelle ne portent pas seulement sur les 5 400 MW du photovoltaïque. Il y a également des objectifs beaucoup plus importants pour l'éolien, la biomasse, les biocarburants et le solaire thermique. Et nous marchons vers ces engagements, alors même que nous sommes capables d'assurer 80 % de nos besoins par le nucléaire.
Nous ne sommes pas dans le tout nucléaire, puisque les énergies renouvelables, y compris l'hydraulique, représentent aujourd'hui 13 %. Pour passer de 13 à 23 %, nous aurons besoin de l'éolien offshore mais aussi de la biomasse - le bois, mais aussi les déchets agricoles et ménagers, qui représentent autant de petits projets sur l'ensemble du territoire.
Quant à la mission commune de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST), dont nous sommes ici plusieurs membres, elle n'est nullement conduite dans l'optique du tout nucléaire, mais vise à travailler sur la sécurité des installations existantes. Il fallait que cela fût dit.
Les investissements, monsieur Fouché ? La Chine, qui ne représente que 1 % du marché mondial du photovoltaïque, fournit 25 % des panneaux utilisés dans le monde. Nos voisins, également, investissent beaucoup. L'Allemagne subventionne 50 000 MW, quand nous nous contentons de 5 400.
Oui, monsieur Braye, on a raté le coche sur l'éolien. Les entreprises qui comptent sont allemandes ou espagnoles. Il est vrai cependant que récemment, Areva a racheté une société espagnole et investi dans une société française.
En matière de recyclage, la question de la durée de vie des panneaux est cruciale. La qualité des panneaux chinois ne vaut pas celle des panneaux allemands de naguère. Il faudra instituer des labels pour écarter certains types d'investissements.
Le problème du raccordement ?
De fait, le décret du 4 mars retient un critère environnemental et un critère financier, mais qui ne prend pas en compte le coût du raccordement.
La recherche et développement, M. Daunis, est en effet cruciale. Les entreprises que nous avons entendues nous ont dit que les appels à manifestation d'intérêt ont suscité des espoirs, car le crédit impôt-recherche ne suffit pas pour certaines dépenses.
Entre le 2 et le 9 décembre, date de la publication du décret, M. Pointereau, monsieur Raoul, tout le monde savait que le moratoire allait tomber. C'est ainsi que plusieurs centaines de dossiers ont été déposés en une semaine, qui n'étaient pas tous techniquement mûrs.
C'est ainsi qu'au milieu de tout cela, quelques bons dossiers ont été noyés. C'est le cas de ceux qu'ont évoqué Rémy Pointereau et Jean Boyer, où un début d'investissement était engagé. Certains ont saisi le Conseil d'Etat. Pour ceux qui sont de bonne foi et ont dépensé de l'argent, le gouvernement n'est pas hostile à un petit rattrapage au cas par cas.
Un mot, pour finir, sur mon initiative. Une précédente table ronde, sur les compteurs intelligents, avait été fort appréciée. Au point que je reçois encore des acteurs sur le sujet. Mon idée était de montrer aux intéressés que le Parlement se soucie de leurs inquiétudes. Mais si cela doit susciter plus d'inconvénients que d'avantages, je n'entends pas m'acharner. J'avais songé, si le projet du gouvernement sur l'exploitation du gaz de schiste tardait à venir, à organiser un débat sur le sujet pour entendre les acteurs. Mais il faudrait alors savoir clairement où l'on veut aller.
Le projet de loi est inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale le 10 mai, priorité consentie qui nous laisse le temps de la réflexion.
Merci, monsieur Poniatowski, de votre initiative, qui fut bonne.
Puis, la commission examine le rapport de M. Ladislas Poniatowski et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 355 (2009-2010) présentée par M. Pierre Martin, visant à moderniser le droit de la chasse.
La proposition de loi de M. Pierre Martin, déposée le 15 mai 2010, fait suite à cinq textes de loi adoptés en dix ans sur la chasse ou comportant un volet la concernant. On pourra penser que cela fait beaucoup, mais il faut considérer que le monde de la chasse est tenu de s'adapter à une société en pleine et constante évolution. Cette proposition vise à combler des lacunes apparues dans la loi de 2008.
Le monde de la chasse est confronté à deux grands défis. La baisse constante du nombre des chasseurs, tout d'abord, divisé par deux en moins de trente ans, tandis que les dégâts causés par le gibier ne cessent de croître. La préservation et la bonne gestion de la biodiversité, ensuite, dont les chasseurs sont devenus des acteurs engagés.
La concertation sur ce texte, dont certains articles traitent de problèmes de fond, a été approfondie, notamment avec la Fédération nationale des chasseurs (FNC), l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et les associations communales de chasse agréées (ACCA). Tel n'est pas le cas de la proposition de loi déposée à l'Assemblée nationale selon un procédé bien indélicat, consistant à nous prendre de vitesse en inscrivant à son ordre du jour un texte qui reprend six de nos articles, et en ajoute dix rédigés sans aucune concertation avec les acteurs et qui suscite de ce fait, on le comprendra, la plus grande hostilité parmi eux.
J'en viens maintenant à la présentation de notre proposition de loi.
L'article premier vise à reconnaître aux fédérations départementales la compétence dont elles ont su se saisir en matière d'éducation au développement durable et de sensibilisation à la protection de l'environnement. Les chasseurs et les pêcheurs ont en effet signé des conventions avec le ministère de l'Education nationale afin de contribuer à la formation des jeunes qui suivent un cursus lié à l'entretien des espaces, à la faune et à la flore. A cet égard, un amendement déposé par François Patriat me pose problème : j'y reviendrai.
L'article 2 concerne les zones humides. L'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties dans les zones humides, destinée à favoriser leur préservation, ne bénéficiait pas en pratique à celles comportant des aménagements de chasse tels que les tonnes à gabions ou les huttes. Cet article propose d'y remédier en leur permettant d'en bénéficier.
L'article 3 a trait à la gestion de la biodiversité. On avait qualifié les chasseurs d'acteurs contribuant à la gestion des écosystèmes. La proposition de loi, conformément au code de l'environnement, les reconnaît comme « acteurs contribuant à la gestion équilibrée de la biodiversité ».
L'article 4 vise l'indemnisation des dégâts provoqués par le gros gibier dans les territoires non chassés, qui représentent environ six cents à mille terrains, où les sangliers se réfugient, et de là, causent des dégâts dans les cultures avoisinantes pour se nourrir. Or, ce sont les chasseurs qui doivent payer. Cela est injuste : ils ne sont pas responsables. Dans les territoires chassés, ils assurent une régulation et les dégâts sont limités. L'article prévoit donc que le préfet pourra, sur proposition des fédérations des chasseurs, imposer un plan de tir dans les territoires non chassés, sous peine, pour les propriétaires, que ce soit l'Etat, les collectivités ou les particuliers, d'avoir à s'acquitter d'une indemnité financière.
Ce dispositif viendra s'ajouter au système déjà existant des battues administratives. En outre, il semble que le gouvernement n'y soit pas hostile.
Les articles 5 et 6 sont relatifs aux associations de chasse communale agréées, les ACCA, qui sont confrontées à un double problème. Le premier concerne certaines zones rurales, comme les territoires de montagne par exemple, où les chasseurs sont de moins en moins nombreux, si bien que certaines ACCA souhaiteraient pouvoir fusionner. Elles ne le peuvent pas aujourd'hui : l'article 5 vise à les y autoriser. Le deuxième problème est relatif au droit de chasse dont jouissent les membres d'une ACCA. On sait qu'en dessous d'un certain seuil - 20, 40 ou 60 hectares selon les départements - il faut apporter son terrain à l'ACCA pour avoir le droit de chasser. Mais si ce terrain est vendu, le droit de chasser n'est pas transféré au nouveau propriétaire. Le texte propose que chaque ACCA puisse fixer, dans son règlement les modalités d'adhésion du nouveau propriétaire d'un terrain soumis à l'action de l'association. Dans leur assemblée générale de décembre 2008, les ACCA ont validé une proposition articulée qui prévoit que l'acquéreur d'un terrain soumis à l'action d'une ACCA d'une superficie supérieure à 10% du seuil d'opposition en vigueur dans le département devient automatiquement membre de droit de l'ACCA. Cela règle du même coup un problème connexe. Pour peu que l'acquéreur achète l'intégralité du terrain, le propriétaire devient membre de droit. Il s'agit d'éviter également l'écueil bien connu des achats de complaisance de « micro-parcelles » : on a vu par exemple des groupes de trente personnes acheter deux hectares pour jouir d'un droit de chasse sur les 2 000 hectares de l'ACCA. C'est ce nouveau schéma que je vous proposerai d'adopter.
L'article 7 remédie à une inadaptation pratique de la loi de 2008, qui prévoyait, pour inciter les jeunes à pratiquer la chasse, que tout nouveau chasseur verrait sa première redevance cynégétique réduite de moitié. Or, le code de l'environnement est rédigé de telle façon que si l'on passe son permis de chasse en août par exemple, il est trop tard pour bénéficier de la mesure lors de la campagne cynégétique en cours.
Je vous proposerai ensuite, avec l'accord de Pierre Martin, de supprimer l'article 8, qui prévoit un rapport sur les modalités d'un éventuel suivi des actes d'obstruction à la chasse par l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, devenu inutile depuis que le gouvernement a publié le décret relatif au délit d'entrave à la chasse.
Pour avoir travaillé pendant un an sur la loi chasse de 2000, pour en avoir connu les difficultés, les grandeurs et vicissitudes et les déceptions, je reste persuadé que cette loi constitue une référence : elle a permis de légaliser la chasse en France, elle a offert aux fédérations des avancées certaines et elle a pérennisé la chasse de nuit.
Mais la chasse mérite-t-elle autant d'attention avec une loi par an ? Est-il vraiment raisonnable que deux propositions de lois soient examinées en parallèle par les deux assemblées ? Dans le contexte économique et social français actuel, la chasse mérite-t-elle tant de préoccupation ? Certes, les états généraux de la chasse appellent une traduction législative, mais était-il urgent de légiférer ?
Ces deux textes vont se télescoper et risquent de se contredire : le texte de Jérome Bignon n'a été ni préparé, ni concerté, et il suscite l'hostilité des chasseurs et des défenseurs de la nature. Le Sénat doit voter le texte de notre collègue Pierre Martin, car il a l'avantage d'être sérieux et de répondre à des problèmes importants.
Cette proposition de loi prévoit des simplifications et aborde, par le biais de plans de chasse dans les territoires non chassés aujourd'hui, mais surpeuplés, les problèmes posés par les dégâts occasionnés par le gibier et les accidents de la circulation. Ce dernier point mérite d'être souligné : les dégâts matériels et parfois humains sont très importants. Certes, les carrossiers ont été sauvés, mais on ne saurait s'en féliciter.
Concernant les zones humides, si les chasseurs doivent être incités à préserver la biodiversité au sein de ces zones, il ne faut pas non plus perdre de vue que certaines installations de chasse sont louées à des prix très élevés.
Nous sommes tous d'accord pour supprimer l'article 8. Pour le reste, nous voterons ce texte qui va dans le bon sens, mais il ne faut pas aller trop loin car les opposants à la chasse sont déjà montés au créneau.
Nous sommes dans une situation relativement apaisée : moins on parle de la chasse, mieux cela vaut.
Comme l'a dit notre rapporteur, ce qui est inquiétant, c'est la baisse du nombre des chasseurs. Il ne faut pas se contenter de la petite mesure en faveur des jeunes chasseurs qui ne payeront qu'une demi-redevance la première année. Nous devrons aller bien plus loin si nous voulons, demain, avoir encore des chasseurs. Il faut également s'interroger pour savoir comment gérer les dégâts et les nuisibles.
Je suis plutôt satisfait que l'on supprime l'article 8 car la presse n'aurait parlé que de cela. Je ne suis en revanche pas très favorable à l'amendement relatif à la chasse avec des lévriers qui risque de raviver les passions : il ne faut pas mettre de l'huile sur le feu.
Nous voterons ce texte.
En ce qui concerne les zones humides, je veux attirer l'attention de la commission sur le fait que l'extension des niches fiscales n'est pas très exactement dans l'air du temps. Le groupe d'études sur la chasse et la commission auraient intérêt à réfléchir à la future disparition de cette niche : comment pourrons-nous la compenser ?
Dans le cadre de l'achèvement de la réforme constitutionnelle sur les lois de finances et de financement, il est prévu que des mesures de cette nature ne pourront plus faire partie d'une loi ordinaire mais devront être examinées dans le cadre des lois financières. Il est encore temps de voter la disposition que vous nous proposez, puisque la loi organique ne s'applique pas encore mais il faudra être vigilant.
Enfin, on dit que les sangliers vont se réfugier dans les zones de non-chasse. Mais pas seulement. Dans ma commune, un agriculteur a changé son assolement et il cultive désormais 120 à 150 hectares de maïs. Les sangliers arrivent en nombre : il y en a 30 à 40 chaque année ! Les agriculteurs peuvent, par leurs pratiques, attirer des populations qui n'existaient pas auparavant.
Certes, la chasse doit s'adapter à un monde qui bouge, mais faut-il pour autant un texte tous les six mois ?
En tant que président de communauté d'agglomération, je dois payer systématiquement pour les dégâts provoqués par le gibier, notamment les lapins et les sangliers, sous prétexte qu'on ne chasse pas dans nos forêts puisqu'elles sont ouvertes au public.
Dans le Nord, mon département rachète, grâce à la taxe départementale des espaces naturels sensibles (TDENS), diverses zones humides qui sont des lieux très importants pour la biodiversité et pour le maintien de la qualité des nappes phréatiques, mais nous sommes souvent en conflit très vif avec les propriétaires de huttes qui se sont installés plus ou moins légalement. Si on exonère de la taxe foncière certaines zones humides qui ne l'étaient pas, on va accentuer les conflits dans ces territoires. Je vous mets donc en garde.
Je suis d'accord avec vous : il y a un peu trop de textes sur la chasse.
En ce qui concerne les zones humides, je ne touche pas à l'assiette. La modification apportée va dans le sens que vous attendez : il n'y avait pas de raison que l'on mette à part les zones humides dans lesquelles il y avait des équipements de chasse. D'ailleurs, c'est un rapport de notre collègue M. Joël Bourdin sur les zones humides qui a soulevé le problème : si on veut les protéger, ces zones devraient toutes pouvoir bénéficier d'une exonération de 50% de la taxe foncière. En contrepartie, un engagement de gestion doit être pris afin que cette zone reste humide.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 1er
Je demande le retrait de l'amendement n°1 car il n'apporte rien en pratique. François Patriat souhaite qu'avant qu'une fédération puisse entreprendre des actions auprès des lycées agricoles ou des actions de formation ou d'information en matière de chasse, elle dispose d'un agrément. Or toutes les fédérations de chasse de France ont aujourd'hui obtenu l'agrément en tant qu'associations de préservation de l'environnement, au grand déplaisir des associations écologistes. Celles-ci ont donc lancé une première offensive-test contre la fédération de la Manche. Un premier jugement leur a donné raison mais un nouveau jugement, récemment, leur a finalement donné tort. Il ne faut surtout pas donner une arme à ceux qui veulent affaiblir les fédérations de chasse en leur interdisant de mener ces actions.
Il faudrait retirer l'amendement n°2 qui est satisfait par le droit en vigueur mais il faudrait déposer un amendement identique pour viser les fédérations régionales qui ne sont pas couvertes par le dispositif.
Je retire cet amendement, mais je laisse le rapporteur déposer l'amendement qu'il appelle de ses voeux.
Je dépose donc l'amendement n°17, qui étend la reconnaissance de la mission d'éducation au développement durable aux fédérations régionales des chasseurs.
L'amendement n 2 est retiré.
L'amendement n°17 est adopté.
L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission sur l'article 1er est retracé dans le tableau suivant :
Article 2
L'amendement n° 12 que je vous soumets réécrit l'article sur les zones humides : la taxe foncière sur les propriétés non bâties est réduite de 50 % sous réserve que ces terrains figurent sur une liste dressée par le maire sur proposition de la commission communale et qu'un engagement de gestion soit souscrit par les propriétaires. Je propose de préciser que cet engagement de gestion de l'avifaune n'exclue pas la pratique de la chasse.
A-t-on une idée de la superficie de ces zones humides ? Il faudrait interroger le ministère de l'environnement, ce qui permettrait d'avoir une idée du montant du gage.
J'ai voulu savoir ce que cela représentait au niveau national, mais je n'y suis pas parvenu : en tout état de cause, il ne s'agit que d'un montant limité.
L'amendement n° 12 est adopté.
Les amendements n° 3 et n° 4, satisfaits, son retirés.
L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission sur l'article 2 est retracé dans le tableau suivant :
L'article 3 est adopté sans modification.
Article 4
Je vous présente un amendement n°13 : la notion de plan de tir n'existant pas, je lui substitue celle de « prélèvement d'un nombre déterminé d'animaux » qui est acceptée par le Gouvernement puisqu'elle est utilisée dans la réglementation française en matière de battues administratives.
L'amendement n° 13 est adopté.
Je suggère à notre collègue Rémy Pointereau le retrait de l'amendement n°8 : l'État est bien évidemment compris. Tous les propriétaires de zones non chassées, sans exception, sont concernés, qu'il s'agisse de l'État, d'une collectivité territoriale ou d'un particulier.
En 2008, lorsque cet amendement avait été examiné, le Gouvernement nous avait demandé de le retirer pour lui donner le temps de discuter avec les ministères de la défense, de l'environnement et de l'agriculture qui étaient tous trois propriétaires. Aujourd'hui, le Gouvernement n'est pas hostile à cet article qui concerne tous les propriétaires, quels qu'ils soient.
Cela va mieux en le disant mais je le retire.
L'amendement n° 8 est retiré.
Est-il prévu de renvoyer à un décret d'application ? A quel moment les battues administratives vont-elles être décidées ? On sait pour le petit gibier se donner des contraintes avant d'accorder des autorisations de prélèvements, notamment en procédant à des comptages au printemps puis après reproduction pour apprécier les populations. Ces propriétaires vont-ils devoir procéder à des recensements de ces populations afin qu'on puisse procéder à des prélèvements avant que les dégâts ne soient trop importants ?
Pour qu'un prélèvement soit organisé, il aura fallu au préalable qu'une fédération de chasse ait saisi le préfet : elle le fera lorsqu'elle en aura assez d'indemniser les dégâts se produisant près des zones non chassées. Quand la fédération viendra trouver les services préfectoraux, elle présentera son bilan financier. Il ne s'agit donc pas d'un décompte préalable, mais d'un constat de dégâts.
J'en arrive à l'amendement n°9 : les « notamment » et les « suffisamment » doivent être éliminés. Avis défavorable.
Face à des dégâts de gibier, on va attribuer un plan de tir à certains propriétaires, mais seront-ils effectués de façon sérieuse ?
Il y a les dégâts de gibiers, mais il faut aussi prendre en compte les accidents de la circulation provoqués par les animaux qui, d'année en année, ne cessent d'augmenter. Aujourd'hui, les franchises pour les véhicules s'élèvent à 500 euros, ce qui n'est pas rien. Il faut donc que les propriétaires effectuent des prélèvements suffisants.
Cet article ne va pas régler tous les problèmes. Si les choses ont beaucoup changé depuis un an et demi, c'est grâce aux assureurs ! Ce lobby a su se faire entendre car il en avait assez de payer pour les dégâts occasionnés aux véhicules à proximité des territoires non chassés. A la suite de l'intervention des assureurs, il y eu la fameuse lettre qui a été adressée à tous les préfets pour leur demander d'organiser des battues administratives, même en début de saison, afin de diminuer la densité du gros gibier.
On ne règle ici que le problème de la facture acquittée par les fédérations de chasse. Le point important, c'est le second alinéa qui prévoit une responsabilité financière. Celui qui persiste à ne rien faire sera pénalisé.
Je maintiens mon amendement pour que nous ayons une discussion sur ce point en séance publique.
L'amendement n° 9 est rejeté.
L'article 4 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission
Le sort des amendements examinés par la commission sur l'article 4 est retracé dans le tableau suivant :
L'article 5 est adopté est adopté sans modification.
Article 6
L'amendement n°14 que je vous propose tient compte de la proposition des ACCA qui souhaitent fixer une limite de 10 % du seuil d'opposition en vigueur dans le département : tout nouveau propriétaire qui achète un terrain représentant au moins 10% du seuil d'opposition en vigueur pour le département pourra chasser de droit dans l'ACCA.
L'amendement n° 14 est adopté.
L'amendement n° 5, satisfait, est retiré ainsi que l'amendement n°6.
L'article 6 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission sur l'article 6 est retracé dans le tableau suivant :
Article 7
La situation est vraiment délicate : si je défends le texte de Pierre Martin et si je suis hostile à celui de Jérôme Bignon, c'est parce que ce dernier n'a procédé à aucune concertation alors que notre collègue a auditionné tout le monde. Or, la fédération nationale aurait bien aimé être consultée sur le point soulevé par cet amendement : en l'état, elle n'y est pas favorable.
J'ai consulté la fédération des chasseurs de mon département et elle ne m'a pas semblé hostile à cette proposition. Il y a de moins en moins de chasseurs en France et si on n'incite pas les jeunes à chasser, cette activité est condamnée à disparaître, notamment en raison de son coût.
Même si je reconnais que l'idée est séduisante, on ne peut pas présenter une mesure qui n'a pas été préparée en amont : administrativement, elle serait très lourde à mettre en place par les fédérations. En outre, nous devons disposer d'une estimation de son coût.
En France, une fois que l'on a son permis, il y a la fameuse possibilité des trois ou neuf jours consécutifs de chasse, mais les règles administratives sont précises et le coût n'est pas nul. Quelle que soit la proposition, il faut procéder à une simulation.
Le rapporteur est donc défavorable à cet amendement, que je mets aux voix.
L'amendement n° 10 est adopté.
L'article 7 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission sur l'article 7 est retracé dans le tableau suivant :
Article additionnel après l'article 7
J'aurais aimé que Gérard Cornu soit là pour qu'il modifie son amendement n°11. Il y a quelques années, Alain Vasselle avait défendu en séance la chasse avec des lévriers qui était pratiquée, disait-il, en Espagne et aux États-Unis. Une telle chasse n'est pas très éloignée de la vénerie à pied. Il y a d'ailleurs de plus en plus d'équipages de lièvres.
Dans ce cas précis, il s'agit d'une pratique bien particulière et nos terrains s'y prêtent peut être moins qu'en Espagne. Il aurait peut-être fallu soumettre ce droit de chasser au respect du schéma départemental de gestion cynégétique.
Il faudrait qu'on rejette cet amendement pour que Gérard Cornu dépose un amendement rectifié en séance.
L'amendement n° 11 est rejeté.
Article 8
Mon amendement n° 15, identique à l'amendement n° 7 de François Patriat, supprime l'article 8. Le délit d'entrave à la chasse existe désormais puisque le décret a été publié le 4 juin 2010. Notre collègue Pierre Martin avait proposé cet article car le décret tardait à sortir mais aujourd'hui il est inutile.
Les amendements identiques n°s 15 et 7 sont adoptés et l'article 8 est supprimé.
Le sort des amendements examinés par la commission sur l'article 8 est retracé dans le tableau suivant :
Article additionnel après l'article 8
Mon amendement n° 16 permet de corriger un oubli de la loi de 2008 dans laquelle il était précisé que les fédérations départementales des chasseurs et la fédération nationale pouvaient être éligibles à l'agrément. Il faut prévoir que les fédérations régionales et interdépartementales puissent l'être également.
L'amendement n° 16 est adopté et l'article additionnel est ainsi rédigé.
Je ne sais pas si notre rapporteur a évolué dans sa réflexion sur un amendement que j'avais déposé en son temps sur les clôtures des territoires de chasse. Nous en arrivons en effet à des situations insupportables en Sologne, où les territoires libres se retrouvent de fait enclavés : des superficies de 1 000 hectares, et parfois bien plus petites, sont clôturées si bien que la libre circulation des animaux est entravée. On se trouve en présence de parcs de tir d'animaux. J'ai vu des territoires de 250 hectares avec une harde de 50 cervidés, des sangliers en masse et une végétation dévastée. Il s'agit d'une gestion déplorable qui, de surcroit, est très mauvaise pour l'image des chasseurs. Il serait temps d'avoir une réflexion sur le sujet. Ladislas Poniatowski m'avait dit que le sujet n'était pas mûr. L'est-il aujourd'hui ?
C'est en partie dénaturer la forêt mais si l'on intervient, on ouvre une guerre non seulement en Sologne mais dans une bonne partie de la France. Il ne serait pas bon que le Sénat soit à l'origine d'un tel affrontement.
La proposition de loi est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.