Intervention de Ladislas Poniatowski

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 13 avril 2011 : 1ère réunion
Filière photovoltaïque — Présentation du rapport d'information

Photo de Ladislas PoniatowskiLadislas Poniatowski, rapporteur :

Le 9 décembre dernier, le Gouvernement a déclaré un moratoire de trois mois sur la conclusion de contrats d'achat de l'électricité produite par les installations photovoltaïques. Cette décision a suscité bien des inquiétudes. La table ronde du 9 mars tombait à pic, puisque c'était le jour même de l'expiration du moratoire et quelques jours après la publication des nouveaux arrêtés. Elle a réuni, autour du directeur de l'énergie, des représentants des organisations professionnelles - le Syndicat des énergies renouvelables, Enerplan et la Fédération française du bâtiment -, le directeur du Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles (Liten) et des représentants de deux entreprises importantes du secteur. Le message que nous voulions faire passer a été entendu : le Sénat est à l'écoute des professionnels du secteur, et il veut voir plus loin que cette nouvelle réglementation, imaginer l'avenir de la filière.

L'Union européenne demande à la France de porter la part des énergies renouvelables à 23 % de sa consommation d'énergie finale brute en 2020, sans préciser quelles doivent être les parts respectives de la biomasse, de la géothermie, de l'éolien, du photovoltaïque et de l'hydraulique. Les 27 pays européens se sont vu assigner des objectifs tenant compte de leur situation initiale.

C'est le Grenelle de l'environnement qui a précisé la part de chaque source d'énergie dans le mix énergétique. Pour le photovoltaïque, un double objectif a été fixé : 1 100 mégawatts-crête d'installations photovoltaïques en 2012 ; 5 400 mégawatts-crête en 2020. Des tarifs assez avantageux ont été mis en place pour rattraper notre retard sur l'Allemagne et l'Espagne.

Mais on a assisté à un emballement. La puissance installée fin 2010 était déjà de 973 MW, dont 90 % en métropole et 10 % outre-mer. Cette croissance ne donne qu'une faible idée des projets en cours de développement à la fin de l'année 2010, qui représentaient une puissance totale de 6 400 MW. L'objectif de 2020 - 5400 MW - était déjà dépassé !

L'électricité photovoltaïque a des coûts de production particulièrement élevés. Ce n'est qu'en 2020 qu'on atteindra peut-être en France la « parité réseau », c'est-à-dire le moment où cette électricité sera rentable sans soutien public. La France n'est pas le sud de l'Italie, où les projets s'autofinancent grâce à un ensoleillement plus fort ; elle ne peut compter que sur des innovations technologiques.

En outre, le raccordement de l'électricité photovoltaïque peut dans certains cas perturber le réseau de distribution : l'architecture des réseaux et leur dimensionnement, en France, n'ont pas été prévus pour intégrer des installations de production d'électricité au niveau local, mais pour couvrir tout le territoire. On projette par exemple de construire un grand champ de panneaux photovoltaïques dans les Landes ; la première tranche représente à elle seule 150 MGW, dans un département où l'on consomme peu d'électricité. ERDF devra consentir un investissement important pour raccorder le site au réseau !

Le soutien public, par le biais d'un tarif d'achat avantageux, est-il justifié ? Oui bien sûr, si l'on tient compte des avantages environnementaux du photovoltaïque et des investissements nécessaires pour faire progresser cette technologie encore jeune. Mais ce soutien a un coût, et c'est le consommateur qui paie via la contribution au service public de l'électricité (CSPE) : 30 % de son produit est affecté à l'achat d'électricité provenant des énergies renouvelables. Il faudra un jour discuter de l'augmentation récurrente de la CSPE : c'est un baudet que l'on charge sans trop y regarder ! Un parc photovoltaïque de 1 mégawatt (MW) représente une charge de 560 millions d'euros chaque année sur la facture des consommateurs, pendant une durée de 20 ans...

La décision du Gouvernement était donc indispensable. Mais alors que MM. Charpin et Trink, à qui a été confiée une mission de concertation, disent avoir procédé à de nombreuses auditions, les professionnels ont le sentiment de ne pas avoir été entendus. Selon eux, 25 000 emplois sont menacés. Mais je rappelle que l'installation de panneaux occupe à elle seule 20 000 personnes, quand le reste de la filière - création et production - en emploie moins de 5000.

Les arrêtés du 4 mars définissent une cible de 500 MW par an pour les nouveaux projets. Beaucoup de professionnels disent qu'il en faudrait 800 pour que la filière survive ; nous pourrons éventuellement rectifier le tir lors de la revoyure, en 2012. S'agissant des petites toitures - dont certaines n'étaient pas concernées par le moratoire -, la trajectoire prévue est de 100 MW pour les toitures résidentielles et de 100 MW pour les non résidentielles. Le tarif d'achat baisse d'ores et déjà de 20 %. Pour ce qui est des centrales au sol et des grandes toitures de plus de 100 kW, le tarif d'achat est remplacé par des appels d'offres, avec un objectif de 140 MW pour les grandes toitures et de 160 MW pour les centrales au sol. Ces appels d'offres seront simplifiés pour les installations de moins de 250 kW. Enfin une garantie bancaire sera exigée pour les installations de plus de 9 kW, afin d'éliminer les projets purement spéculatifs déposés par des bureaux d'études.

Quel fut le sort réservé aux dossiers en attente lors de l'annonce du moratoire ? Sur 6 400 MW, 3 250 ont été suspendus : il s'agit des projets les plus récents, qui pourront être redéposés dans le nouveau cadre réglementaire. Restent 3 150 MW qui bénéficieront de l'ancien tarif, à supposer qu'ils soient installés avant 18 mois ; ils s'ajouteront aux 500 MW annuels. Pendant une semaine, avant le moratoire, des projets ont été déposés sans qu'ERDF réponde ; ceux-là font l'objet d'un contentieux porté devant le Conseil d'Etat.

Y a-t-il place en France pour une filière photovoltaïque ? Nous avons manqué le train de l'éolien, pouvons-nous gagner ce nouveau pari ? Le premier problème est d'abord technologique. Le silicium domine actuellement le marché, mais la technique des couches minces se développe rapidement ; quelques entreprises exploitent d'autres technologies qui en sont encore largement au stade de la recherche-développement. Entre ces techniques, le choix n'est pas simple, mais nous appartient-il ? Parmi les panneaux solaires installés dans le monde, 36 % le sont en Allemagne, 26 % en Espagne, 15 % au Japon, 8 % aux Etats-Unis, 1 % seulement en France. Avons-nous les moyens de développer une filière industrielle ? La Chine, de son côté, réussit l'exploit de fabriquer 25 % des panneaux alors que 1 % seulement sont installés dans ce pays. La Norvège s'en sort bien, avec deux ou trois entreprises dynamiques.

J'évoquerai rapidement cinq pistes pour développer la filière française. Tout d'abord, il nous faut des champions industriels, et à cet égard je me félicite du rachat par EDF de la totalité du capital de sa filiale EDF-Énergies nouvelles : espérons que l'entreprise adoptera une politique non plus exclusivement commerciale, mais industrielle.

La réglementation doit être stable afin d'offrir de la visibilité, non seulement aux industriels et aux installateurs, mais aussi au monde financier, car un projet photovoltaïque demande un gros investissement initial, qui se rapproche de 1 million d'euros pour les toitures industrielles et agricoles.

La constitution d'un marché national peut aider au lancement d'une filière. Mais pour cela il faut rassurer, et dire que nous continuerons à subventionner ce type d'électricité.

La notion d' «intégré au bâti » est une spécificité française, sur laquelle il faut s'appuyer. Les panneaux intégrés à la toiture au lieu d'être surimposés bénéficient d'un tarif d'achat de l'électricité nettement plus avantageux ; leur installation est plus complexe et plus coûteuse, mais cette technique est plus satisfaisante au plan architectural et esthétique.

Afin de nous protéger de la concurrence venue de Chine ou d'ailleurs, nous pourrions aussi recourir aux certifications et aux labels, pour les installateurs comme pour les produits. Mais cela ne suffira pas.

Autour la table ronde, nous avons rencontré des gens amers, mais malgré tout optimistes, parce qu'ils connaissent les atouts de notre pays. Accompagnons-les dans leurs efforts de recherche-développement et encourageons la constitution de champions industriels français, afin de développer la filière française en amont comme en aval. Nous avons eu le 9 mars un débat d'une grande qualité, et les professionnels ont apprécié que les sénateurs soient attentifs à leurs préoccupations.

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