Intervention de Nicole Bricq

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 juin 2011 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire de la fonction immobilière de l'etat en europe — Communication

Photo de Nicole BricqNicole Bricq, rapporteure spéciale :

À cet effet, il convient de fiabiliser les données collectées. L'administration centrale de France Domaine, de fait, s'y emploie : le service a renforcé, en 2009, ses procédures de contrôle interne, en mettant en place une cellule, constituée de trois personnes, chargée de vérifier la qualité et la cohérence des informations saisies dans CHORUS RE-FX. Entre 2006 et fin 2010, suivant l'estimation de France Domaine, 90 % des immeubles du parc de l'Etat ont ainsi fait l'objet d'un contrôle de fiabilité des données.

Néanmoins, la Cour des comptes, dans son rapport de certification des comptes de l'Etat pour 2010, n'a pas levé la réserve substantielle, qu'elle formule chaque année, sur la valorisation de ce patrimoine dans le bilan de l'Etat. En effet, elle estime que les informations qui servent de base au calcul devraient être intégralement fiables, sans compter les difficultés inhérentes au système CHORUS lui-même.

En vue d'une fiabilisation complète, un marché d'assistance a été lancé par France Domaine ; il vient d'être attribué à la société Thalès. Celle-ci, d'ici à mai 2012, devra avoir analysé la situation, identifié les anomalies et déterminé une stratégie, puis suivre les corrections apportées.

Le second enjeu de l'amélioration de la connaissance du parc immobilier de l'Etat tient aux outils de suivi en la matière.

En ce qui concerne les propriétés de l'Etat, les indicateurs de la performance immobilière existants gagneraient à être étoffés, et mis en situation d'une actualisation permanente, sur le modèle des gestionnaires privés. Un instrument comme OCAPI, lorsqu'il sera parvenu à maturité, pourra sans doute y contribuer. En outre, la campagne d'audits lancée, en 2009, sur le patrimoine immobilier de l'Etat - visant les besoins d'entretien et la consommation énergétique notamment - se trouve encore en cours de réalisation ; ce n'est qu'à son achèvement, qu'on peut espérer d'ici la fin de cette année, que le Gouvernement devrait se trouver en état de présenter au Parlement la récapitulation, pour chaque ministère, de la surface utile nette, des ratios d'occupation par poste de travail et du coût global d'occupation des bâtiments - en annexe à chaque projet de loi de règlement, par exemple, comme je l'avais proposé à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2011.

En ce qui concerne les baux supportés par l'Etat, je rappelle que l'une des préconisations majeures de mon rapport d'information précité sur « l'Etat locataire », en 2009, tenait à la constitution d'un « tableau de bord », pour rendre possible le pilotage par France Domaine. Cette préconisation a été suivie d'effets : après une première expérimentation en 2010, aujourd'hui chaque chef-lieu de région fait l'objet d'un tableau recensant les baux que l'Etat y a souscrit, et qui en fait apparaître les caractéristiques - durée du contrat, montant du loyer et des charges -, ce qui permet aux services locaux du domaine d'en assurer la gestion, en appui aux administrations locataires. Néanmoins, ce n'est pas encore un « tableau général des locations de l'Etat », exhaustif ; le travail est donc à poursuivre.

J'observe que le ministère de l'économie et des finances espagnol, pour sa part, s'est engagé dans la réalisation d'un inventaire « en temps réel » des baux assumés par l'Etat, de manière à en mesurer le coût global. Par ailleurs, la règle italienne, que j'ai mentionnée, interdisant aux ministères de recourir directement aux locations, que seul peut souscrire l'agence du domaine, donne à réfléchir... Certes, pour ce qui concerne notre pays, les baux ne peuvent être conclus qu'avec l'accord de France Domaine, qui doit viser les contrats ; et les loyers que peut supporter l'Etat, comme que je l'ai dit, sont désormais plafonnés. Mais peut-être y a-t-il là une piste à prospecter, en vue de renforcer la maîtrise de l'Etat sur son parc immobilier ?

J'en viens aux progrès d'affirmation que pourrait encore réaliser, parallèlement aux améliorations visant les outils de sa gestion, l'entité « Etat propriétaire ». Sur ce plan, deux directions devraient, selon moi, être suivies.

En premier lieu, il s'agit de conforter l'autorité - et, pour ce faire, la dimension « unique » - de « l'Etat propriétaire ».

Il conviendrait d'abord de mettre le service France Domaine à même d'achever sa montée en puissance.

D'une part, la professionnalisation des agents de France Domaine doit être poursuivie.

Certes, l'effort, en la matière, est constant : l'administration centrale se tient informée de l'état du marché immobilier et des méthodes des professionnels du secteur privé ; elle a recruté des agents contractuels issus de ce secteur ; elle nourrit des échanges importants avec son réseau déconcentré et, notamment, organise des formations... Néanmoins, les conditions de la cession de l'hippodrome de Compiègne, telles que nous avons longuement analysées, ici, en février dernier, ont bien montré que les évaluations de France Domaine peuvent prêter à la critique, et que le savoir-faire du service n'est sans doute pas optimal.

L'une des voies du progrès paraît s'offrir dans le recours, aussi souvent que nécessaire, à des expertises et des compétences du secteur privé, comme France Domaine en a toujours la faculté. C'est ce qui a été fait, par exemple, afin de concourir à renégocier, entre la fin 2009 et le début 2010, les locations supportées par l'Etat à Paris et en Île-de-France : un marché avait été attribué à cet effet, en cinq lots, à cinq prestataires différents ; à l'issue du processus, toutes opérations de renégociations confondues, le ministère du budget, fin 2010, a mis en avant une économie globale de 36,5 millions d'euros par an. De même, pour étayer les plus complexes de ses évaluations, France Domaine a tout intérêt à solliciter des expertises ou contre-expertises privées.

Par ailleurs, à l'initiative de l'Italie, il existe depuis quelques années un réseau ? essentiellement présent sur Internet, « PuREnet », qui associe quelques grandes administrations gestionnaires d'immobilier public en Europe, ou leur autorité de tutelle, parmi lesquels France Domaine. Le site Internet offre une somme d'informations encore embryonnaire, mais une plateforme de rencontres « physiques », sous la forme de journées d'études, a été créée ; ce réseau se veut expressément un « laboratoire d'idées » pour ses membres. On ne peut donc qu'encourager France Domaine à se rapprocher davantage, par ce canal, de ses homologues européens, afin d'échanger les bonnes pratiques pouvant contribuer à accroître son efficacité.

D'autre part, et plus largement, c'est l'autorité du service qui doit se trouver affermie.

Bien sûr, cette autorité a été peu à peu consolidée, depuis la réforme de 2007, en particulier envers les structures de chaque ministère dédiées à l'immobilier. La mise en place des conventions d'utilisation que j'ai évoquées contribuera grandement, d'ici à 2013, à achever de consacrer France Domaine comme « l'incarnation » de « l'Etat propriétaire », pour l'ensemble des ministères. Au demeurant, si l'on en juge à partir de dossiers comme celui du relogement des services centraux du ministère de la justice, c'est très largement une affaire de mentalités.

D'aucuns, pour accélérer ce mouvement, ont préconisé la transformation de France Domaine en agence autonome, un établissement public bâti sur le modèle d'une société foncière - en somme, une externalisation, à l'exemple de ce qu'ont réalisé l'Italie ou l'Allemagne. La position extérieure du service, par rapport au reste de l'administration d'Etat, lui permettrait de mieux asseoir son autorité. Mais je dois dire que je ne partage pas cette analyse, car France Domaine, en se trouvant rattaché au ministère du budget, dispose, de fait, d'un poids potentiel qu'aucune autre structure ne pourra atteindre dans l'organisation administrative et, en étant intégré à la DGFiP, fait partie d'un réseau territorial qui reste dense et qu'il serait impossible d'offrir à une entité nouvellement constituée. Encore faut-il que le service sache en tirer profit.

Toutefois, une aporie de l'organisation actuelle tient peut-être à la compétence qui a été reconnue aux préfets pour représenter « l'Etat propriétaire » au plan local. Sans doute aurait-il été plus expédient, souvent, de confier ce rôle aux directeurs régionaux et départementaux des finances publiques, car les préfets, d'après les renseignements dont je dispose, n'ont pas toujours dans leurs priorités l'optimisation du parc immobilier de l'Etat... Mais il est vrai que cette gestion exige un pilotage interministériel, que les préfets - supposés représenter l'Etat dans les départements, et non seulement le ministère de l'intérieur - se trouvent les mieux placés, localement, pour exercer. Ce rôle, aujourd'hui, est particulièrement sensible dans le cadre de la réforme territoriale de l'Etat (« RéATE »), destinée à rationaliser l'implantation des services déconcentrés par la mise en place de directions régionales et départementales interministérielles.

L'affirmation de l'autorité de « l'Etat propriétaire », ensuite, suppose d'épargner à ce dernier la concurrence de ministères qui, peu ou prou, se trouvent encore entretenus dans leurs anciens réflexes de « quasi-propriétaires », du fait d'un intéressement aux cessions immobilières dont ils ont l'initiative.

La suppression de ce « droit de retour » des ministères sur les recettes patrimoniales de l'Etat constitue déjà un vieux « cheval de bataille » ! Selon moi, l'intéressement des ministères, en la matière, ne se justifiait véritablement que dans les premières années de la rationalisation du parc immobilier, à titre de « prime » incitant à vendre. À présent, la consécration de « l'Etat propriétaire » passe par la mutualisation complète des recettes patrimoniales. Cette mesure permettrait à France Domaine de piloter les opérations immobilières de ministères qui, aujourd'hui, au-delà des contrôles de conformité aux critères de performance auxquels ils sont assujettis, se révèlent pratiquement souverains sur des budgets d'investissement établis à partir des produits de « leurs » cessions.

Des progrès, ces dernières années, ont été accomplis en ce sens. En effet, depuis 2009 sauf le cas des immeubles militaires et de ceux qui sont situés à l'étranger, pour lesquels le « droit de retour » est intégral , une mutualisation interministérielle des produits de cession se trouve pratiquée, à hauteur de 20 %, tandis que 65 % reviennent au ministère cédant, 15 % étant affectés au désendettement de l'Etat comme je l'ai indiqué. En outre, dans les années à venir, le niveau du « retour » aux ministères sera de plus en plus faible, car la loi de finances pour 2011, en partie à l'initiative de notre commission, prévoit un rehaussement progressif de la contribution des produits de cession au désendettement laquelle s'élèvera à 20 % en 2012, à 25 % en 2013 et à 30 % en 2014.

À cet horizon, il serait opportun que les 70 % de produits restant soient entièrement mutualisés, pour être affectés aux différents ministères en fonction des besoins constatés. Du reste, la mesure serait d'équité : aujourd'hui, en effet, seuls les ministères qui ont à leur disposition un important patrimoine immobilier se trouvent à même d'engager des investissements immobiliers conséquents, par « autofinancement ».

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