Ce que m'a transmis le service n'est guère aisé à manier ! Les implantations immobilières de l'Etat à l'étranger sont nombreuses, et mal décrites dans les documents ; leur évaluation me paraît incertaine.
Au vrai, le sujet ressemble à un « serpent de mer » : voilà des années que l'on réfléchit à un moyen d'améliorer la gestion de ce parc, qui dans la pratique s'avère très largement « abandonné » aux ambassades. Un rappel chronologique s'impose.
En avril 2008, au titre de la « révision générale des politiques publiques » (RGPP), le comité de modernisation des politiques publiques a décidé la création d'une « agence de gestion des immeubles publics à l'étranger » (AGIME), destinée à rationaliser cette gestion, pour l'ensemble des ministères utilisateurs, le ministère des affaires étrangères et celui de l'économie principalement. Au cours de l'année 2009, un groupe de travail « préfigurateur », associant le ministère des affaires étrangères et le ministère du budget, a proposé une expérimentation sur quelques pays. Il a également retenu le principe d'une mise à disposition des biens de l'Etat à la future agence, sur le fondement d'un bail emphytéotique.
Cette agence aurait dû relever de la catégorie des établissements publics concourant à l'action extérieure de l'Etat, créée par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'Etat. Elle devait être instituée par un décret. Mais, fin 2010, ce projet a été abandonné, le ministère des affaires étrangères et celui du budget ne parvenant pas à s'entendre sur le régime de propriété des immeubles en cause.
Au premier trimestre 2011, on a appris que le ministère des affaires étrangères avait décidé de faire appel à la Société de valorisation foncière et immobilière de l'Etat (SOVAFIM) pour l'appuyer dans sa stratégie de cessions et la rationalisation du parc immobilier qu'il occupe à l'étranger. Il ne s'agirait donc plus d'externaliser la gestion, comme dans le projet de l'AGIME, mais de fonder les décisions sur une expertise spécialisée. Une expérimentation de cette organisation doit être menée, à présent, dans trois pays : l'Espagne, les Émirats arabes unis et la Corée du Sud.
Cette information, du reste, est intervenue alors que la Cour des comptes, dans son rapport public de l'année, venait de formuler de fortes critiques envers la SOVAFIM, décrite comme « un intervenant sans utilité réelle » depuis que la cession des biens immobiliers de Réseau ferré de France, qui lui avait été confiée en 2006, a été menée à bien. Il s'agissait sans soute de donner à cette entité une nouvelle raison d'être...
En tout cas, il faut souhaiter que « l'Etat propriétaire » prenne enfin corps pour les immeubles situés en dehors des frontières nationales. Il est vrai que la situation devrait s'améliorer d'elle-même en 2015, lorsque, conformément aux dispositions que nous avons introduites dans la loi de finances pour 2011, les produits de cessions à l'étranger ne seront plus intégralement retournés aux ministères cédants. Les « crispations » administratives autour de la maîtrise de ce patrimoine seront dès lors, sans doute, moins vives surtout si, entre temps, l'intéressement des ministères aux cessions est enfin supprimé, au bénéfice d'un système d'affection des recettes intégralement interministériel.
L'année 2015 sera d'ailleurs le bon moment pour établir le bilan d'une politique de l'immobilier d'Etat lancée, alors, depuis dix ans.
Deuxième sujet : les immeubles de l'Etat présentant des enjeux patrimoniaux spécifiques, dont la situation comme l'a clairement fait apparaître le cas de l'Hôtel de la Marine appelle la détermination de nouveaux principes de valorisation. C'est un chantier pour France Domaine en lien, notamment, avec le conseil de l'immobilier de l'Etat et le ministère de la culture.
En ce qui concerne l'Hôtel de la Marine, la procédure d'appel à projets lancée au début de l'année dans la perspective d'un bail emphytéotique a été abandonnée début mai, dans l'attente du rapport que doit rendre au Président de la République, avant l'été, la commission ad hoc mise en place sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing. Néanmoins, je dois répéter, ici, un étonnement dont j'ai déjà fait part au ministre du budget, lorsque nous l'avons auditionné en janvier dernier : pour le dossier qui a été mis à la disposition des candidats à l'appel à projets, malgré la référence à un « cahier des charges », l'Etat n'avait pas établi de document de ce type, où auraient figuré, notamment, les conditions d'occupation et d'exploitation du bâtiment ; une description succincte en tenait lieu ! Eu égard aux enjeux patrimoniaux en cause, cette lacune était difficilement justifiable.
Des procédures appropriées à de telles situations doivent donc être mises en pratique, si l'on veut éviter de nouveaux échos médiatiques sur le thème : « On vend une part du patrimoine historique de la Nation... » Car des bâtiments d'intérêt patrimonial seront encore cédés, dans les prochaines années : il en ira ainsi, par exemple, de plusieurs hôtels particuliers du VIIe arrondissement parisien, s'ils se trouvent libérés par les services du Premier ministre qui pourraient être regroupés, avec certaines autorités administratives indépendantes dont la liste n'est pas arrêtée , au sein d'un « Centre de Gouvernement » dont l'implantation avenue de Ségur, dans les anciens locaux de ministère de la santé, est actuellement à l'étude.
Troisième et dernier sujet : les immeubles de l'Etat mis à la disposition des opérateurs.
À cet égard, d'importants efforts ont d'ores et déjà été entrepris, d'ailleurs en partie en réaction à l'affaire dite « de l'Imprimerie nationale ». En effet, en décembre 2008, le ministre du budget a rappelé l'ensemble des opérateurs à leur devoir de procéder au recensement du patrimoine immobilier de l'Etat qu'ils occupent, en vue de produire, d'abord, un inventaire physique de ce parc et, ensuite, un SPSI.
L'achèvement de l'inventaire est annoncé pour septembre 2011. Un premier bilan, établi au 31 décembre 2010, vise 350 opérateurs ; il en restera une centaine à intégrer. On a ainsi décompté environ 18 millions de mètres carrés de bâtiments et 21 500 hectares de terrains, appartenant à l'Etat, dont disposent les opérateurs. Ces biens sont estimés, à leur valeur d'usage, à hauteur de 24 milliards d'euros globalement, dont 17 milliards pour le bâti.
En ce qui concerne les SPSI, au total, quelque 568 documents sont attendus mais, à ce jour, seuls 364 schémas ont été réalisés. Du moins, on s'avance, de la sorte, vers la « normalisation » de la gestion de cette partie du patrimoine immobilier de l'Etat, jusque là laissé à la diligence plus ou moins effective des opérateurs eux-mêmes.
Néanmoins, pour l'heure, une « anomalie » persiste : les opérateurs disposent de ce parc immobilier considérable de façon entièrement gratuite, sans être tenus de verser à l'Etat la moindre redevance d'utilisation. Le Gouvernement a certes envisagé l'introduction de loyers, mais il a prudemment reporté sa décision à 2012, selon des modalités à définir... L'affirmation de « l'Etat propriétaire » gagnerait à la mise en oeuvre d'un tel système, qui transformerait les opérateurs, d'occupants, en locataires.
Pour conclure, je tiens à insister sur le caractère déterminant du volontarisme politique pour l'ensemble des aspects que je viens d'évoquer. C'est peut-être là, en effet, la principale des « leçons » à retenir de l'observation des autres expériences européennes de gestion de l'immobilier d'Etat. La France, depuis 2005, progresse en ce domaine mais notre politique immobilière de l'Etat se trouve encore, comme j'ai tenté d'en rendre compte, au « milieu du gué ».