Intervention de Alain Juppé

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 25 janvier 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Alain Juppé ministre de la défense et des anciens combattants

Alain Juppé, ministre de la défense :

Le marché européen des produits liés à la défense est aujourd'hui fragmenté en vingt sept régimes nationaux, dont les procédures, les champs d'application et les délais d'obtention des licences d'exportation sont très hétérogènes. Pour les entreprises comme pour les administrations, cette mosaïque de régimes occasionne des délais et des coûts. C'est un obstacle à la construction d'un marché européen pour les équipements de défense, à l'heure où l'Europe doit plus que jamais être en mesure de développer ses capacités militaires.

Ce projet de loi a pour premier objectif de transposer la directive sur les transferts intracommunautaires de produits liés à la défense pour simplifier les procédures et fluidifier les échanges, au profit des forces armées et des entreprises de ce secteur. Aujourd'hui, les importations comme les exportations des matériels de guerre et matériels assimilés sont soumises à un principe général de prohibition : quiconque souhaite vendre ou acheter des armes à l'étranger doit disposer d'autorisations d'importation des matériels de guerre (AIMG), d'agréments préalables et d'autorisations d'exportation de matériels de guerre (AEMG). La relation entre les entreprises et les autorités de contrôle est trop souvent marquée par la suspicion.

Nous proposons donc de simplifier considérablement les procédures de contrôle a priori grâce à trois types de licence - générale, globale, individuelle - correspondant au degré de sensibilité des opérations. La licence générale permettra de transférer librement à l'ensemble de nos partenaires européens, sous certaines conditions, les matériels figurant sur une liste fixée par un arrêté du Premier ministre. Elle devrait conduire à une réduction de moitié des autorisations individuelles.

Afin que l'ensemble de nos exportations bénéficie de cette dynamique, nous avons profité de la transposition de la directive pour moderniser notre système de contrôle des exportations - dont les principes remontent à 1939 - et le rapprocher de ceux de la plupart de nos partenaires. Nous proposons donc la création d'une licence dite unique : il s'agit de remplacer par une seule autorisation les deux étapes de l'agrément préalable, pour la négociation et la signature du contrat, puis de l'autorisation d'exportation, pour le passage de frontière des matériels. Des licences générales d'exportation seraient délivrées au profit de pays alliés ou assimilés non membres de l'Union européenne.

Toutes les parties prenantes devront s'adapter à ce nouveau mode de contrôle : aux entreprises de s'organiser différemment pour bénéficier des transferts effectués dans le cadre des licences générales de nos partenaires ; à l'Etat de créer un mécanisme de certification des entreprises rigoureux et d'organiser un contrôle a posteriori solide, sur pièces et sur place. Des sanctions pénales ont été prévues, ainsi que la possibilité de suspendre, d'abroger ou de retirer les licences, mais aussi la certification.

Le deuxième objectif de ce texte est de transposer la directive relative à la coordination des procédures de passation de marchés des travaux, de fournitures et de services par les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, pour contribuer à la construction d'un marché européen de l'armement. Jusqu'à présent, certains marchés de défense ou de sécurité étaient passés en application du code des marchés publics et de l'ordonnance du 6 juin 2005. D'autres - marchés secrets ou portant sur des armes, munitions et matériels de guerre - échappaient à cette réglementation générale et obéissaient à une réglementation « défense » particulière ; l'article 346 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet d'écarter toutes les règles de mise en concurrence pour la protection du secret et des intérêts essentiels de sécurité nationale. La directive du 13 juillet 2009 relative aux marchés de défense et de sécurité a pour objet d'empêcher tout recours abusif à cet article. Une fois transposée et appliquée de manière harmonieuse sur le territoire de l'Union, elle ouvrira les marchés européens de défense à la concurrence communautaire, dans le but de développer une base industrielle et technologique de défense européenne. Naturellement, chaque État conserve la faculté de recourir à l'article 346.

L'essentiel de la transposition de cette directive se fera par décret. Le projet de loi, qui soumet l'ensemble des marchés passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité aux règles issues du marché intérieur, rassemble quelques dispositions législatives très techniques. Il modifie d'abord l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés non soumis au code des marchés publics afin de la mettre en cohérence avec le code des marchés publics, de prendre en compte la définition communautaire de la sous-traitance et d'instituer un dispositif permettant de fermer certains marchés aux opérateurs économiques non ressortissants de l'Union Européenne. Il modifie également le code de justice administrative pour y insérer les dispositions particulières relatives aux recours prévues par la directive.

Ce texte peut sans aucun doute être amélioré. Comme vous, je souhaite trouver le juste équilibre entre les nécessités de la concurrence et la protection de notre industrie, en particulier vis-à-vis d'entreprises implantées dans des États non membres de l'espace européen. Je vous ferai même quelques suggestions. La préférence communautaire pour les marchés de défense et de sécurité pourrait être clairement affirmée, comme y autorise la directive. Dès lors, au moment de la rédaction des appels d'offres pour chaque marché, l'autorité adjudicatrice pourrait définir si ce marché est restreint à la concurrence communautaire ou ouvert à une concurrence internationale. La directive fournit certains critères : les impératifs de sécurité, d'information et d'approvisionnement, la préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l'État, le développement de la base industrielle et technologique de défense européenne, le développement durable et la réciprocité.

A la réception des candidatures, peut-être faut-il autoriser l'autorité adjudicatrice d'écarter un candidat implanté hors du territoire de l'Union européenne, dont les capacités techniques ne seraient pas suffisantes pour exécuter le marché et assurer la maintenance, la modernisation ou l'adaptation des fournitures. Ces capacités techniques peuvent être appréciées au regard de l'implantation géographique de l'outillage, du matériel, de l'équipement technique, du personnel, du savoir-faire et des sources d'approvisionnement dont dispose le candidat.

Enfin, à la réception des offres, l'autorité adjudicatrice pourrait avoir intérêt à écarter une offre au motif que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie du marché, maintenir ou moderniser les produits acquis ne seraient pas localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne.

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