Je me réjouis de vous accueillir une nouvelle fois, monsieur le ministre d'Etat, puisque vous nous avez déjà présenté les conclusions du Livre blanc. Nous souhaitons avoir avec vous des rendez-vous réguliers pour faire le point sur les questions de fond qui sont, bien sûr, les plus importantes. Pourtant, l'actualité nous a rattrapés avec les évènements tragiques du Niger où deux de nos jeunes compatriotes ont été assassinés. La France est une des cibles privilégiées du terrorisme, surtout d'Aqmi, ainsi que vient de le confirmer le message de Ben Laden. Ces actions visent à instiller le doute, à nous faire renoncer à une zone où nos intérêts sont très forts et à déstabiliser des États fragiles.
Le choix du Sahel dans l'arc de crise est à mettre en relation avec l'efficacité de la politique algérienne de lutte contre le terrorisme mais révèle également un certain nombre de dysfonctionnements, au détriment de nos otages.
Nous souhaiterions disposer de tous les détails possibles sur les conditions dans lesquelles cette opération a été réalisée car certaines déclarations diverses, voire contradictoires doivent être précisées pour que la crédibilité de notre communication soit établie. En même temps nous sommes des sénateurs responsables et comprenons que certaines informations doivent demeurer confidentielles.
La deuxième partie de votre audition sera consacrée aux enjeux de la transposition des deux directives européennes.
Tout d'abord, je suis heureux de me trouver devant vous, après m'être exprimé il y a quelques semaines sur la défense antimissile balistique. Bien évidemment, je reviendrai devant vous quand vous le souhaiterez.
Vous évoquiez le terrorisme, monsieur le président : ce matin même, j'étais aux côtés du Président de la République à Saint-Nazaire pour accueillir le vice-premier ministre russe, M. Igor Setchine. Je lui ai exprimé la compassion et la solidarité du gouvernement et du peuple français face à l'attaque terroriste barbare perpétrée dans un des aéroports de Moscou.
Je vais maintenant évoquer trois grands chantiers, dans lesquels la France joue un rôle moteur et qui influeront sur les modalités de nos engagements opérationnels à venir.
D'abord, la réforme de l'OTAN. Nous en avons déjà parlé lors du débat sur la défense antimissile. Aujourd'hui, je voudrais souligner l'effort considérable entrepris pour réformer la structure de commandement de l'Alliance, dont le format définitif sera décidé en juin prochain. Nous voulons une structure plus ramassée, plus efficace dans la planification et la conduite des opérations. Je veux également rappeler la nécessaire réforme des agences et de la gouvernance de l'Alliance, qui sont tout aussi importantes pour les opérations.
Sur tous ces points, nous serons exigeants sur les objectifs à atteindre, comme j'aurai après-demain l'occasion de le rappeler au secrétaire général de l'OTAN, M. Anders Rasmussen, que je rencontrerai à Bruxelles.
Le deuxième chantier, qui me tient particulièrement à coeur, est la relance de l'Europe de la défense. Dans un monde qui demeure plus imprévisible que jamais, je suis convaincu que nous avons besoin d'une Europe politique, capable de faire entendre sa voix sur la scène internationale et dotée des moyens d'agir pour sa propre sécurité ou pour la paix et la sécurité dans le monde.
C'est le sens de la lettre qu'avec Mme Alliot-Marie et nos homologues allemands et polonais, nous avons récemment adressée à Catherine Ashton, Haute représentante de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Ce texte, auquel nous attendons une réponse, constitue un signal politique fort à un moment où les Européens doivent faire des choix décisifs pour l'avenir de leur défense. Nos trois pays y rappellent l'importance d'une Europe de la défense crédible aux plans politique et militaire, et capable d'entretenir des liens de complémentarité efficaces avec l'Alliance. J'ai bien noté ce qu'avait dit M. le Secrétaire général de l'Alliance lorsqu'il est venu devant les ministres de la défense réunis à Bruxelles pour la première fois, il y a quelques semaines, en parlant d'une relation « dans le respect de l'autonomie » de chacune des institutions. Dans cette lettre, nous demandons à la Haute Représentante de s'investir personnellement en ce sens, en lui proposant une feuille de route concrète pour les mois qui viennent, avec trois grandes orientations : le renforcement de la coopération Union européenne - Alliance atlantique, au plan opérationnel comme au plan capacitaire, même si nos amis turcs expriment à ce sujet des réserves.
La deuxième grande orientation a trait à l'amélioration des capacités de planification et de conduite européennes et le développement des groupements tactiques inter-armés de réaction rapide, les battle groups, comme on dit à l'OTAN.
Enfin, nous demandons le renforcement des capacités militaires européennes, en recherchant des formules nouvelles de mutualisation et de partage, de pooling and sharing, pour reprendre l'expression consacrée, permettant d'optimiser l'utilisation de nos ressources.
Cette ambition de donner un nouveau souffle à la politique européenne de sécurité et de défense commune et cette volonté d'entretenir de vraies capacités européennes de projection ont d'autant plus de sens que nos alliés sont aujourd'hui confrontés à de très fortes contraintes budgétaires : les Britanniques ont prévu de réduire de 7,5 % leur budget de défense en 2011, et les Allemands le leur de 14 % sur les cinq prochaines années.
Nous inscrivons donc les coopérations bilatérales de défense ambitieuses que nous relançons avec nos partenaires européens dans cette démarche de mutualisation. Je sais que vous êtes d'ores et déjà pleinement mobilisés en ce sens, puisqu'une première réunion du groupe de travail parlementaire sur le partenariat franco-britannique s'est tenue ici même, au Sénat, le 8 décembre dernier. J'ai reçu il y a quelques jours mon homologue britannique, Liam Fox, et j'ai senti que les Anglais tenaient absolument à mettre en oeuvre les décisions de principe qui figurent dans le traité franco-britannique signé en novembre.
Ma conviction, c'est que nous devons aller plus loin encore, en matière de coopération, d'emploi des moyens militaires développés en commun, mais aussi d'implication de l'Union européenne dans le monde. J'aurai l'occasion de le réaffirmer dans deux jours à Bruxelles à Lady Ashton et au président du Conseil européen, M. Herman Van Rompuy.
Troisième chantier : l'adaptation de notre dispositif sur le continent africain, qui se traduit par la rénovation de nos accords de défense, comme l'avait annoncé le Président de la République. Je sais que vous en avez déjà examiné quatre en commission, dont deux la semaine dernière.
Comme vous le savez, dans l'esprit du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale et à la suite du discours du Président de la République prononcé au Cap, en février 2008, nous avons entrepris une réorganisation profonde de nos forces pré-positionnées en Afrique. Elles s'articuleront dorénavant autour de deux bases opérationnelles avancées, au Gabon et à Djibouti, et d'un pôle opérationnel de coopération, au Sénégal.
Notre premier objectif, c'est d'assurer plus efficacement la sécurité de nos ressortissants. C'est dans cet esprit que nos forces pré-positionnées prennent toute leur part à la lutte contre le terrorisme et se tiennent prêtes à intervenir en cas de menace sur la sécurité de nos compatriotes. J'ai pu constater début janvier, lors de mon déplacement au Niger et au Tchad, combien les communautés françaises en Afrique sont attachées à cette mission de nos armées. En 2008, le dispositif Epervier a assuré l'évacuation de 1 500 de nos ressortissants, mais aussi d'un grand nombre d'Européens et d'Asiatiques présents à Ndjamena, alors que les rebelles envahissaient la ville.
Notre deuxième objectif, c'est d'aider l'Afrique à bâtir son propre système de sécurité collective, mais aussi de soutenir les pays qui souhaitent faire respecter leur souveraineté. C'est tout le sens des nombreuses actions de formation que nous menons au profit d'unités africaines engagées dans des opérations de maintien de la paix.
L'actualité récente nous a montré la pertinence de cette réforme de notre dispositif pré-positionné. Sur le continent africain, deux zones figurent en effet parmi les théâtres qui font en ce moment l'objet d'une vigilance particulière de notre part.
Ces théâtres, je voudrais aujourd'hui en évoquer quatre avec vous.
Le premier, c'est le Sahel, où nous mettons tout en oeuvre pour assurer la sécurité de nos ressortissants. Dans cette région, en collaboration avec d'autres partenaires occidentaux, nous soutenons les États qui en font la demande pour les accompagner dans la lutte contre Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).
Au-delà de cette stratégie de prévention, nous veillons également à adapter notre dispositif pré-positionné à la menace. C'est dans cet esprit que nous l'avons renforcé à la suite à la prise d'otages d'Arlit, le 16 septembre. Cela nous a permis de réagir instantanément au tragique enlèvement de nos compatriotes, Vincent Delory et Antoine de Leocour, le 8 janvier, au Niger. J'ai évidemment une pensée pour leurs familles à qui j'exprime notre compassion et notre solidarité, devant ce drame d'une brutalité et d'une absurdité incommensurables.
Enfin, nous agissons auprès des autorités locales pour leur préciser nos attentes en matière de sécurité de nos ressortissants. C'est dans cet esprit que je me suis rendu à Niamey le 10 janvier pour rencontrer les autorités nigériennes. Lors de ces entretiens, mes interlocuteurs se sont engagés à mettre en place une série de mesures concrètes pour renforcer la protection de nos compatriotes, et ces mesures ont été effectivement prises.
A ce stade, je voudrais répondre de façon précise à votre question, monsieur le président, sur les tragiques évènements du 7 et 8 janvier au Niger. Vous parliez d'obscurités dans la façon dont nous avons rendu compte de ces évènements. La position du gouvernement a été, dès le départ, de jouer la transparence la plus totale. Nous avons dit tout ce que nous savions, au moment où nous le savions. L'enlèvement a eu lieu en plein coeur de Niamey, dans le restaurant « le Toulousain », vers 22 h 30, le 7 janvier. Le véhicule emportant les otages s'est rapidement dirigé vers le nord du pays. Les forces nigériennes sont immédiatement intervenues et ont entrepris de barrer la route au véhicule qui emportait les otages. Un premier accrochage a eu lieu dans la nuit, et un officier de la garde nationale nigérien a été blessé. La poursuite a continué et, quelques heures plus tard, s'est produit un second accrochage dont nous n'avions pas connaissance le jour où je me suis rendu à Niamey, c'est-à-dire le dimanche qui a suivi l'enlèvement. Les autorités nigériennes ne nous en avaient pas, à ce stade, informés. De plus, tous les renseignements n'avaient alors pas pu être exploités, si bien que nous n'avions pu mettre en évidence cet accrochage, qui a eu lieu dans la matinée du 8 janvier, à quelques kilomètres de l'endroit où l'engagement des forces françaises est intervenu. Il a opposé deux véhicules des ravisseurs, dont l'un d'entre eux contenait nos deux otages, et un véhicule de la gendarmerie nigérienne. Nous avons eu un certain nombre d'interrogations sur les circonstances de cet accrochage, qui s'est déroulé en moins de trois minutes, comme le montrent les images dont nous disposons. Les ravisseurs ont arrêté, désarmé et fait prisonniers les gendarmes nigériens qui se trouvaient dans le véhicule de la gendarmerie nigérienne. Certains d'entre eux ont été tués et blessés puis ont été emmenés dans les véhicules ; nous n'avons connu en détail ces évènements que 36 heures après les faits, lorsque les images tournées par nos avions ont pu être interprétées. Quelques heures plus tard, à 5 ou 6 kilomètres de là, intervient l'accrochage avec le dispositif français.
Lorsque les Nigériens se sont lancés à la poursuite des ravisseurs avec la ferme intention de les arrêter, la question s'est posée de savoir ce que nous leur répondions. Fallait-il les aider ou refuser notre aide ? Dans la nuit, le Président de la République, en concertation avec le Premier ministre et moi-même, a considéré que nous ne pouvions pas répondre non : c'était en effet avoir la certitude que nos otages seraient entraînés par leurs ravisseurs dans un de leurs refuges au Sahel, avec toutes les conséquences que l'on connaît. Dire non, c'était également donner un signal de non-intervention, avec le risque de contagion que cela comportait. Nous avons donc donné notre accord pour que nos forces interviennent afin d'aider les Nigériens à intercepter les ravisseurs et leurs otages. Cet accrochage s'est produit vers 11h30 du matin du côté malien. Nous avions obtenu un droit de suite des autorités maliennes.
Nous avons engagé trois hélicoptères : lorsqu'ils sont parvenus au-dessus du site où les véhicules des ravisseurs et le véhicule de la gendarmerie nigérienne étaient abrités sous des bosquets, les ravisseurs ont immédiatement ouvert le feu : nos hélicoptères ont été touchés et un de nos soldats a été blessé. Nos troupes ont riposté, elles ont été mises à terre et un combat d'une grande intensité et d'une faible durée a alors eu lieu entre nos deux unités qui totalisaient 23 militaires et une unité supplémentaire est venue en soutien au cours de l'affrontement. A la fin de cet accrochage, nous avons relevé sur le terrain les cadavres de nos deux otages, trois blessés et trois morts et nous avions de notre côté deux blessés. Antoine de Leocour a été retrouvé à 300 mètres des véhicules, les mains entravées sur la poitrine. Il était visiblement tombé sur le côté après avoir été agenouillé, en position de supplicié, et comme l'autopsie l'a révélé, il a été exécuté à bout portant d'une balle dans la tête. Le deuxième otage, Vincent Delory, a été retrouvé à proximité de l'un des deux véhicules des ravisseurs, une grande partie du corps brûlé, et l'autopsie a fait apparaître cinq impacts de balles, dont il n'est pas établi qu'elles étaient létales, mais qui n'étaient pas des balles françaises puisque provenant de kalachnikov. Sur les trois ravisseurs blessés, l'un d'entre eux est décédé, si bien que nous avons remis aux autorités nigériennes quatre morts et deux blessés. Nous avons considéré, dans un premier temps, que toutes ces victimes étaient des ravisseurs. Les autorités nigériennes ont établi l'identité de ces personnes et nous ont assuré qu'il s'agissait, à l'exception de deux morts, de gendarmes nigériens ; ils portaient un treillis qui serait la tenue de campagne des gendarmes, certains d'entre eux portant sous ce treillis une veste de gendarmerie. Tels sont les faits. Je vous ai dit tout ce que nous savons. Il appartient aux deux enquêtes diligentées, d'une part, par les autorités nigériennes et, d'autre part, par la justice française d'établir les faits dans toute leur certitude et de dissiper les interrogations qui subsistent, mais qui sont réduites : conditions exactes du décès de Vincent Delory et conditions de l'affrontement entre les ravisseurs et des gendarmes nigériens quelques minutes avant l'intervention de nos troupes. Voilà ce que je pouvais vous dire sur ce point. Après avis de la Commission consultative du secret défense, j'ai immédiatement déclassifié les documents et photos sur lesquels elle avait donné un avis favorable.
J'en viens au deuxième théâtre, celui de la Côte d'Ivoire, où la situation reste bloquée depuis le 28 novembre. Pour nous, comme pour le Conseil de sécurité des Nations unies, comme pour l'Union africaine, comme pour l'Union européenne, comme pour la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, le président légitime est M. Ouattara. Nous l'avons réaffirmé avec beaucoup de force.
L'Union européenne a conforté ses sanctions à l'encontre de 87 personnalités proches de Laurent Gbagbo, dont les avoirs sont gelés, et qui, pour 59 d'entre eux, sont frappés d'une interdiction de visas. La communauté internationale est donc pleinement mobilisée pour faire respecter le vote des Ivoiriens. Pour l'instant, ces sanctions n'ont pas produit leur effet, puisque le statu quo perdure. Nous pensons que c'est par l'application effective de ces sanctions et par leur durcissement éventuel que l'on trouvera une sortie de crise.
Sur le plan militaire, en cas de dérapage sécuritaire, il revient à la force de l'ONU en Côte d'Ivoire, l'ONUCI, d'agir, de s'interposer entre les Ivoiriens et de protéger le gouvernement légitimement élu. L'ONUCI dispose de 10 000 Casques bleus en Côte d'Ivoire, dont 8 000 à Abidjan. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a d'ailleurs renouvelé à l'unanimité, fin décembre, le mandat de l'ONUCI pour six mois et vient de voter un renfort de 2 000 hommes supplémentaires pour alléger la pression subie sur le terrain par les Casques bleus.
Dans ce contexte, les 980 hommes de la force Licorne, force déployée depuis septembre 2002 dans le cadre de l'ONU, apportent un soutien à l'ONUCI dans la limite de leurs capacités, conformément à la résolution 1962 du 20 décembre des Nations Unies, mais ils ne prendront pas l'initiative d'une intervention militaire. Si la situation se dégradait, il appartiendrait au Secrétaire général des Nations Unies et au Conseil de sécurité de prendre position et d'en faire, le cas échéant, la demande formelle. La mission de la force Licorne est de garantir la sécurité de nos 15 000 ressortissants. Jusqu'à présent, cette sécurité est assurée. Nous n'avons pas enregistré d'actes hostiles. Mais nous restons extrêmement vigilants, car la situation peut basculer à tout moment, et c'est pourquoi, en complément de la force Licorne, des moyens sont maintenus en alerte en métropole et à partir de notre dispositif pré-positionné en Afrique. En outre, si la force Licorne venait à être attaquée, nous exercerions notre droit à la légitime défense, conformément aux règles internationales.
Troisième théâtre : l'Océan indien. Il y a un mois, la France a transféré aux Espagnols le commandement des forces aéromaritimes de l'opération Atalante de lutte contre la piraterie, qu'elle avait assuré pour la première fois. Notre pays reste cependant le principal contributeur de l'opération et nous essayons de veiller à ce que les autres nations européennes restent solidaires de notre effort. Pour nous tous, cette opération est en effet exemplaire de ce que nous voulons faire ensemble en matière de coopération militaire européenne. Mais nous sommes également tous conscients que l'opération Atalante n'apporte qu'une réponse militaire à la question de la piraterie et nous sommes convaincus de la nécessité pour la communauté internationale, et notamment pour l'Union européenne, de s'impliquer davantage pour résoudre cette crise, car, même si la force Atalante joue un rôle positif, la piraterie ne recule pas. Le marché des rançons est prospère et l'on voit les phénomènes de piraterie se déplacer vers le sud du continent africain, dans le canal du Mozambique, ou même vers les rivages de l'Inde. Les pirates sont aujourd'hui assurés d'une quasi-impunité, puisque, ou bien ils ne sont pas jugés, ou bien, s'ils le sont, ils ne sont pas emprisonnés. L'amélioration du traitement judiciaire des pirates, à travers la création d'un tribunal somalien délocalisé, et la stabilisation de la région sont pour nous des conditions indispensables pour lutter contre ce fléau. A cet égard, je salue la publication du rapport de Jack Lang remis au Secrétaire général des Nations unies, qui, à travers les pistes d'action qu'il propose, apporte une contribution précieuse à cette réflexion. Naturellement, j'évoquerai ce point avec Catherine Ashton, au moment où l'Union européenne procède à une revue stratégique de l'opération Atalante.
Enfin, quatrième théâtre, l'Afghanistan, où je me suis rendu à Noël pour rencontrer les militaires français. Je tiens à exprimer à nouveau devant vous mon admiration devant leur courage, leur professionnalisme et leur engagement. Malheureusement, depuis ma prise de fonction, j'ai assisté trois fois aux obsèques de militaires français tués dans ce pays
Sur ce théâtre, nous arrivons incontestablement à un tournant. A Lisbonne, nous avons défini une stratégie : les 49 nations contributrices à la Force internationale de stabilisation se sont mises d'accord pour transférer progressivement de 2011 à 2014 la responsabilité de la sécurité et du maintien de l'ordre aux forces afghanes. A partir de 2014, nous définirons un partenariat de longue durée avec ce pays, tourné vers la coopération et le développement, et non plus vers l'intervention militaire.
En ce qui concerne les forces françaises, l'objectif prioritaire est d'assurer d'ici la fin du premier semestre 2011 les conditions permettant le transfert aux autorités afghanes de sécurité le district de Surobi, pour nous concentrer sur la Kapisa, région voisine. Ce transfert sera décidé par le gouvernement afghan, en fonction de critères de sécurité et de gouvernance, mais aussi d'un ordre de priorité qui reste à fixer. Les instances décisionnelles se réuniront en février et en octobre prochain pour y procéder.
En tout état de cause, nous veillons attentivement à ne pas annoncer artificiellement la date de retrait de nos forces. Nous attendons d'ailleurs la même patience stratégique de nos partenaires, car la crédibilité de la coalition en dépend.
J'ai été long, mais pas exhaustif. Nous avons de nombreux défis à relever et je mesure chaque jour, sur les théâtres extérieurs, dans les unités, sur le terrain, lors de mes entretiens au ministère, l'engagement des femmes et des hommes de la Défense, alors que nous continuons à mener à bien une réforme structurelle qui est l'une des plus ambitieuses qu'aucune institution administrative française n'ait eu à accomplir. Au-delà même d'une diminution d'effectifs de 54 000 postes, c'est une redistribution complète de nos implantations géographiques sur le territoire qui est actuellement en cours, avec des décisions lourdes à prendre en 2011 et en 2012. Je lis ici ou là, et aujourd'hui encore, que le moral des troupes n'est pas bon. Ce n'est pas ma perception des choses. Je me suis rendu à plusieurs reprises sur le terrain : des inquiétudes naissent naturellement des changements, mais les cadres du ministère ont une compréhension globale du sens de cette réforme, qui vise à rendre notre dispositif plus compact et plus efficace, et à redéployer les économies ainsi réalisées pour améliorer les équipements de nos forces. Je crois donc à une forte adhésion à cette réforme, comme j'ai pu le constater en présidant le Conseil supérieur de la fonction militaire.
Merci pour tout ce que vous venez de dire, monsieur le ministre d'Etat, qui vient en complément de ce que nous avons pu lire dans la presse.
Sous un angle plus technique, pouvez-vous nous dire un mot sur les caractéristiques de l'allocation compensatrice, alors que la durée de service est prolongée à 17 ans pour percevoir une pension complète. Comment cette allocation va-t-elle être mise en place ?
Ma deuxième question porte sur le dimensionnement de notre contrat opérationnel. Dans le Livre blanc, il était question d'un regroupement de 30 000 hommes, de 70 avions de combat et du déploiement de 10 000 hommes sur le territoire national. Maintenant que nous avons plus de recul sur la déflation des effectifs, sur la réorganisation territoriale et sur nos capacités en matériel, est-on sûr que le format de nos armées permettra la réalisation des contrats prévus dans le Livre Blanc ?
Enfin, une réflexion qui paraîtra sans doute iconoclaste : sommes-nous sûrs que ces contrats correspondent aux engagements auxquels pourraient être confrontées nos armées ? Ne faudrait-il pas envisager un engagement majeur un peu inférieur, dans le cadre d'une coalition internationale ? Pourquoi ne pas faire comme les Anglais qui étudient des scénarios d'engagements multiples avec une grande dispersion ? Sommes-nous prêts à affronter ce type de situations ?
Le passage progressif de 15 à 17 ans de la durée de service nécessaire pour la liquidation anticipée de la pension va conduire un certain nombre de militaires à partir sans la pension à laquelle ils pouvaient prétendre dès leur radiation des contrôles. Le passage dès le 1er janvier de 15 ans à 17,5 ans puis progressivement à 19,5 ans en 2016 pour l'obtention du minimum garanti va avoir des conséquences tout à fait préoccupantes. Dans ces conditions, comme je l'ai dit devant le Conseil supérieur de la fonction militaire et à nouveau lors de mes voeux, j'ai mis en place un outil complémentaire pour faciliter cette reconversion : l'indemnité proportionnelle de reconversion. Elle sera servie au moment de la radiation des contrôles aux militaires non officiers dont le contrat n'aura pas été renouvelé à l'initiative du ministère. Cette indemnité, fiscalisée à l'identique des indemnités de rupture des contrats de travail, se composera de deux volets : une indemnité majorée correspondant à un mois et demi de solde par année de service pour les militaires dont le droit à pension sera différé à 52 ans, et une indemnité différentielle variant selon la durée de service et le grade détenu pour ceux qui partiront avec une pension. Ainsi, pour un caporal chef avec 15 ans de services, l'indemnité atteindra 33 000 euros et 40 000 euros pour un sergent avec 16 ans de service.
En ce qui concerne les contrats opérationnels, nous considérons que notre ministère est en capacité de les honorer et je ne m'engagerai pas dans un processus de remise en cause des objectifs qui ont été fixés par le Livre blanc et par la loi de programmation militaire. Il faut un minimum de visibilité et de stabilité dans nos armées. Un rendez-vous est prévu en 2012 pour la révision du Livre blanc et pour la préparation de la prochaine loi de programmation militaire : attendons cette échéance.
Le Président de la République a justifié notre présence et le maintien de nos forces en Afghanistan par la nécessité de garantir notre sécurité et de lutter contre le terrorisme. Malheureusement, il apparaît que le terrorisme sur le territoire africain s'amplifie. Voyez-vous une relation entre notre maintien en Afghanistan et l'aggravation de la situation en Afrique ? C'est l'analyse qu'en fait Ben Laden lui-même. En revanche, certains en France n'ont pas la même vision, notamment au sein de notre commission.
La dernière déclaration d'Al Qaïda lie la situation de nos otages au Sahel et la présence des forces françaises en Afghanistan. Ce n'est pas le cas pour la situation de nos otages en Afghanistan qui sont détenus par des talibans dont les liens avec Al Qaïda sont complexes. La condition fixée pour relâcher nos cinq otages au Sahel est l'évacuation, selon un calendrier défini, de notre dispositif militaire en Afghanistan. Faut-il obtempérer à cette injonction ? Non ! Plier l'échine ne nous aiderait pas à améliorer notre sécurité. Le terrorisme atteint tous nos pays. Nous y sommes exposés et nous en avons subi les conséquences. Je ne crois pas que ce soit en donnant satisfaction à Al Qaïda que nous renforcerions notre sécurité. Même si le lien entre morale et politique est parfois compliqué, je ne pense pas que ce renoncement serait moral.
Je suis convaincu que nous nous battons là bas contre le terrorisme et que laisser basculer Kaboul et l'Afghanistan aux mains d'un régime extrémiste présenterait des risques immenses de contagion dans tout cet arc de crise qui va du Proche-Orient au Pakistan.
Sans obtempérer aux demandes de Ben Laden, on peut s'interroger sur les chances de succès de notre stratégie en Afghanistan. La situation ne s'améliore pas, loin de là ! Vous avez parlé du transfert des responsabilités aux Afghans qui devrait s'effectuer d'ici 2014, soit près de quinze ans après le début du conflit. Vous estimez que nous marquons des points et que nous serons en mesure de transférer le district de Surobi à la mi-2011 à condition d'accentuer nos efforts pour tenir le calendrier. De quel type d'efforts parlez-vous et ce calendrier ne pourrait-il pas s'appliquer à l'ensemble de nos forces dans ce pays ?
Récemment, le chef d'état major de l'armée de terre a usé d'un euphémisme en parlant d'une « enthousiaste morosité » en parlant de la mise en place des bases de défense. Dans votre interview au Monde, la semaine dernière, vous répondiez, monsieur le ministre, que vous vouliez améliorer la concertation en proposant des formes plus modernes de dialogue. Présenterez-vous de nouvelles méthodes de concertation dans nos armées lors de la réunion des cadres prévue le 1er février ?
Loin de moi l'idée de prétendre que le débat sur l'Afghanistan est clos ! Je serais sans doute bien imprudent d'avoir des certitudes absolues. Les 49 pays contributeurs ont défini une stratégie et nous devons nous y tenir. Ce n'est pas une raison pour ne pas être d'une extrême vigilance. Les points de vue sont contrastés : les uns considèrent que nous marquons des points, d'autres sont beaucoup plus réservés.
Sur le calendrier de retrait en Surobi, nous pensons que ce district répond aux normes fixées pour le transfert de responsabilité, puisque la sécurité y a été rétablie. C'est aux autorités afghanes de l'apprécier et de fixer le calendrier. Je ne sais si ce sera en février ou en octobre.
La situation dans la Kapisa n'est pas stabilisée et nous y menons des opérations dures qui nous permettent d'avancer. Les pertes du côté des insurgés sont lourdes, mais nous avons donné pour instruction à nos troupes d'éviter les dommages collatéraux : il ne faut pas de victimes civiles lors de nos interventions, ce qui conduit nos troupes à prendre des risques. C'est d'ailleurs à cette occasion qu'un de nos soldats a été touché par une rafale de mitraillette et qu'il en est mort. D'autres intervenants prennent moins de précautions. En Kapisa, nous avons encore beaucoup à faire et nous redéployerons nos troupes de Surobi en Kapisa.
Enfin, une « enthousiaste morosité », ce n'est déjà pas si mal... Ca pourrait être une morosité déprimée. S'il y a un peu d'enthousiasme, c'est déjà une bonne chose. Comme je l'ai dit, des préoccupations se font jour, mais il y a une adhésion globale. Je vais réunir le 1er février les commandants des bases de défense pour examiner avec eux les modalités de mise en place des 60 bases de défense en métropole et outre-mer dans le courant de cette année. Nous avons déjà le retour d'expérience des 18 bases qui fonctionnent.
En ce qui concerne la concertation, j'ai dit au Conseil supérieur de la fonction militaire que la discipline, force principale des armées, ne doit pas se relâcher, mais qu'elle doit être compatible avec des modalités d'expression et de concertation améliorées. Un groupe de travail s'est constitué au sein du Conseil supérieur pour y réfléchir et me faire des propositions.
Pouvez-vous faire un point sur l'application de la loi relative à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français dans le Pacifique ?
Je souhaiterais aussi connaître votre sentiment à propos de la suppression envisagée du tribunal aux armées de Paris. Ne craignez vous pas que la suppression de ce tribunal ne se traduise par une moindre prise en compte de la spécificité du contentieux mettant en cause les militaires français engagés dans des opérations extérieures ? Je pense en particulier aux conditions tenant à la fois au cadre juridique des opérations extérieures, notamment en Afrique ou en Afghanistan, mais aussi aux règles propres aux militaires, c'est-à-dire la discipline des armées et le code de la justice militaire, ce que l'on peut appeler l'« ordre public militaire ».
Cette spécificité pourra-t-elle être réellement prise en compte par le transfert à des formations dites spécialisées des juridictions de droit commun et le maintien de certaines règles procédurales, comme l'interdiction de citation directe ? L'existence d'un tribunal et de magistrats spécialisés dans ce type d'affaires ne constitue-t-elle pas une garantie importante pour les militaires engagés dans des opérations extérieures, qui ne peuvent pas être, à mes yeux, assimilés à des justiciables comme les autres.
L'ensemble du dispositif prévu par la loi que vous venez d'évoquer est en place, monsieur le sénateur. Les commissions prévues fonctionnent : 430 dossiers ont été déposés. Le Comité d'indemnisation s'est déjà réuni plusieurs fois pour définir ses méthodes de travail et des conventions sont en cours pour régler les problèmes avec la sécurité sociale de Polynésie : qui va supporter la charge et comment la compensera-t-on ? Tout ceci se met donc progressivement en place.
Le tribunal aux armées était une survivance historique qui n'a plus sa raison d'être. Une loi du 21 juillet 1982 a supprimé toutes les juridictions militaires en temps de paix sur le territoire de la République. Nous ne pouvions pas supprimer, du fait des accords internationaux que nous avions conclus, notre tribunal des forces armées stationnées en Allemagne, ni le tribunal siégeant à Paris qui était compétent pour les infractions commises dans huit pays africains. La loi du 11 novembre 1999 a regroupé au sein du tribunal aux armées de Paris le jugement de toutes les infractions commises par les militaires en Opex. Il me semble que le maintien d'un tribunal spécifique ne se justifie plus aujourd'hui. Nos militaires commettent peu d'infractions et le tribunal n'est saisi que de quelques affaires. Celles-ci sont jugées par les juges du tribunal de grande instance et de la Cour d'appel de Paris. Seul le procureur et le juge d'instruction sont spécifiques au tribunal aux armées. Il est prévu de transférer ses attributions à une section spécialisée du tribunal de grande instance de Paris : c'est là l'un des objets d'un projet de loi relatif à la répartition du contentieux et à l'allègement des procédures juridictionnelles dont vous êtes d'ailleurs rapporteur pour avis. Pour ma part, j'estime que ce texte donne satisfaction puisqu'il préserve les spécificités militaires avec une formation collégiale spécialisée, un avis consultatif préalable du ministre de la défense avant toute poursuite, informant les magistrats des particularités exceptionnelles du métier de militaire en Opex. Nous avons donc pris toutes les précautions utiles.
Lors de votre déplacement au Brésil pour la prise de fonction de la nouvelle présidente, vous avez paru optimiste quant à la vente potentielle de Rafale à ce pays à un moment où nous avions plutôt l'impression que l'état-major brésilien repoussait l'achat d'appareils de nouvelle génération. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Vous venez d'évoquer votre déplacement en Afghanistan. Vous aviez, lors de votre prise de fonction, repoussé toute décision d'achat ou de rénovation de drones MALE. Vous avez pu également voir le Harfang, avec ses qualités et ses faiblesses, et, à Kandahar, le concurrent américain, le Predator. Votre décision sera-t-elle rapide ?
Lors de mon déplacement, durant lequel j'ai pu observer l'extraordinaire popularité d'Hugo Chavez, j'ai rencontré le ministre des affaires étrangères, le conseiller politique de Lula, M. Garcia, qui reste au même poste et le ministre de la défense, M. Jobim : les trois m'ont dit qu'ils militaient pour le Rafale. Ils ont ajouté qu'il était normal que la nouvelle présidente s'approprie le dossier et que la décision serait prise dans un délai relativement rapide, après le Carnaval, qui n'aura lieu cette année que début mars. Je suis revenu du Brésil confiant. Quand j'ai lu qu'il s'agissait de remettre à plat le dossier, j'ai puisé dans le souvenir de mes entretiens des raisons de rester confiant...
J'ai retiré de mon voyage en Afghanistan l'absolue nécessité de s'équiper de drones efficaces et modernes. Il s'agit d'un outil qui permet à la fois la surveillance globale et la conduite des opérations, puisqu'il intervient en soutien des forces armées. Le Harfang arrive au bout de ses possibilités et les militaires américains m'ont vanté les mérites du Predator. Fin février, je devrai trancher entre les trois hypothèses possibles : soit un prolongement du Harfang qui pourrait être rénové, « rétrofité », soit le lancement d'un projet franco-israélien mais dans un délai bref, puisqu'il s'agit de couvrir la rupture capacitaire à partir de 2014, soit acheter des Predator. En outre, nous avons la perspective de travailler avec les Britanniques sur un drone MALE de nouvelle génération mais qui ne sera disponible qu'après 2020. Nous avons donc une dizaine d'années à couvrir. Mon agenda est donc toujours le même et le délégué général pour l'armement m'assure que son rapport sera prêt fin février. Par conviction et par tempérament, je n'ai pas très envie d'acheter étranger, mais nous sommes obligés de tenir compte des demandes opérationnelles de nos forces, qui ont besoin d'un drone de qualité. Je serais heureux de reparler de cette question avec vous, monsieur le sénateur, avant de prendre ma décision.
Merci pour la clarté et la précision de vos propos.
J'en reviens à la réforme de l'OTAN. Ma question porte sur la mise en oeuvre des décisions du sommet de Lisbonne sur la défense antimissile. Hier, le président Medvedev a réitéré le souhait d'une coopération OTAN - Russie sur la défense antimissile, tout en évoquant des « décisions désagréables » en cas de désaccord entre les deux parties. Estimez-vous que la Russie a une réelle volonté de coopération ? Le degré de priorité accordé à la recherche d'un accord avec la Russie est-il aussi élevé qu'on le dit du côté américain ?
Si je me réfère à ce qui a été dit à Lisbonne, ma réponse est positive. Depuis, je ne suis pas sûr que l'on ait beaucoup progressé dans la définition du partenariat envisagé. Comme du côté russe, il est probable que l'unanimité ne règne pas sur la coopération avec l'OTAN, certaines déclarations peuvent évidemment inquiéter et mettent en cause la détermination de l'OTAN elle-même à aller dans cette direction. Nous devons continuer à travailler avec les Russes. Je l'ai dit ce matin à propos du contrat que nous avons signé à Saint-Nazaire et qui concerne la livraison à la Russie de quatre bâtiments de projection et de commandement de type Mistral. Ces contrats ont soulevé un certain nombre d'interrogations, mais on ne peut pas à la fois dire aux Russes qu'ils sont nos partenaires et ne pas leur faire confiance. J'ai le souvenir d'avoir entendu M. Obama dire à M. Medvedev dans la grande salle de l'OTAN, à Lisbonne, qu'il n'était pas seulement un partenaire, mais aussi un ami. Or, l'amitié se fonde sur la confiance. C'est la carte que nous avons joué avec ces Mistral dont je rappelle qu'ils représentent 6,2 millions d'heures de travail et 1 200 emplois garantis pendant quatre ans pour STX et la DCNS.
Je veux me faire l'écho des réactions des Français de l'étranger, notamment de ceux du Niger et de la Côte d'Ivoire. Ils souhaitent que l'opération qui a été menée par l'armée française lors de la prise d'otages soit renouvelée si le cas se représente. Ils estiment que la France doit se montrer intraitable, car cela contribue à garantir la sécurité des Français de l'étranger.
Les Français de Côte d'Ivoire craignent que ne surviennent des troubles, mais ils redoutent surtout que l'affaire ne dure très longtemps. Ils estiment en effet que personne ne pourra faire partir M. Gbagbo car il dispose de l'armée et de la police, il a de l'argent et les producteurs de cacao le soutiennent. Envisage-t-on un statu quo sur une très longue période ?
J'ai vu hier à l'aéroport de Roissy beaucoup plus de militaires que d'habitude. S'agit-il d'une décision du gouvernement après l'attentat de Moscou ?
J'ai rencontré la communauté française de Niamey et je leur ai expliqué notre politique. Le Quai d'Orsay a fait passer de zone verte à zone orange toute la région de Niamey, mais c'est un peu déclaratoire, puisque cela revient à dire aux gens de faire attention. J'ai demandé à la communauté française de bien faire fonctionner les systèmes d'ilotage. J'ai lancé un appel à toutes les entreprises pour qu'elles se dotent de plans de sécurité efficaces. De ce point de vue, elles ont été un peu légères. J'ai rencontré récemment la présidente d'Areva qui m'a indiqué que son plan de sécurité était prêt et qu'elle attendait sa validation définitive par la cellule de crise du Quai d'Orsay. J'ai également appelé les organisateurs de voyages à cesser d'amener des touristes au pays Dogon ou ailleurs. Actuellement, nombre de festivals culturels sont organisés dans le nord du Mali et nous craignons que des voyageurs ne s'y rendent à titre individuel et ne s'y fassent kidnapper.
Faudra-t-il recommencer l'opération militaire ? Oui et non : je suis favorable à une attitude ferme, mais j'espère que nous sauverons la prochaine fois nos otages.
En Côte d'Ivoire, la situation actuelle n'est bonne ni pour les Ivoiriens, ni pour M. Ouattara. Il faut donc renforcer la pression sur M. Gbagbo. J'espère que les sanctions financières porteront bientôt leurs fruits ; M. Ouattara a décrété un embargo sur les exportations de cacao, mais a-t-il les moyens de le faire respecter ? La hausse des prix compense d'ailleurs la baisse des volumes. Faut-il aller plus loin, et chasser M. Gbagbo du pouvoir par la force ? La France, pour sa part, n'interviendra pas militairement en Côte d'Ivoire : ce serait désastreux, et pour elle, et pour M. Ouattara. Il appartient à la Cedeao de prendre ses responsabilités ; le Nigéria a les moyens d'agir.
Quant au plan Vigipirate, il reste au niveau rouge, même si l'attentat d'hier à Moscou a conduit à renforcer la visibilité de nos soldats à l'aéroport de Roissy. J'étais à la gare Montparnasse il y a peu, et j'ai pu constater l'effet très dissuasif de la présence de soldats armés.
Le système des bases de défense dont a parlé Mme Demessine doit être étendu alors que les effectifs des armées diminuent. Leur principe est louable : il s'agit de mutualiser le soutien aux unités. Mais leur mise en place se révèle très complexe, surtout pour les unités terrestres. La commission a visité l'une des bases, créée à titre expérimental à Nancy. Aujourd'hui on veut les généraliser sans avoir tiré toutes les leçons de l'expérimentation. On parle de créer un niveau régional ou interrégional et d'en revenir ainsi au statu quo ante. Il est illusoire d'attendre de cette réforme des économies à court terme, puisque toute réorganisation est coûteuse. En outre, la précipitation pourrait mettre en péril le succès de l'opération. Pourquoi ne pas attendre les conclusions d'un travail entamé depuis un an ? Prendrez-vous le temps nécessaire ?
Oui et non : il faut prendre son temps mais non temporiser. Il serait fâcheux de laisser coexister l'ancien système et le nouveau. Les premières bases de défense ont fait l'objet d'une évaluation, et celle de Nancy fonctionne bien... C'est justement pour tirer les leçons de l'expérience qu'il est envisagé de créer un échelon intermédiaire entre Paris et les bases : ces états-majors de soutien de défense seront créés pour deux ans, après quoi ils pourront être ou non pérennisés. Je réunirai le 1er février les commandants des bases. Le ministère suivra pas à pas cette réforme et prendra des mesures correctives si nécessaire.
Je voudrais revenir sur la situation au Sahel. Les événements des dernières semaines montrent que des moyens sophistiqués ne suffisent pas face à des terroristes qui connaissent parfaitement le terrain. Cela pose le problème de la quantité et de la qualité du renseignement. La France est-elle seule ? Lors d'un déplacement au Mali, un responsable nous avait assuré que les Etats-Unis étaient également très présents dans la région.
De l'avis de plusieurs personnalités que nous avons auditionnées, rien n'est possible au Sahel sans l'intervention de l'Algérie, qui dispose seule dans la région d'une armée constituée et efficace. Y est-elle prête ? La France coopère-t-elle avec ce pays ?
Une question enfin sur la médecine militaire. Quelles suites donnerez-vous au rapport sévère de la Cour des comptes sur les hôpitaux militaires ?
Nous disposons d'importants moyens d'observation et de renseignement au Sahel, mais il faut se souvenir qu'il s'agit d'un territoire grand comme l'Europe, où le relief offre beaucoup de caches. Nous collaborons avec nos partenaires et notamment avec les Américains.
La France ne pourra pas seule sécuriser la région : c'est aux pays sahéliens, dont l'Algérie, de le faire.
S'agissant du service de santé des armées, j'aimerais que les hauts magistrats de la Cour des comptes aient des enfants militaires engagés dans les opérations en Afghanistan : ils seraient sans doute soulagés de savoir que nos armées disposent d'un service de santé efficace, grâce auquel nos soldats sont pris en charge sur le terrain, rapatriés et bien soignés en France. Il faut prendre en compte les sujétions particulières auquel ce service est soumis. Sans doute des efforts de gestion sont-ils souhaitables : j'ai demandé au directeur d'élaborer un projet de service et un plan d'action. Il faut notamment mieux coordonner les hôpitaux civils et militaires.
Parmi les pays du Sahel, c'est le Mali qui rechigne le plus à s'engager dans la lutte contre le terrorisme : ce vaste pays devient le refuge des terroristes, à qui les Touaregs fournissent d'ailleurs des moyens de communication et une aide logistique. Pourtant le Mali a tout intérêt à coopérer : son économie dépend du tourisme.
Je vous rejoins sur le diagnostic. Que pouvons-nous donc faire ? Le Président de la République est en contact très régulier avec son homologue malien, M. Amadou Toumani Touré, qui se montre ouvert au dialogue. Dans l'affaire des otages, nous avons obtenu sans difficulté un droit de suite. J'aurais souhaité une coopération militaire plus poussée...
Sur l'Hôtel de la Marine, les avis divergent : doit-on le vendre ? Le louer ? Quel est votre sentiment ?
Je commencerai par vous annoncer une bonne nouvelle : le projet Balard avance... J'ai visité l'Hôtel de la Marine depuis le toit jusqu'au bunker construit par l'occupant allemand, et j'ai pu constater que, si les grandes galeries donnant sur la place de la Concorde sont en excellent état, grâce au généreux mécénat de Bouygues qui a donné 6 millions d'euros, les bureaux de l'état-major de la marine sont lamentablement vétustes. C'est pourtant un très beau bâtiment, protégé au titre des monuments historiques ; ce fut le garde-meubles de la monarchie, et l'entrepôt des bijoux de la Couronne.
Il n'a jamais été question de le vendre, mais seulement de le louer par un bail emphytéotique dont la durée aurait pu s'élever à 60 ans, dans le cadre d'une délégation. Ce projet a suscité des réactions, et c'est pourquoi le Président de la République a annoncé la mise en place d'une commission de personnalités indépendantes qui se penchera sur la question.
La deuxième partie de votre audition sera consacrée aux enjeux de la transposition des deux directives européennes dites du « paquet défense » par un projet de loi que le Gouvernement a déposé en première lecture sur le bureau du Sénat, et que nous devrions être en mesure de rapporter devant la commission le 15 février prochain pour un examen en Séance publique le 10 mars. Je ne reviens pas sur la présentation de ces deux directives avec lesquelles, mes chers collègues, vous êtes désormais familiers.
Le texte qui nous est soumis doit trouver un équilibre entre, d'une part, la nécessaire mise en concurrence des industriels de défense - au sein de l'espace européen - afin de réduire le coût d'achat de nos armements et d'accroître la compétitivité de notre base industrielle et, d'autre part, éviter d'ouvrir cette concurrence à tous les vents, en particulier aux opérateurs économiques des Etats non membres de l'espace européen, qui continuent à cadenasser leur propre marché. La concurrence oui. La naïveté non. De ce point de vue l'équilibre proposé par le texte du Gouvernement est sans doute perfectible et je pense qu'il est nécessaire que nous oeuvrions tous dans le sens d'une meilleure rédaction.
Le marché européen des produits liés à la défense est aujourd'hui fragmenté en vingt sept régimes nationaux, dont les procédures, les champs d'application et les délais d'obtention des licences d'exportation sont très hétérogènes. Pour les entreprises comme pour les administrations, cette mosaïque de régimes occasionne des délais et des coûts. C'est un obstacle à la construction d'un marché européen pour les équipements de défense, à l'heure où l'Europe doit plus que jamais être en mesure de développer ses capacités militaires.
Ce projet de loi a pour premier objectif de transposer la directive sur les transferts intracommunautaires de produits liés à la défense pour simplifier les procédures et fluidifier les échanges, au profit des forces armées et des entreprises de ce secteur. Aujourd'hui, les importations comme les exportations des matériels de guerre et matériels assimilés sont soumises à un principe général de prohibition : quiconque souhaite vendre ou acheter des armes à l'étranger doit disposer d'autorisations d'importation des matériels de guerre (AIMG), d'agréments préalables et d'autorisations d'exportation de matériels de guerre (AEMG). La relation entre les entreprises et les autorités de contrôle est trop souvent marquée par la suspicion.
Nous proposons donc de simplifier considérablement les procédures de contrôle a priori grâce à trois types de licence - générale, globale, individuelle - correspondant au degré de sensibilité des opérations. La licence générale permettra de transférer librement à l'ensemble de nos partenaires européens, sous certaines conditions, les matériels figurant sur une liste fixée par un arrêté du Premier ministre. Elle devrait conduire à une réduction de moitié des autorisations individuelles.
Afin que l'ensemble de nos exportations bénéficie de cette dynamique, nous avons profité de la transposition de la directive pour moderniser notre système de contrôle des exportations - dont les principes remontent à 1939 - et le rapprocher de ceux de la plupart de nos partenaires. Nous proposons donc la création d'une licence dite unique : il s'agit de remplacer par une seule autorisation les deux étapes de l'agrément préalable, pour la négociation et la signature du contrat, puis de l'autorisation d'exportation, pour le passage de frontière des matériels. Des licences générales d'exportation seraient délivrées au profit de pays alliés ou assimilés non membres de l'Union européenne.
Toutes les parties prenantes devront s'adapter à ce nouveau mode de contrôle : aux entreprises de s'organiser différemment pour bénéficier des transferts effectués dans le cadre des licences générales de nos partenaires ; à l'Etat de créer un mécanisme de certification des entreprises rigoureux et d'organiser un contrôle a posteriori solide, sur pièces et sur place. Des sanctions pénales ont été prévues, ainsi que la possibilité de suspendre, d'abroger ou de retirer les licences, mais aussi la certification.
Le deuxième objectif de ce texte est de transposer la directive relative à la coordination des procédures de passation de marchés des travaux, de fournitures et de services par les pouvoirs adjudicateurs ou entités adjudicatrices dans les domaines de la défense et de la sécurité, pour contribuer à la construction d'un marché européen de l'armement. Jusqu'à présent, certains marchés de défense ou de sécurité étaient passés en application du code des marchés publics et de l'ordonnance du 6 juin 2005. D'autres - marchés secrets ou portant sur des armes, munitions et matériels de guerre - échappaient à cette réglementation générale et obéissaient à une réglementation « défense » particulière ; l'article 346 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) permet d'écarter toutes les règles de mise en concurrence pour la protection du secret et des intérêts essentiels de sécurité nationale. La directive du 13 juillet 2009 relative aux marchés de défense et de sécurité a pour objet d'empêcher tout recours abusif à cet article. Une fois transposée et appliquée de manière harmonieuse sur le territoire de l'Union, elle ouvrira les marchés européens de défense à la concurrence communautaire, dans le but de développer une base industrielle et technologique de défense européenne. Naturellement, chaque État conserve la faculté de recourir à l'article 346.
L'essentiel de la transposition de cette directive se fera par décret. Le projet de loi, qui soumet l'ensemble des marchés passés dans les domaines de la défense ou de la sécurité aux règles issues du marché intérieur, rassemble quelques dispositions législatives très techniques. Il modifie d'abord l'ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés non soumis au code des marchés publics afin de la mettre en cohérence avec le code des marchés publics, de prendre en compte la définition communautaire de la sous-traitance et d'instituer un dispositif permettant de fermer certains marchés aux opérateurs économiques non ressortissants de l'Union Européenne. Il modifie également le code de justice administrative pour y insérer les dispositions particulières relatives aux recours prévues par la directive.
Ce texte peut sans aucun doute être amélioré. Comme vous, je souhaite trouver le juste équilibre entre les nécessités de la concurrence et la protection de notre industrie, en particulier vis-à-vis d'entreprises implantées dans des États non membres de l'espace européen. Je vous ferai même quelques suggestions. La préférence communautaire pour les marchés de défense et de sécurité pourrait être clairement affirmée, comme y autorise la directive. Dès lors, au moment de la rédaction des appels d'offres pour chaque marché, l'autorité adjudicatrice pourrait définir si ce marché est restreint à la concurrence communautaire ou ouvert à une concurrence internationale. La directive fournit certains critères : les impératifs de sécurité, d'information et d'approvisionnement, la préservation des intérêts de la défense et de la sécurité de l'État, le développement de la base industrielle et technologique de défense européenne, le développement durable et la réciprocité.
A la réception des candidatures, peut-être faut-il autoriser l'autorité adjudicatrice d'écarter un candidat implanté hors du territoire de l'Union européenne, dont les capacités techniques ne seraient pas suffisantes pour exécuter le marché et assurer la maintenance, la modernisation ou l'adaptation des fournitures. Ces capacités techniques peuvent être appréciées au regard de l'implantation géographique de l'outillage, du matériel, de l'équipement technique, du personnel, du savoir-faire et des sources d'approvisionnement dont dispose le candidat.
Enfin, à la réception des offres, l'autorité adjudicatrice pourrait avoir intérêt à écarter une offre au motif que les moyens utilisés pour exécuter tout ou partie du marché, maintenir ou moderniser les produits acquis ne seraient pas localisés sur le territoire des États membres de l'Union européenne.
Risquons-nous de nous trouver en infraction vis-à-vis des règles de l'OMC ?
La directive prévoit explicitement que les règles de l'OMC ne s'appliquent pas dans ce domaine.
Ce projet de loi vise à encourager le développement d'une industrie européenne de défense. Mais tous les États membres jouent-ils le jeu ? La Suède appelle de ses voeux une coopération renforcée, mais vient d'acheter quinze hélicoptères américains, écartant l'offre d'Eurocopter ; la Pologne, aussitôt entrée dans l'Union, a acheté des F16 ! Les directives du paquet défense suffiront-elles à renforcer la base industrielle et technologique commune ?
Je m'inquiète des compensations industrielles, appelées offsets. La directive limite fortement les compensations entre pays européens, sans aller jusqu'à les prohiber complètement. Or les pays européens n'ayant pas d'industrie de défense ont intérêt à commercer avec les États-Unis, qui leur promettent d'implanter la totalité de la production sur leur territoire. Je pense en particulier à l'affaire du Joint Strike Fighter. Avez-vous pris en compte ce risque ?
L'harmonisation du régime de contrôle des exportations d'armement en Europe et sa simplification pour le « grand export » sont très attendues de nos industriels. En diminuant par deux le nombre d'autorisations et en réduisant leurs délais de traitement, cette réforme devrait améliorer la compétitivité d'un secteur qui comprend près de 350 entreprises et dont 50 000 emplois sont directement liés à l'export. Mais les simplifications risquent de rester virtuelles si l'administration n'est pas prête à les appliquer. Or le nouveau système informatique ne sera prêt qu'en 2014. Quelles solutions sont envisagées dans l'intervalle ?
Pourquoi ne pas avoir délégué à une structure administrative la délivrance des autorisations non sensibles - plus de la moitié - et en ne faisant remonter aux services du Premier ministre que les dossiers délicats ? C'est le modèle allemand, que préconisait le rapport de notre collègue Yves Fromion.
Sans volonté politique, l'ouverture des marchés ne suffira pas à renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne. Il faut relancer l'Europe de la défense, en prenant appui sur des coopérations bilatérales, par exemple franco-britannique. Ce texte introduit d'ailleurs dans notre droit les notions de réciprocité des échanges et de préférence communautaire.
S'agissant des offsets, je suis perplexe : la directive ne les mentionne pas explicitement, mais mes services juridiques m'assurent qu'elle les exclut en fait en interdisant à l'autorité adjudicatrice d'imposer une sous-traitance de la production sur son territoire ; en outre, la jurisprudence de la Cour de justice les proscrirait. Il faut reconnaître que ces compensations existent dans la pratique. Mais pour les empêcher, ce texte n'est pas le véhicule idoine.
S'agissant du contrôle, l'ancien mode de traitement administratif des demandes d'autorisation d'exportation a montré ses limites. La licence unique et le nouveau système d'information, qui devrait être opérationnel dès 2013, allègeront la procédure. En outre, nous étendons le champ de la procédure « en continu », qui permet de traiter des dossiers peu sensibles en une vingtaine de jours, par voie dématérialisée : cette procédure, employée pour 13 % des demandes au premier semestre 2010, l'a été pour 30 % d'entre elles au dernier trimestre, et notre objectif est d'atteindre une proportion de 40 ou 50 % en 2011.
Une fois n'est pas coutume, la France fait preuve de plus célérité qu'aucun autre pays dans la transposition de directives européennes. Puisse-t-elle ne pas être naïve ! L'application de ce texte, qui sera suivi de quatorze décrets et six arrêtés, devra faire l'objet d'un examen attentif. On voit à peu près ce que l'article 346 recouvre dans le cas français : il s'agit du nucléaire ou d'autres éléments de souveraineté. Mais que recouvrira-t-il ailleurs ? Ne soyons pas plus restrictifs que d'autres.
Nous passons d'un contrôle a priori à un contrôle a posteriori, mais le projet de loi ne dit rien des nouvelles procédures, qui devront être définies par décret. Aujourd'hui, le contrôle est assuré par la Direction générale de l'armement (DGA) et le Contrôle général des armées. Qu'en sera-t-il demain ? Les entreprises déplorent les délais de traitement des dossiers, mais souvenons-nous que le principe général de prohibition demeure, et qu'un contrôle strict reste indispensable. Aucun retour en arrière n'est tolérable.
Nous ne faisons que respecter le délai de transposition des directives, dont une grande partie s'effectuera par décret. Le diable est dans les décrets, me direz-vous... Nous tirerons tout le parti possible de la directive pour que nos entreprises soient convenablement protégées. La France est souvent bien vertueuse, plus que d'autres, dans la transposition des textes européens...
Je partage votre souci de maintenir un contrôle rigoureux. Un comité ministériel de contrôle placé auprès du ministre de la Défense et présidé par un membre du Contrôle général des armées sera chargé d'approuver les procédures de contrôle sur pièces, d'établir le programme des contrôles sur place, de proposer les évolutions réglementaires nécessaires, de veiller à la coopération des services concernés, etc. Le Contrôle général jouera un rôle d'animateur. Cette réforme fera l'objet d'un texte que je tiendrai à votre disposition dès qu'il sera au point.
Comment empêcher qu'un pays membre de l'Union européenne ne sous-traite sa production à un pays non membre, dont le marché nous resterait fermé ?
L'amendement que je vous ai suggéré autoriserait dans ce cas l'autorité adjudicatrice à rejeter l'offre.
La jurisprudence de la Cour de Luxembourg ne suffit pas à empêcher les offsets, car aucune entreprise désireuse de s'implanter sur un marché ne peut se risquer à attaquer une autorité adjudicatrice, même si elle s'estime lésée.
Il faut un cadre réglementaire renforcé. La Commission européenne y travaille.
Notre collègue a raison : une entreprise française qui porterait plainte contre une autorité adjudicatrice auprès de la Cour serait comme un producteur de porc attaquant en justice un supermarché : elle serait « déréférencée » et exclue de fait du marché ! C'est donc le syndicat professionnel qui doit porter plainte.
Sans doute est-ce la bonne méthode. Un mot enfin : le Gouvernement déposera un amendement précisant les modalités de visite et de constatation des infractions par la DGA.