Intervention de Dominique Gillot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 novembre 2011 : 1ère réunion
Loi de finances pour 2012 — Mission recherche et enseignement supérieur - examen des rapports pour avis

Photo de Dominique GillotDominique Gillot, rapporteure pour avis des crédits de l'enseignement supérieur :

Certaines des auditions que j'ai faites, au-delà du champ de mes compétences, m'ont alertée sur l'utilisation par les entreprises du CIR pour alléger leur impôt et non pour stimuler la recherche.

Quant aux crédits de l'enseignement supérieur, érigé en priorité politique du quinquennat, il faut reconnaître au Gouvernement un certain talent : une habileté dans la contorsion, en s'appuyant sur une confusion systématique entre financements budgétaires et extra-budgétaires et sur un camouflage des redéploiements et des coupes budgétaires. Les crédits de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » s'établissent, dans le projet de loi de finances pour 2012, à 25,44 milliards d'euros en crédits de paiement, contre 25,19 milliards d'euros en 2011.

Cette présentation en légère progression ne doit pas faire illusion : les engagements du chef de l'État d'augmenter, chaque année pendant cinq ans, d'un milliard d'euros le budget de l'enseignement supérieur, et de 800 millions d'euros le budget de la recherche ne seront pas tenus. Le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche a lui-même reconnu, au mois d'octobre, que l'enseignement supérieur bénéficierait, en 2012, de seulement 540 millions d'euros supplémentaires (budgétaires et extrabudgétaires). Si l'on ne tient pas compte des intérêts de l'opération Campus, d'un montant de 167 millions d'euros, la croissance réelle des crédits budgétaires de l'enseignement supérieur doit être ramenée à 373 millions d'euros.

Cette augmentation de seulement 1 % en crédits de paiement correspond à une perte d'au moins 0,7 % en pouvoir d'achat.

Une augmentation de la dotation de fonctionnement des universités, de 46 millions d'euros en 2012, inférieure à l'inflation, ainsi qu'une compensation très insuffisante de leur glissement vieillesse-technicité (GVT) positif devraient déboucher sur un gel des recrutements voire une suppression de postes au sein des établissements publics d'enseignement supérieur dont la situation budgétaire est la plus critique.

C'est le cas des universités dites de « territoire », de petite ou moyenne envergure, qui sont historiquement sous-dotées et rencontrent, cette année, les plus grandes difficultés à clôturer leur budget.

La Conférence des présidents d'université (CPU) indique ainsi que huit universités sont confrontées à des difficultés financières qui les conduiront vraisemblablement à présenter un budget en déséquilibre pour la deuxième année consécutive. Contrairement à ce que prétend le ministère, cette situation ne peut être imputée uniquement à des problèmes de gestion interne au sein de ces établissements ; c'est bien un écrêtement des dotations de fonctionnement et une compensation insuffisante des charges transférées par l'État qui en sont la cause !

L'État a transféré aux universités une masse salariale inerte qui ne tient pas compte de paramètres relevant d'une politique nationale sur lesquels les responsables d'établissement n'ont pas prise le recul de la date de départ à la retraite des personnels (4 mois de plus par an) ; l'augmentation de la masse salariale résultant des évolutions naturelles de carrière (GVT) ; les mesures de revalorisation de certaines catégories, telles que les maîtres de conférence ou les bibliothécaires ; l'augmentation de la charge de travail induite pour les enseignants-chercheurs par la mise en oeuvre du plan pour la réussite en licence, qui ne peut raisonnablement s'effectuer à effectifs constants.

Les 14,5 millions d'euros annoncés par le Gouvernement afin de compenser le GVT solde des universités me laissent particulièrement perplexe. Le GVT positif total des universités s'établit entre 19 et 20 millions d'euros. 5 millions d'euros d'augmentation de la masse salariale des universités à GVT positif restent donc à financer. Or, la CPU n'a pas pris de décision concernant un éventuel mécanisme de solidarité entre les universités qui ont un GVT négatif et celles qui ont un GVT positif. Compte tenu de la faiblesse globale des dotations de fonctionnement des universités, celles-là seront réticentes à céder une partie de leur financement à celles-ci. Les établissements les plus en difficulté devront se résoudre soit à geler ou supprimer des postes, soit à présenter un budget en déséquilibre et à se voir imposer la mise sous tutelle par le rectorat, avec la publicité stigmatisante qu'est prêt à en faire le ministre, comme il l'a démontré dans un communiqué la semaine dernière.

En effet, le 17 novembre, il a annoncé la mise sous tutelle de huit établissements ayant constaté deux déficits de fonctionnement consécutifs, accompagnée de la mise en place d'un « comité des pairs » censé les accompagner dans le rétablissement de leur situation, ce qui n'est qu'un habillage de la mise sous tutelle. Dans sa « grande sagesse », le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche entend ainsi prodiguer des leçons de gestion à des responsables d'université qu'il avait pourtant abandonnés sur le chemin de l'autonomie, en ignorant leurs cris d'alerte et leurs explications sur les rigidités structurelles qu'il leur était impossible de surmonter.

Comment ne pas s'indigner de l'humiliation subie par les huit établissements stigmatisés, désignés à la vindicte par un Gouvernement qui échoue dans la mise en oeuvre effective du principe d'autonomie des universités et qui rejette la responsabilité de ses errements et de ses approximations sur ses partenaires ?

Le malaise de la communauté étudiante est préoccupant. La bonne nouvelle du 10e mois de bourse, indispensable prise en compte de l'allongement de la durée de la scolarité, occulte une série de déconvenues sur lesquelles le ministère s'est bien gardé de communiquer. Ainsi, sur le programme 231 « Vie étudiante », les économies ont été réalisées sur les compléments de bourses et d'autres dispositifs d'aide : à la suppression du complément transport Île-de-France, s'ajoutent les économies portant sur le fonds national d'aide d'urgence (FNAU) ainsi que sur les aides à la mobilité internationale.

Ces mesures se traduisent par une baisse de la subvention de fonctionnement des opérateurs du programme, auxquels il est demandé de réduire leurs dépenses de fonctionnement. Ainsi, le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (CNOUS) et les autres opérateurs du programme et associations voient leurs subventions baisser de 12,8 millions d'euros en 2011, puis de 6,3 millions d'euros encore en 2012.

A propos des étudiants étrangers diplômés dans notre pays, l'éditorial du Monde de jeudi dernier évoque une « faute de la France ». Les étudiants étrangers sont stigmatisés par la politique de réduction drastique de l'immigration légale poursuivie par le Gouvernement, en particulier depuis la publication d'une circulaire du 31 mai 2011 relative à la maîtrise de l'immigration professionnelle par le ministre de l'intérieur. J'ai appris aujourd`hui que cette circulaire a des effets dévastateurs dans de nombreux pays, notamment en Chine.

Nos viviers de compétences dans certains secteurs sont insuffisants et les talents acquis par les étudiants étrangers, pour lesquels notre pays a investi des sommes significatives, sont indispensables. Le ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche reconnaissait lui-même que, dans un domaine aussi stratégique que celui des ingénieurs, la France forme 30 000 diplômés par an alors qu'elle en aurait besoin de 40 000.

Je soutiens donc la proposition de résolution portée par notre collègue Bariza Khiari qui invite le Gouvernement à respecter la lettre et l'esprit de la loi de 2006 permettant, sous certaines conditions, à des étudiants étrangers diplômés en France de travailler dans notre pays. Selon cette résolution, cette loi qui « permet aux étudiants étrangers titulaires d'un diplôme équivalent master et d'une promesse d'embauche de séjourner en France dans le cadre d'une première expérience professionnelle », est « dénaturée non seulement par la circulaire du 31 mai 2011 », mais « surtout par son application administrative », abusive.

La situation sanitaire des étudiants est profondément aggravée par la taxe sur les mutuelles étudiantes. Dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, notre assemblée a supprimé le doublement de la taxation des complémentaires santé voulu par le Gouvernement. J'ose espérer que le Gouvernement et la majorité présidentielle sauront revenir à la raison et valider l'exonération des mutuelles étudiantes de cette taxe.

Plus de 19 % des étudiants n'ont pas de complémentaire santé, contre 6 % de la population générale, et 34 % renoncent à des soins. Ajoutés aux statistiques publiées la semaine dernière par le Secours catholique, voilà qui devrait alerter les pouvoirs publics sur la paupérisation de nos étudiants et de notre jeunesse.

Pour l'ensemble de ces raisons, je vous proposerai de donner un avis défavorable à l'adoption de ces crédits.

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