La voie professionnelle a subi depuis 2008 une refonte extrêmement brutale et profonde qui n'a quasiment rien épargné de la carte des formations, de la construction des parcours et des modalités pédagogiques d'enseignement. Je n'étais pas opposée par principe à la réduction à trois ans du parcours menant au bac professionnel pour les meilleurs élèves. En revanche, j'ai toujours plaidé pour le maintien en parallèle de l'ancienne voie via le BEP, parce que je m'inquiétais comme les acteurs de terrain du sort des élèves les plus fragiles et des risques d'accroissement des sorties sans qualification. Mes craintes se sont malheureusement confirmées année après année.
La réforme est d'autant plus difficile à mener que les moyens consacrés aux lycées professionnels diminuent. C'est notamment dû à un affaiblissement alarmant des contributions des entreprises via le barème de la taxe d'apprentissage. La collecte et la répartition du produit de la taxe devraient également être revues. Deux points notamment m'ont beaucoup surprise :
1°- au sein du second degré, le public reçoit à peine plus que le privé alors que ce dernier scolarise cinq fois moins d'élèves ;
2°- au sein du second degré public, les lycées généraux et technologiques reçoivent environ 5 % du produit contre moins de 3 % pour les lycées professionnels.
La construction du barème de la taxe et l'affectation des fonds par les organismes collecteurs désavantagent donc très nettement les élèves de l'enseignement professionnel public.
Pour dresser un premier bilan de la réforme, je me suis penchée sur le suivi des élèves de seconde professionnelle. Le ministère de l'éducation nationale a confirmé nationalement un taux de passage d'environ 78 % en Première. En revanche, des taux de redoublements élevés ont été enregistrés, jusqu'à 6 % dans les académies de Lille et de Versailles, soit plus que dans les anciens BEP. Plus gravement, le nombre des sorties du système scolaire a augmenté et atteint presque 15 %. Si cette tendance se confirmait, la réforme se solderait par un accroissement sérieux des inégalités sociales et scolaires, qui signerait son échec et la nécessité d'en revoir profondément l'architecture.
La certification intermédiaire et le contrôle en cours de formation cristallisent une grande partie des écueils de la réforme. La progression pédagogique est perturbée, la charge de planification et d'organisation est démesurée, la fiabilité des évaluations est très incertaine, l'articulation avec l'accompagnement personnalisé et les périodes de formations en entreprise est déficiente.
Les formations de niveau V sont graduellement déprofessionnalisées et vidées de leur substance, ce dont les organisations patronales s'inquiètent d'ailleurs. Parallèlement, la possibilité de poursuite d'études en BTS a été beaucoup trop mise en avant, sans qu'aucun dispositif concret d'accompagnement des bacheliers professionnels ne soit mis en place. Tant du point de vue de la capacité d'insertion sur le marché du travail que des poursuites d'études, la réforme risque de susciter beaucoup de frustration dans les familles et les élèves qui ont cru à la revalorisation de la voie professionnelle.
Ce sont bien sûr les milieux populaires et les moins favorisés qui en paieront le prix. Je rappelle en effet que la moitié des élèves en voie professionnelle sont enfants d'ouvriers, de chômeurs ou d'inactifs, alors qu'ils ne représentent qu'un tiers de l'effectif global du second degré. En un an, les écarts se sont encore accrus avec les enfants d'enseignants, de cadres ou de professions libérales. Tout se passe comme si les catégories sociales au plus fort capital socioculturel fuyaient encore davantage l'enseignement professionnel que par le passé. Ceci donne l'impression d'une réforme non seulement incapable de renverser la logique de tri social qui gouverne notre système d'orientation mais qui s'en accommode et le consoliderait presque.
Enfin, la mastérisation a ouvert une crise majeure de recrutement d'enseignants en lycée professionnel. Les parcours appropriés de master dans les universités ont été mis en place très hâtivement et restent largement invisibles pour les candidats potentiels, ce qui a conduit à un tarissement sans précédent du vivier de candidats. Se prépare ainsi l'affaiblissement des formations dispensées dans les lycées par manque de titulaires bien formés et recours massif à l'emploi précaire. Les difficultés sont accrues par les obstacles mis à la reconversion de salariés. Le Medef et les branches professionnelles s'en alarment et craignent pour le niveau de qualification futur des jeunes.
J'aimerais dire un mot pour conclure sur le service public territorialisé d'orientation issu de la loi de 2009. Le chantier a pris un retard considérable mais je demeure réservée sur ce projet pour les mêmes raisons de principe qui me font repousser toute régionalisation de l'éducation nationale. Un possible transfert aux conseils régionaux de la compétence sur les lycées professionnels, y compris les personnels enseignants, a déjà été évoqué. J'y suis résolument hostile. Les ressources financières des régions sont trop minces et leur expertise pédagogique trop faible. En outre, tout ce qui est de nature à renforcer les inégalités sociales et territoriales entre les élèves doit être combattu. La mise en oeuvre du service public territorialisé de l'orientation doit donc être étroitement surveillée pour qu'elle ne puisse servir d'appui à la régionalisation complète des lycées.
En raison de la déstabilisation actuelle de l'enseignement professionnel, je vous propose de rendre un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission Enseignement scolaire.