Intervention de Colette Mélot

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 22 juin 2011 : 1ère réunion
Développement des langues et cultures régionales — Examen du rapport

Photo de Colette MélotColette Mélot, rapporteur :

Impossible de les citer toutes ! Elles diffèrent par le nombre des locuteurs, par le mode de transmission, familial ou scolaire, par leurs aires d'usage, leur vitalité et les politiques de soutien menées localement. Au regard de cette hétérogénéité fondamentale, le législateur ne saurait tracer un cadre uniforme commun, par nature mal ajusté aux spécificités de chaque cas. Aux normes nationales figées, préférons les initiatives locales. J'ai pu constater la vitalité des associations de promotion des langues régionales et des délégations régionales constituées à cet effet, en Aquitaine et en Midi-Pyrénées notamment. Le cadre légal et réglementaire actuel ne freine pas les projets ! Une circulaire cependant lèverait utilement certaines ambiguïtés d'interprétation : le ministère de la culture y travaille. La responsabilité des collectivités territoriales dans la préservation des langues régionales est éminente. N'attendons pas tout de l'État, alors que les intérêts sont essentiellement locaux. L'État garde, bien sûr, sa part de responsabilité. Il s'en acquitte de façon très satisfaisante, notamment au travers de l'Éducation nationale et de l'audiovisuel public, sans qu'il soit justifié de lui imposer de nouvelles obligations. Ce sont, toutes formes d'enseignement confondues, quelque 193 500 élèves qui suivent un enseignement de langue régionale, dont 125 000 dans le premier degré. Les demandes des parents paraissent globalement satisfaites par l'offre actuelle.

Pour atteindre ces résultats, l'éducation nationale a mobilisé des ressources importantes pour le recrutement d'enseignants. Par exemple, 133 postes dits bivalents de professeurs des écoles ont été proposés par les académies en 2010. Depuis 2002, 1 339 postes ont été offerts. Mais il y a à peine deux candidats et demi pour un poste : ces concours ne semblent pas attrayants.

L'effort de l'État pour affirmer la présence des langues régionales dans les médias n'est pas moins important. La loi du 30 septembre 1986 donne mission à l'audiovisuel public d'assurer la promotion de la langue française et des langues régionales et de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France. La mission de production et de diffusion en langues régionales a été réaffirmée dans la loi du 5 mars 2009 réformant le service public de la télévision. Les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France la transcrivent fidèlement. Une part non négligeable des temps d'antenne est aujourd'hui réservée à l'expression en langues régionales et à la découverte des cultures régionales. En 2010, France 3 a ainsi diffusé en métropole environ 300 heures d'émissions en alsacien, en basque, en breton, en catalan, en corse, en occitan et en provençal. La chaîne Via Stella, en Corse, a diffusé 900 heures supplémentaires de programmes en langue corse. Les « Télé-Pays » outre-mer font également beaucoup pour les créoles. En outre, pour France Télévisions comme pour Radio France, les journaux d'information et les émissions de la diffusion classique sont reprises dans l'offre en différé et à la demande. Et Internet constitue plus encore un excellent instrument de diffusion des langues.

Le législateur doit-il encore intervenir ? On peut en douter. En outre, la proposition de loi n'a pas une base juridique satisfaisante. La quasi-intégralité des titres Ier, II, III et IV, qui induisent pour l'État, les collectivités et l'audiovisuel public des coûts supplémentaires, pourrait être déclarée irrecevable au nom de l'article 40 de la Constitution. Les articles 57 et 58 de la proposition de loi proposent un gage sur les accises et les dotations budgétaires. Mais l'article 40 autorise seulement la compensation des pertes de recettes, non d'une aggravation de charge publique.

La conjonction de certaines dispositions pourrait conduire à la reconnaissance d'un droit collectif opposable à l'État par des groupes minoritaires, défini sur une base linguistique. Cela est contraire au principe d'unicité du peuple français et d'indivisibilité de la République. Je pense au statut protégé, aux obligations de formation, à l'attribution automatique de fréquences de radio et des autorisations nécessaires aux télévisions régionales, à la signalétique bilingue dans les services publics, à la présomption d'absence de discrimination dans l'organisation de toute activité éducative, sociale ou professionnelle en langue régionale.

La libre utilisation des langues régionales fait partie de la liberté d'expression et de communication, garantie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Mais elle doit être conciliée avec la primauté accordée au français par l'article 2 de la Constitution. Certaines dispositions compromettent cet équilibre. Outre les risques d'inconstitutionnalité qu'encourt le texte, il convient aussi de remarquer que le droit existant est riche de possibilités inexploitées et que plusieurs articles sont satisfaits par le droit en vigueur. Les auteurs, par des énumérations limitatives, affaiblissent même la portée générale de dispositions existantes. Les recours se multiplieront.

Certaines dispositions sont d'ordre purement réglementaire : c'est le cas de l'article 18 relatif au recrutement des enseignants, car l'organisation des concours, le détail des formations, relèvent d'un décret. Enfin, les mesures auraient un coût très élevé. Tous nos interlocuteurs lors des auditions, l'Éducation nationale, le ministère de la culture, France Télévisions ou l'ARF se sont montrés préoccupés par l'impact financier éventuel. Les efforts demandés sont excessifs, d'autant plus qu'ils visent plus à faire émerger une demande au sein de la population qu'à répondre à des besoins identifiés - eux largement satisfaits. Malgré mon attachement sincère à la préservation des langues régionales, je ne peux qu'émettre un avis défavorable à l'adoption de la présente proposition de loi.

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