La commission examine le rapport de Mme Colette Mélot sur la proposition de loi n° 251 rect. (2010-2011) relative au développement des langues et cultures régionales.
La proposition de loi rectifiée présentée par M. Navarro sur le développement des langues et cultures régionales est de vaste portée. Elle touche aussi bien à l'éducation, aux médias et au spectacle vivant qu'à la place des langues régionales dans la vie publique, la vie économique et sociale, l'onomastique et la toponymie. Nombre de ses dispositions sont communes avec celles de la proposition de loi de M. Alduy, dont on connaît l'attachement à la langue catalane. J'ai mené de nombreuses auditions : ministères de l'éducation nationale et de la culture, Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), France Télévisions, association des régions de France (ARF), Unesco, ainsi que des linguistes et des associations. Le temps des « guerres linguistiques » est révolu ; l'inscription des langues régionales dans la Constitution l'a bien marqué. Il faut conserver un statut prééminent au français, qui est notre langue nationale commune, la langue de la vie publique et de la République, un des piliers de l'unification de notre pays. Les langues à vocation régionale n'en constituent pas moins une richesse culturelle.
Le terme générique de « langues régionales » masque une très grande variété : il y a peu en commun entre le basque, le breton, l'occitan et ses variétés, l'alsacien, le catalan, le corse, le flamand occidental, les créoles, le tahitien, les langues kanaks et amérindiennes.
Impossible de les citer toutes ! Elles diffèrent par le nombre des locuteurs, par le mode de transmission, familial ou scolaire, par leurs aires d'usage, leur vitalité et les politiques de soutien menées localement. Au regard de cette hétérogénéité fondamentale, le législateur ne saurait tracer un cadre uniforme commun, par nature mal ajusté aux spécificités de chaque cas. Aux normes nationales figées, préférons les initiatives locales. J'ai pu constater la vitalité des associations de promotion des langues régionales et des délégations régionales constituées à cet effet, en Aquitaine et en Midi-Pyrénées notamment. Le cadre légal et réglementaire actuel ne freine pas les projets ! Une circulaire cependant lèverait utilement certaines ambiguïtés d'interprétation : le ministère de la culture y travaille. La responsabilité des collectivités territoriales dans la préservation des langues régionales est éminente. N'attendons pas tout de l'État, alors que les intérêts sont essentiellement locaux. L'État garde, bien sûr, sa part de responsabilité. Il s'en acquitte de façon très satisfaisante, notamment au travers de l'Éducation nationale et de l'audiovisuel public, sans qu'il soit justifié de lui imposer de nouvelles obligations. Ce sont, toutes formes d'enseignement confondues, quelque 193 500 élèves qui suivent un enseignement de langue régionale, dont 125 000 dans le premier degré. Les demandes des parents paraissent globalement satisfaites par l'offre actuelle.
Pour atteindre ces résultats, l'éducation nationale a mobilisé des ressources importantes pour le recrutement d'enseignants. Par exemple, 133 postes dits bivalents de professeurs des écoles ont été proposés par les académies en 2010. Depuis 2002, 1 339 postes ont été offerts. Mais il y a à peine deux candidats et demi pour un poste : ces concours ne semblent pas attrayants.
L'effort de l'État pour affirmer la présence des langues régionales dans les médias n'est pas moins important. La loi du 30 septembre 1986 donne mission à l'audiovisuel public d'assurer la promotion de la langue française et des langues régionales et de mettre en valeur la diversité du patrimoine culturel et linguistique de la France. La mission de production et de diffusion en langues régionales a été réaffirmée dans la loi du 5 mars 2009 réformant le service public de la télévision. Les contrats d'objectifs et de moyens de France Télévisions et de Radio France la transcrivent fidèlement. Une part non négligeable des temps d'antenne est aujourd'hui réservée à l'expression en langues régionales et à la découverte des cultures régionales. En 2010, France 3 a ainsi diffusé en métropole environ 300 heures d'émissions en alsacien, en basque, en breton, en catalan, en corse, en occitan et en provençal. La chaîne Via Stella, en Corse, a diffusé 900 heures supplémentaires de programmes en langue corse. Les « Télé-Pays » outre-mer font également beaucoup pour les créoles. En outre, pour France Télévisions comme pour Radio France, les journaux d'information et les émissions de la diffusion classique sont reprises dans l'offre en différé et à la demande. Et Internet constitue plus encore un excellent instrument de diffusion des langues.
Le législateur doit-il encore intervenir ? On peut en douter. En outre, la proposition de loi n'a pas une base juridique satisfaisante. La quasi-intégralité des titres Ier, II, III et IV, qui induisent pour l'État, les collectivités et l'audiovisuel public des coûts supplémentaires, pourrait être déclarée irrecevable au nom de l'article 40 de la Constitution. Les articles 57 et 58 de la proposition de loi proposent un gage sur les accises et les dotations budgétaires. Mais l'article 40 autorise seulement la compensation des pertes de recettes, non d'une aggravation de charge publique.
La conjonction de certaines dispositions pourrait conduire à la reconnaissance d'un droit collectif opposable à l'État par des groupes minoritaires, défini sur une base linguistique. Cela est contraire au principe d'unicité du peuple français et d'indivisibilité de la République. Je pense au statut protégé, aux obligations de formation, à l'attribution automatique de fréquences de radio et des autorisations nécessaires aux télévisions régionales, à la signalétique bilingue dans les services publics, à la présomption d'absence de discrimination dans l'organisation de toute activité éducative, sociale ou professionnelle en langue régionale.
La libre utilisation des langues régionales fait partie de la liberté d'expression et de communication, garantie par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Mais elle doit être conciliée avec la primauté accordée au français par l'article 2 de la Constitution. Certaines dispositions compromettent cet équilibre. Outre les risques d'inconstitutionnalité qu'encourt le texte, il convient aussi de remarquer que le droit existant est riche de possibilités inexploitées et que plusieurs articles sont satisfaits par le droit en vigueur. Les auteurs, par des énumérations limitatives, affaiblissent même la portée générale de dispositions existantes. Les recours se multiplieront.
Certaines dispositions sont d'ordre purement réglementaire : c'est le cas de l'article 18 relatif au recrutement des enseignants, car l'organisation des concours, le détail des formations, relèvent d'un décret. Enfin, les mesures auraient un coût très élevé. Tous nos interlocuteurs lors des auditions, l'Éducation nationale, le ministère de la culture, France Télévisions ou l'ARF se sont montrés préoccupés par l'impact financier éventuel. Les efforts demandés sont excessifs, d'autant plus qu'ils visent plus à faire émerger une demande au sein de la population qu'à répondre à des besoins identifiés - eux largement satisfaits. Malgré mon attachement sincère à la préservation des langues régionales, je ne peux qu'émettre un avis défavorable à l'adoption de la présente proposition de loi.
La proposition de loi va passer par pertes et profits, je le pressens. Mme la rapporteur dresse un tableau idyllique de la situation des langues régionales. Formation, information, tout va bien ; et tout ce qui est proposé peut se faire dans le cadre juridique actuel. Cette réponse est caricaturale ! En Dordogne, on a supprimé des places au Capes et des postes dans les établissements secondaires et primaires. C'est une régression. Ne dites pas que l'Éducation nationale fait des efforts pour appliquer les mesures décidées dans le passé.
Nous sommes tous des ardents défenseurs de nos langues régionales, de l'alsacien à l'occitan - lequel est un vaste ensemble comprenant le béarnais, le languedocien... Mais elles sont en train de mourir ! Quid de la biodiversité ? On protège les paysages, le biotope, les espèces, mais on laisse les langues dépérir, ainsi que les cultures. Je regrette que l'on ne puisse pas en discuter.
Notre objectif n'est pas d'empêcher la discussion dans l'hémicycle. Simplement, comme il s'agit d'une proposition de loi émanant d'un groupe, la commission ne va pas établir de texte et c'est la rédaction des auteurs qui sera examinée en séance publique. Vous savez que j'ai désormais le pouvoir, en tant que président de commission, d'opposer l'article 40. Je ne l'ai pas fait afin que l'ensemble de la proposition vienne en discussion. Et celle-ci pourra être modifiée par des amendements en séance, même si aucun amendement n'a été déposé devant la commission dans les délais.
Je souligne qu'il s'agit d'un gros texte de 58 articles. Or le groupe socialiste en a inscrit un autre également, et les deux sont à examiner en quatre heures... Soit dit en passant, je fus rapporteur en 1994 de la loi sur la langue française et elle comptait moins d'articles. Ce sera en tout cas l'occasion de faire le point sur les langues régionales et sur ce que nous pouvons faire pour qu'elles vivent mieux.
Nous sommes effectivement contraints par le temps, pour toutes les propositions de loi. Je prends acte de vos propos, Monsieur le président, mais la majorité ne présentera-t-elle pas une exception d'irrecevabilité ou une motion de renvoi en commission ? Parler des réalités, fixer des priorités, c'est très bien. Mais il faut que la discussion ait lieu, et non seulement la discussion générale.
Votre groupe a choisi de déposer deux textes importants pour une séance de quatre heures... Je vois mal comment la discussion sur les articles pourrait être menée à son terme. Mais, si je ne puis ici engager mon groupe, encore moins la majorité sénatoriale, à titre personnel je souhaite que le débat prospère car il est légitime. C'est un sujet qui traverse tous les groupes et, à l'UMP comme chez les socialistes, certains ont signé une proposition tandis que d'autres s'y opposaient.
Ce débat passionne le Parlement : le nombre de propositions de loi, de questions écrites, de questions orales, émanant de tous les groupes politiques, l'atteste. Si une motion était déposée, elle interviendrait après la discussion générale, de toute façon. Nous avons tous à coeur de préserver l'unicité de la langue française mais aussi l'existence des langues régionales.
Je souscris aux propos de M. Bérit-Débat et remercie le président Legendre de veiller à ce que le texte vienne au moins jusqu'en discussion générale.
J'espère que l'on ne brandira pas le drapeau de l'inconstitutionnalité contre les langues régionales, qui sont une richesse et non une menace pour la République et la nation. Paris, les gouvernements et la nation protègent les vins, les cuisines régionales, le patrimoine architectural ou naturel, mais ce patrimoine immatériel que sont les langues régionales survit à peine ! Depuis la loi Deixonne de 1951 les nombreuses propositions présentées depuis lors ont été systématiquement retoquées. Après la guerre, dans les années soixante-dix, dans les années quatre-vingt, il y a eu des sursauts, un renouveau de la musique, de la danse, de la culture régionales et un élan militant pour faire reconnaître la langue et les noms originels des lieux. L'article 75-1 de la Constitution a été introduit en 2002, mais il ne sert à rien, il est purement décoratif, car aucune loi n'organise son application concrète. Nous avons pourtant besoin d'un statut des langues de France. Cela donnerait un sens à la signature de la France aux documents de l'Unesco et du Conseil de l'Europe sur tout ce qui concerne les langues régionales et minoritaires.
Mme Mélot l'a dit, les collectivités se sont saisies de la question. En Bretagne, nous avons 112 000 brittophones, terme que je préfère à celui de « bretonnants ». Ils sont plus nombreux dans le Finistère qu'ailleurs. Nous avons 6 000 jeunes dans l'enseignement bilingue, dans le public et le privé, hors réseau associatif Diwan. Il existe aujourd'hui 75 000 locuteurs de 60 ans et plus : la langue est un outil d'utilité sociale, car les personnes qui souffrent d'Alzheimer retournent souvent à leur langue maternelle et ne parviennent plus à communiquer dans une autre langue. Au sein du conseil général, nous avons même créé des formations pour le personnel des établissements concernés.
La transmission familiale a fait défaut, quand la contrainte de l'État français n'a pas joué un rôle essentiel. Mes parents n'ont jamais voulu me parler en breton, par conséquent je ne le parle pas - mais je le comprends ! Les livres de Claude Hagège -L'enfant aux deux langues- et de Mona Ozouf montrent l'importance du bilinguisme pour parvenir au multilinguisme. Bref, la reconnaissance des langues régionales s'impose. Les élèves qui suivent un enseignement bilingue ont d'excellents résultats en français !
Nous avons eu à Quimper la visite de journalistes de CNN et d'Al Jazira, qui venaient étudier le problème de l'extinction des langues régionales ! Le reportage réalisé en décembre dernier était excellent. Aujourd'hui, les parlementaires ont le choix : accompagner la disparition de cette richesse en se limitant à des soins palliatifs ou accorder une réelle reconnaissance aux langues.
Un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle, dit un proverbe africain.
La reconnaissance est inscrite dans la Constitution mais elle n'est pas d'application directe comme le principe de précaution. Or il n'y a pas de lois d'application ! Et localement, tout dépend du zèle du recteur : c'est ainsi que le flamand occidental et le picard souffrent d'un manque d'ouverture au sein des services de l'État. Sans formation des formateurs, la transmission n'est plus possible. N'importe qui ne peut enseigner n'importe quoi, évitons l'amateurisme. La proposition de M. Navarro fixe des obligations, des moyens, des outils, c'est pourquoi elle est si riche.
On peut aussi contester la façon dont elle tricote les choses. Mais on aurait pu attendre de la commission qu'elle profite de l'occasion pour donner chair à l'article 75-1. J'ai vu personnellement une proposition de loi sur les oeuvre visuelles orphelines, présentée par l'opposition, être certes érodée par la majorité, mais au moins inscrite dans le réel et en partie adoptée. Ici, on contemple le sujet comme un chef d'oeuvre en péril, on admire, on s'exclame, mais on ne fait rien de constructif. Les langues régionales sont des fenêtres sur le monde, l'acquisition de leur grammaire et de phonèmes différents forment un background précieux pour les apprentissages linguistiques ultérieurs.
Vous démontrez que la menace pour le français ne vient pas des langues régionales mais de l'anglo-américain !
Nous sommes attachés à ces langues qui forment un véritable patchwork et expriment nos racines les plus profondes. Si l'on rompt ce cordage, le bateau sera bientôt en perdition sur l'océan... Je soutiens la proposition et cosignerai l'amendement de M. Alduy. Chacun connaît ma position.
On ne saurait prétendre qu'il n'y a pas eu de nombreuses tentatives pour éradiquer les patois, depuis l'abbé Grégoire en 1794 : ce dernier ne s'est pas privé de dire qu'il fallait anéantir les patois au nom de l'universalité de la langue française, de l'unilinguisme au sein de la nation. Et ceux qui parlaient « ces jargons lourds et grossiers qui défendent des idées superstitieuses » étaient culpabilisés, accusés de résister au progrès social. Les dialectes vulgaires, disait-on encore, ne se prêtent pas à traduction : on voit pourtant en Suisse que le multilinguisme fonctionne !
En France, la reconnaissance des langues régionales a été tardive et leur renaissance est intervenue au moment où, moribondes, elles ne menaçaient plus l'unité nationale - si elles ne l'avaient jamais fait... Une reconnaissance réelle, qui ne soit pas soumise à l'arbitraire d'un recteur, est indispensable. Il ne s'agit pas de remettre en cause la place prépondérante du français, mais de donner un peu d'oxygène aux langues locales, un peu de dignité aussi, après deux siècles d'arrogance francophone.
Ni Balzac ni Montesquieu n'ont écrit dans la langue de leur région d'origine mais j'apprécie aussi la lecture de Bernard de Ventadour. On peut admirer le français sans dénigrer les cultures de moindre rayonnement. Mais que l'on n'agite pas le spectre du babélisme, comme le font volontiers les opposants aux langues régionales ! Je souhaite que ce texte de loi instaure un respect plus réel et un cadre culturel et juridique adapté.
Le sens de la proposition de loi m'intéresse plus que sa conformité à la Constitution. Je peux vous le dire en occitan, sinon en béarnais : podi parla en patois ...
Cela illustre la première difficulté que je veux soulever !
Ma grand-mère ne parlait que l'occitan. Mon grand-père, après sept ans d'armée, connaissait le français. Mes parents interdisaient à mes grands-parents de « parler en patois au petit ». En CE2, je fus mis au piquet parce que je savais parfaitement nommer les objets dessinés au tableau noir, mais seulement en occitan. Et aujourd'hui, il faudrait que je réapprenne l'occitan ! A Toulouse, dans une ville qui accueille chaque année de nouveaux habitants venus de Bretagne et de partout ailleurs en France, de Grande-Bretagne et de partout ailleurs en Europe, vais-je devoir parler en occitan ?
Il y a trente ans, jeune conseiller général, j'ai défendu le projet d'enseignement de la langue occitane et je suis attaché à ce patrimoine immatériel ; mais je suis hostile au patriotisme de terroir, qui est une régression. J'ai voulu que mes enfants apprennent l'anglais ; aujourd'hui, je veux que ma petite-fille parle le chinois, qu'elle soit mondialisée et non occitane ! Je suis un homme inscrit dans le monde avec ma culture occitane mais je refuse cette loi du retour à la terre, ce texte de régression. Mme Bruguière parlait de bateau ivre sur l'océan : peut-être à notre époque a-t-on l'impression de perdre nos repères, mais ce n'est pas en apprenant l'occitan ou le breton que nous les retrouverons. La meilleure façon de communiquer, c'est encore de parler la même langue, c'est pourquoi je prends des cours d'anglais ! La proposition de loi est un texte de régression, mais je soutiens l'enseignement des langues régionales.
Dans la Constitution, il est écrit que la République est une et indivisible. La proposition de nos collègues est contraire à cette idée. Je dis oui à la discussion du texte, non à son adoption.
J'appartiens à une génération où existait encore le service militaire. J'ai fait mes classes à la base de Dijon, où ma promotion comptait un « redoublant » : c'est parce qu'il parlait seulement le breton à son arrivée. Nous avons une langue magnifique, quel dommage de lui porter atteinte ! Soit dit en passant, j'aurais pu vous dire tout cela... en franc-comtois ! Je remercie notre rapporteur de se prononcer contre ce texte dangereux.
Ce débat intéressant en appelle d'autres. Je ne pourrai me satisfaire d'à peine deux heures de discussion. Je partage les propos tenus par Mme Blandin, M. Bérit-Débat, M. Signé, mais le débat est faussé si l'on évoque exclusivement les langues et non les cultures. Il est compliqué, aussi, car il faut revenir à l'histoire, aux contraintes imposées par la République, avec virulence voire violence. Celle qui est en danger, c'est la langue française, menacée par l'anglais, bientôt langue régionale au niveau mondial. Il faut également vivifier l'enseignement du français, facteur d'intégration des nouveaux arrivants.
Voyons la complexe histoire de France comme une richesse : les pays de langue d'oc, qui se développèrent plus rapidement que les pays de langue d'oïl autour du marché du sel -véritable or méditerranéen- et des villes qui, telle Toulouse, préfiguraient déjà, avec l'amour courtois, la Renaissance. Plutôt que d'une loi qui divise, travaillons à une loi qui rassemble les Français autour de leurs cultures régionales, dont les langues régionales font partie. Mais attention à l'enseignement par immersion qui serait source de difficultés : comment un Brestois qui aurait appris la physique en breton pourrait-il travailler à Strasbourg ?
Le français est cette superbe langue des Lumières qui a fait la France, avec ses qualités et ses défauts ; celle qui a rassemblé les Français contre l'occupant nazi au nom de la liberté. Je souhaite un débat plus vaste !
L'essentiel, a bien dit M. Renar, est d'abord de consolider le socle commun de la langue française. Certes, on peut regretter l'époque où les instituteurs interdisaient de parler le patois, et aussi apprenaient aux gauchers, à coups de règle sur les doigts, à écrire de la main droite. Depuis, la science nous a appris que le cerveau compte deux hémisphères polyvalents. Les gauchers sont aussi performants que les autres : nous en avons la démonstration tous les étés à Roland-Garros.
Je viens d'un département proche de la Wallonie et donc d'un pays, francophone à sa naissance il y a 250 ans et où règne un bilinguisme officiel. Les Wallons, désormais moins nombreux, sont obligés d'apprendre le néerlandais. Mais les Flamands ne prennent pas la peine de leur répondre ! Ce bilinguisme entraîne subrepticement la Belgique vers la catastrophe politique et économique : ils n'ont plus de gouvernement pour veiller à l'équilibre budgétaire.
Moi qui suis savoyard et, donc, Français depuis 150 ans seulement, je suis comme les autres aussi attaché à notre histoire, à nos racines et aux langues régionales. Pour autant, je considère, comme M. Plancade, que le développement et la transmission de ces dernières doivent s'appuyer sur le volontariat et les associations. Et, ce, parce que nos programmes scolaires sont déjà trop chargés ; qu'un tiers des élèves en sixième ne maîtrisent pas la langue française et que la priorité, aujourd'hui, est d'enseigner des langues étrangères ; enfin parce que, d'après les enquêtes, l'apprentissage des langues régionales, y compris en option, n'améliore pas les résultats scolaires.
Pour finir, le 6 juillet, le comité olympique choisira la ville qui accueillera les Jeux olympiques d'hiver de 2018. Pensez-vous qu'une présentation en patois savoyard renforcera les chances d'Annecy ?
Connaissant mal l'occitan, il me faudrait feuilleter le dictionnaire occitan de Lavalade pour savoir comment on dit patchwork.
Plutôt que d'opposer le Français aux langues régionales, trouvons une autre voie. L'intérêt de ce texte est d'ouvrir le débat. Pour avoir vécu quelques années à Bruxelles où l'on parle un sabir européen à base d'anglais mâtiné d'allemand et de français, je crains que le français ne devienne bientôt une langue régionale, résiduelle. Montrons donc un peu plus de compassion à l'endroit des langues qui connaissent déjà ce sort !
Au reste, je suis confiante. Le 15 juin, à Quimper, Frédéric Mitterrand, ministre de la culture, déclarait avoir constaté, au cours de ses déplacements en métropole et en outre-mer, l'existence d'un « réservoir extraordinaire de langues » en France. « Il n'y a pas un combat pour la langue et une combat pour les langues. », ajoutait-il, avant de s'engager à présenter un texte à l'Assemblée nationale dans quelques semaines. Espérons que nous aurons plus de temps pour débattre de ce texte gouvernemental que nous n'en aurons pour cette proposition de loi !
Je propose que la commission n'établisse pas de texte. Mais nous pourrons avoir un débat intéressant en séance sur les langues régionales.
L'époque n'est plus où une langue s'opposait à une autre : le français n'est pas menacé par les langues régionales, il n'a pas vocation à les absorber. Ce serait appauvrir notre patrimoine commun.
En revanche, gardons à l'esprit que toute identification d'une langue à une communauté fragiliserait l'unité nationale. Cette conception dangereuse, qui va souvent de pair avec une vision de la nationalité fondée sur le droit du sang, existe en Europe. Je l'ai rencontrée quand j'ai siégé au Conseil de l'Europe. Ne nous y trompons pas ! Si aucun des membres de notre commission ne la partage, ayons-la à l'esprit lorsque nous discuterons de la meilleure manière de protéger notre patrimoine, qu'il soit matériel ou immatériel.
Notre prochaine réunion sera consacrée à l'examen des amendements extérieurs.
Le rapport est adopté.
En application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission décide de se saisir du texte n° E 6301 soumis en application de l'article 88-4 de la Constitution.