Intervention de Anne-Marie Escoffier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 2 juin 2010 : 1ère réunion
Prise illégale d'intérêts des élus locaux — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Anne-Marie EscoffierAnne-Marie Escoffier, rapporteur :

Nous examinons le texte proposé par notre collègue Bernard Saugey sur un sujet qui fut aussi porté en son temps par notre collègue Pierre-Yves Collombat. Il nous est soumis en réponse à une recrudescence de jurisprudence, émanant en particulier de la Cour de Cassation, en 2008, qui soulève de vraies questions dans la mesure où se trouve amplifiée la nature des sanctions et de la qualification de la prise illégale d'intérêts.

Je rappelle que celle-ci se définit comme un manquement au devoir de probité de la part de toute personne exerçant des fonctions publiques. Le principe, déjà connu du droit romain, a été repris dans les ordonnances de Saint Louis et de Charles VI. C'est en 1810 qu'il fut inscrit dans notre code pénal, sous la dénomination de délit d'ingérence, devenue, dans l'article 432-12 du code actuel, délit de prise illégale d'intérêts.

L'objet de ces dispositions est d'instituer la responsabilité des personnes exerçant des fonctions publiques, qu'elles soient dépositaires de l'autorité publique, chargées d'une mission de service public ou investies d'un mandat électif local ou national. Cette responsabilité ne vaut qu'autant qu'elle est liée aux fonctions exercées au moment des faits. Pour ce qui est des éléments constitutifs, chacun reconnaît que les contours en sont flous. Les faits ne sont constitués qu'autant que la personne a pris, reçu ou conservé, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont il a, au moment des actes, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement.

Cette notion de surveillance, floue, pose aujourd'hui problème. Des faits peuvent être retenus contre quelqu'un quels que soient son autonomie ou son pouvoir personnel, y compris s'il partage avec d'autres ses prérogatives. M. Marcel Pochard, que nous avons entendu, a souligné que l'élément constitutif peut être la simple association à un processus de décision, ce qui inclut la simple préparation ou la proposition de décision prise ensuite par d'autres. On voit l'enjeu pour les élus, leurs adjoints et les fonctionnaires qui travaillent auprès d'eux.

La notion d'intérêt « quelconque » pose elle aussi problème. L'intérêt peut être matériel ou moral, direct ou indirect ; il peut être pris en compte indépendamment de la recherche d'un gain ou autre avantage personnel. D'après la jurisprudence de 2000 de la Cour de Cassation, il « se consomme par le seul abus de la fonction ».

Autre caractéristique : la prise illégale d'intérêts, aux termes de l'arrêt du 19 mars 2008, n'est pas nécessairement en contradiction avec l'intérêt communal.

Bref, l'élargissement du champ ainsi couvert est tel que l'on peut se demander comment les collectivités, les élus, les fonctionnaires peuvent encore agir. D'autant que les intercommunalités et les associations auxquelles ils sont parties prenantes se sont développées. Songeons que la seule connaissance des faits intéressés, au travers de leur préparation, peut être incriminée, que l'élu ait voté ou pas !

Le délit peut être puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. La sanction peut être assortie d'une interdiction d'exercer ses droits civiques et des fonctions publiques. Les personnes condamnées sont frappées, aux termes de la loi du 19 janvier 1995, d'incapacité électorale.

Il est vrai que le nombre de condamnations n'est pas excessif - 44 en 2005, dont 14 élus ; 51 en 2006, dont 19 élus ; 49 en 2007, dont 10 élus - et qu'elles ne sont pas prononcées au taux maximal. Reste que cette jurisprudence constitue un véritable frein à l'action des élus et des fonctionnaires.

Il existe certes des dérogations légales dont bénéficient les élus, mais seulement dans les communes de moins de 3500 habitants, pour autant que les opérations se font en toute transparence pour l'ensemble de la population.

La proposition de loi qui nous est soumise ne vise nullement à amoindrir la responsabilité des élus ou les sanctions, mais à réprimer la recherche de l'intérêt particulier. Le terme d'intérêt « quelconque », très aléatoire, est supprimé au profit de l'expression d'intérêt « personnel distinct de l'intérêt général ».

Votre rapporteur a procédé à de nombreuses auditions et analysé de près la jurisprudence : elle ne propose en aucun cas d'amoindrir la responsabilité des élus et des fonctionnaires, mais de protéger l'action des élus en préservant la neutralité de leurs fonctions publiques et en leur indiquant les comportements à éviter.

La montée en puissance du monde associatif et des agences accroît, pour les élus, le risque de responsabilité pénale, au point qu'il devient difficile de trouver des candidats à certaines élections. Ce texte, d'une grande sobriété, serait bien reçu des élus et des fonctionnaires inquiets de la jurisprudence des tribunaux.

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