a indiqué que la première partie du rapport soulignait d'abord l'indifférence quelque peu étonnante de l'ensemble des acteurs, employeurs et pouvoirs publics notamment, face à l'amiante, alors que la menace que représente cette fibre pour la santé est connue de longue date, rappelant que son utilisation dans l'industrie, en France, avait été intensive, en raison de ses qualités « exceptionnelles » et de son faible coût. Il a noté que plus de 3.000 produits à utilisation industrielle ou domestique avaient ainsi été fabriqués à base d'amiante, et que l'exposition professionnelle à l'amiante concernait, selon l'Institut de veille sanitaire (InVS), plus d'un quart des retraités masculins. Il a estimé qu'il n'était pas possible de se retrancher derrière des incertitudes sur les effets de l'amiante sur la santé, tant la suspicion qui pesait sur cette fibre était forte, avant que ses dangers ne soient maintes fois démontrés au cours du siècle.
Il a rappelé que la loi de 1893 contre l'empoussièrement des ateliers visait à lutter contre les lésions pulmonaires résultant des poussières et que la dangerosité de l'amiante avait été mise en évidence dès 1906, par un inspecteur du travail du Calvados dans une filature de Condé-sur-Noireau. Il a également indiqué que les affections professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières d'amiante avaient été prises en compte au titre des tableaux de maladies professionnelles dès 1945. Il a ajouté que l'histoire du risque amiante avait été ponctuée d'alertes importantes qui constituaient autant d'occasions de prendre conscience du danger, notamment dans les années 1970, avec l'affaire Amisol, à Clermont-Ferrand, et celle de Jussieu, alors qu'en avril 1977, le Professeur Bignon écrivait une lettre d'alerte sanitaire au Premier ministre, M. Raymond Barre. Par ailleurs, la réglementation communautaire a fait l'objet d'une transposition qui a mobilisé les services du ministère du travail.
a constaté qu'en dépit de l'accumulation des connaissances scientifiques et médicales, il existait une discordance complète entre le risque documenté et les pratiques au sein des entreprises pour essayer de réduire ce risque. Il a rappelé les propos du professeur Claude Got, pour qui on en savait assez, sur le plan médical, pour gérer le risque amiante en 1965, et il a fait observer que des éléments convergents laissent penser que ces risques étaient d'ailleurs bien connus des industriels de l'amiante mais aussi de l'administration.
Il a indiqué le bilan humain considérable des pathologies provoquées par l'amiante, en particulier les cancers broncho-pulmonaires et les mésothéliomes. Non seulement 35.000 personnes sont mortes, en France, d'une maladie de l'amiante, entre 1965 et 1995, mais entre 50.000 et 100.000 décès sont encore attendus d'ici 2025. Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), 100.000 personnes meurent chaque année, dans le monde, du fait de l'amiante. Il a rappelé que les rapports de la fin des années 1990, celui de l'INSERM de 1996/1997 et celui du Professeur Got en 1998, avaient mis en évidence l'ampleur du drame sanitaire provoqué par l'amiante, tout en estimant qu'une telle présomption existait bien avant cette époque.
a ensuite souligné la passivité des donneurs d'alerte institutionnels de l'époque face à l'amiante. Certes, avant la loi de sécurité sanitaire de 1998, aucun organisme n'avait pour mission d'alerter les pouvoirs publics des risques qu'occasionnaient les produits toxiques, comme c'est le cas de l'InVS aujourd'hui. Il existait cependant des instances compétentes en matière de santé publique qui n'avaient pas alerté les pouvoirs publics sur les dangers de l'amiante.
Il a également mis en évidence le rôle ambigu de l'Institut national de recherche et sécurité (INRS) dans le drame de l'amiante, regrettant que cet organisme, qui devait particulièrement bien connaître l'amiante et ses effets nocifs sur la santé des salariés, comme en témoigne le nombre de ses publications consacrées à ce matériau, n'ait jamais officiellement alerté les pouvoirs publics, tandis que son directeur général de l'époque est à l'origine de la création du comité permanent amiante (CPA). Il a également rappelé la passivité de la médecine et de l'inspection du travail face au drame de l'amiante, les syndicats de salariés eux-mêmes ayant pu se trouver écartelés entre des objectifs contradictoires, c'est-à-dire la promotion de la sécurité au travail et la sauvegarde de l'emploi.
a ensuite souligné le rôle anesthésiant joué par le lobby de l'amiante, le CPA s'étant progressivement attribué le monopole de l'expertise sur ce dossier. Cette structure rassemblait, entre 1982 et 1995, des représentants de plusieurs ministères, dont celui de la santé et celui du travail, les partenaires sociaux, les industriels de l'amiante et des scientifiques. Elle a joué un rôle particulièrement ambigu dans cette affaire, qui ne saurait être réduit à celui d'un simple promoteur de la prévention en matière de sécurité au travail. Le CPA s'est montré d'une remarquable efficacité et a notamment su convaincre certains médecins de se joindre à ses travaux, ceux-ci lui fournissant une caution scientifique incontestable.
Le rapporteur a estimé que le CPA avait su profiter des carences des pouvoirs publics, qui ont fini par reprendre à leur compte son argumentaire, par exemple sur la politique d'usage contrôlé, tout en exploitant les incertitudes scientifiques du dossier. Rappelant que des premières mesures réglementaires avaient été adoptées par la Grande-Bretagne en 1931 et par les Etats-Unis en 1946, il a estimé que la réaction des autorités sanitaires françaises avait incontestablement été tardive et insuffisante, la première valeur moyenne d'exposition professionnelle n'ayant été fixée que par le décret du 17 août 1977. Il a fait observer que la réglementation de 1977 s'était malheureusement révélée peu efficace et qu'elle avait eu, paradoxalement, un effet démobilisateur. Le décret de 1977 a été en outre mal appliqué, ce que le ministère du travail n'ignorait pas. Le rapporteur a d'ailleurs noté que le Conseil d'Etat avait affirmé l'insuffisance de cette réglementation dans ses arrêts de 2004 établissant la responsabilité de l'Etat. Il a rappelé que l'usage de l'amiante n'avait été interdit que tardivement en France, soit au 1er janvier 1997.
Puis M. Gérard Dériot, rapporteur, a abordé la question des responsabilités, qui sont multiples.
Il a rappelé que, dans ses arrêts du 28 février 2002, la chambre sociale de la Cour de cassation, appelée à examiner une série de dossiers portant sur les suites données par les juridictions civiles à des demandes d'indemnisation consécutives à des maladies professionnelles dues à la contamination par l'amiante, a donné une nouvelle définition de la faute inexcusable de l'employeur en termes d'obligation de sécurité de résultat.
Il a fait observer que, dans la pratique, les arrêts du 28 février 2002 avaient facilité la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, désormais quasi systématique, mais que la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation pouvait avoir des conséquences financières très lourdes pour les entreprises, d'autant plus que les assurances refusent désormais de couvrir le risque constitué par la reconnaissance de la faute inexcusable.
Il a également indiqué que la responsabilité de l'Etat avait été établie, qu'il s'agisse de l'Etat employeur comme de l'Etat régalien, à double titre : en l'absence d'une réglementation spécifique à l'amiante, c'est-à-dire avant 1977, et à partir de 1977, en présence d'une réglementation spécifique à l'amiante mais insuffisante et trop tardive. Le Conseil d'Etat, par quatre arrêts du 3 mars 2004, a ainsi condamné l'État à indemniser les victimes de l'amiante sur le fondement de la faute pour carence dans le domaine de la prévention des risques liés à l'exposition professionnelle à l'amiante. Le rapporteur a considéré que l'affirmation de la responsabilité de l'État, si elle est naturellement essentielle pour faire toute la lumière sur ce drame qui s'est déroulé sur plusieurs décennies, ne saurait être suffisante et constituer l'explication générale d'une responsabilité collective, tellement large qu'elle éluderait la question de l'enchaînement des responsabilités des différents acteurs.
a ensuite abordé la question de la responsabilité pénale, rappelant que plusieurs plaintes avaient jusqu'à présent été conclues par des non-lieux au niveau des cours d'appel. Il a fait observer que ce « blocage » judiciaire suscitait l'incompréhension des victimes, qui, avec leurs associations de défense, en font porter la responsabilité à la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon », à laquelle il est reproché, notamment, de distinguer la cause directe et la cause indirecte du dommage. La « loi Fauchon » interdirait ainsi toute poursuite, d'autant plus qu'elle exige, pour engager la responsabilité, une faute caractérisée qui serait quasiment impossible à démontrer dans l'affaire de l'amiante.
S'appuyant notamment sur le témoignage de Mme Bertella-Geffroy, il a noté que la loi du 10 juillet 2000 avait rendu nécessaire la conduite d'instructions plus approfondies, ce qui ne peut que servir la cause des victimes de l'amiante. Jugeant excessif d'affirmer que la loi du 10 juillet 2000 rendait impossible tout procès pénal de l'amiante, il a estimé que certains acteurs de l'affaire de l'amiante seraient susceptibles d'entrer dans le cadre fixé par la loi pour voir leur responsabilité pénale engagée.
Il a néanmoins observé que le traitement de ces dossiers est rendu plus difficile par la modestie des moyens d'instruction de la justice pénale. Si le regroupement des affaires concernant l'amiante auprès des pôles santé publique de Paris et Marseille va dans le bon sens, il s'est interrogé sur les moyens dont ces pôles disposeront pour mener à bien l'instruction d'une affaire qui pourrait être, comme l'a montré l'exemple des Etats-Unis, la plus grosse affaire pénale du siècle.