Intervention de Henri Bourguinat

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 13 juin 2006 : 1ère réunion
Etats-unis — Déficits public et courant américains - Audition de M. Henri Bourguinat professeur émérite à l'université de bordeaux iv

Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV :

a considéré que, si la résorption du déficit budgétaire était techniquement réalisable, il était en revanche beaucoup plus difficile de résorber le déficit du solde courant. Il a rappelé les fluctuations récentes du taux de change du dollar par rapport à l'euro, à savoir une dépréciation de 1999 à 2001, une appréciation de 2002 à 2004, enfin une dépréciation en 2005 et en 2006. Il a souligné qu'elles ne s'expliquaient pas par l'évolution du solde courant des Etats-Unis, alors que le taux de change effectif réel du dollar restait relativement stable dans le temps, du fait de l' « ancrage » de nombreuses monnaies asiatiques sur le dollar.

Il a souligné que le déficit courant des Etats-Unis, représentant 6,7 % du PIB en 2005, serait considéré comme insupportable pour la plupart des autres Etats, et que, selon des projections réalisées par divers économistes américains, ce taux pourrait atteindre 12 % ou 13 % du PIB en 2012. Il a cependant indiqué que, selon plusieurs études récentes réalisées aux Etats-Unis, le déficit courant des Etats-Unis serait soutenable. Il a expliqué que, selon une première théorie, dite de « l'asymétrie des monnaies d'endettement », défendue notamment par Mme Hélène Rey et M. Pierre-Olivier Gourinchas, deux économistes français installés outre Atlantique, les Etats-Unis pourraient supporter un déficit courant important, leurs dettes étant libellées en dollars, alors que leurs créances l'étaient dans la monnaie du pays concerné. De ce fait, si une dépréciation du dollar n'avait aucun impact sur le montant des dettes, exprimé en dollars, elle augmentait, en revanche, leurs créances, une fois celles-ci converties en dollars. Il a cependant considéré que cette analyse était peu satisfaisante, en particulier parce qu'elle ne portait pas sur une période de durée suffisante, et qu'elle prenait en compte une valorisation qui n'était que virtuelle. Il a alors exposé une seconde théorie, dite de la « dark matter » (« matière noire »), par analogie avec la « masse cachée » de l'univers, selon laquelle le fait que les Etats-Unis aient un solde positif de la balance des revenus des investissements, alors que l'on aurait dû s'attendre à l'inverse, s'expliquait par le fait que les statistiques ne prenaient pas en compte certaines exportations immatérielles des Etats-Unis, comme la connaissance ou la notoriété de leurs marques, qui permettaient à leurs entreprises de bénéficier de taux de retour élevés sur leurs investissements à l'étranger. Il a néanmoins estimé que cette théorie n'était pas satisfaisante, ces taux étant en réalité peu élevés.

Il a alors exposé la théorie, proposée notamment par M. Paul Krugman, professeur à l'université de Princeton, dans un article publié le 11 avril 2006 dans le « New York Times », selon laquelle les entreprises étrangères sous-estimaient les profits de leurs filiales américaines, dans un dessein d'optimisation fiscale, ce qui avait pour conséquence une sous-évaluation, par les statistiques, des profits des entreprises étrangères réinvestis dans des opérations aux Etats-Unis. Il a ajouté que si cette théorie était vérifiée, le déficit courant des Etats-Unis pourrait être supérieur de 100 milliards de dollars aux estimations habituelles.

a considéré qu'au total, la thèse de l'innocuité du déficit courant des Etats-Unis était peu convaincante, le « double déficit » reflétant des difficultés structurelles qui mettaient le système international à la merci d'un retournement. Il a souligné que si le déficit courant des Etats-Unis avait permis une forte croissance de l'économie des Etats-Unis, et donc de l'économie mondiale, il rendait l'économie américaine vulnérable à une augmentation des taux d'intérêt. Il a considéré que le déficit courant des Etats-Unis avait donné lieu à un « grand arrangement » entre les Etats-Unis et l'Asie, aux termes duquel les Etats-Unis achetaient les produits des pays d'Asie, en échange de quoi ceux-ci leur achetaient leurs obligations, contribuant à retarder l'augmentation des taux d'intérêt. Il s'est par ailleurs interrogé sur les possibles conséquences financières d'une dégradation des relations entre la Chine et les Etats-Unis, ou d'une réorganisation du portefeuille des agents, en particulier des banques centrales, au profit d'autres monnaies que le dollar. Il a considéré qu'un effondrement du dollar aurait des conséquences catastrophiques pour les pays ayant adopté l'euro, où se reporteraient certains investissements jusqu'alors réalisés en dollars.

En conclusion, il a considéré qu'il convenait d'éviter un « atterrissage en catastrophe » du dollar, ce qui impliquait de développer la coopération monétaire internationale, sur le modèle de la conférence tenue en septembre 1985 à l'hôtel Plaza de New-York (dite « conférence du Plaza »).

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