Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 13 juin 2006 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CAS
  • courant
  • théorie
  • États-unis

La réunion

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La commission a, tout d'abord, entendu une communication de MM. François Marc et Michel Moreigne, rapporteurs spéciaux de la mission « Direction de l'action du gouvernement », sur le contrôle relatif au Centre d'analyse stratégique (ex-Commissariat général du Plan), mené en application des dispositions de l'article 57 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Moreigne

a souligné que le choix de ce thème de contrôle budgétaire, en janvier 2006, était motivé par des débats de fond, récurrents, mais aussi par un contexte spécifique.

S'agissant des débats de fond sur l'ex-Plan, il a rappelé qu'il avait lui-même été, naguère, rapporteur spécial de ces crédits. Il a souligné que trois questions lui avaient paru essentielles. Tout d'abord, il s'est interrogé sur l'avenir pour le Plan après la fin de la « planification à la française ». Puis il s'est demandé quelles missions confier à un organisme dont les effectifs s'élevaient à 192 emplois équivalents temps plein travaillé (ETPT) et dont le budget dépassait 19 millions d'euros dans la loi de finances initiale pour 2006. Enfin, il a attiré l'attention sur les moyens d'améliorer le fonctionnement interne des groupes de travail, compte tenu des observations qu'avait formulées sa collègue Nicole Bricq, alors rapporteure spéciale des crédits du Plan, dans son rapport d'information de juin 2005, qui portait un titre prémonitoire, « Commissariat général du Plan : à suivre... ».

Il a noté que les éléments de contexte avaient pleinement justifié la conduite d'une nouvelle mission de contrôle budgétaire. Il a rappelé que, le 28 octobre 2005, M. Alain Etchegoyen, alors commissaire général du Plan, avait démissionné de ses fonctions pour protester contre la transformation annoncée du Plan en un nouvel organisme. Il a précisé que la transformation du Plan avait ainsi été menée à bien par le successeur de M. Alain Etchegoyen, Mme Sophie Boissard. La phase finale de cette « mue » avait été la parution, au Journal officiel du 6 mars 2006, d'un décret créant le Centre d'analyse stratégique (CAS). Trois mois plus tard, il s'est donc interrogé sur le regard que l'on pouvait porter sur le « tout nouveau CAS », ainsi que sa place dans le paysage institutionnel français, sans qu'il reproduise les imperfections de l'ancien Commissariat général du Plan.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

a indiqué que le Centre d'analyse stratégique, positionné au niveau interministériel, avait clairement une vocation prospective et d'aide à la décision politique. Il a jugé que ce choix pouvait paraître naturel, mais qu'il n'allait pourtant pas de soi. Après l'abandon des travaux du Xe Plan (1989-1993), la question s'était alors posée d'une réorientation vers un rôle d'analyse a posteriori. De même, il a rappelé les projets qui auraient confié au Plan la mission de définir le cadre d'une stratégie pluriannuelle de l'Etat, ce qui allait au-delà d'un rôle indicatif ou incitatif. Au final, il a précisé que le CAS avait une fonction prospective, et non de bilan, et qu'il avait pour mission d'aider à la prise de décision politique, non de définir un cadre politique. Il a cité l'une des phrases de la méthode philosophique selon Socrate, en observant que le Centre d'analyse stratégique permettrait d'opérer une maïeutique, c'est-à-dire d'aider à l'accouchement de la décision politique, après confrontation des différentes opinions au sein des commissions du CAS.

A cet égard, M. François Marc, corapporteur spécial, a noté que le CAS avait déjà défini plusieurs pistes de travail, ambitieuses, en ce qui concernait, par exemple, la politique de la mer ou les perspectives énergétiques. S'agissant des politiques énergétiques, il a précisé qu'un premier rapport devait être présenté en décembre 2006 par la Commission énergie du CAS, présidée par M. Jean Syrota, ancien président de la COGEMA et de la Commission de régulation de l'électricité (CRE). Il a ajouté qu'un rapport définitif serait présenté en avril 2007, « avant la préparation du budget 2008 », comme avait tenu à le préciser Mme Sophie Boissard, directrice générale du CAS, à l'issue de la première réunion du comité d'orientation du Centre d'analyse stratégique, tenue le 30 mai 2006.

a souligné que la création du comité d'orientation, dont il était membre en sa qualité de sénateur, traduisait une volonté de rationalisation de l'action des organismes publics d'étude ou à vocation prospective. Institué auprès du directeur général du CAS, le comité d'orientation se réunissait au moins deux fois par an, afin d'être notamment consulté sur le programme de travail du CAS. Il a précisé que le comité d'orientation comprenait, entre autres, le président délégué du Conseil d'analyse économique, le président délégué du Conseil d'analyse de la société, le président du Conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, le président du Conseil d'orientation des retraites, le président du Conseil d'orientation pour l'emploi, ainsi que deux députés et deux sénateurs.

a indiqué qu'il s'était assuré, en collaboration avec M. Michel Moreigne, que la création du Comité d'orientation s'effectuait à budget constant, dans le seul objectif d'une meilleure coordination entre des intervenants multiples. Mais ils s'étaient interrogés sur l'opportunité d'aller plus loin en envisageant des rapprochements : lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, ils avaient ainsi exprimé le voeu d'un regroupement des crédits du Plan, du Conseil d'orientation des retraites (« le COR ») et du Conseil d'analyse économique (« le CAE ») dans une même action du programme « Coordination du travail gouvernemental ». A cet égard, ils se sont félicités de l'annonce faite en ce sens par Mme Sophie Boissard, lors de son audition par leurs collègues de la commission des affaires économiques et de la délégation pour la planification, le 17 mai dernier : « si le Conseil d'orientation des retraites ne ressortit pas budgétairement du centre [d'analyse stratégique], [elle] a précisé désirer que ce dernier se transforme progressivement en « maison des conseils » intégrant sur une seule plate-forme l'ensemble des structures nationales d'analyse et de prospective, le rapatriement en son sein des crédits consacrés au COR et au CAE dès 2007 devant à cet égard se traduire par une économie pour le budget de l'Etat ». M. François Marc, corapporteur spécial, a rappelé que les crédits du COR et du CAE s'élevaient, respectivement, à 800.000 et 400.000 euros dans le budget 2006.

a salué un autre progrès : la prise de conscience de la dimension communautaire des politiques nationales. Ainsi, il a cité l'article premier du décret du 6 mars 2006 ayant créé le CAS : le CAS prenait en compte « les objectifs de long terme fixés par les institutions compétentes de l'Union européenne et contribuait à ce titre à la préparation des programmes mis en oeuvre dans le cadre de la stratégie » dite de Lisbonne, à savoir les grandes orientations économiques, sociales et environnementales définies chaque année par les chefs d'Etat et de gouvernement.

a jugé que le cadre d'activité du CAS était indéniablement clarifié par rapport à l'ancien Plan, mais qu'il convenait également que les structures internes tendent à une organisation optimale. A ce stade, compte tenu de la jeunesse du Centre d'analyse stratégique, il a indiqué que les rapporteurs spéciaux formulaient d'abord des voeux de croissance harmonieuse « du nouveau-né ».

a indiqué que trois critères étaient apparus déterminants pour le succès du nouveau CAS : la capacité à définir des objectifs opérationnels précis ; des méthodes de travail rigoureuses ; le respect d'un calendrier compatible avec les échéances inhérentes à la prise de décision politique.

Dans le cadre de la mise en oeuvre de la LOLF, il a jugé nécessaire la formulation d'objectifs et d'indicateurs de performance, au vu de priorités préalablement définies, afin de mesurer l'efficacité de la dépense publique. A cet égard, il a observé que le budget du CAS (19 millions d'euros) représentait une part non négligeable (près de 4 %) de l'ensemble des dépenses de la mission « Direction de l'action du gouvernement ». Il lui apparaissait donc souhaitable qu'un objectif de performance soit défini pour le CAS, ce qui n'était pas le cas actuellement, au niveau soit du programme « Coordination du travail gouvernemental » de la mission « Direction de l'action du gouvernement », soit de la déclinaison opérationnelle de ce programme sous forme de budget opérationnel de programme (BOP).

a observé que, parmi les critères susceptibles d'être retenus, « il ne s'agissait bien évidemment pas de fixer des objectifs quantitatifs, exprimés en nombre de rapports ou de réunions ». Il a indiqué que M. Michel Moreigne et lui-même s'étaient plutôt interrogés sur la possibilité d'analyser l'utilisation des travaux du CAS par les usagers et les administrations, ou encore sur les conditions de traitement des demandes adressées au CAS. Il a cité l'exemple du Médiateur de la République, qui opérait un suivi de la mise en oeuvre de ses recommandations par les administrations. Il s'est demandé si cette démarche ne pourrait pas inspirer le CAS, sans aliéner son indépendance.

S'agissant des modalités de fonctionnement du CAS, M. François Marc, corapporteur spécial, a fait référence aux observations formulées par sa collègue Nicole Bricq, alors rapporteure spéciale du budget du Plan, dans son rapport d'information de juin 2005.

Il a estimé indispensable que le CAS ne reproduise pas les dysfonctionnements de l'ancien Commissariat général du Plan, à savoir des groupes de travail au fonctionnement trop hétérogène, certaines ambiguïtés dans les modalités d'association de personnalités extérieures et une conception floue de la démarche prospective.

A ce stade, il a jugé que les projets en cours traduisaient, déjà, une volonté de rationalisation des méthodes de travail pour améliorer le suivi des travaux, qu'il s'agisse de la création de Commissions internes au CAS ou de la diffusion par mèl d'une lettre du CAS.

a indiqué que le respect d'un calendrier préalablement défini pouvait faire débat. D'une part, il a relevé que l'autonomie du CAS exigeait qu'il ne soit pas contraint par des délais trop stricts. D'autre part, il s'est inquiété que des travaux à trop long terme ne se traduisent pas en mesures politiques concrètes. En effet, le CAS exerçait ses missions « sous l'autorité du Premier ministre », et ce dernier pouvait légitimement attendre les résultats des travaux du CAS dans des délais raisonnables, pour pouvoir éclairer la décision à prendre par le gouvernement.

Pour conclure, M. François Marc, corapporteur spécial, a exprimé sa conviction, partagée avec M. Michel Moreigne, corapporteur spécial, que le succès de la création du CAS s'apprécierait dans la durée, au regard de la capacité du nouvel organisme à aider à la prise de décision politique sur le fondement d'analyses rigoureusement indépendantes.

Après que M. Jean Arthuis, président, eut remercié les rapporteurs spéciaux pour la grande qualité de leurs travaux, un débat s'est ensuite instauré.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

s'est interrogé sur les possibles regroupements des différents organismes à vocation prospective en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Moreigne

a déclaré partager l'objectif d'une rationalisation des structures de contrôle : selon lui, il ne fallait pas sans cesse « contrôler les contrôleurs », ni « expertiser les experts ».

Il a cité l'exemple du transfert, en 1994, des travaux relatifs à l'intelligence économique de l'ancien Plan vers le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), comme l'illustration de la difficulté à délimiter strictement les compétences des divers organismes.

S'agissant du CAS, il a exprimé le voeu que ses travaux se fondent sur quelques préoccupations essentielles : l'impact sur la croissance économique, l'effet sur le marché de l'emploi et les conséquences sur les déficits budgétaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

s'est demandé s'il était possible d'envisager une réduction des emplois publics, au regard des effectifs du CAS, qui s'élevaient à 192 emplois équivalents temps plein travaillé dans le projet de loi de finances pour 2006.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Moreigne

a répondu qu'il fallait laisser le temps au CAS de faire ses preuves, en se demandant si « le phénix renaîtrait de ses cendres ».

Après avoir rappelé qu'un débat sur la politique énergétique devait être organisé au Sénat le jeudi 15 juin 2006, M. Michel Sergent s'est interrogé sur la capacité du CAS à produire des analyses en temps utile, compte tenu du calendrier des travaux parlementaires.

En outre, il a déploré la faible activité de l'Observatoire national de l'électricité et du gaz, dont il était membre en sa qualité de sénateur : après une première réunion d'installation de l'Observatoire, celui-ci s'était réuni moins d'un an plus tard pour constater qu'il ne disposait pas des moyens nécessaires à un travail efficace, ce qui avait préludé à sa mise en sommeil.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

a précisé le calendrier des travaux de la commission du CAS sur l'énergie : un rapport d'étape devrait être remis en fin d'année, puis un rapport de synthèse d'ici à avril 2007. Il a observé que ces dates étaient compatibles avec la définition d'une politique énergétique nationale, avant la présidence française de l'Union européenne au second semestre de l'année 2008, au cours de laquelle un débat sur l'énergie devrait être engagé au niveau communautaire.

Parmi les autres travaux en cours du CAS, il a précisé que la TVA sociale constituait une piste de réflexion pour une réforme du financement de la protection sociale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a demandé des précisions sur l'évolution des crédits du CAS, et plus généralement sur les motifs justifiant le maintien d'un organisme issu de l'ancien Plan, après la fin de la « planification à la française ».

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

a observé que le CAS envisageait une poursuite de ses activités à moyens constants, mais dans le cadre d'un regroupement des différents services d'études (Conseil d'orientation des retraites, Conseil d'analyse économique, voire Conseil d'analyse de la société) qui auguraient de futures synergies, ainsi que de réelles économies budgétaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Moreigne

a ajouté qu'il ne fallait pas condamner le CAS dès sa naissance, mais que la commission, par l'intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux, serait vigilante sur l'activité du CAS qui devait, en tout état de cause, rester sous l'autorité du Premier ministre.

La commission a alors, à l'unanimité, donné acte à MM. François Marc et Michel Moreigne, rapporteurs spéciaux, de leur communication et décidé d'en autoriser la publication sous la forme d'un rapport d'information.

Présidence de M. Jean Arthuis, président, puis de M. Paul Girod

La commission a procédé ensuite à l'audition de M. Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV, sur les « déficits jumeaux », à savoir le déficit du solde courant et le déficit public des Etats-Unis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a rappelé que M. Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV, était spécialiste de l'économie et de la finance internationales, sur lesquelles il avait publié de nombreux ouvrages. Il a indiqué que M. Henri Bourguinat, qui venait de publier, en mars 2006, un ouvrage sur « Les intégrismes économiques », avait également écrit sur les « déficits jumeaux ». Il était en particulier l'auteur de l'article intitulé « Le retour des déficits jumeaux et le partage de l'épargne mondiale », publié dans la « Revue d'Economie Politique » en 2003, et repris la même année dans la revue « International Journal of Business and Strategy ».

Procédant à l'aide d'une rétro-projection, M. Henri Bourguinat a rappelé que l'expression de « déficits jumeaux » avait été utilisée pour la première fois en 1983 par M. Martin Feldstein, pour désigner conjointement le déficit de la balance courante et le déficit des administrations publiques des Etats-Unis. Il a cependant souligné que le lien entre les deux déficits n'apparaissait aujourd'hui pas évident. Ainsi, si de 2002 à 2005 les Etats-Unis avaient connu à la fois un déficit courant et un déficit budgétaire, le budget fédéral avait connu un excédent en 2001, alors que ce pays connaissait un déficit courant. Il a considéré qu'il convenait, en conséquence, de parler, plutôt que de « déficits jumeaux », de « double déficit ».

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

s'est étonné de ce que les Etats-Unis aient un solde courant négatif, alors que les flux de capitaux à destination des Etats-Unis étaient importants.

Debut de section - Permalien
Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV

En réponse, M. Henri Bourguinat a précisé que si le solde courant comprenait bien les investissements nets, les importants investissements étrangers aux Etats-Unis avaient comme contrepartie des investissements presque aussi importants des Etats-Unis à l'étranger. Il a indiqué que, selon M. Kenneth Rogoff, professeur à l'université de Harvard, c'était la première fois, depuis la Rome antique, qu'un Etat captait une telle proportion de l'épargne mondiale.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

a souligné que l'économie des Etats-Unis était en grande partie financée par la Chine.

Debut de section - Permalien
Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV

a considéré que, si la résorption du déficit budgétaire était techniquement réalisable, il était en revanche beaucoup plus difficile de résorber le déficit du solde courant. Il a rappelé les fluctuations récentes du taux de change du dollar par rapport à l'euro, à savoir une dépréciation de 1999 à 2001, une appréciation de 2002 à 2004, enfin une dépréciation en 2005 et en 2006. Il a souligné qu'elles ne s'expliquaient pas par l'évolution du solde courant des Etats-Unis, alors que le taux de change effectif réel du dollar restait relativement stable dans le temps, du fait de l' « ancrage » de nombreuses monnaies asiatiques sur le dollar.

Il a souligné que le déficit courant des Etats-Unis, représentant 6,7 % du PIB en 2005, serait considéré comme insupportable pour la plupart des autres Etats, et que, selon des projections réalisées par divers économistes américains, ce taux pourrait atteindre 12 % ou 13 % du PIB en 2012. Il a cependant indiqué que, selon plusieurs études récentes réalisées aux Etats-Unis, le déficit courant des Etats-Unis serait soutenable. Il a expliqué que, selon une première théorie, dite de « l'asymétrie des monnaies d'endettement », défendue notamment par Mme Hélène Rey et M. Pierre-Olivier Gourinchas, deux économistes français installés outre Atlantique, les Etats-Unis pourraient supporter un déficit courant important, leurs dettes étant libellées en dollars, alors que leurs créances l'étaient dans la monnaie du pays concerné. De ce fait, si une dépréciation du dollar n'avait aucun impact sur le montant des dettes, exprimé en dollars, elle augmentait, en revanche, leurs créances, une fois celles-ci converties en dollars. Il a cependant considéré que cette analyse était peu satisfaisante, en particulier parce qu'elle ne portait pas sur une période de durée suffisante, et qu'elle prenait en compte une valorisation qui n'était que virtuelle. Il a alors exposé une seconde théorie, dite de la « dark matter » (« matière noire »), par analogie avec la « masse cachée » de l'univers, selon laquelle le fait que les Etats-Unis aient un solde positif de la balance des revenus des investissements, alors que l'on aurait dû s'attendre à l'inverse, s'expliquait par le fait que les statistiques ne prenaient pas en compte certaines exportations immatérielles des Etats-Unis, comme la connaissance ou la notoriété de leurs marques, qui permettaient à leurs entreprises de bénéficier de taux de retour élevés sur leurs investissements à l'étranger. Il a néanmoins estimé que cette théorie n'était pas satisfaisante, ces taux étant en réalité peu élevés.

Il a alors exposé la théorie, proposée notamment par M. Paul Krugman, professeur à l'université de Princeton, dans un article publié le 11 avril 2006 dans le « New York Times », selon laquelle les entreprises étrangères sous-estimaient les profits de leurs filiales américaines, dans un dessein d'optimisation fiscale, ce qui avait pour conséquence une sous-évaluation, par les statistiques, des profits des entreprises étrangères réinvestis dans des opérations aux Etats-Unis. Il a ajouté que si cette théorie était vérifiée, le déficit courant des Etats-Unis pourrait être supérieur de 100 milliards de dollars aux estimations habituelles.

a considéré qu'au total, la thèse de l'innocuité du déficit courant des Etats-Unis était peu convaincante, le « double déficit » reflétant des difficultés structurelles qui mettaient le système international à la merci d'un retournement. Il a souligné que si le déficit courant des Etats-Unis avait permis une forte croissance de l'économie des Etats-Unis, et donc de l'économie mondiale, il rendait l'économie américaine vulnérable à une augmentation des taux d'intérêt. Il a considéré que le déficit courant des Etats-Unis avait donné lieu à un « grand arrangement » entre les Etats-Unis et l'Asie, aux termes duquel les Etats-Unis achetaient les produits des pays d'Asie, en échange de quoi ceux-ci leur achetaient leurs obligations, contribuant à retarder l'augmentation des taux d'intérêt. Il s'est par ailleurs interrogé sur les possibles conséquences financières d'une dégradation des relations entre la Chine et les Etats-Unis, ou d'une réorganisation du portefeuille des agents, en particulier des banques centrales, au profit d'autres monnaies que le dollar. Il a considéré qu'un effondrement du dollar aurait des conséquences catastrophiques pour les pays ayant adopté l'euro, où se reporteraient certains investissements jusqu'alors réalisés en dollars.

En conclusion, il a considéré qu'il convenait d'éviter un « atterrissage en catastrophe » du dollar, ce qui impliquait de développer la coopération monétaire internationale, sur le modèle de la conférence tenue en septembre 1985 à l'hôtel Plaza de New-York (dite « conférence du Plaza »).

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Arthuis

Après que M. Jean Arthuis, président, eut remercié M. Henri Bourguinat pour la clarté et le grand intérêt de sa présentation, un large débat s'est instauré.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

a déclaré que l'exposé de M. Henri Bourguinat l'avait également beaucoup intéressé. Il a estimé qu'en France les importations étaient de plus en plus sensibles à la consommation de produits manufacturés et s'est demandé si la situation de la France pourrait se rapprocher de celle des Etats-Unis, caractérisée par un déficit courant structurel.

Debut de section - Permalien
Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV

En réponse, M. Henri Bourguinat a jugé que l'ensemble des pays développés avaient tendance à se désindustrialiser, du fait de la concurrence des pays émergents et qu'il convenait de chercher à limiter ce phénomène.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Fréville

a souligné que la théorie initiale des « déficits jumeaux », selon laquelle le déficit courant provenait non seulement d'un manque d'épargne, mais aussi d'un déficit budgétaire, était aujourd'hui remise en cause. Il s'est interrogé sur la portée et les limites de la théorie des avantages comparés.

Debut de section - Permalien
Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV

En réponse, M. Henri Bourguinat a évoqué un article publié par M. Paul Samuelson, prix Nobel d'économie, dans le « Journal of Economic Perspectives » de l'été 2004. Selon cet article, dans certains cas, il conviendrait, pour analyser l'impact de l'ouverture au commerce international sur l'économie d'un Etat, de distinguer deux « actes », comme dans une pièce de théâtre. Dans l' « acte I », deux Etats (par exemple, les Etats-Unis et la Chine) s'ouvrant au commerce national verraient leur revenu fortement augmenter, chacun se spécialisant dans les produits pour lesquels son avantage comparatif était le plus grand, conformément à la théorie classique du commerce international. L'augmentation de la productivité d'un Etat dans les produits dans lesquels il disposait initialement d'un avantage comparé bénéficierait également à l'autre Etat, du fait de la diminution de leurs prix relatifs. En revanche, dans l' « acte II », un Etat (en l'occurrence, la Chine) pourrait voir sa productivité fortement augmenter pour les produits dans lesquels il ne s'était pas initialement spécialisé, faute d'avantage comparatif, au point de faire disparaître tout intérêt à commercer pour son partenaire, soit, dans l'exemple retenu, les Etats-Unis. M. Henri Bourguinat a considéré, en conséquence, que le commerce international présentait des risques qu'il ne fallait pas sous-estimer, et que les Etats développés devaient éviter de se spécialiser dans les seuls produits de haut de gamme ou à fort contenu technologique, qui pourraient bientôt également être produits par les actuels pays « émergents ». Il y a vu une application de la théorie des « économies complexes », théorie qui avait été popularisée par certains économistes dans l'entre-deux-guerres.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Marini

a estimé qu'il convenait non de considérer l'Asie comme un tout, mais de distinguer la situation de la Chine de celle du Japon, cette dernière économie étant très spécialisée. Il s'est interrogé sur le possible usage politique que la Chine pourrait faire de sa politique de change.

Debut de section - Permalien
Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV

En réponse, M. Henri Bourguinat a jugé que les spécificités de l'économie chinoise avaient des conséquences importantes pour l'économie mondiale. Ainsi, la migration, au cours des 20 dernières années, de 190 millions de travailleurs, soit l'équivalent de l'ensemble de la population active européenne, des campagnes vers les villes chinoises, suscite une augmentation de la rémunération du capital dans le monde et une tendance à la stagnation de la rémunération du travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Girod

s'est interrogé sur les dangers de l'endettement des ménages américains, évoquant la constitution d'une « bulle financière ».

Debut de section - Permalien
Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV

En réponse, M. Henri Bourguinat a considéré que leur endettement rendait les ménages américains vulnérables à une remontée des taux d'intérêt. Il a néanmoins estimé que l'augmentation des taux d'intérêt pourrait être limitée, en termes réels, par une reprise de l'inflation.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Fréville

s'est demandé si les titres américains que la Chine et les pays pétroliers étaient en train d'accumuler pourraient faciliter, dans plusieurs décennies, le financement des charges résultant du vieillissement de la population de ces pays.

Debut de section - Permalien
Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université de Bordeaux IV

a jugé qu'il existait, pour reprendre une expression de M. Larry Summers, président de l'université de Harvard, un « équilibre de la terreur » entre la Chine et les Etats-Unis, considérant que la Chine n'avait pas intérêt à ce que le dollar se déprécie, du fait de l'importance de ses réserves de changes en dollars. Il a par ailleurs souligné que l'euro s'apprécierait s'il remplaçait le dollar comme monnaie de réserve, ce qui aurait des conséquences dommageables pour les économies européennes.

Debut de section - PermalienPhoto de Paul Girod

a remercié l'intervenant pour l'intérêt de sa présentation, soulignant qu'elle pouvait également constituer une source d'inquiétudes.