Intervention de Pierre Bernard-Reymond

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 17 mai 2011 : 1ère réunion
Avant-projet de schéma national des infrastructures de transport — Audition de M. Daniel Bursaux directeur général des infrastructures des transports et de la mer au ministère de l'écologie du développement durable des transports et du logement

Photo de Pierre Bernard-ReymondPierre Bernard-Reymond :

Je voudrais évoquer trois points.

Le premier concerne l'intégration de cette réflexion dans l'espace européen. Je n'ai pas trouvé beaucoup d'allusions aux communications européennes et à la façon dont on avait conçu l'articulation entre le SNIT et l'état des communications en Europe. Je crois qu'il serait intéressant d'avoir un développement sur ce point et sans doute aussi des comparaisons, puisque nous savons qu'un grand tunnel entre l'Autriche et l'Italie vient d'être définitivement percé et sera en fonction en 2016 et que le tunnel du Brenner va commencer tandis que nous sommes encore dans l'inconnu en ce qui concerne le tunnel Lyon-Turin, comme pour celui du Montgenèvre dans les Hautes-Alpes.

Ma deuxième question concerne le calendrier, pour lequel je souhaiterais avoir des précisions.

En théorie, ce schéma doit être achevé à la fin du mois de juin, ce qui me paraît difficile puisque le Conseil économique, social et environnemental (CESE) n'a pas été saisi et qu'il serait souhaitable de lui laisser le temps suffisant pour étudier le dossier. Par ailleurs, si l'on souhaite tenir compte de façon satisfaisante du débat qui aura lieu à l'Assemblée nationale et au Sénat, je vois mal comment nous pouvons boucler cela avant la fin de l'été, mais sans doute suis-je trop pessimiste ? Pouvez-vous nous dire comment vous compter organiser ce calendrier pour assurer la réalité de cette concertation que vous avez rappelée ?

Vous ne serez pas surpris que j'évoque en troisième point la question de l'A51. Sans faire un exposé général, je voulais vous dire une fois de plus que nous récusons totalement les mesures de compensation que vous articulez et qui sont de deux ordres :

- prolonger l'autoroute actuelle qui vient de Marseille d'une vingtaine de kilomètres, c'est-à-dire finalement reporter les bouchons de 20 kilomètres en pénalisant une vallée qui acceptait de voir passer l'autoroute à condition qu'elle aille jusqu'à Grenoble, et qui s'interroge sur la nécessité d'être ainsi traversée pour ne faire que 20 kilomètres de plus en direction de Briançon ;

- surtout, l'essentiel des compensations que vous proposez concerne l'amélioration de la RN 85, c'est-à-dire la route Napoléon, qui se trouve à peu près dans l'état où l'a laissé l'empereur. Quand j'étais étudiant à Grenoble, je faisais le trajet entre Gap et Grenoble toutes les semaines et, déjà, à l'époque, on essayait d'améliorer cette route, depuis lors, celle-ci n'a pratiquement pas changé. On est même obligé de mettre des portiques dans la descente de Laffrey pour éviter que les cars ne s'écrasent en contrebas de la côte, cette dernière ayant tout de même causé 103 victimes en 5 accidents de cars.

Lorsqu'il y a eu le débat public, toutes les options étaient ouvertes, y compris l'amélioration de la RN 85, et on avait demandé à la direction départementale de l'équipement (DDE) de l'Isère de réaliser une étude sur la possibilité d'améliorer sensiblement cette route Napoléon. Permettez-moi de lire un extrait du résultat de cette étude : « sur la base du diagnostic effectué, aucune hypothèse d'aménagement lourd de la RN 85 ne peut raisonnablement être envisagé, compte tenu des caractéristiques de la RN 85 et notamment de la complexité géotechnique de certains secteurs, aucune hypothèse d'aménagement lourd de la RN 85 n'a donc été étudié ». Pour une hypothèse plus ambitieuse, l'étude notait aussi : « une continuité de l'A51 par une mise à deux fois deux voies de la RN 85 est donc exclue. En termes de trafic, la RN 85 est pénalisée par des points singuliers de l'itinéraire que constituent la montée du col Bayard, la côte de Laffrey (...). La congestion prévisible de la RN 75 ne saurait donc être résorbée par un aménagement de la RN 85. Les exigences de sécurité dans un premier temps, de confort et de fluidité dans un second temps conduisent par étapes successives à imaginer à terme la réalisation d'une deux fois deux voies. En effet, dans les hypothèses considérées il s'agit de la seule solution capable d'assurer l'écoulement du trafic dans des conditions satisfaisantes pour la sécurité, le confort des usagers et des riverains ». Or, comme il est mentionné plus haut, cela n'est pas possible. Enfin, « les gains en termes de temps de parcours seront faibles, voire nuls. Aussi la simple amélioration des routes nationales actuelles constitue-t-elle vraiment un levier suffisant pour attirer les entreprises et permettre un développement économique durable. L'aménagement de la RN 85 n'entraîne aucun report de trafic significatif ». Je n'ai fait que citer quelques lignes de ce rapport, mais elles en expriment l'esprit général.

D'ailleurs, il suffit d'aller sur le terrain pour s'en rendre compte, et je regrette beaucoup que, depuis le 13 avril 1987, date à laquelle le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) a décidé la réalisation de cette autoroute, aucun ministre de l'équipement, de droite ou de gauche, ne soit venu sur place pour voir la RN 85. Un seul a daigné se déplacer, M. Gilles de Robien, mais ses services se sont débrouillés pour lui montrer le tracé de la future autoroute et faire en sorte qu'il ne voie pas la route. En revanche, M. Louis Nègre, notre rapporteur au Sénat, a, lui, accepté de faire le déplacement, en faisant la route Grenoble - Gap. Cela me pose tout de même un problème au regard du fonctionnement de l'Etat, et même de la démocratie, que de voir que l'on décide, depuis des bureaux parisiens et sans se rendre sur place, de la manière dont on va améliorer cette route. Et il s'agit bien de cela ! Car un ministre qui prend une telle décision, appelée à bloquer le développement économique de toute une région pendant plusieurs générations, peut-il se prononcer depuis son bureau sans avoir vu de quoi il s'agissait ? Cela me paraît impensable.

C'est pourquoi je récuse totalement les solutions que vous préconisez et je considère que seule l'autoroute est en mesure de résoudre le problème du désenclavement. C'est logique car quand on fait le trajet entre Genève et Marseille ou entre Lyon et Nice, qui ne sont pas des métropoles négligeables, on fait du 130 kilomètres par heure en moyenne sur autoroute mais seulement du 50 kilomètres depuis Grenoble, quand il n'y a pas de neige l'hiver et quand il n'y a pas un poids lourd ou une caravane qui réduit la vitesse de circulation en été ! Tout le monde comprend aisément qu'il faut finir ce tronçon manquant. D'autant que, contrairement à ce qui a été souvent avancé, il n'y a pas de problème technique pour le réaliser, comme l'a confirmé le comité international installé par le ministre Bernard Bosson et présidé par un professeur de l'école polytechnique de Lausanne. Par ailleurs, ce tronçon est conforme au Grenelle de l'environnement, puisqu'il est clairement mentionné à l'article 10 de la loi Grenelle I que « les grands itinéraires autoroutiers qui ne sont pas complètement terminés devront l'être le plus rapidement possible dans le respect des normes du développement durable ». C'est donc clair que le dossier de l'A51 correspond parfaitement à l'article 10 du Grenelle de l'environnement.

J'ajoute que vous avez retenu trois critères pour faire exception au positionnement général à l'égard des autoroutes dans le Grenelle de l'environnement :

- l'engorgement. Or vous savez très bien que cette autoroute a été décidée pour alléger l'engorgement de la vallée du Rhône ;

- la sécurité. Je viens justement de faire allusion aux 103 victimes de la côte de Laffrey, et je signale que l'amélioration de cette route de montagne incite malheureusement les poids lourds à aller plus vite, comme en témoigne le décès d'un chauffeur de poids lourd, encore cet été ;

- les besoins locaux. Il suffit d'aller sur place pour constater à quel point le besoin est essentiel. Aujourd'hui il est de bon ton de parler d'auto-développement, de considérer que le désenclavement se fait à partir de la fibre optique et du haut débit, mais sans y être hostile, je voudrais vous rappeler que l'économie du département des Hautes-Alpes repose à 80 % sur le tourisme et que 93 % des touristes viennent en automobile. Est-ce qu'on compte faire venir les touristes « à cheval sur la fibre optique » ?

Dès lors, dans ce dossier, les trois critères que vous avez retenus pour faire exception aux blocages de constructions autoroutières sont remplis. Personnellement, je considère donc que ce qui nous est proposé en compensation est un marché de dupes. J'ajoute que vous n'avez plus d'argent, que vous ne pourrez pas tenir toutes les promesses que vous faites, et, de toute façon, ce n'est pas avec 150 millions d'euros que vous allez améliorer sensiblement cette route de montagne pour en faire une route qui pourrait, éventuellement, être acceptée par les usagers de l'autoroute.

Par ailleurs, du point de vue de la circulation, ce serait très dommageable, car, quand on réalise une autoroute, on la fait en site propre sans gêner la circulation sur la route nationale à coté, et, le jour où l'autoroute est inaugurée, le report de trafic s'opère sans problème. En revanche, si on a des travaux sur cette route nationale pendant encore trente ans, je crains qu'elle soit encore plus désertée et que toute la circulation se reporte sur la départementale RD 1075 qui encombre déjà les villages y causant l'exaspération des populations (surtout en plein été, lorsque les bouchons s'accumulent). Donc, quels que soient les prismes d'analyse, à l'exception des critères financiers, cette autoroute est indispensable, logique, raisonnable et conforme au développement durable.

Sur l'aspect financier, nous ne sommes pas d'accord. J'ai entendu dire que le privé ne serait prêt à mettre que 10 %. Prouvons-le ! Allez jusqu'à l'appel d'offres, et démontrons que les crédits publics qui sont demandés par les sociétés privées sont trop importants et que nous n'avons pas les moyens, alors là je changerais d'avis. Mais pour l'instant, personne ne peut dire aujourd'hui ce que donnerait un appel d'offres. Des grandes sociétés, comme Vinci ou Eiffage, ont dit, devant Louis Nègre, qu'elles étaient prêtes à participer à l'appel d'offres. Je ne conteste pas le fait que nous ne pouvons pas faire d'adossement en raison de la législation européenne ; mais nous pouvons faire preuve de volontarisme : quand, pour finir la deuxième ceinture de Paris, a fallu réaliser un tunnel de 3 kilomètres, on a accordé une concession de 75 ans à la société qui conduisait les travaux. Cela démontre que nous disposons d'outils pour la réalisation de cette autoroute et c'est pourquoi je demande son inscription au SNIT, la déclaration d'utilité publique, et le lancement de l'appel d'offres. Nous verrons bien à quelle hauteur les entreprises seront prêtes à financer ce projet dont elles ont grand intérêt, je le répète, puisqu'elles gèrent les autoroutes qui sont de chaque coté de ce tronçon, avec Eiffage et AREA au nord, et Vinci au sud.

Pardonnez-moi d'être très long, Monsieur le Président, mais je voudrais à cette occasion, et afin d'aborder le sujet des compensations ou des travaux sur les routes nationales, évoquer un article du Dauphiné libéré du 16 mai 2011 qui traite du dossier du désenclavement routier de Digne-les-Bains. Jean-Louis Bianco, président du conseil général, y affirme « la région ne financera pas les aménagements sur place d'une route nationale, c'est à l'Etat de financer ces routes. Alors que le projet de l'A 585 a été déclaré d'utilité publique en septembre 1996 on y substitue aujourd'hui une modernisation sur place de la RN 85 (...) il y a un mensonge d'Etat, les études sont engagées depuis 2010 et on nous en parle pour la première fois en 2011 (...) et contrairement à ce qui est mentionné dans le SNIT, jamais nous n'avons donné notre accord, c'est de l'enfumage et un mépris des élus ». Voilà ce que dit l'ancien secrétaire général de l'Elysée, député et président du conseil général des Alpes-de-Haute-Provence.

S'il s'agit de faire la même chose pour les propositions qui vont nous être faites au mois de juin par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) pour améliorer la route Napoléon, alors là je ne suis absolument pas d'accord. Personnellement j'en fais une question de principe, comme les Verts en font une question de principe de leur coté, et les pouvoirs publics devront choisir et savoir s'ils veulent aménager le pays ou s'ils veulent faire des accords électoraux. J'ajoute, Monsieur le Directeur général, et sans vous mettre en cause personnellement, que je ne suis pas dupe car je sais très bien que votre administration ne veut pas de ce dossier, et cela dure depuis 24 ans ! Il faudrait savoir qui dirige en France, les élus ou l'administration ? L'autoroute a été décidée le 21 avril 1987 et, comme je suis tenace, tous les 21 avril, j'écris aux treize ministres de l'équipement qui se sont succédé pour les tenir informés de ce dossier. Et cette année, un de ceux-ci, socialiste d'ailleurs, ce qui prouve que cela n'a rien à voir avec l'appartenance politique, m'a répondu. Je vous livre un extrait de sa lettre : « je me souviens bien de la relance de ce dossier sous le Gouvernement Juppé, et je n'ai pas oublié la discordance des points de vue exprimés par les ministres Bernard Pons à l'équipement et Corinne Lepage à l'environnement. Rencontrant tout à fait inopinément un collaborateur de premier plan du Premier ministre, je m'étais autorisé à l'interroger sur l'orientation qu'il privilégiait sur l'arbitrage à rendre sur les positions contrastées de ces deux ministères à propos des tracés entre la route Napoléon et l'autre. Je me souviens très bien de sa réponse que je traduirais fidèlement : ``on soutiendra la position de Bernard Pons puisqu'elle fait plaisir à nos amis des Hautes-Alpes, mais on le fera d'autant plus facilement qu'on sait qu'on ne réalisera pas cet ouvrage''. Même avec l'expérience qui était alors la mienne j'avais trouvé ce propos quelque peu désolant ».

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