Intervention de Serge Smessow

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 18 mai 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Serge Smessow ambassadeur chargé du partenariat oriental et de la mer noire

Serge Smessow, ambassadeur chargé du Partenariat oriental et de la mer Noire :

Je tiens d'abord à vous remercier de votre invitation. Le grand nombre de sénateurs présents à cette réunion est un signe encourageant. On reproche souvent à la France de ne pas porter un intérêt suffisant aux voisins orientaux de l'Union européenne et au partenariat oriental. Je voudrais dire ici que ce reproche n'est pas fondé.

Avant de répondre à vos questions, je voudrais rappeler l'historique du partenariat oriental.

Les événements récents en Afrique du Nord et au Moyen Orient, ainsi que la perspective du Sommet des chefs d'Etat ou de gouvernement de l'Union européenne et du Partenariat oriental, qui aura lieu en septembre prochain à Varsovie sous présidence polonaise de l'Union européenne, ont eu pour effet de relancer le débat sur la politique de voisinage et sur le partenariat oriental.

La politique de voisinage, dans sa dimension européenne, mise en place à partir de 2004, résultait du changement de perspective radical provoqué par l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale de mai 2004, confirmé par l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie en janvier 2007. Le partenariat oriental, qui a été lancé lors du Sommet de Prague en 2009, constitue le prolongement de la politique de voisinage à l'Est de l'Union.

Ce changement de perception est fondamental. En effet, avec le déplacement des frontières de l'Union européenne vers l'Est, les pays de la région n'ont plus été perçus uniquement comme des pays issus de l'ex-URSS et sous l'angle des relations avec la Russie, mais avant tout comme des voisins immédiats de l'Union européenne, avec lesquels six Etats membres partagent des frontières communes.

Les questions sécuritaires propres à la région ont dès lors suscité un intérêt accru de la part de l'Union européenne, qu'il s'agisse des « conflits gelés », des crises internes et régionales, des questions énergétiques, de la sécurité nucléaire, de la criminalité organisée ou du risque migratoire.

D'emblée la barre a été placée très haut, puisque l'objectif de la politique de voisinage était de favoriser la transition démocratique et de contribuer à la stabilité et au développement économique sur le continent.

Si les objectifs fondamentaux de la politique de voisinage ont été repris parmi les objectifs du Partenariat oriental, lancé en 2009 on peut néanmoins parler d'un véritable « saut qualitatif ».

La déclaration commune, adoptée lors du premier Sommet des chefs d'Etat ou de gouvernement de l'Union européenne et des voisins orientaux, qui s'est tenu à Prague le 7 mai 2009, évoque, en effet, l'établissement d'une association politique et l'approfondissement de l'intégration économique entre l'Union européenne et ces pays, le soutien aux réformes politiques et socio-économiques des pays partenaires, de manière à faciliter le rapprochement avec les valeurs communes et les normes de l'Union européenne. Les objectifs visent aussi un renforcement des relations bilatérales, avec la conclusion d'accords d'association, l'instauration de zones de libre-échange, une amélioration de la mobilité, avec comme perspective à long terme la libéralisation des visas de court séjour, ainsi que la sécurité énergétique. Enfin, une coopération multilatérale diversifiée est mise en place pour favoriser le dialogue politique et la convergence en matière législative et réglementaire. La coopération régionale entre les pays concernés est également encouragée, sur le modèle de ce qui a été fait en Méditerranée et dans les Balkans occidentaux.

Il s'agit donc d'une « feuille de route » ambitieuse dont la mise en oeuvre demandera plusieurs années.

On ne peut que se féliciter de la mise en oeuvre rapide du Partenariat oriental, qui a beaucoup progressé, même si le potentiel de la coopération multilatérale n'est pas encore pleinement exploité.

Des initiatives sont cependant en cours de réalisation dans ce cadre, qui portent sur des sujets prioritaires, tels que la gestion intégrée des frontières ou les petites et moyennes entreprises.

La coopération bilatérale, qui s'est le plus développée, a permis de réaliser des avancées. Des négociations sur un accord d'association ont été engagées avec cinq des six partenaires et ont dans l'ensemble bien progressé.

Cette perspective, comme le bénéfice de la coopération bilatérale en général, dans le cadre du partenariat oriental, restera fermée à la Biélorussie tant que ce pays ne sortira pas de la régression politique actuelle.

Des progrès ont également été réalisés dans le domaine énergétique et sur la mobilité.

Des négociations sur des accords de réadmission devraient être lancées avec les trois pays qui n'en bénéficient pas encore : l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Biélorussie.

Un plan d'action, pouvant déboucher à terme sur la libéralisation des visas de court séjour, a été octroyé à l'Ukraine fin 2010 et, en début d'année, à la Moldavie.

L'Union européenne négocie avec l'Ukraine un accord de libre-échange, qui pourrait être paraphé prochainement si les dernières divergences sont surmontées.

Sans vouloir entrer dans les détails, les principales demandes de l'Union européenne portent sur les indications géographiques, sujet important notamment pour la France, la suppression des barrières tarifaires, notamment sur l'automobile, les taxes à l'importation, qui sont un élément important du point de vue budgétaire pour l'Ukraine, et l'accès au secteur de la distribution de l'énergie. Concernant l'Ukraine, la principale demande porte sur l'ouverture du marché européen à ses exportations de produits agricoles.

Des négociations sur un accord de libre-échange pourraient aussi s'ouvrir prochainement avec la Géorgie et la Moldavie, qui est sans doute le partenaire de la région le plus avancé dans son rapprochement avec l'Union européenne.

Dans le domaine des droits de l'homme et de la gouvernance, les progrès ont été plus inégaux. A cet égard, la Moldavie se distingue nettement par son volontarisme en matière de réformes, depuis l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement pro-européen il y a deux ans.

Certains partenaires orientaux mettent en avant le coût de la reprise immédiate d'une partie significative de l'acquis communautaire, par rapport au bénéfice attendu sur le long terme, pour justifier la lenteur, voire l'arrêt des réformes. C'est un argument que l'on entend souvent.

Nous restons attachés, comme nos partenaires européens, au principe de différenciation. Ce principe permet d'accompagner les pays partenaires qui souhaitent aller plus vite et plus loin dans les réformes.

Certains Etats membres ou pays partenaires voient dans le Partenariat oriental une sorte d'« antichambre » à l'adhésion à l'Union européenne.

Il est vrai que le Partenariat oriental reprend ou s'inspire de certains instruments de la politique d'élargissement, en particulier la conclusion d'accords d'association, d'accords de libre-échange ou de libéralisation des visas, et qu'elle comporte également des exigences similaires, toute proportion gardée, en termes de reprise de l'acquis communautaire. Ces pays font également valoir qu'en l'absence de perspective d'adhésion, les sacrifices nécessaires à court terme seront difficiles à réaliser, sans le bénéfice des soutiens financiers liés au processus d'adhésion à l'Union européenne.

Ce n'est évidemment pas la position de la France, qui considère, comme d'autres Etats membres, que la perspective d'adhésion à l'Union européenne des pays du Partenariat oriental n'est pas d'actualité.

Pour la France, la politique de voisinage est un processus distinct de l'élargissement, qui ne saurait constituer une « antichambre » à l'adhésion.

Alors même que le processus d'adhésion des pays des Balkans occidentaux à l'Union européenne sera long et difficile, il ne semble pas raisonnable de fixer une telle perspective.

Cette position est d'ailleurs partagée par plusieurs de nos principaux partenaires européens.

Il n'existe donc pas de consensus entre les Etats membres de l'Union européenne sur ce point.

Bien que les financements consacrés par l'Union européenne au partenariat oriental progressent de manière constante, puisqu'ils doivent augmenter de 60 % entre 2007 et 2013, les nouveaux Etats membres et la Commission européenne pourraient demander une augmentation des crédits qui lui sont consacrés, en faisant valoir les progrès importants réalisés par ces pays dans leur rapprochement avec l'Union européenne, par rapport aux pays méditerranéens.

La position de la France n'est pas fermée à l'examen de projets sectoriels concrets, mais nous ne souhaitons pas préempter les négociations sur les perspectives financières.

Surtout, nous sommes très attachés à conserver l'actuelle clef de répartition, deux-tiers pour le voisinage au Sud, un tiers pour le voisinage à l'Est, reflet des équilibres démographiques notamment.

Les récents événements au Sud de la Méditerranée ont montré l'importance et l'urgence des besoins et confirmé la pertinence de cette approche.

Le Partenariat oriental constitue l'une des priorités de la future présidence polonaise de l'Union européenne, au deuxième semestre 2011, qui organisera le deuxième Sommet du Partenariat oriental à Varsovie, les 29 et 30 septembre 2011.

La France veillera à ce que la déclaration qui sera adoptée lors de ce sommet ne fixe pas de nouveaux objectifs irréalistes au Partenariat oriental mais confirme les objectifs ambitieux adoptés lors du Sommet de Prague, objectifs qui n'ont été mis en oeuvre que partiellement et qui conservent leur pertinence.

Certains de nos partenaires estiment que la France porte un moindre intérêt au renforcement des relations avec les pays du Partenariat oriental, par rapport au Sud de la Méditerranée. Ce reproche n'est pas fondé. La France reste très engagée dans le renforcement des relations de l'Union européenne avec les pays du Partenariat oriental, comme en témoigne notamment notre implication dans les négociations communautaires. De plus, l'action de la France lors du conflit russo-géorgien à l'été 2008, sous présidence française de l'Union européenne, au sein du groupe de Minsk, sur le règlement de la question du Haut-Karabagh, ou encore lors du Sommet entre l'Union européenne et l'Ukraine de 2008, témoigne de l'intérêt de notre pays pour cette région.

Notre vision est globale. L'objectif est d'aboutir à un espace économique et humain commun sur tout le continent européen, dans un juste équilibre entre le voisinage au Sud et à l'Est de l'Europe.

Le Partenariat oriental ne préjuge pas des évolutions futures des relations avec les pays qui ont formulé des aspirations européennes. Cela est clairement mentionné dans la déclaration adoptée lors du Sommet de Prague.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion