Une délégation de notre commission s'est rendue au Brésil du 11 au 14 avril dernier. Elle était composée de Jean Besson, Bernard Piras, Yves Pozzo di Borgo et moi-même.
L'objet principal de ce déplacement était double.
Il s'agissait tout d'abord d'apprécier la situation du Brésil quelques mois après l'entrée en fonction de sa nouvelle présidente, Dilma Rousseff, en s'intéressant plus particulièrement à la place croissante que ce grand pays est appelé à occuper sur la scène internationale, du fait de son développement économique rapide et de sa diplomatie très active.
Nous souhaitions également évaluer la mise en oeuvre de l'un des volets majeurs du partenariat franco-brésilien : les relations dans le domaine de la défense et de l'armement. Nous avons visité le principal salon de défense latino-américain qui se tenait dans la périphérie de Rio, et auquel participaient près de 35 sociétés françaises. A cette occasion, nous avons pu rencontrer le ministre de la défense brésilien, M. Nelson Jobim, ainsi que les chefs d'état-major.
Nous avons également abordé les questions de défense, mais aussi plus largement les dossiers de politique internationale, à Brasilia, avec des contacts au Sénat, à la Chambre des députés, à la Présidence de la République et au ministère des affaires étrangères. Enfin, plusieurs entretiens ont permis d'évoquer les relations transfrontalières, en particulier la lutte contre l'orpaillage clandestin en Guyane.
Tout au long de ce séjour, nous avons bénéficié des éclairages très précieux de notre ambassadeur Yves Saint-Geours et de l'ensemble de ses collaborateurs.
Je commencerai ce compte-rendu par quelques éléments de contexte en rappelant pourquoi le Brésil fait aujourd'hui figure de puissance émergente. Par sa superficie, sa population (191 millions d'habitants), ses ressources naturelles et son dynamisme économique, il fait incontestablement partie des tous premiers pays qui pèseront de plus en plus à l'échelle mondiale.
Selon les classements, le Brésil représente aujourd'hui le 8ème ou 9ème PIB mondial. Il pourrait accéder au 5ème rang d'ici cinq ans, dépassant notamment le Royaume-Uni et la France, grâce à une croissance soutenue, qui a été à peine affectée par la crise en 2009, avant de repartir de 7,5 % en 2010.
Le service économique de notre ambassade nous a exposé les cinq grandes séries de facteurs qui entretiennent cette dynamique positive.
Premièrement, une population active plus nombreuse, dont le niveau de vie s'élève. Le Brésil bénéficie aujourd'hui d'un véritable « bonus démographique ». Le nombre d'actifs vient de dépasser celui des inactifs. Cette situation favorable pour la production comme pour la consommation va perdurer pendant une trentaine d'années au moins. La société brésilienne demeure certes très inégalitaire, mais durant les huit années de la présidence Lula, 30 millions de personnes sont sorties de l'extrême pauvreté. La classe moyenne représente désormais plus de la moitié de la population. L'expansion du marché intérieur et la vigueur de la demande ouvrent donc des perspectives de croissance soutenue et durable.
Deuxièmement, le Brésil peut compter sur d'abondantes ressources naturelles et énergétiques. Il est d'ores et déjà autosuffisant en produits pétroliers. Il deviendra exportateur grâce à l'exploitation de vastes gisements off-shore sur son plateau continental, qui feront de lui la 8ème puissance pétrolière mondiale. Sur le modèle norvégien, le Brésil envisage la constitution de fonds de réserve lui permettant de réinvestir dans ses programmes économiques et sociaux. Le Brésil dispose aussi de nombreuses ressources minières. Enfin, il assure plus de 90 % de son électricité grâce à l'énergie hydraulique. Le barrage d'Itaipu, sur le fleuve Parana, est le deuxième au monde, après celui des Trois-Gorges, en Chine, et le Brésil représente à lui seul 12 % des réserves hydriques mondiales.
Troisièmement, le Brésil est aussi une grande puissance agroalimentaire. Sa balance agricole affiche un excédent de 63 milliards de dollars. C'est le 1er exportateur mondial de biocarburants.
Quatrièmement, il n'est pas dépourvu d'atouts industriels, avec de grands groupes biens positionnés au plan mondial, dans des domaines où l'offre est durablement inférieure à la demande. C'est le cas dans l'énergie, les mines, l'agroalimentaire, la sidérurgie.
Cinquièmement enfin, le Brésil engrange les bénéfices de la continuité de sa politique économique. Depuis plusieurs années, celle-ci vise à préserver les grands équilibres en réduisant l'endettement public et en maîtrisant l'inflation, mais également à attirer les capitaux étrangers et à renforcer les investissements publics dans de grands programmes d'infrastructure.
Bien entendu, ce tableau comporte des zones d'ombres. J'ai déjà évoqué les inégalités, que ce soit en termes de revenus, d'accès à l'éducation ou de disparités régionales. Il faut également mentionner la criminalité dans les zones urbaines, mais aussi des faiblesses structurelles persistantes liées à l'insuffisance des infrastructures ou à la lourdeur du cadre légal. Enfin, la croissance s'accompagne de fortes tensions inflationnistes - près de 6 % en 2010 - et de taux d'intérêt très élevés, actuellement de 11,75 %. En conséquence, la monnaie brésilienne, le real, est largement surévaluée, de l'ordre de 25 % selon le FMI, ce qui pénalise les exportations et freine le développement des industries locales.
C'est dans ce contexte que la nouvelle présidente Dilma Rousseff, élue fin octobre 2010 avec 56 % des voix, a pris ses fonctions le 1er janvier dernier.
Vous le savez, Dilma Rousseff a été durant cinq ans la plus proche collaboratrice du président Lula. C'est une économiste, au profil de technicienne, mais chacun s'accorde à dire que dès ses premiers mois de mandat, elle s'est pleinement investie de sa nouvelle fonction, s'émancipant de son prédécesseur et imposant sa propre marque.
Elle accorde très clairement la priorité aux problèmes intérieurs, et en tout premier lieu à la consolidation de l'économie brésilienne et de ses perspectives de croissance.
Afin d'enrayer le risque de surchauffe inflationniste, sa première décision aura été d'arrêter un plan d'économies de 30 milliards de dollars, soit 1,2 % du PIB. Ces coupes budgétaires épargnent les programmes sociaux, la lutte contre la pauvreté restant la priorité de la politique gouvernementale. Au contraire, l'une des mesures emblématiques de la présidence Lula, la bolsa familia, qui consiste à verser une allocation mensuelle aux familles les plus pauvres satisfaisant aux obligations de scolarisation et de vaccination des enfants, a bénéficiée d'une réévaluation de 19%. Dans le même ordre d'idée, une augmentation du salaire minimum a été programmée pour les quatre prochaines années. Les économies n'affecteront pas non plus les grands travaux d'infrastructure et les programmes de construction de logements.
Ce freinage des dépenses publiques s'efforce donc de ne pas fragiliser les ressorts de la croissance que sont la consommation des classes moyennes et les investissements nécessaires au développement économique.
Plusieurs de nos entretiens à Brasilia, notamment au ministère des affaires étrangères et à la Présidence de la République, ont été consacrés aux questions de politique internationale.
La politique étrangère du Brésil a pris une nouvelle dimension sous la présidence Lula. L'intégration régionale en reste un axe fondamental. Mais Lula s'est surtout fortement investi dans la construction d'une véritable stature internationale pour son pays, à travers la multiplication des contacts et des partenariats avec les pays du Sud et un rôle actif dans le G20. L'accession au statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies reste plus que jamais un objectif majeur de la diplomatie brésilienne.
Selon M. Guilherme Patriota, l'un des conseillers diplomatiques de Mme Rousseff qui a reçu notre délégation, la politique étrangère brésilienne entre désormais dans une « période de consolidation », après huit années extrêmement actives au plan international. On peut en déduire que la nouvelle présidente s'inscrira dans les lignes directrices établies par son prédécesseur, ce qui ne signifie pas qu'elle renoncera à imprimer sa marque.
Dilma Rousseff accorde clairement la priorité aux questions économiques, à la résorption de la pauvreté et à la poursuite d'un développement équilibré. Ce développement sera plus que jamais l'un des principaux vecteurs de l'affirmation croissante du Brésil au plan international, tout comme un déterminant important de sa politique étrangère.
Dès ses premières semaines de présidence, Dilma Rousseff a en effet mis les questions économiques au premier plan des discussions avec les grands partenaires du Brésil que sont les Etats-Unis ou la Chine, qu'il s'agisse des parités monétaires, car les sous-évaluations du dollar et du yuan pénalisent les exportations brésiliennes, ou de l'accès des produits brésiliens au marché nord-américain.
Sur un autre registre, M. Patriota nous a également précisé que les questions énergétiques joueraient un rôle croissant dans les relations extérieures du Brésil. Celui-ci souhaite nouer des partenariats internationaux pour financer les investissements indispensables à l'exploitation des gisements pétroliers off-shore, situés à plus de 2 000 mètres de profondeur.
Outre ces préoccupations économiques marquées, Dilma Rousseff a également souhaité donner un relief particulier au thème des droits de l'homme, auquel elle est particulièrement attachée du fait de son expérience personnelle, puisqu'elle a été arrêtée et torturée durant la période de la dictature. Il s'agit là sans doute d'une inflexion importante, par rapport à son prédécesseur, moins engagé sur cette question au nom du principe de non-ingérence. La première illustration en a été donnée fin mars, au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, lorsque le Brésil a voté en faveur de la nomination d'un rapporteur spécial sur l'Iran, alors qu'il s'était jusqu'alors montré beaucoup plus conciliant avec Téhéran.
Au-delà de ces premières observations sur les premiers mois de la nouvelle présidence, la politique étrangère du Brésil devrait témoigner d'une grande continuité, en s'appuyant sur les acquis de la présidence Lula.
Le premier axe fondamental de cette politique, qui est également le plus ancien, reste la promotion de l'intégration régionale.
Cette intégration régionale relève aujourd'hui davantage du discours et du projet que de la réalité concrète. Les organisations régionales se sont multipliées sur le continent américain, avec des résultats limités au plan politique, en raison des divergences notables de points de vues entre les gouvernements, et encore moins tangibles au plan économique.
Le Brésil est membre de plusieurs organisations, allant du Mercosur, marché commun qu'il a institué avec l'Argentine, le Paraguay et l'Uruguay, à l'Organisation des Etats américains, qui regroupe comme son nom l'indique tous les Etats d'Amérique du Sud, d'Amérique centrale et d'Amérique du Nord.
Au cours de ces dernières années, et par delà les aléas qu'ont pu connaître ces différentes organisations, le Brésil a poursuivi deux objectifs avec une grande constance.
Le premier a été de contenir l'influence des Etats-Unis en Amérique latine, notamment au plan économique. A ce titre, le Brésil a joué un grand rôle dans l'échec du projet de zone de libre-échange des Amériques, qu'il jugeait trop favorable aux intérêts de Washington. Cela n'empêche pas les deux pays de chercher à trouver, à titre bilatéral, des terrains d'intérêt mutuel.
Le deuxième objectif aura été de rendre plus cohérente l'organisation politique des pays latino-américains, en jouant un rôle fédérateur, en s'affirmant progressivement comme leur porte-parole naturel et en veillant à ne pas donner prise, à son tour, à des accusations d'hégémonie. Ces efforts trouvent leur traduction dans le traité signé en 2008 à Brasilia instituant une Union des Nations d'Amérique du Sud, l'UNASUR, englobant tous les pays du sous-continent, alors que doit être lancée en juillet prochain la Communauté des Etats d'Amérique latine et des Caraïbes qui réunira tous les Etats d'Amérique excepté les Etats-Unis et le Canada. Ces organisations constitueront avant tout des forums politiques. Leur degré d'intégration restera limité.
Il est sans doute encore prématuré de parler de véritable leadership régional pour le Brésil. Les limites de son influence sont apparues lorsqu'il a tenté d'arbitrer certains conflits, par exemple entre le Venezuela et la Colombie. Force est de constater cependant que le Brésil est parvenu à désarmer une grande partie des préventions qui pouvaient s'exprimer à son encontre. Il entend également démontrer que son statut de géant économique en devenir n'exclut pas une certaine solidarité continentale. M. Patriota nous a parlé d'une « vision généreuse » des relations avec les pays voisins. Ainsi, le Sénat brésilien vient de ratifier un traité qui donne en partie satisfaction à une vieille revendication du Paraguay sur les bénéfices du barrage d'Itaipu, frontalier entre les deux pays. Le Paraguay va pouvoir tripler le prix auquel il revend au Brésil une partie de l'électricité produite par ce barrage.
L'un des faits marquant de la présidence Lula aura été de dépasser l'horizon régional traditionnel pour déployer une diplomatie à vocation mondiale.
En Afrique, où il entretient des liens avec les pays lusophones, le Brésil a ouvert 18 ambassades en 2 ans. Au Moyen-Orient, le Brésil a noué une relation forte avec le Liban et s'est rapproché de la Turquie. Il a reconnu l'Etat palestinien fin 2010. Enfin, il se tourne également vers l'Asie, notamment la Chine et l'Inde.
Il y a dans cette politique active en faveur des liens sud-sud des motivations politiques : accroître l'influence du Brésil et contrebalancer celle des grandes puissances occidentales. Il y a également un objectif commercial, puisque 56 % des exportations brésiliennes vont vers des pays émergents ou en développement.
Le mois dernier, le groupe des BRIC - Brésil, Russie, Inde et Chine - s'est ouvert à un cinquième membre : l'Afrique du Sud. Ces pays ont en commun leur croissance économique soutenue et leur volonté affichée de refonder l'ordre international en faveur des grands pays émergents. Ils peuvent se retrouver sur des convergences ponctuelles et peser sur certains débats. Mais on peut se demander si, au sein de ce groupe, les intérêts divergents ne sont pas plus forts que le désir affiché de coopération. Ainsi, le modèle économique brésilien diffère profondément de celui de la Chine, et l'expansion des échanges entre les deux pays s'effectue de manière déséquilibrée au détriment du Brésil. Le sommet des BRIC n'a pas permis à Dilma Rousseff d'obtenir la moindre avancée sur le cours du yuan, alors que l'industrie brésilienne se sent menacée par l'invasion de produits chinois à bas coûts et se plaint de ne pouvoir accéder au marché chinois. De même, les autorités brésiliennes manifestent une certaine préoccupation face au flux soutenu des investissements chinois au Brésil, dans des secteurs comme l'agriculture, les mines ou le pétrole.
L'obtention d'un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies demeure un des objectifs fondamentaux du Brésil, qui s'est associé avec l'Inde, l'Allemagne et le Japon au sein du G4. La France et le Royaume-Uni ont soutenu cette démarche qui heurte cependant les intérêts d'autres pays, d'où un enlisement de la réforme de l'ONU. Lors de sa visite au Brésil, au mois de mars, le président Obama n'a pas clairement soutenu cette revendication, alors qu'il l'avait fait pour l'Inde. Pour des raisons inverses, la Chine, hostile à l'arrivée de l'Inde au Conseil de sécurité, reste également sur la réserve quant à la demande du Brésil.
En développant son activité diplomatique sur tous les continents, le Brésil souhaite évidemment démontrer la légitimité de sa revendication. Dans le même esprit, il contribue traditionnellement aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. Il assure le commandement de la mission des Nations unies en Haïti. Depuis février, il a également pris le commandement de la composante maritime de la FINUL au Liban.
Notre entretien à la Présidence de la République a toutefois montré que tout en souhaitant assumer de plus larges responsabilités internationales, le Brésil reste très critique à l'égard de ce qu'il considère être un interventionnisme excessif des grandes puissances occidentales. Son abstention sur la résolution 1973 relative à la Libye traduit sa réticence à déléguer des mandats pour l'usage de la force.
Je voudrais maintenant évoquer l'un des volets importants de notre mission : la politique de défense et les relations avec la France en matière d'armement.
Nous avons rencontré le ministre de la défense, Nelson Jobim, et plusieurs responsables de haut niveau lors de notre passage au salon de l'armement de Rio. Nous nous sommes également entretenus de ces questions à Rio avec le ministre de la sécurité institutionnelle, le général Siqueira, qui assure le secrétariat des conseils de défense, et M. Carbonar, conseiller défense du ministre des affaires étrangères.
Le président Lula a fait de la défense l'une des priorités fortes de son mandat, en agissant simultanément dans quatre directions.
Premièrement, le Brésil s'est efforcé de mieux définir et hiérarchiser ses objectifs de défense. Il s'est doté d'une stratégie nationale de défense en 2008 et envisage l'élaboration d'un Livre blanc plus détaillé, sur le modèle français. Le Brésil ne se sent pas menacé, mais il est soucieux de préserver sa souveraineté sur l'ensemble de son immense espace terrestre et maritime, en renforçant la surveillance de l'Amazonie et celle de sa zone économique exclusive, riche en ressource pétrolière, qu'il a dénommée « Amazonie bleue ». A plus long terme, le Brésil voit également dans le renforcement de ses capacités militaires un corollaire de la stature et du rôle international auxquels il aspire.
Le deuxième objectif est une réorganisation profonde de la conduite de la politique de la défense. Traditionnellement, la défense restait le domaine exclusif des militaires. La création d'un ministre de la défense ne date que de 1999. En outre, chaque armée jouissait d'une autonomie de décision quasi-absolue en matière d'organisation, d'opérations ou d'équipement. Lula a totalement remis en cause ce mode de fonctionnement, en renforçant la direction politique de la défense, sous l'autorité du ministre. Celui-ci détient désormais, en matière de nominations ou de préparation du budget, des pouvoirs précédemment exercés par les chefs d'état-major. Le dispositif est complété par la nomination d'un secrétaire d'Etat aux produits de défense et d'un chef d'état-major conjoint des forces armées, que nous avons également rencontrés, et qui sont respectivement chargés de la politique d'acquisition et de la conduite des opérations.
Troisième objectif de cette nouvelle politique de défense : un vaste renouvellement des équipements. La marine sera la principale bénéficiaire de cet effort. Son plan de modernisation, particulièrement ambitieux, prévoit une augmentation des effectifs de 35 % sur les vingt prochaines années pour accompagner l'arrivée de nouveaux bâtiments. Le Brésil veut se doter d'une vraie marine océanique, avec le renouvellement de ses sous-marins et, à l'horizon 2025, la mise en service de sous-marins à propulsion nucléaire, la construction de deux porte-avions et le développement d'une flotte surface moderne de frégates, de bâtiments de soutien et de patrouilleurs côtiers ou fluviaux. L'armée de l'air doit également renouveler l'ensemble de ses composantes : l'aviation de combat, l'aviation de transport, les hélicoptères et les drones. C'est dans ce cadre qu'est conduit le programme FX-2 visant à acquérir un premier lot de 36 avions de combat multirôles pour un objectif final de 120 avions. Mais il faut également mentionner l'acquisition d'avions de transport et de ravitaillement KC-390, réalisés par la société brésilienne Embraer, celle d'hélicoptères Caracal à la France et d'hélicoptères de combat à la Russie. Pour l'armée de terre, les objectifs sont moins spectaculaires. Il s'agit de redéployer ses effectifs du sud du pays, où ils sont concentrés, vers les frontières nord et ouest, en Amazonie, et d'accroître la mobilité des forces, avec le renouvellement du parc de blindés légers et l'acquisition d'hélicoptères.
Enfin, la politique de défense du Brésil comporte une quatrième dimension très importante. Le renouvellement des équipements obéit à une stratégie industrielle. Les acquisitions auprès de pays étrangers sont systématiquement conditionnées à des partenariats locaux et à des transferts de technologies permettant au Brésil de constituer sa propre base industrielle et technologique de défense. Le Brésil voit dans cette politique un élément de son autonomie stratégique, mais également, très concrètement, une source de développement économique à travers son marché national de défense et, à terme, un potentiel à l'exportation vers les marchés sud-américains et internationaux.
Bien entendu, l'attention portée à la défense par le président Lula a trouvé une traduction budgétaire. Sous sa présidence, le budget de la défense a progressé de 10 % par an en valeur réelle. Aux deux-tiers, les crédits supplémentaires ont été consacrés au rattrapage des rémunérations, mais près de 20 % d'entre eux sont allés aux équipements, la part des dépenses d'investissement dans le budget de la défense étant passée de 4 % en 2004 à 12,7 % en 2010, année au cours de laquelle ils ont atteint 3,2 milliards d'euros.
Nous avons eu confirmation que Dilma Rousseff pérenniserait les réformes de structures engagées par son prédécesseur dans le sens d'un renforcement de l'autorité du ministre de la défense et d'une généralisation de l'approche interarmées. En revanche, le ministère de la défense a été affecté par les coupes budgétaires décidées en début d'année à hauteur de 2 milliards d'euros, soit 8 % par rapport au montant initialement prévu pour 2011. Ce contexte a conduit à repousser la décision sur l'achat du futur avion de combat.
La France est historiquement un partenaire important du Brésil en matière d'armement. Dans le contexte de modernisation des équipements que je viens d'évoquer, ces relations ont pris une nouvelle dimension avec l'établissement d'un partenariat stratégique entre les deux pays le 23 décembre 2008. Ce partenariat repose sur un engagement politique de la France sur les transferts de technologies.
Le Brésil est devenu en 2009 le premier client de la France en matière d'armement, grâce à deux grands contrats.
Le premier, baptisé ProSub, porte sur les sous-marins. Il prévoit la vente de 4 sous-marins à propulsion conventionnelle Scorpène qui seront en partie assemblés au Brésil grâce à un partenariat entre DCNS et le groupe brésilien Odebrecht. La coopération portera également sur le projet de construction d'un sous-marin nucléaire planifié pour 2025, à l'exclusion des technologies directement liées à la propulsion nucléaire, la chaufferie nucléaire devant rester de conception totalement brésilienne.
Ce contrat inclut une coopération sur la construction d'un chantier naval et d'une nouvelle base sous-marine au sud de Rio, ainsi que l'ouverture à Lorient, pour les ingénieurs brésiliens, d'une école de conception de sous-marins axée sur la partie non nucléaire du futur sous-marin à propulsion nucléaire. Il s'agit du plus gros contrat jamais signé à l'international par DCNS, la part française s'élevant à 3,85 milliards d'euros.
Le second grand contrat signé en 2008 porte sur 50 hélicoptères de manoeuvre Caracal EC-725 pour les besoins des trois armées, en partenariat avec la firme brésilienne Helibras.
S'agissant du programme FX-2 d'avions de combat, le Rafale, vous le savez, est en concurrence avec le F18 Super Hornet de Boeing, en service dans l'US Navy, et le Gripen NG du suédois Saab. Tout dernièrement, à l'issue du sommet des BRICS, le président Medvedev a indiqué avoir reçu l'assurance de Dilma Rousseff que le Su-35 de Sukoi serait également examiné, mais les autorités brésiliennes ne se sont pratiquement pas exprimées sur le sujet.
Le Président Lula avait marqué sa préférence pour le Rafale en septembre 2009 et l'armée de l'air avait remis son rapport sur les dernières offres quelques semaines plus tard. La décision a été repoussée tout au long de l'année 2010, pour être finalement laissée à la nouvelle présidente. Du fait des restrictions budgétaires, aucun engagement ne devrait intervenir en 2011, année au cours de laquelle Dilma Rousseff souhaite pouvoir se forger sa propre opinion.
Au cours de nos différents entretiens avec des responsables de l'exécutif ou au Parlement, nous avons insisté sur les points forts de la proposition française, qui se distingue par des transferts de technologies et des coproductions dans de très nombreux domaines, ce qui permettrait à l'entreprise aéronautique brésilienne Embraer d'acquérir la capacité de développer elle-même un avion de combat moderne.
Nous avons confirmé l'engagement politique sans restriction pris, en cette matière, par les autorités françaises, et le caractère bipartisan de notre délégation a permis d'assurer nos interlocuteurs de la continuité de cette ligne politique indépendamment des échéances électorales de 2012. Il faut rappeler que les engagements de même nature que prendrait l'exécutif américain seraient extrêmement tributaires des réticences traditionnelles du Congrès à autoriser de tels de transferts de technologies.
Ce que nous retenons de notre visite c'est que nos atouts sont connus et appréciés par le ministre de la défense et son entourage, particulièrement intéressés par les retombées industrielles potentielles. La compétition se poursuit cependant, d'autres facteurs peuvent entrer en ligne de compte, mais il n'y a pas de raison particulière d'être pessimiste.
Nous avons également pris conscience que la mise en oeuvre du contrat obtenu par DCNS sur les sous-marins revêt une importance particulière. Elle témoignera, de manière concrète, de notre politique en matière de transferts de technologies, puisque les partenaires brésiliens nous ont adressé quelques 300 demandes d'information sur lesquelles ils attendent des réponses.
L'attention portée à la compétition sur les avions de combat ne doit pas occulter les marchés à venir, eux aussi très importants, sur lesquels les entreprises françaises sont bien entendu déjà positionnées. Je pense en particulier au projet de « package global » pour la flotte de surface, qui porte sur 5 frégates multi-missions, 5 patrouilleurs de haute mer et un bâtiment de soutien logistique, au projet de porte-avions, aux missiles, aux systèmes de surveillance, aux satellites ou encore à l'équipement des fantassins.
Notre visite au salon LAAD à Rio nous a permis de constater à la fois la motivation des entreprises françaises, qu'il s'agisse des grands groupes ou de PME, la qualité de leur offre et leur volonté de nouer de véritables partenariats avec des entreprises brésiliennes, mais également l'acuité de la concurrence sur un marché offrant un grand potentiel de développement.
Dans ce contexte, il importe plus que jamais de faire fructifier le partenariat stratégique que nous avons établi il y a maintenant deux ans et qui va au-delà des relations industrielles. Il s'appuie en effet sur des contacts réguliers entre armées, sur des actions de formation et des échanges à tous les niveaux, alors que nous constatons de grandes similitudes entre le modèle de défense que le Brésil cherche à mettre en place et nos propres préoccupations, que ce soit en termes d'organisation ou de volonté d'autonomie stratégique.
Je terminerai ce compte rendu en précisant que nous avons abordé la question des relations transfrontalières avec plusieurs de nos interlocuteurs, en particulier les parlementaires de l'Etat de l'Amapa. Nous avons fait part de nos préoccupations en matière de contrôle des frontières et de lutte contre l'orpaillage clandestin. L'accord bilatéral qui a été signé à ce sujet fin 2008 a été adopté par l'Assemblée nationale début avril et il est désormais en instance devant notre assemblée. Au Brésil, il est toujours au stade de l'instruction en commission à la Chambre des députés. Nous avons rencontré le rapporteur de ce texte et souligné la nécessité de mettre rapidement en place les mesures prévues par l'accord, notamment le contrôle des activités d'orpaillage et celui du transport fluvial sur l'Oyapok.
Nos interlocuteurs ont reconnu la réalité des problèmes liés à l'orpaillage, et plus globalement à l'immigration illégale, mais ils ont insisté sur la situation économique de l'Amapa et les perspectives de développement limitées de ce territoire isolé sur la rive gauche de l'Amazone, constitué à près de 80 % de zones protégées. Il y a, de ce point de vue, une forte attente de coopération avec la France dans le domaine des transports, de la formation, de l'environnement et du tourisme.
Nous avons émis l'idée d'une commission mixte entre élus des collectivités de la Guyane et de l'Amapa pour examiner en commun tous les problèmes transfrontaliers, ceux du développement comme de la lutte contre l'immigration clandestine. J'ai encouragé nos collègues de Guyane à développer les contacts avec leurs homologues de l'Amapa, afin d'améliorer un dialogue qui est toujours plus difficile lorsqu'il se situe au niveau des capitales.
Pour conclure, je crois pouvoir dire que notre délégation est revenue de son bref séjour au Brésil convaincue de la nécessité de développer et d'approfondir nos relations avec ce pays dans tous les domaines.
De tous les grands pays émergents, c'est sans doute celui dont nous nous sentons le plus proche, du fait de sa latinité, de l'ancienneté de nos liens et de notre présence.
Grâce à ses perspectives prometteuses, le Brésil ne manque pas de partenaires potentiels. Nous devons donc accentuer l'attention que nous portons à ce pays et entretenir un dialogue régulier, notamment au niveau parlementaire.