Au cours des dix-huit derniers mois, c'est-à-dire depuis la création de votre délégation, la DGCL a eu de nombreux échanges avec elle, notamment avec ses rapporteurs, qui nous ont souvent auditionnés, moi-même ou mes collaborateurs. A chaque fois, j'ai constaté le même climat d'objectivité, de respect, d'écoute et de rigueur qui a présidé aux travaux de la délégation. Il sera évidemment difficile de faire en quelques mots une revue détaillée des nombreuses propositions qu'elle a formulées. Je voudrais donc m'arrêter spécialement sur quelques points.
A cette fin, je citerai trois grands chapitres qui me semblent avoir été particulièrement éclairés par les travaux de la délégation et dont nous avons essayé de tenir compte dans les conditions que je vais préciser :
Le premier chapitre concerne le champ des mutualisations.
Il y a eu, au moment même où était conduit le débat sur la loi de réforme des collectivités territoriales, le rapport de MM. Alain Lambert, Yves Détraigne, Jacques Mézard et Bruno Sido qui a donné lieu à un certain nombre d'amendements. Au final, la loi de réforme comprend sur ce point plusieurs dispositions, les unes prévues dès le projet de loi initial, d'autres introduites par voie d'amendements, notamment sur la proposition de vos rapporteurs. En résumé, il y a quatre dispositions qui concernent les mutualisations dans la loi de décembre 2010, respectivement les articles 65, 66, 67 et 68.
L'article 65 prévoit la régularisation de ce que les spécialistes appellent « les mutualisations ascendantes », à savoir la possibilité pour une commune membre d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) de mettre à la disposition de cet EPCI, pour l'exercice de ses compétences, les services ou parties de service communaux qui ne lui auraient pas été transférés. Je rappelle que la Commission européenne avait émis des réserves sur ce mode d'organisation et engagé en 2007 une procédure précontentieuse à l'encontre de la France. Nous avons beaucoup travaillé avec la Commission, pour aboutir au projet de texte qui a été assez largement validé par le législateur. Nous sommes en train d'en préparer le décret d'application qui devrait permettre de clore la procédure qui avait été engagée à l'encontre de la France.
La deuxième disposition de la loi de 2010 concerne la possibilité de mutualisation fonctionnelle entre l'EPCI et tout ou partie de ses communes membres. L'article 66 permet aux EPCI, indépendamment des compétences qu'ils exercent, de se comporter en « plateforme des services en direction des communes membres ». Je prendrai en exemple, l'épisode neigeux récent. Je suis allé voir les élus de ma commune et leur ai demandé si l'intercommunalité s'était dotée de moyens propres à faciliter le déneigement et de les mettre en commun. La réponse a été négative, l'intercommunalité n'étant pas compétente en matière de voirie, et compte tenu de l'occurrence de ces événements, il n'y a pas lieu que chaque commune en achète. Grâce à cette disposition, on pourra envisager, y compris lorsque la voirie est restée une compétence communale, que l'intercommunalité fasse l'acquisition de ces matériels au profit de tout ou partie de ses communes membres.
La troisième disposition concernant les mutualisations, contenue à l'article 67, me semble répondre directement à une de vos propositions. Elle impose que, après le renouvellement général des conseils municipaux, le président de l'EPCI soumette au conseil communautaire un schéma de mutualisation, soumis à l'avis préalable des conseils municipaux, et que ce schéma soit revu dans son application chaque année à l'occasion du débat d'orientation budgétaire. Ce n'est pas tout à fait la même procédure dans le détail de ce que votre délégation avait proposé, mais on en est très proche dans l'esprit.
Le dernier point sur lequel le législateur s'est directement appuyé sur les propositions de votre délégation, par l'adoption d'un amendement des auteurs du rapport, figure à l'article 68 : celui-ci a ouvert la possibilité à certaines collectivités de s'organiser entre elles pour assurer en commun la gestion d'un service public. Là, on se situe directement dans l'application d'une jurisprudence communautaire récente (« Hambourg », de juin 2009). On avait eu une longue discussion au moment de la préparation du rapport adopté par votre délégation, en particulier avec M. Alain Lambert et M. Bruno Sido, pour essayer de mesurer la juste portée de la jurisprudence « Hambourg » ; le Sénat a saisi, dès l'examen de la loi de réforme des collectivités territoriales, l'occasion de le faire et donc maintenant cette capacité est entrée dans le droit positif.
Il y a, bien sûr, sur ce sujet des mutualisations, un certain nombre de propositions qui nous semblent déjà relativement satisfaites. Par exemple, la proposition sur le recours à la formule de groupements d'achats entre les conseils généraux et leurs SDIS (services départementaux d'incendie et de secours) peut très largement s'appuyer sur l'article 8 du code des marchés publics, qui l'autorise en droit.
Il y a d'autres propositions qui seront sans doute plus difficiles à mettre en oeuvre. Je pense à la création d'un coefficient d'intégration fonctionnelle pour calculer la part des services ou la part des fonctions prises en charge au niveau de l'EPCI. Nous utilisons d'ores et déjà un autre coefficient, qui est moins complet mais plus facile à calculer, le coefficient d'intégration fiscale. Il sert notamment dans les mécanismes de répartition de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Le deuxième point sur lequel je souhaiterais m'arrêter concerne la compensation des transferts de compétences. Deux rapports ont porté sur ce sujet : le premier, de MM. Yves Krattinger et Roland du Luart, sur la compensation des transferts de compétences stricto sensu, le second, de MM. Eric Doligé et Claude Jeannerot, sur les transferts de personnels.
Le premier de ces rapports portait en grande partie sur le financement des trois grandes prestations sociales que sont l'APA (allocation personnalisée d'autonomie), la PCH (prestation de compensation du handicap) et le RSA (revenu de solidarité active). Bien entendu, la résolution des difficultés posées par le financement de ces compensations n'est pas intervenue « d'un coup, d'un seul ». Elle s'inscrit, s'agissant de l'APA, dans la réforme en préparation sur la dépendance, au travers de plusieurs groupes de travail confiés par la ministre de la santé à différentes personnalités qualifiées - notamment, le groupe de travail sur la question du financement, présidé par M. Bertrand Fragonard. Vous savez que ces questions se situent dans un environnement juridique complexe. Un certain nombre de départements ont engagé des procédures contentieuses, soulevant des questions prioritaires de constitutionnalité. Le rapporteur public au Conseil d'Etat, la semaine dernière, a proposé qu'un certain nombre de ces questions prioritaires de constitutionnalité soit transmises au Conseil constitutionnel. Vous comprendrez que, avant toute expression sur ce sujet, je me sente tenu d'attendre de savoir ce que le Conseil d'Etat décidera et, s'il saisit le Conseil constitutionnel, ce que celui-ci décidera.
Pour autant, ces débats au sein de votre délégation, ainsi que ceux au sein de la commission des finances du Sénat et ceux qui ont eu lieu au sein du groupe de travail confié à M. Gilles Carrez, rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale et président du comité des finances locales, et à un de mes prédécesseurs, M. Michel Thenault, ont participé à une démarche de prise de conscience. Et même si celle-ci n'a pas apporté des solutions durables à la situation financière des départements, elle a permis que soient mises en oeuvre, dès l'année 2011, un certain nombre de dispositions que je vous rappelle, pour mémoire. Il y a trois enveloppes :
- la première enveloppe, de 75 millions d'euros, confiée à la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l'autonomie), est répartie en fonction d'un certain nombre de critères relatifs notamment au poids de la charge représentée par les prestations d'APA ;
- la deuxième enveloppe, de 75 millions d'euros, est destinée à venir en aide aux départements qui en feront la demande - c'est ce qu'on avait appelé le dispositif de mission d'appui, qui avait été annoncé par le Premier ministre en juin 2010 ;
- et puis, il y a un dispositif, très important, de péréquation des droits de mutation à titre onéreux qui assure une redistribution à hauteur de 440 millions d'euros en 2011.
Même si on ne peut pas additionner tous ces dispositifs, parce que certains sont la redistribution de recettes des départements, tandis que d'autres sont des apports nets, on a quand même une masse financière totale qui est proche de 600 millions d'euros ; cela devrait faciliter l'équilibre des budgets des départements.
D'autres propositions de votre délégation portaient sur le partage de l'information entre les départements et leurs autres partenaires dans le domaine social. Il est vrai que la décentralisation en matière d'aide sociale a rendu plus complexe la mise en oeuvre des politiques sociales, avec un nombre d'acteurs très important : l'Etat, qui a gardé certaines compétences réglementaires, les organismes sociaux - CAF, MSA -, les départements naturellement, mais aussi les communes par le biais des centres communaux d'action sociale. Plusieurs rapports, celui de votre délégation, mais aussi celui de Pierre Jamet, par exemple, ont mis en évidence les difficultés générées par cette situation et ont proposé des pistes de solutions pour y remédier, en matière d'outils de gestion ou d'échanges d'informations et de mutualisation.
La direction générale de la cohésion sociale a engagé un certain nombre de travaux, à la demande, pour certains, de l'Assemblée des départements de France (ADF), afin d'améliorer le pilotage de certains dispositifs. Le comité de pilotage du RSA, notamment, a été installé en janvier 2011. Il rassemble autour de la direction générale de la cohésion sociale et de l'ADF ou de ses représentants, l'ensemble des opérateurs qui interviennent dans la gestion du RSA - la CNAF, la Caisse centrale de la MSA et les représentants des conseils généraux - de manière à définir des programmes d'évolution informatique en fonction des besoins recensés et d'améliorer la fiabilité des données échangées entre les départements et les caisses qui assurent la liquidation du RSA. Voilà un exemple de démarche qui me paraît aller dans le sens des souhaits manifestés par la délégation.
Le rapport de MM. Yves Krattinger et Roland du Luart avait aussi beaucoup insisté sur la question des normes. Nous avons également essayé d'avancer sur cette question. Le rapport proposait notamment d'élargir les travaux de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) au stock des normes réglementaires pesant sur les collectivités territoriales. De plus, le président de votre délégation, M. Claude Belot, a remis un rapport spécialement consacré à cette question des normes. Enfin, le président de la République a chargé le sénateur Eric Doligé d'une mission sur ce sujet-là. Aujourd'hui, cette mission a recensé un très grand nombre de pistes, que nous essayons, avec les ministères concernés, de rassembler et d'évaluer pour aboutir à un nombre conséquent de propositions de simplification de normes.
Votre délégation avait aussi souhaité renforcer le pouvoir de la CCEN en faisant évoluer le régime de ses avis vers un régime d'avis conforme. C'est un point que nous avions beaucoup étudié lors de la mise en place du moratoire des normes l'été dernier. Cependant, la décision d'élever l'avis d'une instance consultative comme la CCEN, au rang d'avis conforme est une décision qui relève du législateur, puisque cela concerne notamment un certain nombre de matières que la Constitution réserve à la loi. En outre, compte tenu de la largeur du champ de compétence de la CCEN, qui épouse l'essentiel de l'activité normative du Gouvernement, nous nous interrogeons sur la constitutionnalité d'une telle mesure qui reviendrait à confier à la CCEN un quasi-droit de veto à l'égard du pouvoir réglementaire conféré au Premier ministre par l'article 21 de la Constitution. Nous avons donc opté pour privilégier la culture du consensus, d'ailleurs largement à l'oeuvre au sein de la CCEN.
Par ailleurs, j'aurais souhaité aborder deux questions spécifiques en matière de normes, que votre délégation avait pointées. D'une part, s'agissant des normes applicables en matière sportive : les fédérations sportives disposent d'un pouvoir réglementaire délégué, mais qui ne peut être traité comme le pouvoir réglementaire exercé directement par le Gouvernement. C'est la raison pour laquelle, à ce stade, la CCEN n'a pas encore été saisie des projets de règlements édictés par les fédérations sportives. Cependant, il existe une commission d'examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs (CERFRES), au sein de laquelle siègent des représentants des associations nationales d'élus, ces derniers pouvant ainsi anticiper l'impact des règlements sur les collectivités territoriales. Cela n'exclut cependant pas une réflexion pour voir si la CCEN ne peut pas aussi être consultée sur ces projets ou, à tout le moins, pour faire en sorte que les fédérations sportives rentrent dans la démarche d'études d'impact ou d'évaluation préalable des coûts pour les collectivités territoriales des règlements fédéraux qu'elles modifient, de manière à avoir une homogénéité de la démarche.
De la même manière, se pose la question de l'AFNOR. Cela ne rentre pas dans le champ de compétences de la CCEN car juridiquement les normes de l'AFNOR ne s'imposent pas aux collectivités territoriales, c'est simplement une procédure d'homologation. Néanmoins, on constate que, dans les faits, celles-ci s'imposent aux collectivités territoriales. Il existe actuellement une réflexion en cours à la DGCL sur la manière dont la CCEN pourrait intervenir dans le processus d'homologation piloté par l'AFNOR. Je ferai prochainement des propositions sur ce sujet au ministre chargé des collectivités territoriales, et s'il les approuve, aux autorités supérieures.
En outre, je voudrais revenir sur un point soulevé par le rapport de MM. Eric Doligé et Claude Jeannerot, consacré au transfert des personnels de l'Etat vers les collectivités territoriales. L'une des propositions des rapporteurs visait à élargir le rôle de la Commission consultative d'évaluation des charges (CCEC) aux nouveaux transferts, notamment à la compensation des charges nouvelles. Je tiens à préciser que les dispositions actuelles du code général des collectivités territoriales (CGCT) prévoient déjà que la CCEC contrôle les modalités de calcul des charges transférées, qu'elles le soient au titre des transferts de compétences, au titre des créations ou extensions de compétences, ou au titre des charges résultant de réformes réglementaires modifiant les compétences transférées après l'entrée en vigueur des transferts de compétences. De notre point de vue, il existe bien un dispositif complet qui permet à la CCEC d'intervenir dans le champ des compétences transférées ou des extensions/créations de compétences. En outre, je précise que l'administration est souple quant à l'inscription de débats à la CCEC sur différents sujets d'ordre financier pouvant intéresser les élus.
Enfin, en ce qui concerne le dialogue entre l'Etat et les collectivités territoriales, traité dans le rapport de Mme Jacqueline Gourault et de M. Didier Guillaume, M. Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales, a procédé à une communication au conseil des ministres, le 23 février dernier. Il a indiqué les conditions dans lesquelles la Conférence nationale des exécutifs (CNE) est appelée à être réactivée, notamment avec une formation plus restreinte, des groupes techniques et une meilleure préparation des ordres du jour. L'objectif est de donner un réel contenu aux réunions et aux échanges de la CNE. Les propositions de votre délégation n'ont, à ce jour, pas été suivies sur le terrain de la consolidation juridique, car la priorité a été donnée à la consolidation du contenu de la CNE et à la qualité de ses échanges.
La première réunion de cette CNE « nouveau format » est prévue au printemps 2011. Dans cette perspective, un pré-projet d'ordre du jour a été transmis au ministre chargé des collectivités territoriales. Si ce projet est validé, il pourra donner lieu à un échange entre les différentes associations nationales d'élus concernées. La préparation d'une CNE pour le printemps de cette année est donc bien engagée.
Comme vous le voyez, au travers de ces exemples, nous nous sommes efforcés, au cours de nos différents travaux, dans la réforme des collectivités territoriales ou dans la relance de la CNE, de prendre en compte les orientations dégagées dans le cadre des rapports de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.