Intervention de Yves Krattinger

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 12 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Eric Jalon directeur général des collectivités locales

Photo de Yves KrattingerYves Krattinger :

Il semblerait que le moment le plus pertinent, selon vous, pour que les élus s'accordent sur un schéma de mutualisation des services dans le cadre intercommunal se situe juste après la tenue des élections municipales. Je pense au contraire, par expérience, qu'il s'agit du plus mauvais moment car, pour la majorité des nouveaux élus, l'intercommunalité est loin d'être acquise : ils la voient alors plutôt comme de nature à les priver de l'exercice du mandat qui vient de leur être confié. Ces élus sont donc plus réticents au transfert de compétences au niveau de l'intercommunalité en début de mandat, alors qu'au cours du mandat cette réticence tend à diminuer. C'est pourquoi j'attire votre attention sur la distorsion entre ce qui peut apparaître évident d'un point de vue théorique et la difficulté pratique dans la mise en oeuvre.

Je souhaiterais également revenir sur la manière dont l'administration française envisage les statuts des différentes collectivités territoriales et les compétences qui leur ont été transférées. Il y a encore une quinzaine d'années, les règlements et la législation permettaient aux élus locaux de s'adapter avec pragmatisme aux situations et de se montrer constructifs dans le respect des statuts. Depuis lors, je constate que la réglementation entre dans le moindre détail et que son degré de précision, couplé avec la lecture très restrictive qu'en font les services de l'Etat, empêche souvent de s'adapter au mieux aux situations. En clair, l'excès de précision réglementaire grève l'action des élus locaux, paralysés qui plus est par la peur du juge. C'est pourquoi il me paraît indispensable de redonner de la souplesse dans l'interprétation des normes et de la réglementation en vigueur.

En ce qui concerne les compétences des collectivités en matière d'aide sociale, sujet que j'ai eu l'occasion d'approfondir avec mon collègue Roland du Luart dans le rapport de notre délégation consacré aux compensations des transferts de compétences, je voudrais insister sur le financement du revenu de solidarité active (RSA) : dans la pratique, le président du conseil général ne fait que mandater des dépenses pour le compte de la Caisse d'allocation familiale (CAF) et, pire, doit prendre en charge des indus qui lui ont été imposés et dont ses propres services ne sont absolument pas responsables. L'Etat est donc clairement en gestion de fait des collectivités dans ce domaine, ce qui, à mon sens, ne va pas sans poser de problème au regard de notre Constitution.

Sur la portée des avis de la Commission consultative d'évaluation des normes, notamment sur l'hypothèse de soumettre certains projets réglementaires à son avis conforme, j'ai bien compris vos réticences d'ordre juridique. Toutefois, il me semble indispensable de procéder à une clarification. Si on réfute cette possibilité d'avis conforme, la logique voudrait qu'aucun représentant de l'administration ne siège au sein de cet organe : dès lors que l'on demande un simple avis, seul compte celui des élus ; faire participer à cet avis les personnes qui ont élaboré le projet n'a pas de sens.

Le problème des normes en France me semble par ailleurs largement dû au fait que, très souvent, la réglementation française édicte des contraintes excessives, allant bien au-delà de ce qu'exige notamment le droit communautaire. A l'occasion de la visite d'un éco-quartier en Allemagne, j'ai constaté que les jeux pour enfants étaient constitués de quelques arbres et de matériaux naturels, dont le coût n'excédait pas quelques centaines d'euros ; mais le coût des normes imposées par la réglementation française pour les espaces de jeux, et ce pour un même nombre d'enfants, représentait entre 50 000 et 60 000 euros. Il s'agit là, à mon sens, d'une véritable « maladie » pour la société française, alimentée par des lobbies qui font en sorte que les gammes de jeux qu'ils produisent soient renouvelées constamment afin de maintenir leurs débouchés commerciaux. A l'occasion, ensuite, d'une comparaison par des groupes industriels français des coûts de construction d'un bâtiment en France et en Suède, nous avons constaté qu'ils étaient largement supérieurs dans notre pays en raison de l'hyper-normalisation qui le caractérise. Bref, l'inflation des normes renchérit à l'évidence le coût de la production industrielle et, avant de pointer du doigt la non-compétitivité des travailleurs français ou les contraintes venant de l'Union européenne, il vaudrait mieux regarder si nos problèmes de coûts ne viennent pas plutôt de l'hyper-compétitivité de notre administration en matière normative.

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